Zoloé et ses deux acolythes  

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"Most biographers have concluded that Napoleon put Sade in the asylum because he had written Zoloé et ses deux acolytes, a brutal attack on Josephine. Gilbert Lely maintains that the Marquis de Sade did not write that work , and that .."--Books Abroad (1959) by Roy Temple House


"Zoloé, sur les limites de la quarantaine, n'en a pas moins la prétention de plaire comme à vingt-cinq ans. Son crédit attire sur ses pas la foule des courtisans et supplée en quelque sorte aux grâces de la jeunesse. A un esprit très fin, à un caractère sou pif ou fier selon les circonstances, un ton 1res insinuant, une dissimulation hypocrite, elle joint une ardeur pour les plaisirs cent fois plus vive que Lauréda, une avidité d'argent qu'elle dissipe avec la promptitude d'un joueur, un luxe effréné qui engloutirait le revenu de dix provinces."--incipit Zoloé et ses deux acolythes (1800)

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Zoloé et ses deux acolythes ou quelques decades de la vie de trois jolies femmes (1800) is a pamphlet often attributed to French writer Marquis de Sade, although he was probably not the author. It is a thinly veiled roman a clef about the love life of Joséphine de Beauharnais, Madame Tallien and Madame Visconti.

Its subtitle reads histoire véritable du siècle dernier par Un Contemporain A Turin.

It deals with the debaucheries of Napoleon and his circle. Zoloe represents Josephine and the two acolytes, Laureda and Volsange, symbolize Mesdames Tallien and Visconti.

When the story was published in 1800, a tremendous scandal ensued. Practically all the characters were easily recognizable. Thus d'Orsec, anagram for de Corse, was Napoleon and Sabar stood for Paul Barras.

Consequences for Marquis de Sade

The pamphlet earned Marquis de Sade the enmity of Napoleon. "Its publication was the cause of the final incarceration of its author at Charenton, by order of the first consul, under date 1801." (Catena Librorum Tacendorum).

Authorship

Gilbert Lely, in his Vie du Marquis de Sade, casts doubt on the attribution of Zoloe to Sade, stating that "rien dans l'analyse du style ne le laisse supposer", "nothing in an analysis of the style permits this assumption." [1]


Full text[2]

Presented to the library of the

UNIVERSITY OF TORONTO

by

Alexanâer C. Pathy



MARQUIS DE SADE


• •


ZOLOE


ÉDITIONS MONTMARTRE PARIS

39, Rue Emile-Desvaux - Paris-! 9 e


CHAPITRE PREMIER

PORTRAITS


Zoloé, sur les limites de la quarantaine, n'en a pas moins la prétention de plaire comme à vingt-cinq ans. Son crédit attire sur ses pas la foule des courtisans et supplée en quelque sorte aux grâces de la jeunesse. A un esprit très fin, à un caractère sou pif ou fier selon les circonstances, un ton 1res insinuant, une dissimulation hypocrite, elle joint une ardeur pour les plaisirs cent fois plus vive que Lauréda, une avidité d'argent qu'elle dissipe avec la promptitude d'un joueur, un luxe effréné qui engloutirait le revenu de dix provinces.


— /, —

Zoloé n'a jamais été belle, mais à quinze ans sa coquetterie déjà raffinée, cette fleur de la jeunesse qui souvent sert, de passeport à l'amour, de grandes richesses avaient atta- ché à son char un essaim d'adorateurs.

Loin de se disperser par son mariage avec le comte de Barmont, avantageusement connu à la cour, ils jurèrent tous de n'être pas mal- heureux, et Zoloé, la sensible, ne put consen- tir à leur faire violer leur serment. De ©ette union sont nés un fds et une fille, aujourd'hui attachés à la fortune de leur illustre beau- père.

Zoloé a l'Amérique pour origine. Ses pos- sessions dans les colonies sont fameuses, mais les troubles qui ont désolé ces mines fécondes pour les Européens l'ont sevrée du produit de ces riches domaines, qui eût été si nécessaire ici pour alimenter sa prodi- gieuse magnificence.

Lauféda justifie l'opinion que l'on a con- nue de la nation espagnole ; elle est tout feu et lout amour.


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Fille d'un comte de nouvelle date, mais extrêmement riche, sa fortune lui permet de satisfaire tous ses goûts et son penchant décidé pour la singularité. Trois demeures dans différents quartiers de la capitale sont tour à tour les sanctuaires sur lesquels elle va sacrifier à l'autel de Vénus.

Egalement éprise et des lubricités d'Ovide et des fureurs de Sapho, elle a épuisé toutes les combinaisons de la volupté.

L;mréd;i n'a conservé de sa première beauté qu'une taille avantageuse, de belles dents, un bras charmant, mais les ans et plus encore la fatigue des jouissances outrées ont fait sur sou teint et sur ses traits des ravages çfuejs que l'art de la toilette, le savant mé- lange du blanc et du rouge, ne put réparer.

Ce n'est guère que dans la langueur des petits soupers que ses yeux lancent de ces éclairs qui embrasent le cœur d'un amant.

A son lever, Lauréda annonce trente ans ; dans l'éclat de sa parure, elle en paraît dix de moins. Mais ce que le temps ne peut lui


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ravir, c'est un excellent cœur, un zèle offi- cieux qui est prêt volontiers à obliger par son crédit et sa bourse même ; c'est infini- ment d'amabilité avec tout le monde.

On se persuaderait, en la voyant sans cesse entourée des cortèges du plaisir, qu'elle est heureuse. Hélas ! elle porte dans son sein un ver rongeur : le regret mortel d'avoir admis pour époux un homme confondu au- trefois dans l'obscurité de la valetaille.

Elle a beau chaque jour ombrager le front de cet insolent parvenu de ce panache qui ne blesse que l'amour-propre ; une rupture amiable, un divorce, même consenti pour la paix commune, n'a pu faire oublier à l'a méchanceté qu'elle a porté l'ignoble nom de Fessinot.

Volsange avail épousé, non Je marquis d'Obzemback, capitaine des Royal-Suisse; noble et vaillant comme Tancrède, mais sa fortune.

Les liaisons du sang avec Zoloé ont ren-


forcé les nœuds de la sympathie entre ces deux femmes.

Vive, quoique déjà prête à atteindre son sixième lustre, enjouée et folâtre comme sa cousine, elle n'a d'autres dieux que sa per- sonne, d'autres bonheurs que ceux de jouir, d'autres tourments que la soif de l'or pour assouvir ses fantaisies et ses sens dévorés de convoitise.

Des hommes assez lâches pour abandonner la patrie malade à des empiriques, à des insensés qui l'ont tuée sous prétexte de la sauver, lui ont reproché d'avoir déserté leur parti.

Elle se venge noblement de cette injuste prévention en servant a\ec courage, avec cha- leur, les victimes de l'Anarchie, les peureux et ceux même qui ont à rougir de leur exas- pération.

La beauté n'est rien ; ce n'est que le souffle de la nature, que quelques années ont bien- tôt flétrie ; cependant, combien elle a de charmes pour nous séduire il On ne peut l'en-


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tendre sans être enchanté : tel est l'effet ma- gique que produit la présence de Volsange.

Elle porte, sur un corps superbe, élevé, une tête noble et pleine de grâce.

Sur son aimable visage et sur toute sa per- sonne sont réunis les attraits les plus pi- quants : bouche divine, front couroné d'une riche chevelure ; des yeux d'où jaillissent mille traits de flamme, un sein que ne peut contenir un vil jaloux, un pied dessiné par l'Amour.

Que d'autres achètent le tableau... Je brise mes crayons ; ils sont impuissants pour le rendpe.

Le jeu de sa physionomie annonce infini- ment de finesse, de pénétration et de résolu- tion.

Son regard, comme celui de l'aigle» fixe avec rapidité.

A\ec autant de moyens, quand on se jette dans la carrière de l'intrigue, on marque dans la société ; on se fraie un chemin aux


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emplois, au crédit qui les obtient ; on se fait nombre de partisans et d'envieux.

Les exploits de Volsange dans les galantes escarmouches mettent son nom au-dessus de tout ce qu'il y a de plus fameux dans le genre ; elle mérite, et par le nombre et par la variété et la quantité des heureux qu'elle a faits, de figurer avec honneur dans la fédé- ration de Zoloé et de Lauréda.

Mais quel est le trait d'union assez fort pour entretenir une si parfaite harmonie entre ces trois têtes, entre ces trois prêtresses de l'amour, souvent rivales ? Le plaisir.

Eh ! n'est-ce pas lui, n'est-ce pas l'intérêt personnel que l'on honore du beau nom d'amitié ? D'ailleurs, de quoi n'est pas ca- pable l'incomparable d'Orbazan ?

C'est lui le feu régénérateur du trio fémi- nin. Il est comme le moteur suprême ; il apaise, il irrite, contriste, égaie, refroidit, échauffe à son gré ces âmes versatiles à toutes les passions qu'on leur suggère.

Ainsi se trouve résolu, par la dextérité de


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cet adroit mentor, le problème de trois femmes parfaitement et longuement unies de la plus étroite amitié.

Que l'on nous pardonne ces détails ; ils vons nous conduire à démêler ce que pré- senteraient d'obscur les faits qui vont suivre.

Nous imiterons les peintres : nous esquis- sons les traits des principaux personnages avant de les présenter en action.


II


CHAPITRE II

MARIAGE DIPLOMATIQUE

Episodes : Le Vicomte de Sabar (Barras).

Baron d'Orsec, soyez le bienvenu. Je vous attendais avec impatience ; je m'occupe de votre bonheur.

Le Baron d'Orsec, Corse (Bonaparte) .

Sérieusement ?

Vicomte de Sabar.

Très sérieusement, en vérité. Vous n'avez pas l'air riche ; rien de moins stable que les emplois et la faveur dans un pays comme celui-ci. Un beau jour, vous pourriez bien ne conserver que la cape et l'épée. Foi de gentilhomme, il mr paraîtrait dur d'en reve- nir à la simple paie d'officier. Baron d'Orsec

Aussi votre prudence, dit-on, à pourvoir à l'avenir...


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Vicomte de Sabar. Vous croyez ?... Je disais donc que, pour vous mettre à l'abri des caprices du sort, il vous faudrait faire un bon mariage. Baron d'Orsec. Ma santé, mes goûts, vicomte, ne s'accor- dent guère avec vos \ues. Je ne vous en remercie pas moins de votre zèle. Vous le savez, mon ami, j'ai vaincu sans femme; je puis vivre de même.

Vicomte dé Sabar. Quelle simplicité !... Je vous donne une femme mûre qui ne demande que votre nom. Deux cent mille livres de bonnes rentes avec sa main, beaucoup d'amis... Baron d'Orki Son nom ?

Vicomte de Sabar. La comtesse de Barmont, Zoloé, toujours aimable, charmante, magnifique, du meil- leur ton, d'une famille ancienne, d'une fraî- cheur, ma foi, très appétissante... Baron d'Orsec.


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Et d'une coquetterie...

Vicomte de Sabak.

Eh ! morbleu !... qu'est-ce que cet enfan- tillage, mon ami ? Veuve, elle a pu user de <l<* sa liberté ; mariée, elle se renfermera dans les bornes de la décence. N'est-ce pas tout ce que tu demandes ?

Baron d'Orsec.

Mais pourquoi tant de générosité, mon ami ? Pourquoi ne pas garder ce cadeau pour vous-même ?

Vicomte de Sabar. Et ma femme ?... Réponds donc, avant de me quitter.

Baron d'Orsec

Mais encore... Qui vous a chargé de cette mission ?

Vicomte de Sabar. Prononcez le oui, et Zoloé ne dira pas non.

Baron d'Orsec J'entends...


— là —

CHAPITRE III

— Ah ! ah ! s'écrie en entrant le pétulant Mirval... Je vous trouve enfin, vicomte ! Comment, diable ! vous vous faites celer à vos anciens amis ?

Et, sans attendre de réponse :

— Savez-\ous la chronique du jour ?... Oh ! non, je parie ! Vous autres diplomates ne vous informez guère de ce qui fait rire les humains... Eh bien ! ne voilà-t-il pas le galant sénateur D..., l'homme le mieux tym- panisé de France ? Tout en achetant un cha- peau, le paillard lorgna si bien la blanche main, la peau satinée, le sein rebelle, l'œil fripon de la marchande, qu'il sentit son cœur percé au vif de l'aiguillon de l'amour !... Visites multipliées sous différents prétextes à des heures propices, propos gais, tenta- tives amenées avec art pour sonder la place, de petits cadeaux, la cuisinière gagnée : tels sont les préliminaires d'usage. La capitula- tion fut longue, mais enfin acceptée. L'époux


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de la belle partait chaque matin, vers les quatre heures, pour sa fabrique, et ne reve- nait qu'à neuf, pour déjeuner. C'est plus de temps qu'il n'en faut pour le plus vigou- reux athlète. Ainsi, la partie fut réglée, con- clue pour la matinée du deuxième jour sui- vant. Toinon, la complaisante cuisinière, de\ait apposer une échelle, car le prudent mari emportait en poche la clef de la cham- bre ; on lèverait une croisée à coulisses, et l'heureux D... se trouverait au comble de ses vœux... Mais point du tout ! Le diable, ou la jalousie plutôt, lui préparait une autre scène. Le garçon de boutique, grand, leste et bien fait, bras nerveux, large dos, figure vermeille, avait précédé le nouvel amant aux fonctions matrimoniales. Ses yeux, attentifs aux actions de sa maîtresse, avaient démêlé l'énigme de son refroidissement subit. D'un autre côté, Toinon, qui plus d'une fois avait eu sa part de la surabondance de la verve du jeune homme, lui confia, dans un mo- ment d'extase, le dénouement qui allait dans


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Jeux jours mettre l'amoureux D... dans les bras de son amante. Tous les noirs \enins de la jalousie se rassemblent dans sa tête ; il jura de se venger de la perfide, et sur-le- ebamp il en prépara les moyens.

« Ton! d'abord, il dénonce au chapelier le complot formé contre l'honneur conjugal ; il souffle la rage dans son cœur... Le mari, furieux, ne méditait rien moins que d'im- moler à la fois l'adultère et son complice ; mais, réfléchissant qu'une semblable puni- tion ne le vengeait qu'un instant et l'expo- sait, il s'arrête à ce projet :

<( Tandis que D... allait souiller de sa pré- sence le sanctuaire des lois, le chapelier court chez son épouse, lui révèle le larcin que son mari se proposait de lui faire... Il lui pro- teste, il lui jure que rien n'est plus vrai. Il l'amène à venir elle-même être témoin du crime et à l'aider dans sa vengeance... Mme D..., jusqu'alors confiante dans la sa- gesse de son époux, n'avait jamais conçu la moindre inquiétude sur ses excursions


nocturnes; Des affaires, lui disait-il, l'obli- geaient à passer la nuit au Sénat... 11 avait allégué le même prétexte pour se ménager l'occasion de \oir sa nouvelle conquête... On feignit de le croire. Déjà il triomphait... Mais il fut cruellement déçu dans son attente.

<( La chambre donnait sur l'encoignure d'un passage public peu fréquenté. L'obscu- rité, d'ailleurs, protégeait de son ombre ce mystère amoureux.

<( L'échelle est dressée. L'amant s'élance, la fenêtre se lève. Déjà la moitié de son corps était dans l'appartement de sa divinité, lors- qu'en même temps une lumière brille, plu- sieurs voix s'écrient: « Au voleur! au vo- leur ! »

(( Son amante éperdue, à ces cris fîmes l< ■>, lâche la croisée, qui tombe avec force, sur l'échiné du pauvre sénateur D... Le garçon, son rival, secoue l'échelle, la renverse, laisse le grave sénateur pris dans ce trébuchet. La garde arrive. Des éclats de rire immodérés se font entendre à la vue d'un homme sus-


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pendu en l'air. Enfin, le triste D... est des- cendu et conduit, confus et meurtri, entre deux gardes, chez le commissaire du guet, où il finit par être relâché par respect pour son caractère.

(( La chronique ajoute, mais sans en affir- mer la vérité, que, pour venger complète- ment le chapelier, Mme D... lui prodigua les mêmes faveurs que son mari brûlait d'en- vie d'obtenir de la belle chapelière.

« Ce n'est pas tout... J'accourais, plein de cette anecdote, pour la conter à Mme la marquise de Mirbonne, lorsque, dans le Petit Carrousel, je rencontre deux forts qui por- taient sur un brancard une espèce d'homme couché et enveloppé de la tête aux pieds dans un manteau bleu.

« Je m'imagine d'abord que quelque affair» d'honneur avait envoyé le personnage dans l'autre monde et qu'on allait le remettre à sa famille pour en disposer.

<( Je demande à un des porteurs, avec un air d'intérêt, de quoi il s'agissait...


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« — Suivez-nous, me répondit-il, vous en jugerez...

« Le brancard s'arrêta à la maison du séna- teur G..., car c'était lui-même qu'on pro- menait dans cet équipage : des yeux qu'il roulait pleins de \in, des paroles sans suite, des gestes d'insensés, des restes impurs qui sortaient de sa bouche et dont ses habits étaient tout dégouttants, me firent bientôt connaître la cause de l'état indécent où je trouvais l'un des représentants de la France.

« Comme, au vrai, ce spectacle paraissait m'affecter, l'un des porteurs, en sortant, me dit :

« — Vous êtes bien bon, citoyen, de plain- « dre le sénateur C... Cinq fois par décade, « notre ministère lui est nécessaire... Que « diable \oulez-vous qu'il fasse ? C'est au- « jourd'hui un entrepreneur, demain un « fournisseur, une autre fois un chef de « bureau, ou tel autre avec lequel il aura « quelque intérêt à démêler* ce qui l'en « tra»»^ chez un traiteur!


« Ce n'est que là, en vérité, que l'on peut c parler d'affaires. Il n'y a que la première « bouteille qui coûte à avaler. Trente ou « quarante la suivent, et il n'en faut pas rt moins pour mettre Ç.,. de bonne hu- « meiir ! »

« Le porteur allait continuer sur ce Ion, mais, pressé d'arriver au lever de la mar- quise, je me hâtai de le quitter et de tra- verser les Tuileries. Ici, dans une allée étroite, j'aperçois un homme qui se démenait comme un fou : il se frappait le sein du poing, et la tête contre les arbres.

<( En m'approchant, j'entendais des sons confus qui semblaient le mugissement d'un ( taureau en fureur.

<( Bientôt, je fus assez près pour distin- guer ces paroles :

« — Malheureuse passion du jeu ! s'écriait- | « il... J'ai tout perdu, plus de ressources ; « ma réputation est à jamais flétrie !

« .l'ai épuisé la caisse qui m'était pqrçiîi


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« Je n'ai pas rougi d'emprunter et de nier « le prêt qu'on m'avait fait. Ai-je l'audace « encore de siéger parmi les législateurs ?... « Oui, je renonce au jeu... Je veux répa- « rer !... »

« Puis, s'arrêtant tout à coup : « — Mais qui sait si la fortune me sera « toujours contraire ? Laisserai-je mes anta- « gonistes se pavaner de mes dépouilles ? « Non et non ! Je veux une revanche. Il me « reste un autre dépôt. Si je gagne, eh bien, « tout sera en ordre. Si je perds, que me « restera-t-il à faire ? A mourir !... »

« J'enfilai une autre allée après avoir en- tendu ces mots ; mais, à la stature et au ton de la \Oix, il ne me fut pas difficile de recon- naître le législateur S...

— Oh ! mon ami, ajouta le vicomte, après que l'infatigable conteur eut fini, que je vous sais gré de votre zèle !

Puis, lui frappant sur l'épaule et lançant au baron un regard pénétrant :

— Puissent-ils, tous, combler la mesure


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et accélérer le jour de leur chute !

Le chevalier Mirval, impatient d'aller, le même jour, colporter dans les vingt cercles ces scandaleuses nouvelles, disparut comme l'éclair H laissa les deux amis libres de renouer leur entretien précédent.

Il fut arrêté que d'Orsec irait se présenter incessamment chez la comtesse et qu'il rati- fierait la négociation dont le baron avait été le ministre plénipotentiaire.

CHAPTRE IV

PETITE MAISON SURPRISE...

Zoloé, rayonnante de joie d'épouser un héros, avait convoqué ses deux amies pour leur confier son bonheur prochain. Un ample tuner avait suivi la confidence ; on y avait pompé largement le nectar de Madère.

Son l'eu électrique avait passé dans les veines de la bouillonnante Volsange, et tous les ressorts de son être étaient quadruplés dé i^ur élasticité naturelle


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Rompant tout à coup la grave dissertation entamée par un parasite sur le joug matri- monial :

— Au cabinet ! dit-elle à Zoloé. El, se levant avec impétuosité :

— J'ai à vous parler, madame la fiancée, et aussi à Lauréda.

Toutes trois enlacent autour de leurs corps leurs jolis bras, et, après une modeste révé- rence aux assistants, elles s'enferment dans le secret parloir.

— Tiens, ma belle, dit Volsange en em- brassant Zoloé avec feu, je t'avoue que je me sens dévorée ce soir d'un besoin toujours renaissant et jamais satisfait... Tu m'entends, coquine, il faut, ce soir... oui... que cette soirée soit marquée par quelque aventure qu'on ne lit point dans les romans.

« Tous ces adorateurs à la violette, ces prétendus hercules à dos voûtés, à chevelure écourtée, à pantalons flottants, à figure héris- sée de poils, avec leur voix flûtée et leur perpétuel gazouille menl d'amour^ tendresse


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constance, m'excèdent de leurs ridicules et encore plus de leur impuissance.

« Oh ! c'est assez, c'est trop d'aVoir eu si longtemps des preuves de leur caducité pré- coce !

« Je ^ eux doue, et vous ferez de même, oui, je veux de fci réalité ; au diable ces fre- lons qui promettent ce qu'ils ne peuvent donner !...

(( Que de robustes athlètes remplacent ces Adonis pusillanimes ! Semblables à ces gla- diateurs romains, infatigables à porter et à recevoir des coups, ils nous disputeront chè- rement la victoire. Combattons corps à corps, et que celui qui l'aura emporté en courage soit déclaré roi des lutteurs de Cythère ! Qu'il porte pour diadème une couronne de myrte, de pampres et de roses !

Ainsi dit l'embrasée Volsange, et fut ap- plaudie à outrance par ses voluptueuses com- pagnes.

Cependant, est proposé et adopté un amen- dement par la pxudente jLauréda, Chacune


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choisit et jette dans un galant chapeau, fai- sant l'office d'urne, le nom du maître le plus connu dans ce genre d'escrime.

L'officieuse main de la soubrette Suzanne va chercher un à un les noms.

Parmesan (i) sort pour Lauréda ; Pacôme (:>) pour Volsange ; Fessinot (3) pour Zoloé. Parmesan était un fameux frotteur aviver- gnat, Pacôme un ex-capucin de Meudon, Fessinot l'époux comblé de Lauréda !!

— Fessinot ?... Quoi ! Fessinot ? s'écrie Zoloé avec un dépit furieux... C'est une trahi- son, un tour affreux !... Quoi ! cet effilé pé- dant* cet odieux Calpigi serait mon lot ?...

— Pourquoi non ? répond en éclatant de rire l'heureuse Volsange.,. Cousine, le sort te sert mieux que tu ne le penses. C'est un petit préliminaire du cher mariage...

« Crois moi, il est bon d'avoir un avant- goût de l'avenir qui t'attend !

— Eh bien, soit ! reprend Zoloé, en s'effor- çant de donner le change à son chagrin... Que F"'ssiiio! sort appelé, puisqu'on le veut.,,


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Nous en ferons ce qu'il plaira à mon caprice. Le sort ne prescrit pas autre chose.

CHAPITRE V

Dans le voisinage des Champs-Elysées, est une petite maison, vrai chef-d'œuvre ero- tique.

Figurez-vous d'abord un vaste et superbe bosquet où sont rassemblés les plus rares arbustes de toutes les parties du monde.

Des allées, qu'un heureux mais savant désordre a ménagées, n'ont rien ôté à la na- ture de ces formes originales qui flattent l'œil, émeuvent le sentiment.

Des monticules ont été exhaussés et forment les perspectives les plus pittoresques. Rien surtout n'est admirable comme l'ombrage que procure un massif d'un double rang de su- perbes hêtres, au milieu desquels est situé l'asile solidaire où vont s'abîmer dans des torrents dt; volupté les couples heureux que r\o<i, tendres kxxihd y rasseJrnblenti


2Q

On n'y arrrve qu'à travers un labyrinthe d'allées dont il faut avoir l'itinéraire pour saisir la véritable, qui conduit aux délices. C'est ainsi qu'on appelle le séjour enchan- teur.

Un ruisseau limpide serpente avec mille sinuosités et va former un cordon bordé de lilas, de jasmins et de saules pleureurs au- tour de l'habitation. Un pont-levis, dernière précaution de sûreté, en défend l'accès aux profanes.

Au premier aspect, on s'imaginerait entrer dans une chartreuse. Rien n'y présente qu'un isolement prwfond. On y a même élevé une espèce de clocher. Le bâtiment qui le porte annonce un temple ; on y célèbre, il est vrai, les mystères d'un Dieu, mais ce ne sont pas les mystères du Dieu de la continence. Cet édifice n'est pourtant que l'avant-scène du palais enchanteur que nous essayons de décrire.

L'usage en est abandonné aux agents admis dans la confidence pour y introduire et y


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voir les favorisés personnages que l'on juge dignes d'y offrir l'encens à ]a divinité du lieu.

Plus loin est une rotonde magnifique, por- tée sur des colonnes de marbre jaspé. Des statues nues occupent les intervalles. Elles représentent tout ce que les imaginations les. plus licencieuses ont enfanté de plus propre à provoquer les amoureuses jouis- sances.

Les maîtres les plus habiles n'ont pas rougi de consacrer leur ciseau à ces chefs-d'omvre d'obscénité.

Les frontons sont, décorés de guirlandes travaillées avec un fini précieux.

Le dôme est surmonté d'un satyre qui regarde avec une complaisance infinie les prodigieuses marques de sa virilité.

Une jeune nymphe, debout sur la cein- ture qui domine le portique, attache à la même partie des yeux enflammés.

Le pourtour est garni d'amants qui lan-


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cent des flèches sur tous ceux qui se pré- sentent.

Au milieu du cintre, on lit ces mots, gra- vés en lettres d'or :

TEMPLE DU PLAISIR

Au-dessous, ceux-ci en lettres de feu :

JOUIR OU MOURIR

L'intérieur efface tout ce qu'on vante de la luxure des voluptueux monarques de l'Orient.

Tout a été calculé pour le ravissement de tous les sens. Eût-on le sang- glacé d'un vieil- lard septuagénaire, il ne serait pas possible de rester inanimé à la vue de ces inven- tions destinées à exciter, ranimer, prolonger l'ivresse du bonheur.

Des cassolettes emplies des parfums les plus suaves, des glaces qui réfléchi sent de toute parts les objets, des ottomanes d'une mollesse, d'une richesse étonnantes, des lus- tres d'or dont la tige soutient tous les attri- buts naturels de l'amour, des flambeaux en gaine d'une forme extraordinaire, mille au-


très meubles précieux ornent, le premier salon.

Ce n'est que le prélude de ce que ren- ferme le salon suivant.

Toutes les colonnes en sont de la porce- laine la plus parfaite qui soit jamais sortie de la main des hommes. Les peintures offrent en miniature tout ce que la Fable a raconte des amours païennes.

Eh bien, toutes ces merveilles cessent de l'être à la comparaison des innombrables beautés du même genre qui tapissent les lambris, les plafonds, les dossiers des lits et des fauteuils, des sofas et des écrans, et jus- qu'aux vitraux des chapelles consacrées aux « secrets mystères ».

Vainement croirait-on qu'après les fameu- ses expériences de la Justine, il n'est pas pos- sible d'inventer de nouvelles attitudes dans les amoureux déduits.

Zoloé, Lauréda et l'insatiable Yolsange ont infiniment enrichi ce répertoire de lascivité; et jamais galerie de princesses ne fut aussi


■^\



complètement ornée de ce genre.

Ajoutez à ceci une odeur d'ambroisie qui embaume ; des lils de repos dans le mol édredôn, les fleurs de roses qui les jonchent eussent fait envie au plus efféminé des cha- noines ; les glaces qui reproduisent autour et au-dessus des objets des mouvements éma- nés des sensations les plus vives ; un demi- jour adroitement ménagé par la coquetterie. Tous les instruments de l'art ont ajouté aux moyens de ressusciter les facultés abattues. Des liqueurs spiri tueuses, vrai stimulant d'ardentes voluptés, mille autres accessoires fastidieux à décrire, mais précieux pour l'oc- casion !!!

Telle est la surprise ravissante que pré- parent à leurs conquêtes, souvent nouvelles, ces prêtresses infatigables du Dieu de Cy- thère.

La propriété de ce charmant pied-a-terre leur était commune. Elles avaient sacrifié à son embellissement des sommes immenses. Mais. à quoi doivent servir les richesses, si


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ce n'est à embellir tons les instants de l'exis- tence ?

D'Orbazan, Sabar, Mirval, les premiers on1 fait couler leur amoureux encens sur l'autel de la divinité qu'on y adore.

L'offrande égale la solennité de la circons- tance

Six fois, dans l'espace d'une demi-journée, le dieu Priape reçut et rendit les plus abon- dantes libations.

IVndanl une décade, on célébra, sinon avec aiiiaul de fréquence, du moins avec le même zèle, l'inauguration du Temple.

On ne se quittait qu'en se jurant une flamme éternelle.

Vains serments !

Chacun soupirail après un renouvellement d'acteurs, devenu nécessaire et par la lassi- tude et par la satiété.

Beaucoup de personnages avaient succédé dans la même carrière.

Même ivresse d'abord, même fin. Le ca- price avait désigné de nouveaux ministres


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pour le même culte.

La roue de la Fortune avait tourné pour Parmesan, Pacome et Fessinot.

Voyons, sauront-ils mieux captiver la légè- reté de nos célèbres gourmandes ?

CHAPITRE Vï

QUERELLE — PACIFICATION

L'adroit Dubuisson avait Uitroduit dans le sanctuaire de Cypris les trois champions désignés pour sacrifier sur se's autels.

Une espèce d'enchantenienl les y avaii transportés, sans connaître le lieu où ils étaient admis, ni le motif qui les y appelait.

Leurs yeux éblouis de l'éclatant appareil qui se déployait dans la somptuosité (\e^ meubles qui ornaient la pièce où ils étaient entrés se promenaient de toutes parts avec nnr espèce d'ébâhissement.

Veillaient-ils ? Dormaient-ils ? ils ne sa- vaient que croire.

Ils approchaient leurs mains timides d(^ objets divins qui le. environnaient, et s'a,s


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suraient, en les palpant, qu'ils n'étaient point fantastiques.

Enfin, Parmesan, le premier, témoigne qu'il éprouve beaucoup de ravissement.

Dans un temps plus heureux, il avait été introduit dans le cabinet des divinités qui régnaient alors.

Quelque chose de semblable, mais d'infi- niment moins recherché, s'offrait à son admi- rât ion.

— 01) ! <-u vérité, dit-il... loi de frotteur ! cela n'a jamais eu son pareil. Le siècle (.Vnv aurait-il enfin remplacé celui du fer ? Ou bien ne sont-ce pas des fées, i\c+ génies qui habitent ce palais ?

« Voyez, Messieurs, vit-on jamais rien d'aussi pariait ?

(< Ces membres-là, ajouta-t-il en montrant l'architecte de la vie et son auxiliaire, ont âme et action. Regardez cette belle colonne : cet impitoyable satyre perce de son énorme dard cette gentille nymphe... Voyez-vous cet r 1? n,. c < îio ; . •■:-. a\ i ■■■ i ■;■.■ \ ..- enflammé du


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dieu et l'enfoncer à la chute des reins d'une bergère effrayée ?... Et ce singe qui brise sa chaîne et se précipite sous les jupes d'une jeune fille et lui ravit, avant de lâcher prise, la fleur à laquelle un amant attache tant de prix !... Et ces groupes dans des attitudes variées, attaquer à la fois tous les canaux de la volupté !... Et ces oiseaux, perchés sur ces arbres, imiter dans leurs folàtreries les mouvements désordonnés et lascifs des hu- mains qu'aucune pudeur d'arrêté !... Et tous ces animaux qui, chacun à leur manière, bondissent et fermentent d'amour et de plai- sir !...

(( Oh ! quel marbre ne s'embraserait pas à la vue de tant d'êtres se livrant a\cc fuirur à la chaleur de leur tempérament ?...

Cependant, le père Facôrne roulait sur toutes ces obscénités des yeux dévorés de luxure...

Ses veines gonflées annonçaient le feu dont elles bouillonnaient) Le mouvement ■■'■■■ uh ■■'■ ' : - - ■■•'• >■>■■■■ ■■■■ iftlttui (fui


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se peignait dans ses traits, une ténacité à contempler toutes ces attitudes décelaient la trempe de son caractère et l'ardeur de ses désirs.

On l'eût pris, dans cet état, pour un vrai satyre.

Fessinot, les lunettes sur le nez, jetait des regards froidement avides. Une rage concen- trée perçait dans son maintien.

On s'apercevait que son corps usé et im- puissant se refusait à répondre aux violentes émotions que recevait son âme.

Zoloé et ses acolytes, mollement assises sur une chaise longue, suivaient, à travers le voile d'une gaze claire qu'on avait clouée à une lucarne imperceptible, toutes les impres- sions que produisaient les objets sur les nou- veaux champions.

A un léger bruit, les contemplateurs se retournèrent et trouvèrent une table chargée de tout ce qui peut animer l'appétit et flatter Je palais,


— kl —

De larges flacons de vin formaient les plus agréables pyramides.

Six sièges environnaient la table et parais- saient destinés à autant de convives.

Le spectacle fut bientôt oublié pour Pacôme et Parmesan. Les deux grivois lançaient sur les pâtés superbes, et les autres provisions que portaient les plats, des regards d'avi- dité. Ils semblaient les dé\orer des yeux.

Pour Fessinot, livré à sa monotone indif- férence, il parcourait l'appareil du festin en admirateur insensible.

— Que dites- vous, citoyen ? dit Pacôme en jetant sur lui un regard d'indignation... Pourquoi accuser de prodigalité l'économe de cette maison ? N'êtes -vous pas content de cette aubaine et ne voulez-vous pas en pro- fiter comme nous ? Il est indécent de jeter procès à qui on doit de la reconnaissance...

Fier comme les gens de sa sorte, Fessinot ne répondit que par une grimace et sembla


— kl —

dédaigneux de prendre part à la joie de ses camarades d'aventure.

Parmesan l'observait ; le gosier sec et l'es- tomac affamé, il appelait le vin et la bonne chère.

— Que veut dire cette mine allongée, mon- sieur ?... Ne vois-tu pas, ami Pacôme, que cet individu n'est qu'un limier de la police ? Oh ! il n'y a pas à se méprendre à son enco- lure !... Morbleu ! si je ne respectais ici je ne sais qui, je lui appliquerais sur les reins un joli rapport.

Et il étendait la main comme pour le frapper. . .

— Citoyen ! s'écria Fessinot... je suis re- présentant du peuple ! Respectez-moi !...

Et il exhiba la précieuse médaille de son inviolabilité.

— Voyons donc ! dit Parmesan.

— Oui dà ! citoyen Fessinot... Salut au citoyen Fessinot ! lui dit-il ironiquement... Mais, excusez mon ignorance, peut-on savoir, fcitoyen représentant, ••■• qui ?eui amené tâ


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que vous faites ici ? Représentez- vous ? Etes- \ous le maître de ce logis ?

— Ni l'un ni l'autre, ce me semble ?... Mais répondez donc ! cria Pacôme... Il est vrai qu'on ne voit ici que magnificence et enchantements. Est-ce que cela serait pris sur les indemnités des sénateurs ?... Eh bien, mon camarade, vous retournerez au sac ; il n'est jamais vide pour vous autres.

— Citoyens, je vous l'avais déjà dit : ces- sez vos insolences, ou je ferai valoir mon caractère !

— Que dis-tu là, mon petit ami ?... Ah ! tu veux trancher de l'économe !... Bien, bien à loi, le plus dégoûtant de tous tes confrères en fait de pillage !

Et, saisissant un jambon de Bayonne, il lui dit :

— Il ne tient à rien, brigand, que je la\e tes indignités dans le sang de ce jambon !

— Il a parbleu raison ! s'écria l'affamé capucin... De quoi se mêle ce ladre parvenu ? y*, ;h %$ beaw fc'èngraissëî et rapine m f\»r..


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lement, cela n'empêche pas ton vin d'être bu, et pendant que tu sièges on baise ta femme !... Voilà, mon ami, un front où brille la majesté d'un cocu !

Malgré son flegme et l'inégalité de la par- tie, il n'était pas possible que Fessinot restât insensible à ce déluge d'injures. Ses yeux él incelaient de colère, sa bouche était fran- gée d'écume, sa figure toute décomposée, ne pouvaient suffire à la soif insatiable du trotteur et du capucin.

Le dessert parut enfin. Des frangipanes, des gâteaux, des beignets et mille autre* friandises furent attaqués avec la même -vora- cité.

Si la lutte qui allait suivre avait la même


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ardeur, heureuses, mille fois heureuses, de- vaient être Zoloé, Volsange et Lauréda !!!

Leurs champions auraient infiniment mul- tiplié les rasades de madère, si ces dames, craignant avec raison que celle fréquente répétition ne nuisît à leurs forces, tout en voulant les augmenter, n'avaient arrêté le flot qui allait déborder.


CHAPITRE VII

ACTION — PRISON — NOYÉ

Une grave conversation avait été entamée entre Zoloé et son partenaire. Cette rusée princesse feignit d'entrer dans les \ucs et sentiments du pauvre Fessinot.

Les éloges coulaient avec profusion de sa bouche enchanteresse, et le modeste légis- lateur avalait cet encens avec une complai- sance inouïe.


~ ^7 —

Cependant, à travers les distractions qu'elle faisait naître, Fessinot sablait un verre de vin fin.

Une foule de choses d'ailleurs s'offraient à son regard, propres à reveiller les sens.

Pacônic et Parmesan, égayés par le jus pétillant qui circulait dans leurs veines, se répandaient en propos grivois, en expres- sions d'un genre tout à fait neuf pour les autres convncs.

Des gestes suivaient ces licences provo- quées.

Les dames avaient beaucoup de peine à empêcher les mutins que le théâtre du festin ne fût celui des ébats amoureux.

Zoloé n'avait point de ces témérités à com- primer !

Elle s'occupait à arranger un châle qui ne cachait rien, un soulier qui ne la gênait pas, une boucle qui ne couvrait l'uvale d'une joue qu'en découvrant un joli bout d'oreille. Elle jouait avec son éventail, lançait quel- ques œillades, montrait son sein par mo-


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menls, prodiguait à son voisin les ris pour montrer les plus jolies dents du monde.

Peu à peu, l'âme noire de Fessinot se rani- mait.

Enfin, les ressorts de son individu étaient au diapason des convives, et ses discours avaient pris une teinte de sensibilité dont il s'étonnait lui-même.

11 était devenu plus tendre, plus onctueux, plus pressant.

Il parlait de désirs, de flammes, et comme jadis il avait fait un copieux recueil de mots équivoques et obscènes, il commençait à en débiter une foule.

Lauréda elle-même admirait la loquacité et la métamorphose de son Fessinot.

Elle eût presque envié à Zoloé les produits de la séance qui devait suivre, mais il était écrit, non pas là-haut, mais dans les desseins de la rusée tentatrice, que tant de dépenses d'esprit et d'amour ne devaient rendre au déridé représentant du peuple que zéro et quelque chose de plus fâcheux.


01 —

Pacôme ne s'amusait pas à solliciter des faveurs ; il s'était emparé de la place, dès les laquais disparus. Ses mains actives pal- paient, chiffonnaient, polluaient. L'ardeur de ses baisers était un véritable incendie.

Parmesan avait planté Volsange sur sesj genoux et s'apprêtait à lui décocher le trait enflammé.

Mais elle s'enfuit dans son boudoir.

Lauréda l'imite, et leurs adorateurs s'y pré- cipitent derrière elles, le phallus à la main...

L'absence de témoins accrut alors la har- diesse de Fessinot.

Ses attaques prirent une telle impétuosité que Zoloé ne peut s'empêcher de croire à sa résurrection.

Elle paraît ne se défendre qu'à demi.

11 n'ose exiger. Il touche aux avenues du plaisir. Déjà, il sent le but au bout de ses doigts, lorsqu'une porte s'ouvre et d'Orba- ziui apparaît.

— Que \ois-je ? s'écria-t-il avec une feinte fureur... Fessinot ici, chez moi, et avec ma


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femme !... Etre vil et crapuleux, comment as-tu la témérité de prétendre m'associer à ta confrérie, toi qui n'as de l'homme que l'écorce, toi qui ne devrais figurer que dans les antichambres ?... Vampire ! comment oses-tu, dans tes écrits et tes harangues, éta- ler un pompeux appareil de morale et de vertu, toi qui ne cesse d'outrager l'une et Tau ire !... Et lu prétends réformer, morigé- ner la nation ! Et tu viens dans l'intérieur des familles pour y porter la corruption et la honte !... Et ce sont ces beaux exemples que lu traces à suivre à la femme et à les enfants ?...

« Fuis d'ici au plus vite !... Et vous, ma- dame, qui avez trompé ma confiance et abusé de ma faiblesse, rentrez dans vos apparte- ments pour attendre la punition que je pré- pare contre \ous et qui me vengera publi- quement de l'impudent Fessinot !...

Le malheureux, tremblant, s'était esquivé sans réplique.

Un corridor semblait lui indiquer la sortie.


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Il le suit et se trouve enfermé dans un cabi- net qu'il n'est pas plus décent de sentir que de nommer.

Cependant, nos heureux couples nageaient dans des torrents de volupté.

Vénus n'a jamais vu tant d'offrandes sur ses autels.

Inutilement essaierais-je de dépeindre le ravissement ineffable, les sensations que de savantes manœuvres surent multiplier. Les oreilles chastes ne sauraient entendre ces détails obscènes, et ma plume se refuse à les tracer.

Que l'homme dont l'âme ne se réveille au plaisir que par les images licencieuses m'en fasse un crime, je m'honorerai de son impro- bation.

Il faut que le voile de la pudeur enveloppe les situations que l'amour invente pour va- rier et prolonger les jouissances ; c'est un devoir imposé à l'historien. Il outrage les mœurs lorsqu'il s'en écarte.

Mais il me sera permis du moins de rendre


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hommage à i;i prévoyance qui avait présidé à la réunion de lout ce qui pouvait combler les désirs dans cet incomparable ermitage.

An moyen d'un ressort qu'un fil de laiton mêlait en mouvement, on entendait un con- cert de dix parties, exécuté avec un charme el un brio que n'aurait pu surpasser tout un orchestre.

C'était la lamentation d'amour qui s'échap- pait de tous les boudoirs, la lamentation in- sensée de corps qui souffrent à force de plai- sir et qui se traînent et qui se frôlent à la poursuite d'une volupté plus grande, plus complète, d'une volupté comme n'en peu- vent connaître les humains. Car l'amour est toujours insatisfait.

Cependant, aprsè chaque sacrifice sur rail- le! de Vénus, l'instrument le couronnait par un chant de triomphe.

La nuit avait à peine parcouru les deux de son chemin que l'instrument avait fait retentir son concert harmonieux quinze fois...


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Après tant d'assauts si vigoureusement soutenus par les parties, il semble que la nature épuisée devrait imposer le repos; mais une irritation excessive provoque de nou- velles entreprises.

La longue privation, les mets succulents, les \ins exquis, de vivantes peintures et tout ce que l'art de jouir a pu imaginer de plus lascif, des essences répandues avec profusion, la dextérité et les charmes de leurs nymphes, les divins accents qui portaient dans l'âme la suavité du bonheur, ne pouvaient man- quer de produire chez Pacôme et Parmesan un effet extraordinaire.

D'Orbazan, plus habile à modérer sa fougue ordinairement, n'avait pas voulu céder sa place à ses rivaux... cependant...


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CHAPITRE VIII


CATASTROPHE

Ce paladin jouissait auprès du beau sexe d'une célébrité qu'il ne démentait pas dans cette fameuse orgie.

Tous les acteurs, dévorés de désirs, de be- soins, d'amours, s'aiguillonnaient de leurs caresses, s'embrassaient mutuellement par les titillations les plus intimes, les plus savantes. Déjà, les demi -mots échappés du cœur, les soupirs brûlants, des exclamations du bon- heur suprême, produisaient le doux murmure de la jouissance parfaite.

Enfin," de mélodieux accents allaient an- noncer de nouvelles victoires.

Volsange, pâmée, n'attendait que le der- nier clan de l'rv resse.

Lauréda ne pouvait tenir davantage.

Zoloé pressait d'Orbazan d'arriver au terme...

L'instant en fut reculé ou perdu par ces cris :


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— Au secours ! au secours !!!... Je me noie !!!...

Lauréda, la première, s'arracha aux bras de Pacôme.

Cette voix, elle dut la reconnaître.

Elle n'aimait pas Fessinot comme époux (car c'était lui-même), mais elle était loin de souhaiter sa mort.

Sa sensibilité changeant d'objet, elle se livra tout entière pour lui sauver la vie. Mal- gré les brutales insistances de Pacôme pour la ramener sur le trône du plaisir, elle ne put prendre part davantage aux délices qui terminèrent cette bacchanale, et ce contre- temps effaça pour elle tout le charme de la félicité dont elle croyait avoir atteint le der- nier degré.

Volsange et Zoloé achevèrent de mener a bien ce qui était commencé ; ce fut même avec peine que Lauréda obtint la suppression du chant de triomphe.

Fessinot, entouré de laquais qui ne s'épar-


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naicnt pas les propos goguenards et inso- lents, s'essuyak tristement le front.

Pâle et défait, tel un condamné tout à l'heure arraché au supplice, il demandait des habits pour réparer le désordre de son accou- trement. Aucun n'allait à sa taille élancée.

On l'eût pris, dans ceux du laquais « La France », qu'il lui fallut enfin endosser, pour un échappé de Bicêtre, tant cette décoration contrastait a\ec l'air de son visage et la ma- jestueuse stature de sa personne.

Enfin, une voiture fermée parut ; il s'y jeta en maudissant le sort qui l'avait amené dans ce fatal séjour et résolut d'invoquer l'au- torité pour punir les impies qui avaient man- qué de considération pour son auguste repré- sentation nationale.

— Où est ma femme ? s'écria-t-il de la portière.

— Monsieur, il n'est pas jour chez elle.

— Jour ou non, il faut que je la voie !

— Monsieur, attendez que je vous an- nonce.


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- — Bah ! est-ce que je connais cette for- malité ?

— Monsieur, la consigne est telle.

— (( La Fleur », obéissez, ou je vous chasse !

— Monsieur, j'appartiens à Madame.

Pendant ce dialogue, Lauréda s'était glis- sée dans son appartement par un escalier dérobé.

Elle avait prévu qu'à son retour Fessinot irait épancher auprès d'elle le flux de son humeur bilieuse, et elle l'avait suivi sur-le- charnp.

On ouvrit enfin au désolé mari.

— Qu'est-ce que ? dit la belle, en se frot- tant les yeux et levant sa longue coiffe qui lui couvrait la moitié du visage... Quoi ! vous, monsieur, à cette heure ?... Le feu est-il à la maison ?... Dieux ! vous est-il arrivé quelque fâcheuse nouvelle ? La Patrie est- elle en danger ?... Parlez ! votre silence me désespère.

Enfui, retrouvant la parole;


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— Calmez-vous, madame... ce n'est que moi que cela regarde. On m'a joué un tour affreux ; on m'a conspué, honni, empri- sonné !... Les misérables ! ils porteront leurs cous sous la lunette, j'en jure par la, sacro- sainte Liberté ! Il faut qu'une justice exem- plaire, terrible, effraie à jamais quiconque insultera à la Nation clans ses représentants !

— Monsieur, je ne vous comprends pas.

— Tant pis, madame, ils périront ! s'écria- t-il en se promenant avec agitation... Oui, leur sang seul peut réparer tant d'outrages !

— Monsieur, vous connaissez donc les cou- pables ?

— Ah ! voilà ce qui fait que j'enrage de toute mon âme (i) î... Mais il faut que je les


(i) D'Orbazan n'était <!>• retour à \a capitale que depuis trois mois. Il s'était enfermé dans un asile solitaire pendant les jours affreux de la Terreur. Il n'était donc pas connu de Fessinot. Il en était de même pour Pacôme et pour Parmesan. Quant aux femmes, elles portaient des masques et avaient trop de raisons de garder l'incognito pour se dévoiler.


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découvre, que je mette à leurs trousses tous les limiers de la police, dusse- je y sacrifier une décade de mes indemnités. Je vais trou- ver le ministre, activer ses rechreches ou le faire renvoyer.

» Pour vous, madame, qui parcourez tous les cercles, ayez, je vous prie, la complai- sance de me rendre compte de tout ce qui transpirera de cette aventure.

— Oh ! je vous le promets de tout mon cœur. J'y prends, je \ous le jure, le plus vif intérêt.

— Fort bien, madame ; celle sensibilité me touche infiniment... Je vous quitte... Adieu, mon cœur, ajouta l'honnête époux en serrant éperdument l'es joues de sa tendre ii îoi lié contre les siennes.

« Je cours mettre à la piste des insolents les mouchards de tous les étages... Holà ! ma voiture !

Et le voilà à la porte du ministre.

— Bonjour, citoyen ministre.

— Bonjour, citoyen représentant... Qui


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vous amène de si bon matin ? Une conspira- tion, sans doute ?

— Oui, vraiment, une conspiration, bien caractérisée, et sur ma personne !... Les scé- lérats ! si je n'avais eu la présence d'esprit de m'échapper par la fenêtre, c'en était fait de ma vie. Mais qui se serait douté que ce château du diable, sans doute,, eût été bâti au milieu d'un abîme ?

L'attention du ministre redoublait. Il cher- chait à démêler où tendait ce préambule.

Enfin, Fessinot lui raconta tous les détails de ce qui s'était passé dans l'ermitage, la nuit précédente, supprimant toutefois les circonstances qui lui eussent été désavanta- geuses.

Malgré sa majesté, le grave magistrat ne pouvait s'empêcher de sourire. II s'en fallut de peu que Fessinot n'éclatât en injures. Il ne fut apaisé que sur la promesse du ministre de remuer ciel et terre pour découvrir les auteurs d'un si mairvais tour. Mais où ? Com- ment les découvrir ?


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Le hasard, seul, pouvait favoriser les re- cherches. On n'avait ni le signalement, ni les noms des personnages.

Aussi tous les mouvements que les agents du chef de l'espionnage se donnèrent furent- ils en pure perte.

Fessinot (Talien) en fut pour ses indemni- tés, son bain à l'eau froide, son amour joué, sa femme soufflée et sa honte divulguée.

Il paraîtrait qu'à peine paraissait-il dans les cercles, qu'un sourire sardonique hono- rait sa présence.

Car d'Orbazan avait adroitement semé de tous côtés cette mémorable équipée.

Fessinot seul, pour le moment, en portait tous les ridicules.

Bientôt, d'autres noms furent accolés au sien et les partagèrent sans les mériter.


Imprimerie Racine, 18, Rue de llomainville, Paris


H. de St-GERMAIN


ZIZI


EDITIONS " MONTMAP.TRE-PAIUS " 39, Rue EmiU-Desvaux - Pan 3 -19 f


— a


A toi qui Vas fait vivre, Georges tant regretté, Sans toi, désormais, ce livre Ne vaut pas d'être effeuillé.

H. St-G.


MES EXCUSES A L'HEROÏNE,

EN GUISE DE PRÉFACE...

Est-ce un bon ou un mauvais génie qui p incite à écrire ce court roman — notre rr chère petite Z... ? Je V ignore. Mais je . e taiuement coupable de céder à la ter n'ai même pas V excuse d'être un littér à-dire un monsieur qui doit iniri ser

ou émouvoir ses contemporains e~ itant

des histoires plus ou moins vêcr moins

imaginées. Ce n'est pas, tudieu : ,ie puisse

aligner quelques lignes de prose — mt comme un autre — mais enfin, ce n'est pas mon métier.

Mes fonctions sont plus austères, et ma clien- tèle bourgeoise ne me pardonnerait pas ce péché qui, à mon âge, ne saurait être un péché de jeu- nesse. Vous le savez, petite Z..., je suis tout bête-


— 3 —

ment, tout prosaïquement un médecin. Après tout, mes fonctions ne sont pas entièrement pro- sahnies. Ne sommes-nous pas un peu les prêtres du Merveilleux ? Aux yeux du malade qui nous wttend avec impatience, nous apparaissons comme le dé lenteur du terrible secret de vie et de mort. De nos paroles dépend V espoir, et, quelquefois, notre seule présence accomplit le miracle.

Jadis, les hommes croyaient aux sorciers... Aujourd'hui, ils croient en nous. Je peux bien vous le dire tout bas, petite Z..., la différence n'est pas très grande.

Non, décidéînent, je ne suis pas un écrivain, et j'ai bien fait de brûler les vers que je rimais aux alentours de mes vingt ans. — Grands dieux ! que ce temps est loin ! — La vérité, c'est que je kie sais plus du tout par quel bout commencer mette histoire. Je m'embrouille dès le début. Si je continue ainsi, jamais je n'arriverai jusqu'au bout de mes souvenances.

El puis, pour être sincère, je né sais vraiment pas comment raconter notre petit roman, bien vécu, pourtant !

L'aventure est tellement simple, si dénuée d'imprévu, cjue je pourrais la résumer en trois phrases :

— Ils se rencontrèrent. Ils s'aimèrent. Ils se Quittèrent...

Je vous vois d'ici, petite Z..., protester avec une petite moue désappointée, tout en secouant les boucles de votre jolie tête brune. Vous dites :


- à -

« Ce n'ist pas ça... Non, ce n'est pas ça... »

Vous avez mille fois raison, et je suis tout à fait de votre avis. Ces trois phrases concises ne donneraient pas du tout l'impression de ce qui nous est arrivé. Autant dire qu'un verre d'eau salée évoque l'océan. Tous les jours, il y a des milliers d'hommes qui rencontrent des milliers de femmes, les aiment pendant quelques semaines, quelques mois ou quelques années, et puis les quiltéjit. Les uns et les autres sont les acteurs inconscients et obscurs du grand oeuvre qui se perpètre à travers les temps, depuis que noire pauvre planète roule dans l'espace. Parmi tant d'amours, beaucoup sont intéressantes, la plu- part diffèrent entre elles, et les nôtres, n'est-ce pas ? ne leur ressemblent point. Sans doute, si l'on y regardait d'un peu près, onlrouverail une cause commune. Seulement, celte cause demeure forcément banale par cela même qu'elle est géné- rale. Et puis que le sens du drame ne varie pas, il faut bien que nous portions notre attention sur : le jeu des personnages et la nouveauté des décors.

Bon ! me voilà encore perdu dans des considé- rations philosophiques. Je vous le dis, petite Z..., jamais je n'écrirai jusqu'au bout noire roman. Pourtant, Dieu sait s'il fut pittoresque !

Je sais bien, d'ailleurs, que cette qualité, loin de simplifier ma tâche, la complique. Il me faut, avec des ritm, donner V impression des senti- ments profonds qui ont trouble nos âmes, et ce


n'est pas /amie.

Le mieux, je crois, est eneore de ra.69.nter les choses tout uniment... avec sincérité, et en regret- tant leur brïèoeté.

H. de Saint-Germain.


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CHAPITRE PREMIER

Rêveries, jazz-band, dancing et C le

Le jazz tonitruait dans un ronflement de saxo- phone. Sur la piste cirée, les couples s'agitaient au rythme trépidant d'un charîeston désarticu- lant.

Seule à une table éloignée, Norah-Thérèse, dite Zizi, et ce nul n'avait jamais su pourquoi. Norah- Thérèse Rozdcvan regardait avec une nuance de dépit tous ces danseurs secoués par le charme épileptiforme de la danse à la mode.

Quelque chose comme un regret montait en elle, et, rêveuse, dans tout ce bruit qui pourtant ine semblait point se prêter à la rêverie, elle se laissait aller à la suite de quelques rythmes inté- rieurs, la musique violente semblant mettre entre ses souvenirs et la vie comme une infranchissable barrière d'ondes bruyantes.

Et son passé renaissait à la cadence même des souvenirs . évoqués dans l'heure d'abattement qu'elle subissait.

Jusqu'à ce jour encore, secrétaire d'un avocat très lancé, elle l'avait quitté après une violente querelle avec le principal secrétaire, et ce soir, pour chasser l'ennui qui l'étreignait, elle était rentrée seule, au hasard de sa route, dans un dancing de l'avenue de Wagram. Certes, souvent elle y avait pénétré avec une amie à elle, une Italienne, Vyenne Panpani, dite Panpan, mais par malchance celle-ci n'était pas libre, et Zizi


était seule à traîner sa vague mélancolie et son dégoût des contemporains.

Et maintenant elle se plaisait à ramener le souvenir des jours passés et déjà lointains où la vie semblait d'abord n'avoir pour elle que des sourires.

D'abord, se détachant des brumes du passé, la maison natale s'évoquait... la maison tran- quille et calme où son enfance déroula son éche- veau monotone des premières années, les années légères et heureuses..

Certes, ce fut longtemps, toujours peut-être même, le semblable décor où le jour qui venait s'égrenait en chapelet du temps pareil au jour qui venait de s'envoler.

Oui, pour elle aussi, c'était « la vieille maison grise » avec sa silhouette ancienne, ses pièces un peu obscures, aux meubles simples égayés de vagues chromos où se profilaient les têtes con- nues de souverains ou des paysages factices.

D'abord, les ans avaient glissé sans heurt.

Puis le père était tombé malade, et elle avait grandi entre cet être maladif, une mère affec- tueuse, mais bien faible devant la turbulence de l'enfant... et auprès d'elle une sœur cadette,; Tutu, sage, avait simplement poussé comme une petite fleur près d'un massif bien ordonné.

Et brusquement l'année noire avait paru !

Comme elle atteignait ses dix-sept ans, le père mourut... brusquement, en pleine nuit. Oh î Dieu I comme elle c^yixaît ces minutes I... Et,


S


de suite, afin que sa mère et sa cadette ne fussent aussi esseulées, elles était partie vers le village voisin, dans la nuit noire et frissonnante, cher- cher sa tante, leur unique parente, pour qu'elle vînt les aider à veiller le pauvre défunt...

Puis l'enterrement et son cortège de larmes... les mottes de terre jetées sur le cercueil qui résonne comme une caisse claire... puis le re- tour... puis... puis la solitude de la maison où il ne reviendra jamais plus... la place vide à tahle... la place vide dans le grand lit... la place vide partout... partout... partout... partout !...

Elle n'y put tenir ; quelque temps après, elle venait à Paris, louait une chambre et travaillait... Il y avait déjà quatre ans de cela !...

— Pardon, mademoiselle, vous ne dansez pas ? Zizi tressaillit et se retrouva en pleine vie,

tombant du fond des rêves. Elle leva la tête et toisa son interloculeur. C'était un homme de trente à trente-cinq ans, grand, mince, le visage encadré d'une barbe en pointe ; l'ensemble était tout à fait correct et élégant même. Il reprit sa question :

— Vous ne dansez pas, mademoiselle ?

— Si, monsieur...

— Dans ce eas, voulez-vous nje permettre ?... Ella & Itv-a, tt tous deux glisaèsôBt vars le

tango qui dirauàait ses coatrè-texapa.

la i&am finie, il la reconduisit si sollicita d'elle qu'elle acceptât de prendre quelque chose


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en sa çoi»}aagTiie.

Zizi n'hésita que le temps nécessaire pour sau- vegarder itne bienséance qui n'avait que faire en l'occurence, puis elle accepta.

La conversation s'engagea, menée rapidement par le jeune homme. Sans en avoir l'air, il inter- rogea adroitement la jeune fille et apprit qu'elle était seule, un peu dégoûtée des hommes à la suite d'une aventure dans laquelle elle avait perdu, avec pas mal d'illusions, la choses à laquelle les femmes attachent une grande impor- tance gt que nul au monde n'a jamais pu retrou- ver après l'avoir égarée une fois...

Il apprit aussi qu'une vive amitié l'unissait avec Vyenne Panpani, mais ne put savoir jus- qu'où allait cette amitié féminine, ni si elle par- venait en ces points que la police tolère alors que la morale les réprouve. Il est vrai, soit dit en passant, que la première tolère faute de pou- voir empêcher, et que de la seconde — expri- mons-nous sans métaphore — les coupables se foutent éper dûment, (i)

Néanmoins, elle ne lui cacha pas qu'il lui avait été agréable de danser avec lui, et quand il lui proposa de la revoir, elle accepta, et cette fois sans hésitation.

Alors, il eput bon de donner à cette nouvelle camarade quelques renseignements sur lui-même.


(i) Dieu ! qu'en termos galants ces choses-là sont dites !


IO


Il lui dit s'appeler Henry Courbet et être homme de lettres et publiciste. Il habitait dans le quar- tier Saint-Sulpice, vivait simplement, n'avait pas de maîtresse, etc...

Sur ce dernier point, cependant, il pouvait y avoir discussion, mais la politesse exige que Cour- bet soit cru sur parole. Zizj était polie, et il n'y a pas de daison pour que ne soyons moins qu'elle.

Bref, quand minuit égrena ses douze coups, les deux jeunes gens étaient devenus les meilleurs amis du monde.

Henry proposa d'aller souper ensemble.

Cette fois, Zizi renâcla :

— ■ Je veux bien, dit-elle, mais avant, je tiens à vous dire une chose... Copains tant que vous voudrez, mais pour Zizi, y a rien à faire ! C'est entendu comme cela, ou alors c'est inutile !

Il accepta, se promettant d'avoir son heure et d'en user largement alors.

A trois heures du matin, un peu grise, Zizi regagnait sa chambre.


II —


CHAPITRE II

De l'apéritif au plumard, en passant par une collection d'estampes

Au quelques jours de là, ainsi qu'ils l'avaient décidé, les deux jeunes gens se retrouvèrent à l'apéritif du matin, dans un grand café des bou- levards.

Zixi était allée la veille dans un cabaret mont- martrois et arrivait rejoindre son camarade, l'es- prit tout farci des blagues où pétillait la verve des chansonniers. La conversation en fut émail- lée. Elles étaient toutes légères, mais Zizi avait oublié particulièrement d'être bégueule, et elle n'hésita pas, à la demande d'Henry, d'en racon? ter quelques-unes. La suivante particulièrement l'avait amusée :

Dans une importante parfumerie de la rue Royale, entre une vedette négro-américaine d'un grand music-hall parisien.

Avec son accent particulier, mangeant les « r », elle demande :

— Un' boîte pour' de 'is, je vous p'ie ?

Le vendeur, natif de Bécon-les-Quelquechose, n'a pas l'air de comprendre. Elle reprend :

— Poud' de 'iz ?

Silence ahuri de l'homme, qui risque :

— Excusez-moi, mademoiselle... je ne coan-


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prends pas...

— Aoh ! moi amé'icaine... moi pa'ler bien anglais !

Le vendeur appelle le patron, M. Allard, qui parle, lui, parfaitement la langue de Lloyd George et de Woodrow Wilson.

La vedette s'explique, et le patron, d'un air de pitié, dit au vendeur :

— Mademoiselle désire une poîte de poudre de riz... Vous ne voyez pas qu'elle ne peut pas prononcer les « r » ?...

L'indigène de Bécon-les-Quelquechose la sert à sa satisfaction, et la jolie mulâtresse reprend, avec un sourire étincelant, mi-or, mi-ivoire :

— Mont'ez-moi, je vous prie, vos... houpettes !

— Ah ! zut ! réplique l'autre, qui voit un « r » où il n'y en a pas... ah ! zut I je les garde pour ma poule !...

Henry, fort amusé par cette divertissante fan- taisie, se mit à en raconter Une autre :

Un jeune auteur, fils d'un de nos plus grands poètes de théâtre, et connu pour ses moeurs, dit- on, spéciales, reçoit chez lui la visite d'un jour- naliste pour une interview.

— Vous venez pour le Maître ? demande la femme de chambre.

— Oh ! dit le journaliste en rougissant, je viens seulement pour le voir !

Zizi éclata de rire. L'histoire lui plaisait. Midi approchant, 1rs deux camarades allèrent déjeuner ensemble. Incidemment, Zizi ayant dit


— iS —

qu'aile aimait les estampes japonaises. Henry déclara :

— J'en ai chez moi de fort divertissantes, ainsi du reste que quelques tableaux vraiment intéres- sants. Il faudra que vous veniez les voir...

Et comme Zizi le regardait un peu de travers, il ajouta :

— En tout bien tout honneur !,,, En cama- rade, s'entend, comme toujours !

— Dans ces conditions, dit-elle, j'irai un de ces jours vous surprendre.

Plusieurs jours, il se virent régulièrement.

Henry travaillait régulièrement au Temps de Midi, où il tenait la rubrique de la critique théâ- trale. Zizi allait maintenant le chercher tous les jours, vers onze heures. Puis, l'apéritif pris, ils déjeunaient ensemble et se quittaient vers deux ] res, Henry étant pris par diverses obligations ] i -onnelles.

La jeune femme errait, plus ou moins mélan- colique, à la recherche d'une vague situation qui lui permît de vivre.

C'est alors qu'elle fit la connaissance d'un offi- cier de la grande et martiale armée des U.S. A. Et cette connaissance lui rapporta, en plusieurs fois vingt minutes, autant qu'en quatre mois de travail régulier.

La jeune émancipée avait un sens des affaires bien plus développé que le sens moral et la pudeur qui eussent convenu à une jouvencelle


— a —

de son âge.

Naturellement, Henry n'était pas tenu au cou- rant de telles fredaines.

Auprès de lui, elle sentait naître une affection dénuée d'élans physiques et toute morale, et il lui eût déplu d'y mêler... du moins pour le mement... des actes plus ou moins libidineux. Mettons plus, et n'en parlons plus.

In jour, Henry reparla de ses tableaux et de ses estampes japonaises.

Cette fois, elle manifesta la curiosité de les voir.

Henry, à cette nouvelle, sentit un petit frisson lui parcourir le corps, le prenant entre les épaules pour finir au creux des reins.

— Attention ! pensa-t-il, ça va gazer I

Ils prirent rendez-vous pour le lendemain Irois heures, dans l'appartement même du jeune homme. Elle s'y rendrait, verrait les tableaux, prendrait une tasse de thé avec lui, puis ils sor- tiraient ensemble et s'en iraient dîner à Mont- martre avant d'échouer dans un théâtre quel- conque.

Et franchement, Henry n'avait pas plus envie d'aller échouer à Montmartre que d'aller se flan- quer à la Seine. Seulement, il pensait que la jeune femme une fois dans sa chambre, il pourrait peut-être brusquer les événements.

Le lendemain, bien avant trois heures, il arri- vait à sa garçonnière, veillait lui-même à ce que tout fût à point, n'hésitait pas à congédier la


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femme de ménage et revêtait le plus élégant de ses pyjamas d'intérieur. A vrai dire, le choix n'était pas difficile à faire. Il n'en avait que deux, dont l'un pas très propre. Il mit donc le plus net et, s 'étant soigneusement repeigné, il attendit. A trois heures moins dix, il s'impatientait ; à moins cinq, il se questionnait lui-même :

— Viendra-t-elle ?... Viendra-t-elle ?... Vien- dra...

Un coup de sonnette le fît sursauter.

— Ça y est ! pensa-t-il, tout vibrant... la voilà ! Il alla ouvrir, tout guilleret, et...

Et il se trouva nez à nez avec un petit télégra- phiste qui lui tendait un pneumatique.

Il donna cinq sous de pourboire et, dépité autant que rageur, parcourut rapidement la mis- sive qu'il venait de recevoir.

Un ami lui demandait un léger service.

— C'est bon ! on le fera... dit-il tout haut, décidé à rendre le service qu'on lui demandait.

Et, comme si le dieu des amoureux le voulait remercier de cette bonne pensée, un nouveau coup de sonnette l'amena à la porte.

Lentement, il ouvrit, craignant une nouvelle désillusion.

Le dieu des amants continuant à le protéger, il aperçut dans le clair-obscur la chère silhouette attendue.

Le début de la visite demeura cérémonieuse- ment correct, et les deux jeunes gens rompaient leurs premières lances avant le grand combat.

Henry montra des estampes... Certaines étaient


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licêtjciewsss au piws haut poiî^t. Il les expliqua avec force détails à Zizi, comme si la gente per- sonne avait besoin qu'on lui détaillât de telles choses, qu'elle connaissait depuis longtemps mieux que par ouï-dire, et sans crainte d'erreur on pourrait même affirmer que pour ce genre d'instruction elle avait employé la méthode expé- rimentale.

— J'en ai quelques autres dans ma chambre, encore plus suggestives... dit-il.

— Diable \ répondit Zizi, émoustillée... qu'est- ce que ça peut être ?...

— Tenez, venez les voir ; elles sont pendues aux murs. Ce sont mes préférées, nue j'ai fait mettre sous verre.

Et, sans attendre la réponse de la jeune femme, il l'entraînait.

Seulement, deux des photos étaient trop haut placées pour qu'elle pût les voir.

— Faudrait que je monte sur une chaise ! dit- elle.

Galant, Henry s'offrit, non pour descendre les photos, mais pour lever la « regardante ».

— Cette fois, pensa le jeune homme, je crois qu'on va « naviguer » !

Sous le fallacieux prétexte de mieux tenir la jeune femme en équilibre, une des mains du jeune homme lui enserra les chevilles, tandis que l'autre, sous la robe, se posait un peu au- dessus des genoux.


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Les tableautins élevaient être rudement émo- tionnants, car Zizi ne demandait pas à redes- cendre de son poste.

La main qui caressait les genoux remonta dou- cement.

Elle (pas la main... Zizi) elle eut un rire ner- veux qui sonna faux, et voilà que soudain... la main baladeuse se fixait en un point précis.

La pauvre victime du machiavélisme d'Henry eut un frisson qui fut soudain une palpitation :

— Taisez-vous ! dit-elle.

— Me taire ? Mais je ne dis rien... j'agis !... riposta-t-il, sans cesser son manège.

Zizi se laissa glisser. Sans desserrer son étreinte, il la porta vers le lit, l'y étendit, et... et... et, sans l'ombre d'un scrupule, tous deux forniquèrent !


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CHAPITRE III

Amour... et soliloque d'un pauvre...

Deux vrais amoureux sont le chef-d'œuvre de la nalure, et ce fut, pour Zizi et Henry, une grande nuit. Ils restaient calmes, pâles de la pâleur d'amour, les yeux battus, elle souriante contre la poitrine où s'épandait sa chevelure, et lui tout ravi du fardeau qu'il sentait s'animer et dont il suivait les vibrations en y promenant sa caresse, le baume des meurtrissures déjà ou- bliées. Ils n'étaient plus, à force d'être ; ils s'en- dormaient dans la double chaleurs de leurs mem- bres voluptueux et le double parfum de leurs lèvres fleuries de baisers.

La petite chambre d'Henry était située au pre- mier étage d'une vieille maison du Quartier Latin. La fenêtre s'ouvrait sur la cour, et l'installation intérieure disait bien le bohème frivole et sans souci qui l'occupait.

Un délicieux fouillis régnait dans la pièce ; seules les planchettes à livres étaient soigneuse- ment rangées.

Le voisin de palier d'Henry, qui tous les matins le réveillait, frappait à la porte de la chambre.

— Il est huit heures, monsieur Henry !...

— Je ne sortirai pas aujourd'hui, dit Henry à Zizi. Nous déjeunerons ici ; prépare-nous un


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menu de choix, veux-tu ?

Encore désireux de dormir et d'aimer entre les bras caressants, il interrogeait Zizi. Celle-ci lui rappela gentiment un rendez-vous que la veille il lui avait dit avoir pris pour ce matin :

— Vous avez juré à votre ami de vous trouver au rendez-vous ; souvenez-vous, c'est pour ce malin, au Palais-Royal, à dix heures...

— Serment d'amoureux, avant l'amour !

— Votre vieux camarade Zuid !...

— Zuid est un blasé... Oh ! le meilleur des amis !

— Mais son insistance...

— Eût été de mauvais goût s'il t'avait connue Zizi !

— Oh ! c'est gentil de me dire cela, mais je serais ennuyée de changer vos habitudes en vous occasionnant du désagrémnf.

— Tu ne veux pas me perdre, m'entraîner dans la mauvaise vie ? conlinua-t-il, railleur... Sois sans crainte, pour une femme qui est le mauvais génie d'un homme, il y a toujours au moins deux bonnes filles prêtes à vous aider... est-ce vrai P

— Ça, je l'ignore !

Ils achevaient de déjeuner. A moitié railleur. il s'enquit :

— Zizi, comme les peuples heureux, tu n'as pas d'histoires ?

— Mon histoire est si banale !..


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— Heu ! mon petit... qui peut savoir ?

— Qui peut vous faire supposer ?

— Tout... les allures, les yeux, les mains, le port de tête, l'esprit naturel, sans fard, ainsi que le visage... et je ne parle ni de ta fraîcheur, ni de ta grâce primesautière !... Une fille vous assomme, dès la première rencontre, de son odys- sée... et toi...

— Et moi ?...

— Tu n'es pas une fille, toi. diable !

— Mais si !...

— Mais non, mon petit loup !

Mais Zizi était déjà prête à sorti)' et le bouscu- lait pour qu'il s'apprêtât à son tour afin de ne pas manquer son rendez-vous, et comme elle semblait pressée de se retirer, tout en l'aidant à mettre son manteau, Henry glissa dans l'une de ses petites mains un billet bleu.

— Une autre fois, je serai plus riche.

— Mais je ne veux pas, Henry ! balbutiait-elle, rouge d'émotion et un peu de honte.

— Quel jour te reverrai-je, petit ? Viendras It de loi -même ?

Préférez-vous que je vous écrive poste les- tante ?

Elle essuyait ses yeux .

Dis... mon tout petit loup... pourquo

pleures-tu ?

Il s'ingéniait à trouver la cause des larmes se révoltait cà l'idée d'un amant on d^me pa


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tronne ; sans doute, Zizi avait une mère ou une sœur, des parents qui la chasseraient de leur maison au cas d'un avatar... Peut-être craignait- elle une scène pour avoir découché...

— Tu crains des reproches de ta famille ?

— Non.

— Alors, seule ?...

— C'est tout comme !

Elle dit ces mots d'une voix si déchirante, elle demeurait là, immobile, si épouvantée de partir et en même temps si honteuse de s'attarder, que, dans la brusque détermination d'Henry, il entra autant de pitié que d'amour.

— Zizi, dit-il, tu est ici chez toi !... Je n'ai rien à savoir de ton passé et de tes infortunes. Il me semble que nous pouvons nous aimer, et je n'ai aucune amie dont tu puisse craindre de prendre la place...

Il l'installa, ou du moins il décida de le faire, et, pour prise de pouvoir, la chargea de « faire le marché » pour le déjeuner de midi.

Et quand elle fut descendue, au lieu de se rendre à son rendez-vous, il s'étendit sur son lit, la pipe au bec, et, laissant vagabonder la folle du logis, soliloqua iiiusi... ou du moins en des fermes approchants :

— déesse liaison 1 garde-moi, comme de

la pire des niaiseries, d'éprouver jamais le rnoin-

■ii • entim ni ■'■■ fàiuiii p'< i ■ •■ eju.'»ine feîvinîè u " S .:•...■.. ■ . ..;;., ;,, fa :;,. |' ( ...


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>('dei celle que j'ai aimée et désirée de tout mon cœur, mais je n'en conçois aucnn orgueil de îuàlc. cùt-<d!o êti, avahiïl (\c défaillir dans Më& bras, la plus chaste dei \ inges on la pins aus- tère des épouses.

« Car, je le sais bien, et le contraire serait étonnant, c'est une exception si rare qu'il ne vaut pas la peine d'en parler ; ce n'est pas à moi qu'elle a cédé, mais à elle-même, à elle seule, à un concours de circonstances auxquelles je suis demeuré presque totalement étranger.

(( Mon adoration muette, puis avouée, mon dévouement, mes travaux d'approche, les sacri- fices à faire, n'ont été pour rien dans la chute où elle a consenti ; elle regardait sans vertige la profondeur de ma détresse, et si elle s'est aban- donnée, c'est par suite de quelque état de son être, intime, tout personnel, et sous une poussée qui ne vint pas de son amour.

« Je remercie le temps qu'il faisait, le lieu solitaire, l'heure opportune, la page du livre d'amour qu'elle épiait ; je bénis le chaud cl pourpre sang qui bouillonne dans ses veines, la vibration coutumière de ses nerfs, la mollesse de ses sens qui l'incline à l'ensommeillement sous la caresse ; je me- félicite du hasard qui lui a offert l'occasion d'une vanité satisfaite ou de quelques rancunes inassouvies ; mais je ne suis pas si fat de m'attribuer en aucun cas, serais-je le plus beau et le plus passionnant des hommes,


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le mérite d'avoir conquis celle qui s'est donnée à moi librement un beau soir.

« En vérité, il y a mille à parier contre un que tout homme qui, à ma place, se fût trouvé dans des circonstances semblables, n'aurait pas moins été favorisé que je ne l'ai été moi-même.

« Si cela n'était pas vrai, si la compagne qui s'est librement donnée à moi n'avait pas obéi à des mobiles particuliers, à l'influence de ses sens exacerbés, indépendants même de l'amour violent qu'elle inspire à tout homme qui l'ap- proche et aussi de l'amour qu'elle éprouve ou paraît éprouver dans ses liaisons éphémères, comment m'expliquerais-je l'absurdité fréquente de ses choix, l'affolement de ses attitudes qui lui fait accrocher les boucles de ses beaux cheveux noirs au boutons de la livrée d'un laquais du capital, elle qui semble l'éternelle révoltée, la belle anarchiste de l'amour ?

« Demain, peut-être, avec des cernes bleuis sous ses beaux yeux, avec une gorge opulente qui sort d'un corsage échancré — belle toujours et plus jolie aujourd'hui que la veille — elle courra le guilledou avec tous ses adorateurs, s'as- soiera sur les genoux de tous ceux qui voudront bien la désaltérer, et peut-être aussi sera-t-elle embarrassée de répondre si on lui demande quel démon a bien pu la pousser jusque-là !!!

« Mais qu'importe ! oui, qu'importe !... N'est- ce pas Horace qui a dit : Carpe diem ! Rrofite du jour !,,,Eh J nom de Zeus ! profitons-en !..,


- ik


CHAPITRE I\ T

Un coup de nageoire pour rien !

Pour l'installation de sa maîtresse, les achats modestes de lingerie et diverses emplettes, Henry eut recours à l'aide discrète d'un camarade.

Une semaine s'écoula.

Henry entourait Zizi de toute sa tendresse. Le soir, ils dînaient ensemble, puis se rendaient à une réunion corporative ou politique ; parfois un ami se joignait à eux, et celui-ci reconnais- sait volontiers la bonne grâce, l'esprit, l'éduca- tion de Zizi, et se disait in petto : « Elle le suivra au bout du monde, et ce sera lant mieux pour

(MIM ! »

Mais Zizi s'apercevait des dépenses qu'elle occa- sionnait à son grand. Les locations diverses absor- baient le montant de sa pension de mutilé de guerre ; ses ressources quotidiennes d'homme de lettres suffisaient tout juste pour leur subsis- tance journalière.

Alors, la jeune femme hésita entre une retraite immédiate et le désir d'apporter sa part au mé- nage.

Aimait-elle Henry, qui l'adorait ?

On avait tari les sources pures de sa jeunesse ;

la petite amoureuse, animée du mépris social de

toui ceux qu'une affreuse injustice a jetés hors

k '■"t: 'étaii jfr '■'■■- '<■ i ;i ' !- "' b\U ; 'i'^'i» ••


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la façon des vagabondes de l'amour.

Comment, du reste, aurait-elle pu s'attacher à un homme dont le départ soudain la menacerait de nouvelles angoisses ?

Lui absent, elle devrait rouler dans les mau- vais lieux, se traîner dans la fange du trottoir ou se tuer...

Eh bien! aujourd'hui, d'autres idées la tenaient debout et vibrante : elle rêvait d'un riche pro- tecteur qui viendrait à leur aide, à l'insu du compagnon pauvre qui n'abandonnerait jamais l'isolée, mais qui peut-être n'accepterait pas d'ap- prendre à nager malgré lui !

Son futur protecteur, le type choisi, en dehors des amis d'Henry, elle le connaissait de nom et de vue, elle l'observait, l'étudiait avant de con- clure.

Il se nommait Sadi Dessony et habitait le prin- cipal appartement d'un immeuble voisin; il était chef de service dans un grand journal parisien, une façon de nabab voluptueux, mais un nabab bon enfant

Venu du bas de l'échelle administrative, il avait gravi successivement les hauts échelons. Actif, intelligent, économe, il avait épousé, vers la trentième année, une assez riche héritière, et tout de suite agrandi le cadre de ses opérations bancaires. A la mort de sa femme, Sadi était rtqhg el libre Quand par les bonnes journées

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pect, drapé dans une magnifique fourrure de bison sur une ample redingote, le chapeau or- gueilleusement campé sur l'oreille, la canne à la main, la face rougeaude, toute rasée, s'éclai- rait d'un immense orgueil ; ses yeux à fleur de tête clignotaient d'allégresse, il étalait sa poi- trine, se faisait majestueux, et, sous les hom- mages des commerçants, la rue et les trottoirs semblaient marcher avec lui.

Ça, c'était pour le quartier ; mais dès qu'il arrivait de l'autre côté de l'eau, sa morgue se fondait ; à la première jupe, ses narines s'en- flaient, il devenait aimable, souriant, et il n'en fallait jamais beaucoup pour l'entraîner.

Sadi avait remarqué la jolie fille, sans oser pourtant l'aborder encore.

Enfin, un jour, il la suivit jusqu'au square du Palais-Royal. Le gros garçon maçonné de lec- tures tardives cherchait de belles phrases.

— Pardon, mademoiselle, dit-il de sa grosse voix qui bredouillait un peu, je suis un peu votre voisin, et vous me connaissez sans doute un peu : Sadi Dessony, officier d'académie, homme de lettres, président de la société de secours mutuels de notre arrondissement, fon- dateur de plusieurs œuvres de mutualité...

ïl n'en finissait plus avec ses titres, et Zizi étouffait une violente envie de rire.

— La glace est rompue, et je vous dirai, ma- demoiselle, mon bonheur de vous adresser des


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éloges ; vous êtes tout simplement ravissante ; il y a longtemps que ça me démangeait de vous narrer la chose, et me voilà fort à l'aise !...

— Très flattée, monsieur Sadi...

— Vous mettrez le comble à vos bontés en m 'accordant l'insigne honneur de vous offrir quelque chose ?

— Mon Dieu, monsieur, je n'ai pas bien soif...

— Oh ! fit-il en se rengorgeant, je pourrais vous adjuger, vous décerner un présent qui ne se boit ni ne se mange à l'état nature, et qui fait toujours plaisir aux jolies femmes : un col- lier, un bracelet, une bague ou un broche en brillants même.

— Monsieur...

— Mademoiselle, je me garderai d'imiter les malotrus qui essaient de conquérir les femmes avec des histoires mensongères contre les amants et les maris ; de plus, il serait ridicule à mon âge de me poser en rival de mon charmant voi- sin M. Courbet, et je me contente de signaler en passant les variations de température de tous les hommes jeunes ; on s'adore ce soir, et de- main... vous entendez ?

« Une jolie femme doit songer à l'avenir. Vous avez devant vous un homme rassis, encore vert à la cinquantaine, muet comme une carpe en matière amoureuse, fidèle à ses engagements d'amour comme à un contrat de travail ; il ne s'illusionne point s^yir les_ beautés v que la marâtre


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nature a cru devoir soumissionner en sa faveur, mais le soleil de votre regard l'ayant incendié d'une flamme que rien ne saurait éteindre, il sollicite l'esclavage de vous aimer, de vous ado- rer, en demeurant le plus respectueux des ser- viteurs.

« Vous réfléchirez, mademoiselle, car je ne veux pas vous retenir au delà de vos limites ; demain, après-demain, à votre heure, à vos or- dres, je sera là, sur l'emplacement embelli et déjà sacré par votre présente.

Zizi se dit qu'elle avait affaire à un brave homme dont la phraséologie bizarre dénotait à la fois un certain bon sens, une forte dose de naïveté, beaucoup d'orgueil, et elle accepta un rendez- vous.

Sadi ne se montrait pas exigeant ; d'après ses affirmations «toujours éloquentes, le libertinage ne devait jamais dépasser les frontières des plai- sirs honorables ; il ignorait les vices contre na- ture, il était sain, propre de corps, d'une rare vigueur, et Zizi n'eut pas trop à souffrir des galanteries du bonhomme.

Bientôt Sadi loua et meubla un appartement pour sa maîtresse, qu'il se promettait d'élever au rang de principale favorite dès qu'Henry s'en irait à l'étranger.

Si Zizi refusait les cadeaux inutiles et suspects âtàtyÈ §û situation) glîe &ç$iie3Hàî'i volùntfevê tei


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"L'argent de Dessony servait à solder les four- nisseurs d'Henry, à acquitter de vieilles factures de librairies, ou simplement la blanchisseuse.

Henry s'en aperçut un jour, et Zizi dut inven- ter un conte. Elle parla d'une tante fort riche, qu'elle ne pouvait encore nommer et qui l'aidait de temps en temps, mais à l'insu de sa famille.

— Mais tu m'as juré que tu étais seule ?... objecta-t-il.

— Au moment de notre rencontre, c'était vrai; l'autre jour, je me suis heurté à cette parente dans un magasin de nouveautés ; elle m'a recon- nue et m'a reproché de ne pas aller la voir ; je lui ai donc fait une visite... sans t'en parler... et tu vois !...

— Je ne veux plus de tes aumônes, tu entends?

— Ce ne sont pas des aumônes, mon grand... de simples avances ; je marque... vous me rem- bourserez plus tard.

— Désormais, on se contentera de nos sî^ cents francs mensuels, entends-tu ?

— Et les crétanciers, Henry ?...

— Ils attendront !

— Ixe vous prêtait bien, lui ; pourquoi ne pas accepter de votre maîtresse, de votre petit loup ?

— Ce n'est pas la même chose : Ixe, c'est un ami, il est assez aisé...

— Et si j'étais riche, moi, est-ce que vous me chasseriez ?

La première dispute s'apaisa, se fondit dans un


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mutuel embrassenïent, et Henry feignit de croire à l'aventure de la tante richissime.


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CHAPITRE V Les deux amies

Quelques jours passèrent, calmes, sans qu'il fût à nouveau question de la fameuse tante, sur- gie un soir de « sombre mouise » dans l'imagi- nation de Zizi, pour éviter de miraculeuse façon une malencontreuse déflation au portefeuille du simili-ménage.

Au reste, Henry avait eu quelques rentrées inté- ressantes et la tante ne fonctionna pas, du moins officiellement, car la jeune femme continuait à voir régulièrement l'important Sadi dans la gar- çonnière qu'il avait louée à cette intention.

Et, tandis qu'Henry se livrait à un surcroît de travail pour vivre avec son amie de très hono- rable façon, cette dernière se livrait, grâce aux magnificences de Dessony, et en compagnie de son amie Vyenne, à des associations dont le moins que nous puissions dire est qu'elles n'avaient rien de cultuelles.

Cependant, tandis que peu à peu Henry s'atta- chait à sa jolie maîtresse, celle-ci, tout en lui réservant la meilleure part physique et morale d'elle-même, ne pouvait s'empêcher de le crain- dre en raison directe des coiffures cornues qu'elle offrait à son front confiant. Et, de la crainte au respect, comme il n'y avait qu'un pas, un tout petit, elle le franchit vivement. La conséquence immédiate en fut qu'alors que depuis longtemps


— 3a —

il la tutoyait, elle en restait, elle, au « vous » impavide et cérémonieux.

Cela ne tarda pas à crisper son ami, qui se promit à l'occasion de remettre toutes choses en- place.

Un soir, comme, après un dîner plantureux, il savourait un café noir, brûlant et moelleux, semblant suivre avec un prodigieux intérêt les volutes bleues qu'une cigarette blonde déroulait au-dessus de sa tête, Henry laissa tomber :

— Tu ne sais pas, mon petit Zizi ?

— Pas encore, grand !

— Tu ne devrais plus me dire « vous », mais me tutoyer comme je le fais depuis que je te connais et comme m'y autorise le privilège de l'âge, puisque j'ai dix ans de plus que toi !

Elle le regarda, subitement interdite : — ■ Ne plus dire vous ?... Mais pourquoi, mon grand ?

— Parce que c'est une habitude qui ne cadre pas avec nos idées.

— Ça, je vous l'avais dit autrefois... quand vous avez voulu...

— Oui, je le reconnais, tu avais raison !... cl c'est pour cela que je te propose de...

— De cesser au bout d'un mois de liaison ?... Comment voulez-vous, maintenant que j'ai pris l'habitude ?...

— Et si je t'assurais que ça me choque, lors- que tu me le dis devant nos amis !... Vois, l'autre


— 33 —

jour, au Procope, des camarades m'en ont fait la remarque... Un autre s'est étonné de nous voir si peu en mutuelle familiarité ; il en est resté presque médusé !

— Ça l' étonnerait bien davantage, si subite- ment il m'entendait vous dire « tu » !...

— Mais non ! il n'en fera rien paraître, ni lui, ni les autres.

— Je vous avoue, Henry, dit Zizi, les yeux brillants, qu'à présent ça me fera presque de la peine de ne plus vous dire « vous ».

— Mais tu sais bien, méchant petit loup, que ça me fera plaisir !

— Même sachant que ça vous fera plaisir... attendu que c'est précisément ce plaisir qui m'at- tristera.

— C'est pourtant dommage, avec des idées larges comme celles que tu professes, de t'entêter dans des habitudes... ridicules et somptuaires !

— Vous oubliez que...

— Que c'est moi qui t'ai laissé prendre ces habitudes ?... Soit, j'ai été une buse... Qu'est-ce que tu veux de plus ?

— Rien... je veux rester comme nous sommes. Autrement, on croirait que nous sommes mariés pour de bon !

    • » Que tu es sotte, mon petit loup !

Déjà il semblait à Zizi, depuis ce qu'elle appe- lait sa « transfiguration », qu'Henry l'aimait peut-être plus ardemment, mais à son avis moins

3


— n —




bien qu'aux premiers jours. Elle trouvait, certes, son amour plus passionné, mais moins tendre, de par cette familiarité même qui suil l'accom- plissement physique de désirs... mettons moraux.

Henry et son amie, ayant achevé leur café, sor- tirent, continuant à deviser sur le même sujet.

i i) taxi, dans lequel ils demeurèrent blottis l'un contre l'autre et silencieux, les conduisit rue de la Grange-aux-B elles, où Henry était appelé à assister à un important meeting, de par ses devoirs de reporter.

Et, chemin faisant, il réfléchissait, tout en admirant sa compagne, et il conclut en lui- même :

— Par Zeus ! c'est une merveille de forme, un beau brin de fille sauvage !

Et de son côté, Zizi, déroutée par la discussion, pensait tout bas :

— Bon Dieu ! quel homme bizarre que voici ! Je ne sais par quel côté le prendre !... Vous ou tu ? tu ou vous ? tous les systèmes que j'adopte à son égard ne réussissent pas à le satisfaire !

Le lendemain matin, Henry fut mandé au journal par pneumatique.

Immédiatement introduit auprès du directeur, celui-ci l'informa d'avoir à se tenir prêt à partir le soir même pour se rendre à Saint-Chamond, où une grève menaçait d'éclater dans la métal- lurgie.


Henry, rentré chez lui, prévint Zizi et ajouta :

— Tu n'as pas à t' inquiéter de mon absence. Je te laisserai de l'argent, et comme tu as le logis h ta disposition, tout va bien.

Et le soir même il partait, après des adieux que touchants.

Depuis le début de leur liaison, c'était la pre- mière fois que les amants se séparaient.

La solitude parut dure à la jeune fille, qui n'y était plus habituée.

Le lendemain, Zizi alla voir Vyenne et lui dit le départ de son amant.

L'Italienne sourit et offrit à l'esseuleée de dîner le soir même avec elle et de passer la nuit en- semble.

— Ainsi, ajouta-t-ellè, tu coucheras ici, et tu le trouveras moins triste que dans ton logement.

Zizi accepta.

Le dîner fut copieux et largement arrosé.

Ou eût dit que l'Italienne poussait son amie à boire, cl le fait que si Vyenne n'exagérait point, Zizi n'hésitait pas à vider verre sur verre.

Puis, le café dégusté, Zizi, après un silence, dit tout haut, suivant sa pensée :

— Pense-t-il seulement à moi ? Vyenne sourit.

— Allons ! dit-elle, tu ne vas pas te faire d'idées noires, au moins ?

Puis elle prit son amie dans ses bras, pour la « secouer » et l'embrasser.


— 36 —

Ici en hc en ligne le choc des impondérables...

Comment cela se fil-il ?

Vyenne y mit-ellè du sien, ou Zizi de la com- plaisance ?

On n'oserait L'affirmer... Mais il y a une chose certaine, c'est que par... mettons une erreur ob- solue, au lieu d'embrasser la joue de Zizi. ce fut la bouche «le cette dernière qui recul le baises.

Et toujours par hasard, nous voulons l'espérer, le baiser se prolongea outre mesure, et Zizi eut un frisson. Dans un geste brusque, elle se - : gea, les yeux brillant, la y'^rge haletante, étran- gement bouleversée.

Puis, obéissant à on ne sait quel entitment, (Ile moisit ki tète de Y\ennc dans ses mains et goulûment reprit le baiser lascif.

Et dire... oui... dire que des gens accuserïl hommes d'avoir dans le cœur un petit cochon rose en train de dormir !

El tout cas, celui qui sommeillait en Zizi sem- blait, révérence parler, bougrement (i) réveillé !

Alors, Vyeune poussa les chpsi .

Les deux femmes roulèrent sur le lit.

L'Italienne nerveusement dévêtait son amie. qui, la tète perdue, les sens exacerbés, se laissait faire sans mot dire,

Des seins parurent, émergeant de la chemise ipii glissait.

Des seins... puis autre chose... puis loul !...

i i i le qui \ eut dire beaucoup !


-3 7 -

Zizi, haletante, pourpre de volupté et d'une honte étrange qui doublait le plaisir d'être nue. s'abandonnait aux caresses nouvelles en gémis- sant doucement.

Puis, fermant les yeux, les bras en croix, inca- pable de faire seulement un mouvement, elle attendit, à demi pâmée, l'anéantissement pro- fond qui suit le fris on de la volupté accomplie.

Les lois de la Troisième République, comme

du reste le bon goût et la civilité puérile et hon-

ïlête nous interdisent •* de npus étendre sur ce

sujet (2), Aussi bornerons-nous ici l'indication

bats amoureux des deux amies.

A quelques jours de là, Henry n'étant pas ren- tré, \ venue vint relancer Zizi chez elle. Celte dernière à son tour l'invita.

Les deux amies déjeunèrent donc en tête-à- tête, et, pour répondre à la demande câline de l'Italienne, Zizi servit le café sur le guéridon, po\- du lit transformé en sofa pour la circons- tance. Puis, quand elles l'eurent pris, Zizi s'af- faira à mettre tout en ordre ; mais, préoccupée, elle demeurait par instants debout et pensive près de la fenêtre. Vyenne se promenait, un éven tail à la main, fumant des cigarette-; et balayant


K noire grand regret, d'ailleurs. Une femme est n h ujel ni' lequel nn aime à s'éteadre. 1 .., doux feinn* . ù plus i'oiie raj


— 38 —

la chambre d'un châle transformé par elle en robe à traîne.

Les cris habituels montaient de la rue : mar- chands des quatre-saisons et appels des métiers s'en donnaient à cœur-joie.

Les fleurs placées dans un vase, sur la chemi- i avaienl i phies.

el des hypertrophies, d >ns aimables,

des airs penchés, des alanguissements, presque des obscénités de tiges e1 < : et, à les

toucher et à les sentir, l'Italienne vici îprouva

une joie énorme, car son tempéi gnail de la nature, de

harmoni , même "iore,

l'irrésistible attra< I \ yenne

— Si i. ; :'...

— ( Causer '. ce matin ?■

— C'esl \ rai ! Au soleil

jouai! avec la

les tresses brunes autour des prisrm

el tout en paj

en!:.' femmes, établi

phoni

S< ■:■ pas '■■ ris la s rai iux s'agran-

dirent, sa pe


-3 9 -

une gerbe d'étincelles.

Et, d'autorité, entraînant Zizi... elle, remirent ea !...


-■':■■ ...■-.-- ■-:- -?:




- ko —


CHAPITRE VI

Le journal de Zizi

Mais Zizi, piquée par la mouche qui avait déjà opéré sur Henry et faisait allonger par celui-ci des lignes noires sur du papier blanc, Zizi décida de tenir à jour son journal, tout comme les feus Goncourt ou M. le duc de Saint-Simon.

Et ce sont des extraits de ce journal que nous donnons ci-dessous (î) :

(( Paris, le i er mai 19?.... — Hier, on a ramené à Paris le corps de mon frère de lait, tué à Verdun. Les amis de la famille lui ont fait un convoi respectable ; il a élé inhumé au Père- Lachaise, non loin du Mur des Fédérés.

<( Le 11 juin. - — Jane, mon amie d'enfance, a accouché d'un cadavre. Pauvre petite !... Son type ne la voyait que pour lui demander de l'ar- gent ou sa signature. Il en arrivait à l'injurier, à la menacer ; mais si les angoisses de cette douce créature assombrissent mes joies de domination sur le mâle, je me hâte de le dire : à défaut de la débine, rien n'eût changé dans les malheu- reuses destinées de Jane ; le mari vicieux serait fatalement devenu la proie des horizontales, des


(1) Ce journal étant l'exacte reproduction de celui de Zizi, ou mieux de celle qui est réellement Zizi, les auteurs déclinent toute responsabilité quant au texte,


4i


tapi ns des deux sexes.


<c Le i5 juin. — Brusquement, Vyènhe, l'odieuse créature, a emmené en Italie un de mes anciens amis, Héro... Raison de la fuite de ces deux phénomènes : Lesbos se conjugue en Onan junior.

« Le 2 juillet. — Les toilettes, lei mœurs ?... Il en sera des mœurs et de la toilette comme du spectacle de la nature : des points ... à la ligne !.. . Est-ce que je vais dans un endroit pour observer quelque chose ou quelqu'un en dehors de mon compagnon de chaîne et de ses défaillances ?

<c Le 20 juillet. — Le monstre (i) mange à peine, il fume la pipe comme un Suisse ; la nuit, il s'agite plus fort ; il ne dort plus, les cauche- mars le reprennent.

« Le 27 juillet. — Henry interroge les morti- coles, et comme le malade — mon cher malade — n'avoue par la cause de son mal, nous rions ensemble des consultations auxquelles je l'invite à ne pas ajouter foi et des ordonnances que je lui défends de suivre.

u Le premier docteur a ordonné les laxatifs : bouillons d'oseille, lavements ; le second, les


(1) Ce doit être d'Henry qu'elle veut parler.,, îl y a du reste des chances pour cela,


— te -

toxiques : quinquina, hydrothérapie ; un troi- sième, les antispasmodiques : valérianne — assa fetida — bromures, frictions sèche?, électricité statique.

<( Le i er août. — Henry a déjà interviewé tous les médecins de sa connaissance, et les charla- tans aussi fameux que les princes de la science oui répondu avec leur griffonnage habituel. Il était malaisé de traduire, et l'on n'a pas cherché à comprendre.

» Le 4 août. — Nous sommes en train d'inven- ter un jeu dit d<:< u petit* mêle <h:is son chapeau Sis : en que

(i je tire. Voici les bulletins de dépouillement final :

(c i° Prendre matin si soir, avant chaque repas, un des cachets suivants : val< quinine,

3o cgr. pour un cachel (facile secundùm arti [5 cachets".

<( :>" Alimentation intensive : viande crue et hachée, de ioo à i5o gr. au repas du malin.

« 3" l ne douche froide de ro à vi degrés, sui- vie d'une friction d'un quart d'heure au gant de crin.

(( Les accidents nerveux sont prééminents; et \ . , ; le deuxième bulletin :

« i u Bromure de , am, iû gr. ; si]

d'écorce9 d'oranges, a5o gi; I ne cuilli >upf

lé "■" -" ( ■••■"!»■ ■.-•/ mu •■ \ j


— 43 —

« 2° Une séance d'électricité statique chaque Jour 3 durée 20 minutes. Insister avec les étin- celles sur la colonne vertébrale.

<< Troisième bulletin :

ci Homéopatie...

« Non ! non ! assez ! assez !...

« Le 5 août. — Un vieux docteur a semblé lire

au travers du jeu des « petites ordonnances » et

il nous a recommandé seulement beaucoup de

... Qu'il aille se faire pendre, ce toubib

du diable ! Ça doit être un impuissant !...

K Le 7 août. — Excursion à !: ; campagne. Ilenn a eu froid..", moi aussi.

« Le 8 août. — Henry esi alité de nouveau. Nouvelle ordonnance : peptone de viande.

« Le août. — Fièvre « bénigne », délirium » très épais »... Je plaisante, et pourtant je suis inquiète.

« Le iû août. — Déambulation noclurjrie ! Pourl >;;!, la fièvre a bai : !

Le u août. — J'ai saupoudré de cantharides les | de viande.

« Le [5 août. — Henry est retapé, et commentl Quand y Voua disais 'i 1!r ' •' - friédieastres •■ ~-

■■,■■:■ =w|^«ïi : |j


- M - .

<( Le 20 août. — Htfnry semble aller chaque jour un peu mietlï. La sente semble lui revenir assez vite, et nos chats s'en ressentent. Il me semble chaque jour l'aimer davantage, et pour- tant, quand passent près de moi certains hommes, je me sens frémir toute !

« Je ne sais comment expliquer la chose !

<< Je rerois les caresses d'Henry avec un infini plaisir... Quand il est là, je me donne sair^

ii i i(' re-pensée à la douceur de ses étreintes... et

pointant !...

« Oui, dès qu'il n'est plus auprès de moi, ce n'est plus lui que je désire, mais les étreintes d'inconnus qui verseraient en moi des voluptés nouvelles.

« Le 25 août. — Lin homme m'a abordée ce soir. Je rentre en vitesse, et c'esl en tremblant que je me jette dans les. bras d'Henry.

« Le 26 août. — L'inconnu m'attendait. Je- l'ai fui, il m'a suivie.

u Le 27 août. — Nous avons causé ! Comment cela s'est fait ? Un embarras de voitures nous a ensemble immobilisés sur un refuge. Il est bien (lui, pas le refuge) et sa voix est douce. Mais je ne veux plus penser à d'autres qu'à Henry... Finies, les folies !


- 4S —

« Le i er septembre. — Henry a dîné dehors, avec des amis, hier soir. Je n'ai pu rester seule. Je suis sortie. Ah ! si l'inconnu avait été là !... Qu'aurais-je fait ?... Mon Dieu ! comme je suis lâche devant le désir !

« Le 5 septembre. — Je le revois chaque jour. 11 s'appelle Charles. Ce soir, Henry me quitte encore. Tant pis ! j'ai accepté de dîner — en camarades — avec mon adorateur.

« Le 6 septembre. — Comment oserai-je dire ce qui s'est passé hier ?... J'ai trompé mon ami, et pourtant je l'aime ! Je l'aime, et c'est Charles qui possède ma chair et vers qui maintenant ten- dent mes désirs. Il m'a demandé de partir avec lui. Je ne sais plu? que faire !

" )a- 7 septembre. — Henry doit aller à Saint- Etienne. 11 y restera un mois... Il part le i5.

« î a S septembre. — Charles part demain pour la Côte d'Azur. Il m'a suppliée de le suivre. Que [lie décider ? Quelle chose étrange ! aimer im homme i ! désirer se donner à un autre !

bre. — Tant pis ! Je pars !... Une

à Henry pour lui demander pardon... Mais

je in' peux plus résister a l'appel de la chair. »


— 46 —

CHAPITRE VII Regrets

Jamais femme ne fut plus malheureuse que Zizi. Elle se disait qu'elle était irrévocablement condamnée, et l'horreur qu'elle ressentait main- tenant pour l'homme auquel elle s'était livrée dans la folie, des sens lui laissait comme un fiel qui empoisonnait son cœur et ses pensées, que lien ne pouvait chasser ni apaiser.

Alors, elle éprouva le désir brutal de revoir Henry, non comme un amant, mais comme un ami. Henry, rentré malade de Saint-Etienne, était à l'hôpital. Elle lui écrivit une lettre affec- tueuse, une de ces lettres qui sont les secrets des femmes, et dont les hommes qui furent loyaux: et bons doivent se glorifier autrement que d'un titre ou d'une décoration, ces vains hochets. Cette page-là, il n'en faut qu'une dans la vie : elle dit la caresse de la femme aimée qui s'esl réellement donné tout entière ; on la garde comme une relique entre des fleurs, et lorsque les am sont venues et que l'homme se recueil] de partir pour l'éternel voyage, le vieillard au front neigeux à un de ces sourires qui semblent pardonner à la Nature pour tout ce qui l'a meur- tri durant la longue route : c'est comme un bravo à la fin d'un spectacle qu'on aime.

Cette lettre, la voici telle que l'écrivit Zizi: « Mon cher ami,


- h -

« Que vas-tu penser de cette lettre ? Je t'ai lâchement abandonné, insensible à tes larmes, à ton désespoir, jouant jusqu'au bout le rôle atroce d'inconsciente que je m'étais imposé, gar- dant le silence après avoir juré de t'écrire... A cette heure, sans doute, tort mépris parle plus haut que ton amour...

« Oh ! s'il te reste quelque sombre colère, si l'amant justement irrité ne peut pardonner à la maîtresse, prie l'ami de venir au secours de l'amant.

« Rappelle-toi la jeune fille qui s'est donnée à toi librement, sans fausse honte ni vaine pu- deur ; rappelle-toi l'amie qui fut ta camarade (durant de trop longs mois à ton gré) avant d'être ta compagne, et ne juge pas la femme avant de l'avoir entendue...

« Oui, il vaut mieux que je te dise tout, tout ce que je pourrai dire du moins, car ma confes- sion sera si étrange, si douloureuse, que l'encre où je vais tremper ma plume me paraît toute rouge, comme si elle était faite avec mon sang...

« J'ai hésité à t'écrire cette première missive : je ne voulais pas, je ne pouvais pas.

« Je me disais : A quoi bon ? N'a-t-il pas assez pleuré ? N'a-t-il pas assez souffert ? Tout n'est-il pas mort entre lui et moi ?

« Et je m'asseyais à ma table, et comme je traçais ton nom, il me vint une honte si grande que je brisai la plume entre mes doigts.

« Aujourd'hui, j'étouffe ; il faut que je te


— '48 —

parle à cœur ouvert... il le faut.

« Henry, je t'ai menti. Henry, je t'ai trompé. Je suis indigne de toi. Je suis indigne du nom de femme... J'ai livré mon corps à bien d'autres hommes que toi, pendant notre liaison.

« J'ai commis des crimes, crimes si épouvan- tâmes qu'à leur souvenir mon être tressaille...

« Je t'ai représenté à d'aucuns de tes cama- rades comme un être dissolu, animé de passions malsaines, de goûts dépravés, assoiffé d'actes charnels et inavouables dont tu aurais essayé de me faire partager les sentiments morbides.

« Je t'ai volé ton cœur et ta sympathie. Main- tenant, j'ai froid... là, là, à l'endroit du cœur !

« Henry, la femme que tu connus, que tu as aïmée, la compagne que tu respectais et que tu aimais, n'est qu'un monstre affolé de désirs.

(( Et pourtant, je t'ai aimé, je t'aime et n'ai d'amour que pour toi. Oui, je t'aime ! je t'aime toujours ! J'ai besoin de le répéter pour me donner du courage, pour oublier ce que je viens d'écrire, pour chasser les visions qui me hantent et qui' me déchirent.

« Tu te dis peut-être : Zizi a été infâme parce que c'est une tête folle, incapable d'une affection sérieuse comme d'une action volontairement mal- faisante.

(( Oui, tu te dis : Zizi s'est jetée dans le vice et dans la fange par amour du vice e1 de la Fange. Non, non, non ! je te le jure !

« Henry, sais-tu pourquoi cette femme qui


-»9-

fut ta compagne s'est livrée à ton insu: ù d'autres hommes ?

« Sais-tu pourquoi elle s'est pré< ii.iiée plus bas encore ? C'est que la nature lui > jefusé ce quelle accorde à tous les êtres : le pouvoir d'ai- mer ; c'est que la barbare nature 1':: immolée dans son sexe, avant qu'elle fût femm<

« Crois-moi bien, je n'eus jamais u'o véritable affection ; hors notre amour, je n'ai jamais connu de sincères sentiments de tendresse au sein de ma famille, depuis mon âge de raison jusqu'à ma puberté.

« Tu me crois folle, n'est-ce pas ?

« Ecoute (i) :

« Souviens-toi des étranges questions que je te posais sur les causes de telles ou telles défail- lances de toi ; de la façon, anodine, à mon sens, dont je t'entretenais de mes relations antérieures avec tel ou tel de mes premiers amants !

<( Tu me regardais fixement, sans mot dire, une lueur si vacillante dans le regard que j'en étais interdite, ne sachant démêler tes sentiments intimes, et puis tu t'endormais avec ce bon sou- rire sceptique et confiant à la fois que je vois encore souvent errer sur tes lèvres...

« Je veillais, moi... je veillais sur nous...

« Un matin, tu souriais encore en baisant lon- guement mes yeux.

« Et j'entourais ton cou avec mes bras ; tu


(i) Comme toute bonne faubourienne, elle pro- nonce : « Accoute ».

h


— be —

avais encore ton bon sourire dans ta défaite su- prême, et comme tu me grisais passionnément de teg baiiers par tout le corps, tu vis des perles irridief mes cils froncés et ma voix extasiée ta reprocher ton départ imminent en ces termes : « Henry, tu n'as pas de cœur ! »

« Les larmes que je versais après ton départ, Henry, ce n'était pas des larmes d'amour, mais de rage et de haine.

« Comme d'habitude, j'avais voulu t 'aimer, j'avais voulu me donne)' à toi tout entière ; H, comme toujours, j'étais restée inassouvie...

« Alors, la nuit suivante, je m'agenouillai sur le lit, et mes mains crispées passèrent près de ta gorge. Je voulais te tuer, jaloUse de ton bonheur d'homme libre, jalouse de tes plaisirs de mftle, que j'aurais payés de mon sang et de mes heures de vie... L'aiguillon des sens me poussait; ; .

(( Il me venait des désirs brûlants et des accès de désespoir homicide. Te rappels-tu la scène que tu me fi» un matin en trouvant mon canif ouvert sous notre oreiller, le tort sarcastique que tu employas à mon égard après avoir jeté l'arme à terre : « Es-tu folle, Zizi ? ....Qu'est-ce qui te prend ?... N'es-tu pas en sécurité à côté de ton grand ? »

« Et tout de suite, câlin envers moi, tu me grisais de tes baisers ardents en murmurant : « Mon beau petit loup, promets à ton Yi que tu ne feras plus jamais le geste de défiance que tu a eu à son égard, et que tu n'auras plus de ces frayeurs de petite fille envers un loyal ami qui


— 5î —

a'a jamais voulu et ne te fera jamais de mal, malgré ses manières bourrues ! »

« A cela je répondis que tu nj'avais fait trem- bler la veille avec tes grandes mains ouvertes. ; j'avais eu peur que tu ne m'étrangles ! Un mau- vais rêve, crois-moi...

« Tu me rassurais définitivement ce jour-là. mais une peur maladive, vois-tu, me prend a r*împro\ iste à charnu de les mou\ emeïits de mau- vaise humeur.

« J'ai résisté à ces frayeurs cl résiste encore chaque fois que je t'approche.

(( Cela dura longtemps, longtemps... Je lut- tais, éperdue, cpntre la peur qui me tenaillait. Tu ne compris pas mes alarmes cachées, lu ne pouvais pas comprendre... Vois-tu, mon ami, j'élais folle.

« A ton réveil, ne me trouvais-tu pas souriante et pale ainsi qu'une nouvelle épousée ? N'étais-tU pas toi-même un amant charmant, respectueux de mon trouble et de ma langueur ? Et quand je ne le rendais pas ton baiser d'amour, languis- te sur la couche, ne t'advinl-il pas plusieurs fois de promener ton doigt sous mon nez afin d'épier si ma respiration était régulière ?

<( Tu confias un jour à une amie que, me croyant évanouie, un matin que le souffle me manquait, affolé, tu te dressas sur ton séant et, me plaçant une main sur la poitrine et l'autre sous les narines, tu ne pus recouvrer la tranquil- lité qu'après t'ètre assuré que mon cœur battait encore ?


— 02 —

« f A la suite de cette confidence, confidence que je ne pouvais te pardonner — pourquoi ? je n'en sais rien — je ne pus ensuite que rendre, oh ! honte ! le baiser de Judas à la franche et vigoureuse étreinte que tu m'offrais.

« C'est alors que, créant le désir de te trom- per, je devins infâme... Si tu savais ce que j'ai souffert, ce que je souffre dans ma nuit gla- cée !...

« Et comme je meurs sûrement, dans ce tom- beau d'où le soleil me semble banni !... Quel tourment ! voir l'amour, l'amour partout !... F Ah ! fuir Paris, le plaisir, et retrouver l'amour triomphant dans un coin de province I Fuir avec toi, avec toi seul, après avoir reconquis ton amour ! Etre riche d'une sève ardente, se savoir belle et se dire que toute seule on est la déshéri- tée, la damnée !... Et chercher encore et tou- jours !...

« Qui donc est en moi ou si près de moi ? Qui me hante ? Qui me poursuit ainsi, sans trêve, sans relâche ?

<( Qui donc me réveille brusquement, quand je me sens prise d'un renoncement de pensée ?

<( Qui fait marcher ces tenailles qui mordent mes chairs ?

« Quelle est cette main plus lourde qu'un mar- teau qui frappe ma pauvre tête endolorie ?

« Mon désir I lui seul ! mon désir de toi I...

« Et je vis, et je pense, et suis femme !

« Une amie à qui je me confiais m'a conseillé, bonne fille, d'aller voir un médecin !... Refaire


— 53 —

une anatomie incomplète ?

« A quoi bon ? Les docteurs auraient discuté sur mon cas... Une hystérique, une nécropathe, comme on en a vu partout déjà ou nulle part 1

« Henry, si je dis toutes ces tristes choses, c'est que j'aime mieux te faire pitié que de te laisser supposer que mon étrange et pourtant réel amour pour toi n'ait été qu'un mensonge.

« Je flotte entre des idées contraires. Je ne puis pas pleurer, ayant versé toutes mes larmes, mais je ris parfois, et d'un rire tel que, si tu me voyais, tu prendrais peur...

« Quelque chose me dit que ma fin est pro- chaine et que je n'aurai pas besoin de me tuer pour mourir... Mais je voudrais te regarder en- core et sentir ma main trembler dans la tienne...

« Viens, viens I... Aie pitié I... Pardonne I..-. : C'est horrible, ici... Le ciel est bleu, tout vibrant d'oiseaux qui chantent ; la nature est en fête ; tout s'éveille, tout s'anime pour aimer ; les fleurs ont des parfums enivrants, les papillons se cher- chent et se caressent...

« C'est horrible, mon grand !...

(( Je t'attends impatiemment, mon bien cher Heniy.

« Aimer ! pardonner I se soutenir 1 aimer en- core et mieux !...■

« Tout ei\. là... le bonheur n'est qu'un songe...

« Ta Zizi. '»"


H


CHAPITRE VIII

Réconciliation

Oè6 qu'Henry eut reçu la lettre que lui avait, remise le vaguemestre de l'hôpital, il interpella sou voisin de lit, poussé par l'impérieux besoin qu'a tout homme d'avoir à certaines heures un confident :

— Tiens, lis... Les hommes sont siupides.... Toal ce que je pensais était faux.

— Quelle femme !... nom d'un chien ! quelle femme ! disait l'autre... Le diable m'emporte ' je n'y comprends rien, après ce que tu m'as raconté !

Dès qu'il fut remis sur pied, à sa sortie de l'hôpital, Henry bondit chez Zizi, et, quand ils se furent embrassés frénétiquement, la jeune femme parla :

— Pardonen-moj, mon grand ; je n'ai pas élé franche a\ec toi... .le n'ai quitté Paris que quel- ques jours ! Jetais malade de l'avoir quitté, ma- lade par ton absence... Je le suis encore... Tu me croyais au loin, et je m'étais réfugiée chez ma mère en t 'attendant, car, malgré tout, je t'attendais !

— Je le savais répondit Henry .. Je t'a trop fait rrchérch;,: pour m pas it iroir'or. Je respectais ton secret...

— Pourquoi n'as-tu pas écrit avant de venir nie voir ?

— J'étais malade, trop malade... et puis, je


— 55 —

rraignais tant d'être oublié pour toujours !... Mais... mais toi-même, petite Zizi, pourquoi m'as-tu caché la cause de tes hésitations, de tes ennuis ?... Tu étais souffrante... Il fallait rae le dire... Crois-tu donc, mon beau petit loup, que je ne t'aime pas et que je ne me respecte pas assez pour combattre mes désirs : J pour rester près de toi comme un amant devenu un frère ? pour être ton ami sincère ?

— Henry !... mon grand !...

— Je me demandais si je n'étais pas coupable do quelques torts vis-à-vis de toi. Je m'accusais de l'avoir fait du mal... Ect-ce que je suis mé- chant, dis ?...

Et lui, qui n'eût du avoir au cœur que ran- cune, s'accusait. Il s'était agenouillé près d'elle, cl il cme-^ait les cheveux de la jeune femme, dont je tif/mt rayonnait, nimbé pur un rayon do

-"Iril.

Elle réeuutajl. muelle, attendrie, manquant

de sou file.

— Si tu savais ce que j'ai souffert, le soir où tu es partie, avant que j'aille à Saint-Etienne !... Je pensais que c'était fini pour toujours, que le rival était près de toi... Je rêvais de venir me poster près 4e ta porte, un malin, le revolver au poing pour ae venger. A mtm retour, j'y suis même allé réellement. Ton amie leasme, qui mon* art te vair, me surprit m cgtte attitude.

—- Oh ! comme tu m'aimes, et eomuae cela me fait du bien ie t 'entendre perler ainsi 4... Oh ! j« guérirai... je ne veux plus être malade...


— 56 —

C'est assez r de souffrances. Que je sois damnée si je ne me ressaisis pas, je te le jure ■!

— Ne le désole pas... Maintenant que je suis revenu, je vais te soigner mieux qu'un médecin. Ce qu'il faut pour combattre ton mal, c'est du repos et beaucoup de douces paroles... Ah ! comme tu es belle et bonne, ma petite Zizi ! plus belle que dans mes souvenirs... Je t'aime tant !... Je ne suis plus jaloux, va ! J'étais fou et méchant de t'espionner, toi la plus tendre et la plus géné- reuse des femmes.

Et, lui prenant les mains, avec un sourire de franchise :

— Là, es-tu contente ?... Je viendrai quand tu voudras que je vienne, je m'en irai quand tu le désireras... Je t'obéirai en aveugle... Tes moin- dres désirs seront des ordres... Quel que soit ton mal, oh ! mon petit loup, je te guérirai... Tu deviendras de nouveau, pour ton grand Yi, la petite femme charmante, amoureuse... oui, amou- reuse... Et comme nous nous aimerons, cher petit Zi, pour tout le temps où nous aurons attendu !...

— Comme tu es gentil, mon grand I...

— Maintenant, continua Henry, plus calme, si tu voulais être bien raisonnable, tu suivrais encore le traitement hydrothérapique que je t'ai indiqué.

« Vois-tu, il faut essayer de tout ce qui ne peut pas nuire... Tu n'es pas la seule femme, yn f qui soit malaiae. Les névroses sont à la mode ;


- 5 7 -

maladies des jolies femmes, tu le sais bien... Si l'hydrothérapie ne suffit pas, nous essaierons d'autre chose,.. Tu veux bien ?

— Nous verrons...

— C'est que je me suis beaucoup inquiété de tes souffrances... On traite aussi par l'application do l'électricité. En somme, la sensibilité propre de chaque malade décide de la médication qui lui est nécessaire... Je suis un raseur, n'est-ce pas ?

— Mais non, mais non... Alors, tu penses que presque toutes les maladies peuvent se guérir par l'application de l'électricité ?... Eh bien, j'essaierai, je braverai toutes les douleurs...

Tressaillant sous une irritation subite, Zizi se pendit au cou d'Henry :

— Oui, je suis prête... Oh ! mon Henry, je veux guérir !... Je le veux pour t'aimer !...

Restée seule, elle portait le secret de son im- puissance.

Toutes les boues qu'elle avait remuées lui remontaient à la face. Ses désirs criaient encore plus haut que ses hontes...

Il lui prenait des envies de couper ses cheveux, de se défigurer, de se tuer. Elle n'osait rien faire, incapable d'une volonté, éperdue dans ce néant vengeur dont les ombres toujours plus noires la cernaient...


— S8 —

CHAPITRE IX

Nouvelle séparation

! ii soir. ,i j h es avoir passé une journée sous la plein, Henry fut pris d'une forte fièvre. Habitué à des accès violents, suite do fièvres contractées " glorieusement » en Extrême-Orient pour la plus grands- glnin- du Paye et le plus grand détri- ment de sa santé, il n'y prêta pas tout d'abord .1;' attention ci se contenta d'absorber une 1e dose de quinine.

Néanmoins, il ne put dîner et, tremblant de fièvre, dut se coueber de très bonne heure. Zizi s'inquiéta. Elle n'avait jamais vu son ami en proie à de tels accès, et de voir Henry grelotter marigré les couvertures et les boules d'eau chaude l'affola. Elle voulait appeler encore le docteur qui habitait la maison. Henry s'y refusa énergi- quement.

Elle n'insis! i pas., se promettant de le l'aire néanmoins g-j l'ae-'ès continuait ou si la tempéra - ture du malade s< j mettait encore à monter.

Tandis qu'Henry, .les yeux clos, semblait repo- ser, elle décida de s'improviser garde-malade.

Depuis qu'elle était revenue auprès de lui, quekfue chose en eik iU '--— discernait mal l'avait encore rapprochée de son ajnant. ' peut- être déjà plus l'amour seul, mais un senti- ment plus amical et plus maternel. Elle lui était presque reconnaissante d'avoir besoin de ses soins, qu'elle était décidée à ne pas lui ménager.


H


EHe restimyit maintenant aussi davantage, plus sûrement qu'autrefois, et, sous l'empire de ces

nents diffus en elle, elle s'abandonnait tout

entière à cette tendresse, n'ayant à présent plus qu'un désir : défendre cet être cher, « son homme », contre la douleur, contre le mal, et le ramener à la santé à force de soins.

1 >i . ht rues sonnèrent.

Henry reposait doucement. La fièvre avait

-iblement baissé et le malade s'était en-

dormi.

Elle borda le lit, se coula auprès de lui et le veilla une partie de la nuit.

La journée tiède avait donné naissance à une nuit froide, mais Zizi ne sentait pas la fraîcheur de la chambre, tant une fièvre de préoccupation l'agitait.

Dciiis son esprit tendu, les souvenirs s'évo- quaient.

D'abord chez ses parents, dans la maison tran- quille, ses années d'enfance se déroulaient dans leur monotonie heureuse.

Et toujours le même décor : lu vieille maison grise aux meubles simples et familiers à son enfance.

L'èvoesfïfcR d^ '& eaimé 1 ' ef-

fervescence que la maladie d H mines chez elle.

Ce fut les sens calmt? et l'âme un peu doulou- reuse et triste qu'elle rentra en elle-même et qu'enfin elle s'endormit.


— 66 —

f ÂÏ l'aube, Zizi s'était éveillée la première ; elle ne vout pas se lever avant d'avoir considéré, ne fût-ce qu'un instant, son ami encore endormi, et sans avoir effleuré d'un baiser son front brû- lant.

Par une superstition d'amoureuse, il lui sem- blait que ce baiser allait apporter à son « grand », avec le calme, l'assurance de son amour.

Silencieuse, comme à l'habitude, Zizi s'appro- cha du visage de son compagnon, contempla un instant son visage pâle et ses traits amaigris dans le désordre de la barbe, puis, doucement, ses lèvres effleurèrent celles du malade.

Mais cette caresse, si légère qu'elle fût, réveilla l'âme amoureuse d'Henry. Ses lèvres agrippèrent les lèvres qui s'offraient, pour un long baiser qui acheva de le réveiller.

S'éveillant tout à fait, Henry vit sa compagne assise sur son séant et .prête à se lever. Il sourit de la voir se montrer si matinale, contrairement à ses habitudes, et son regard eut un éclair de passion.

— Alors, tu veux te lever, Zizi ? fit-il, en entourant de son bras la taille de sa compagne.

Zizi se raidit :

— Oui, fit-elle, réprimant sa passion... je pars.

— Oh 1 mon petit loup, reste encore !... fit-il en suppliant.

— Cet impossible, répondit-elle. Maman m'at- tend ce matin.

-— Si je veux !..,


  • -* 6i —

— Non, non et non I

— Alors, tu ne m'aimes plus ! sanglota-t-il... Si cela est, dis-le moi, par pitié ! mets fin au lent supplice que tu m'imposes... J'en ai assez ! Tout à l'heure, quand tu vas m'avoir quitté, j'irai h cette fenêtre, je l'ouvrirai, et, avec l'air glacé du, matin, j'aspirerai la mort par conges- tion.

Zizi frissonna.

— Henry, mon grand, supplia-t-elle, sois rai- sonnable !...

Mais il ne l' écoutait pas. Avec toute sa force nerveuse, il l'avait attirée tout contre lui, et il couvrait son corps de baisers passionnés, éveil- lant les désirs de la jeune femme et la rendant désormais incapable de soutenir un nouveau combat.

Les sens en émoi, Zizi soupira :

— Eh bien, oui, un seul baiser d'amour, mais un seul ! La souffrance morale que je lui impose par un refus doit lui être plus funeste que cette joie d'un instant. Nous pensons à sauver le corps, mais nous oublions l'âme. Mon baiser, mes ca- resses, mieux que tous les remèdes, guériront mon Henry.

— Alors, tu veux bien, Zizi ?... interroge» Henry avec une lueur d'espoir.

Les lèvres de la jeune femme, en réponse, por- tèrent à celle de son ami la preuve du consente- ment.

Pendant huit jours, Zizi n'eut pas la force de


— 62 —

se soustraire à l'envoûteniemi d#a caresses àe son ami. Les deux amant? dans leurs étreintes,

avaient reirGirvc toutes ! ..ntan, et, au

contraire des pressentiments de m compagne, le malade semblait avoir recouvré la santé.

Son visage rayonnait. Maintenant, il se ] tôt chaque jour, et, assis devant la fenêtre, auprès de Zizi qui lisait, il rêvait, en face du soleil prin- tanier, aux caresses de la nuit précédente et à celtes qui suiviaii'itl .

Mais la maladie devait bientôl reprendre su revanche sur l'amour. Un matin, comme Henry se disposait è se lever, il fui pris d'un élourdis- sement dû à mi accès paludéen qui se rnani tait.

Zizi, affolée, eournt appeler a l'aide, in méde- cin du voisinage accourut. D'un visage sévère. il examina le malade et déclara qu'une impru- dence avait dn se commettre pour déterminer un aussi grave accès.

la jeune femme protesta :

— Henry n'a pas quitté la chambre, dont la température est maintenue très douce.

Mais le docteur ne se laissa pas convaincre. En hochant la tète, d'un air de doute, il rédigea une ordonnance et exigea le transport in it du

malade à l'hôpital.

Zizi l'accompagna à l'Hotel-Dieu, où il fut admis d'urgence. Elle rentra chez elle li bonne heure, la mine sombre et le cœur angoissé.

Blottie dans un fauteuil, au pied de son lit, la


— M —

jeune femme se prit à rêver tristement.

Quel martyre que le sien ! Involontairement, elle jouait auprès de son amant If rôle cVs Sfri Ri perfides dôrît lé soutiré et le? caressés conduisent à' la mort les malheureux qui se prennent i aimer.

Toutes les preuves de tendresse qu'elle donnait à Henry pour adoucir ses souffrances morale i \ physiques étaient de nouvelles armes dont s .;! parait la maladie, pour l'entraîner vers la mm I ! Qu'elle est cette puissance qui survient tout à COUp et demeure victorieuse : !

La jeune femme passa la nuit plongée dans ee rêve, sondant le mystère av.v angoisse. Etait-ce le néant ou la transformation i 1 tentes les hypothèses, toutes lés croyances défi- lèrent dans sort cerveau. Aucune ne la satisfaisait, mais elle demeurait convaincue que la mort n'est pas la fin de tout, que le corps était détruit, mais non l'esprit, et que celui-ci, par delà la tombe, continuait spn évolution.

Le mystère de la tombe la hantait avec une telle fureur qu'elle levait à veiller un mort... Hélas ! était-il loin de la mort, l'être chéri qui gisait là-bas sur un lit d'hôpital, en proie au délire peut-être, et si faible qu'il suffirait d'un baiser savant pour le jeter à terre, râlant et vaincu ?

Que lui importait que la mort fût îa continua- tion de la vie, puisque son Henry la quitterait, irait vers les rives de l'Achéron !

Ce corps qu'elle avait baisé passionnément ne


— 64 —

serait plus l'instrument des joies paradisiaques ; il se désagrégerait, il retournerait au néant, tan- dis que_ son corps, à elle, demeurerait dans toute sa splendeur, objet de convoitise et créateur de désirs !

Non et non 1 Leur communion avait été trop complète. Ils mourraient tous deux ensemble. Le même esquif leur ferait passer le fleuve fatal et le même tombeau réunirait leur deux corps.

Et Zizi s'arrêtait dans ses pensées, paraissait discuter l'inévitable. Dans son esprit, Henry était inévitablement condamné.

Aux premières lueurs de l'aube, son cauchemar s'éclipsa.

La jeune femme s'étonna même de l'emprise que la mort avait sur son imagination.

Elle était folie d'avoir rêvé si tristement pen- dant la nuit.


Lire la suite des Aventures de Zizi dans le n° 2 de la Collection illustrée du Sadisme, qui paraîtra ]<• i"5 du mois prochain.


Gérant : Jean BurFARD, rue des Cordelières, Parib

!mp. Racine, 18, Rue de Romainvî'le. Paris


MARQUIS DE SADE



O U


l mutile de la V ertu


Le chef-d'œuvre de la philosophie serait de développer les moyens dont la Providence se sert pour parvenir aux fins qu'elle se propose sur l'homme, et de tracer, d'après cela, quelques plans de conduite qui puissent faire connaître

ce malheureux individu bipède la manière dont il faut qu'il marche dans la carrière épineuse de la vie, afin de prévenir les caprices bizarres de cette fatalité à laquelle on donne vingt noms différents, sans être encore parvenu ni à la con- naître, ni à la définir.

Si, plein de respect pour nos conventions so- is et ne s'écartant jamais des digues qu'elles nous imposent, il arrive, malgré cela, que nous n'ayons rencontré que des ronces, quand les méchants, eux, ne cueillaient que les roses, des gens privés d'un fonds de vertu assez constaté


pour se mettre au-dessus de ces remarques, ne calculeront-ils pas alors qu'il vaut mieux s'aban- donner au torrent que d'y résister ?

Ne diront-ils pas que la vertu, quelque belle qu'elle soit, devient pourtant le plus mauvais parti qu'on puisse prendre quand elle se trouve trop faible pour lutter contre le vie, et que, dans un siècle entièrement corrompu, le plus sûr est de faire comme les autres ?

Un peu plus instruits si l'on veut, et abusant des lumières qu'ils ont acquises, ne diront-ils pas, avec l'ange Jesrad de Zadig, qu'il n'y a aucun mal dont ne naisse le bien, et qu'ils peu- vent, d'après cela, se livrer au mal, puisqu'il n'est, dans le fait, qu'une des façons de produire le bien ?

N'ajouteront-ils pas qu'il est indifférent au plan général que tel ou tel soit bon ou mécbant, de préférence, que si le malheur persécute la vertu et que la prospérité accompagne le crime, les choses étant égales aux vues de la Nature, il vaut infiniment mieux prendre parti pour les méchants qui prospèrent que pour les vertueux qui échouent ?

Il est donc important de prévenir ces sophismes dangereux d'une fausse philosophie ; essentiel de faire voir que les exemples de vertu malheureuse, présentés à une âme corrompue dans laquelle il reste pourtant quelques bons principes, peuvent


ramener cette âme au bien aussi sûrement que si on lui eût montré, dans cette route de la vertu, les palmes les plus brillantes et les plus flatteuses récompenses. Il est cruel sans doute d'avoir à apprendre une foule de malheurs acca- blant la femme douce et sensible qui respecte la vertu, et d'un autre côté l'affluence des pros- pérités sur ceux qui écrasent ou mortifient cette même femme.

Mais s'il naît cependant un bien du tableau de ces fatalités, aura-t-on du remords de les avoir offertes ?

Pourra-t-on être fâché d'avoir établi le fait d'où il résultera, pour le sage qui lit avec fruit la leçon si utile de la soumission aux ordres de la Providence et l'avertissement fatal que c'est sou- vent pour nous ramener à nos devoirs que le Ciel frappe à côté de nous l'être qui nous paraît avoir le mieux rempli les siens ?


Justine chez M. Dubourg

Vous me permettrez de cacher mon nom et ma naissance, madame ; sans être illustre, elle est honnête, et je n'étais pas destinée à l'humi- liation où vous me voyez réduite. Je perdis fort jeune mes parents ; je crus, avec le peu de secom qu'il- m'avaient laissés, pouvoir attendre une


k


place convenable, et, refusant toutes celles qui ne l'étaient pas, je mangeais, sans m'en aper- cevoir, à Paris, où je suis née, le peu que je pos- sédais ; plus je devenais pauvre, plus j'étais mé- prisée ; plus j'avais besoin d'appui, moin's j'es- pérais en obtenir. Mais, do toutes les duretés que j'éprouvai dans les commencements de ma mal- heureuse situation, de tous les propos horribles qui me furent tenus, je ne vous citerai que ce qui m'arriva chez M. Dubourg, un des plus riches négociants de la capitale.

La femme chez qui je logeais m'avait adressée à lui comme à quelqu'un dont la richesse et le crédit pouvaient le plus sûrement adoucir la rigueur de mon sort.

Après avoir attendu très longtemps dans l'anti- chambre, on m'introduisit. M. Dubourg, âgé de quarante-huit ans, venait de sortir du lit ; entor- tillé d'une robe de chambre qui cachait à peine son désordre, on s'apprêtait à le coiffer, il fit retirer son coiffeur et me demanda ce que je lui voulais.

— Hélas ! monsieur, lui répondis-je, toute émue et confuse, je suis une pauvre orpheline qui n'a pas encore quatorze ans et qui connaît déjà toutes les nuances de l'infortune. J'implore votre commisération ; ayez pitié de moi, je vous en conjure !

Et alors je lui détaillai tous mes maux, la dif-


fîculté de rencontrer une place, peut-être même la peine que j'éprouvais à en prendre une, n'étant pas née pour cet état ; le malheur que j'avais eu, pendant tout cela, de manger le peu que j'avais... le défaut d'ouvrage... l'espoir où j'étais qu'il me faciliterait les moyens de vivre... tout ce que dicte enfin l'éloquence du malheur, tou- jours rapide dans une âme sensible, toujours à charge à l'opulence. ..

Après m'avoir écouté avec beaucoup de dis- traction, M. Dubourg me demanda si j'avais tou- jours été sage.

— Je ne serais pas aussi pauvre, ni si embar- rassée, monsieur, si j'avais voulu cesser de l'être.

— Mais me dit à cela M. Dubourg, à quel titre voulez-vous prétendre que les gens riches vous soulagent si vous leur servez en rien ?

— Et de quel titre voulez-vous parler, mon- sieur ? répondis-je... Je ne demande pas mieux que de rendre les services que la décence et mon âge me permettront de remplir.

— Les services d'une enfant comme vous sont peu utiles dan? une maison, me répondit M. Du- bourg. Von? n'êtes ni d'âge ni de tournure à vous placer connue vous le demandez.

<( Vous feriez mieux de vous occuper à plaire

nes et de travailler à trouver quelque
qîiî eonsen >|ij dfe vous..

■ ... .... ■ . ... j,-


— 6 —

si rt à rien dans le monde ; vous auriez beau 11 é- < hir aux pieds des autels, aucun encens ne sau- rait vous nourrir.

« La chose qui flatte le moins les hommes, celle dont ils font le moins de cas, celle qu'ils mépri- sent le plus souverainement, c'est la sagesse de votre sexe. On n'estime ici-bas, mon enfant, que ce qui rapporte ou ce qui délecte ; et de quel profit peut nous être la vertu des femmes ?

« Ce sont leurs désordres qui nous servent et qui nous amusent, mais leur chasteté nous inté- resse on ne saurait moins.

« Quand les gens de notre sorte donnent, ce n'est, en un mot, que pour recevoir. Or, com- ment jamais une petite fille comme vous peut- reconnaître ce qu'on fait pour elle, si ce n'est par l'abandon le plus entier de tout ce que l'on peut exiger de son corps ?

— Oh ! monsieur, répondis-je, le cœur gros... il n'y a donc plus ni honnêteté, ni bienveillance chez les hommes ?

— Fort peu, répliqua Dubourg. On en parle tant ; comment voulez- vous qu'il y en ait ? On est revenue de cette manière d'obliger gratuite- ment les autres ; on a reconnu que les plaisirs de la charité n'étaient que la jouissance de l'or- gueil, et comme rien n'est aussi dissipé, on a vu qu'avec une enfant comme vous, par exemple, )! valait infiniment mieux retirer, pour fruit de


ses avances, tous les plaisirs que peut offrir la luxure, de préférence à ceux, très froids et très utiles, de la soulager gratuitement. La réputa- tion d'un homme libéral, charitable, généreux, ne vaut pas, même à l'instant où il en jouit le plus, le plus petit plaisir des sens.

— Oh ! monsieur, avec de pareils principes, il faut que l'infortune périsse !

— Qu'importe ? Il y a plus de sujets qu'il n'en faut en France. Pourvu que la machine ait toujours la même élasticité, que fait à l'Etat le plus ou moins d'individus qui la pressent ?

« Que fait à un père l'amour d'enfants qui le gênent ?

— Il vaudrait mieux, donc, qu'on nous ait étouffés dès le berceau ?

— Assurément ; c'est l'usage dans beaucoup de pays ; c'était la coutume des Grecs ; c'est celle des Chinois. Là, on enterre vivants les petits enfants avec leur mère décédée, et les enfants malheureux s'exposent ou se donnent la mort ! A quoi bon laisser vivre des créatures qui, ne pouvant plus compter sur les secours de leurs parents, ou parce qu'il en sont privés, ou parce qu'ils n'en sont pas reconnus, ne servent plus dès lors qu'à surcharger l'Etat d'une denrée dont il a déjà trop ?

<( Les bâtards, les orphelins, les enfants mal conformés devraient être mi a à mort dès leur


naissance (i) : les premiers et les seconds, parce que, n'ayant plus personne qui veuille ou qui puisse prendre soin d'eux, ils souillent la société d'une lie qui ne peut que lui devenir funeste un jour ; et les autres, parce qu'ils ne peuvent lui être d'aucune utilité.

« L'une et l'autre de ces cla ni à la

société comme les excroissances de chair qui se nourrissent du suc des membres sains, les dégra- dent et les affaiblissent ; ou, si vous l'aimez mieux, comme 1 ces végétaux parasites qui, se liant aux bonnes plantes, les détériorent et les rongent en s'adaptant leur semence nourricière.

« Abus criants de ces aumônes destinées à nourrir une telle écume, que ces maisons riche-


Chez ie- sauvages, les individus faillies de corps et d'esprit sont proraplemenl éliminés; el les survi- vants se font ordinairement remarquer par leur ureux étal de santé. Quant à non-;, hommes civi- lisés, nous faisons, au contraire, tous uo pour arrêter la marche de l'éliminati construisons des hôpital idiots, les infirmes et les ma- faisons des lois pour venir en aide aux . • ; nos médecins font appel à toute leur

eience pou r autant que possible la \ ie de

chacun.

On a raison de croire que la vaccine a préservé des

le < ojistitution, au- raient aulrefoi ilë.

fliséeR pon


— 9 —

ment dotées qu'on a l'extravagance de leur bâtir, comme si l'espèce des hommes était tellement rare, tellement précieuse, qu'il faille en conserver jusqu'à la plus vile portion !

« Mais laissons une politique à laquelle tu ne dois rien comprendre' mon enfant... Pour- quoi se plaindre de son sort, quand il ne lient qu'à soi d'y remédier ?

— A quel prix, juste ciel !

— A celui d'une chimère, d'une chose qui n'a de valeur que celle que ton orgueil y met.

« Au reste, continue ce barbare en se levant et en ouvrant la porte, voilà tout ce que je puis pour vous ; consentez-y ou délivrez-moi de voire présence. Je n'aime pas les mendiants...


Or, quiconque s'esl occupa de la reproduction des animaux domestiques s:\il , à n'en pas douter, combien cette reproduction perpétuelle des êtres débiles doit être nuisible à !;i race humaine.

On es! tout surpris de voir combien le manque de

ou même < ! amène rapidè-

!a dégénérescence d'une race domestique ; en

Squence, à l'exception de l'homme lui-même,

sonne n'esl assez ignorant et assez maladroit pour per-

aux débiles de se reproduire.

■ instinct tic sympathie nou s pous: ■• à secoui ir

' - i un des produits

ict que nous avons acquis dans

tincts

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IO


Mes larmes coulèrent, il me fut impossible de les retenir. Le croirez-vous, madame ? elles irri- tèrent cet homme, au lieu de l'attendrir.

Il referma la porte et, me saisissant par le collet de ma robe, il me dit avec brutalité qu'il va me faire faire de force ce que je ne veux pas lui accorder de bonne volonté.

En cet instant cruel, mon malheur me prête du courage : je me débarrasse de ses mains, et, m'échappant vers la porte, je m'élance dehors, criant :

— Homme odieux ! puisse le Ciel aussi griè- vement offensé par toi te punir comme tu Le mérite de ton exécrable endurcissement !

« Tu n'es digne ni de ces richesses dont tu


déjà indiquées, tend toujours à devenir plus et plus universelle. Nous ne saurions restreindre notre sympathie, en que l'inflexible raison nous en fît mie loi.

Le chirurgien doit se fendre inaccessible à tout sen- t de pitié au moment où il pratique une opéra- . parce qu'il sait qu'il agit pour le bien de malade ; mais si, de propos '. ii négligeait les

faibles et les infirmés, il ne pourrait i vue

qu'un avantage éventuel, au prix d'un mal présent dérable et cert Il semble, toutefois, qu'il existé un frein propagation, que les membres mal

de la si ci marient moi: tjnêrit que les

membres sains,


— II —

fais un si vil usage, ni de l'air même que tu ires dans un monde souillé par tes infâmes barbaries !

La répression diminue le bonheur social crois pas que l'espèce d'hommage que j'ai rendu à la vertu devant toi soit une preuve, ni que j'estime la vertu, ni que l'ai envie de la préférer au vice.

Xe te l'imagines pas, ma chère ; tu t'abuserais. Ceux qui, partant de ce que j'ai fait envers toi, soutiendraient, d'après ce procédé, l'importance ou la nécessité de la vertu, tomberaient dans une grande erreur, et je serais bien fâché que tu crusses que telle est ma façon de penser.

La masure qui me sert d'abri à la chasse, quand les rayons trop ardents du soîeii dardent à plomb sur mon individu, n'est assurément pas


Ce frein pourrait avoir une efficacité réelle si les is et d'es ieiit du mariage ;

nais c'est là un état de choses qu'il est plus facile de . que de réaliser. Dans ions les pays où existent des armées pei ^. la conscription enlève les plus beaux jeunes qui sont plus souvent exposés à mourir prérna- lent en < lierre, qui se laissent souvent

ier au vice, et qui, en luvent se

de bonne beure. Les hommes petits, faible institution débile

traire chez eux el ont. par conséquent, eaucoup plus de chan et de laisser

(D/VBWIïO


12


un monument inutile ; sa nécessité n'est que de circonstance, .te. m'expose à une sorte de dan- je trouve quelque chose qui m'en garantit ; je m'en sers, mais ce quelque chose est-il m utile, ou peut-il être mojniî méprisable ?

Dans une société totalement \icieuse, la vertu

rail à rien ; les nôtres n'étant pas de ce

genre, il faut absolument ou la jouer, ou s'en

servi)-, afin d'avoir moins à redouter ceux qui la

suivent.

Que personne ne l'adopte, elle deviendra inu- tile. Je n'ai donc pas tort quand je soutiens que sa nécessité n'est que d'opinion ou de circons- tance ; la vertu n'est pas une mode d'un prix incontestable, elle n'est qu'une manière de se conduit qui varie suivant chaque client et qui, par conséquence, n'a rien de réel ; cela seul en fait voir la futilité.

Il n'y a que ce qui est constant qui soit réelle- ment bon ; ce qui change perpétuellement ne saurait prétendre au caractère, de boulé.

Voilà pourquoi on a mis l'immutabilité au rang t\r> perfections de l'Eternel ; mais la vertu est absolument privée de ce caractère. Il n'est pas deux peuples sur la surface de la terre soient vertueux de la même manière ; don<\ la ver!- en de réel, rien de bon intrincèi


du pays où l'on vit, afin que ceux qui la prati- quent par goût, ou qui doivent la révérer par état, vous laissent en repos, et afin que cette vertu, respectée où vous êtes, vous garantisse, par sa prépondérance de convention, des atten- tats de ceux qui professent le vice.

Mais, une fois encore, tout cela est de circons- . et rien de toul cela n'assigne un mérite

i la vertu.

11 est telle vertu, d'ailleurs, impossible à de certains hommes ; or, comment me persuaderez- vous qu'une vertu qui combat ou qui contrarie la passion puisse se trouver dans la Nature ?

Et si elle n'y est pas, comment peut-elle être bonne ?

Assurément, ce seront, chez les hommes dont il s'agit, les vices opposés à ces vertus qui devien- dront préférables, puisque ce seront les seules modes, les seules manières d'être qui s'arrange- ront le mieux à leur physique ou à leurs organes. Il y aura donc, dans cette hypothèse, des vices très utiles ; or, comment la vertu le sera-t-elle, si vous me démontrez que ces contraires puissent l'être ?

On vous a dit cela : la vertu est utile aux autres, et en ce sens elle est bonne ; car s'il est reçu de ne rien faire que ce qui est bon aux autres, à mon tour je ne recevrai que du bien.

Ce raisonnement n'est qu'un sophisme ; pour


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le peu de bien que je reçois des autres en raison de ce qu'ils pratiquent la vertu, par l'obligation de la pratiquer à mon tour, je fais un million de sacrifices qui ne me dédommagent nullement.

Recevant moins que je ne donne, je fais donc des privations que j'endure pour être vertueux un mauvais marché ; j'éprouve beaucoup plus plus de mal des privai ions que j'endure pour- être vertueux que je ne reçois de bien de ceux qui le sont ; l'arrangement n'étant point égal, je ne dois donc pas m'y soumettre, et sûr, étant vertueux, de ne pas faire aux autres autant de bien que je recevrai de peine en me contrai- gnant à l'être, ne vaudra-t-il donc pas mieux que je renonce à leur procurer un bonheur qui doit me coûter tant de mal ?

Reste, maintenant le tort que je peux faire aux autres étant vicieux et le mal que je recevrai à mon tour si tout le monde me ressemble.

En admettant une entière circulation de vices, je risque assurément, j'en conviens ; mais le chagrin éprouvé pour ce que je risque est com- pensé par le plaisir que je fais risquer aux autres ; voilà, dès lors, l'égalité établie. Dès lors, tout le inonde est à peu près également heureux, ce qui n'est pas et rie saurait être dans une société où les uns sont bons et les autres sont méchants,

qu'il en résulte, de ce mélange, des pi perpétuels qui n'existenl point dans l'autre cas.


!, —


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Dans la société mélangée, tous les intérêts sont divers ; voilà la source d'une infinité de mal- heurs. Dans l'autre association, tous les intérêts sont égaux ; chaque individu qui la compose est doué des mêmes goûts, des mêmes penchants ; tous marchent au même but ; tous sont heureux.

Mais, vous disent les sots, le mal ne rend point heureux.

Non, quand on est convenu d'encenser le bien. Mais méprisez, avilissez ce que vous appelez le bien, vous ne reverrez plus ce que vous aviez la sottise d'appeler le mal ; et tous les hommes auront du plaisir à le commettre, non point qu'il sera permis (ce serait quelquefois une raison pour en diminuer l'attrait), mais parce que les lois ne le puniront plus, et qu'elles diminuent par la crainte qu'elles inspirent le plaisir qu'a placé la Nature au soi-disant crime.

Je suppose une société où il sera convenu que l'inceste (admettons ce délit comme un autre), que l'inceste, dis-je, soit un crime ; ceux qui s'y livreront seront malheureux, parce que l'opinion, les lois, le culte, tout viendra glacer leurs plai- sirs ; ceux qui désireront le commettre, ce mal, seront également malheureux. Ainsi, la loi qui proscrira l'inceste n'aura fait que des infortunés.

Que, dans la société voisine, l'inceste ne soit point un crime (voir civilisations chinoise et indochinoise) : ceux qui ne le désireront point


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ne seront pas malheureux, et ceux qui le désire- ront seront heureux.

Donc, la société qui aura permis cette action conviendra mieux aux hommes que celle qui aura érigé cette même action en crime.

11 en est de même de toutes les autres actions maladroitement considérées comme criminelles : en les observant sous ce point de vue, vous faites une foule de malheureux ; en les permettant, personne ne se plaint, car celui qui aime celle action quelconque s'y livre en paix, et celui qui ne s'en soucie pas reste dans une sorte d'indiffé- rence qui n'est nullement douloureuse, ou se dédommage de la lésion qu'il a pu recevoir par une foule de raisons dont il grève à son tour ceux dont il a eu à se plaindre.

Donc, tout le monde, dans une société crimi- nelle, se trouve ou très heureux, ou dans un état d'insouciance qui n'a rien de pénible ; par conséquent, rien de bon, rien de respectable, rien de fait pour rendre heureux dans ce qu'on appelle la vertu.

Que ceux qui la suivent ne s'enorgueillissent donc pas de cette sorte d'hommage que le genre de constitution de nos sociétés nous force à lui rendre : c'est une affaire purement de circons- tances, de conventions ; mais, dans le fait, ce culte est chimérique, et la vertu qui l'obtient un instant n'en est pas pour cela la plus belle.


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LE PREMIER MINISTRE

Monsieur de Saint-Fond

M. de Saint-Fond est homme d'esprit, de carac- tère bien faux, d'environ quarante ans, bien traître, bien libertin, bifcn féroce, avec infini- ment d'orgueil, possédant l'art de voler la France au suprême degré et celui de distribuer des lettres de cachet, au seul désir de ses passions ; plus de vingt mille individus de tout sexe et de tout âge gémissaient sous ses ordres dans les diffé- rentes forteresses royales dont la France est héris- sée, et, parmi ces vingt mille êtres, me disait-il plaisamment, je jure qu'il n'en est pas an seul de coupable.

D'Albert, premier président Au Parlement de . riait également du souper ; ce ne fut qu'en entrant que de Noirceul m'en prévint :

— Tu dois, me dit-il, les mêmes égards à ce personnage qu'à l'autre ; il n'y a pas douze heures qu'il était maître de ta vie ; tu sers de dédommagement aux égards qu'il a eus pour toi ; pouvais-je mieux m 'acquitter ?

Quatre filles charmantes composaient, avec Mme de Noirceul et moi, le sérail offert à ces messieurs.

Ces créatures, pucelles encore, étaient du choix de la Duvergier.

On nommait Aglaé la plus jeune, blonde âgée


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de treize ans, et d'une figure enchanteresse. Lo- lotte suivait ; c'était la physionomie de Flore elle-même : on ne vit jamais tant de fraîcheur ; a peine avait-elle quinze ans. Henriette en avait seize et réunissait à elle seule plus d'attraits que poètes en prêtèrent jamais aux trois Grâces.

Lindane avait dix-sept ans ; elle était faite à peindre : des yeux d'une singulière expression et le plus beau corps qu'il fût possible ri i voir ici-bas.

Six jeunes garçons nous servaient, nus et coif- fés en femmes ; chacun des libertins qui com- posaient le souper avait, ainsi que vous le voyez, par cet arrangement, quatre objets de luxure à ses ordres : deux filles et deux garçons.

Comme aucun de ces individus n'était encore dans le salon lorsque j'y parus, d'Albert et de Saint-Fond, après m'avoir embrassée, cajolée, louée pendant un quart d'heure, me plaisan- tèrent sur mon aventure (i).

— C'est une charmante petite scélérate, dit de Noirceul, et qui, par la soumission la plus aveugle aux passions de ses juges, vient les re- mercier de la vie qu'elle leur doit.

— J'aurais été bien fâché de la lui ôter, dit d'Albert : ce n'est pas pour rien que Thémis porte un bandeau, et vous m'avouerez que quand


(r) Aventure qu'il n'esl pas possible ici de préciser.


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il s'agit de juger de jolis petits êtres comme ceux-là, nous devons toujours l'avoir sur les yeux !

— Je lui promets pour sa vie l'impunité la plus entière, dit Saint-Fond ; elle peut faire ab- solument tout ce qu'elle voudra ; je lui pro- mets de la protéger dans tous ses écarts et de la venger, comme elle l'exigera, de tous ceux qui voudraient troubler ses plaisirs, quelque crimi- nels qu'ils puissent être.

— Je lui en jure autant, dit d'Albert ; je lui promets, de plus, de lui faire une lettre du chan- celier, qui la mettra à l'abri de toutes les pour- suites qui, par quelque tribunal que ce soit, pourraient être intentées contre elle dans toute l'étendue de la France. Mais, Saint-Fond, j'exige quelque chose de plus ; tout ce que nous faisons ici n'est qu'absoudre le crime ; il faut l'encou- rager. Je te demande donc des brevets de pen- sion pour elle, depuis deux mille livres jusqu'à dngt-^inq, en raison des crimes qu'elle com- mett r? .

— 'uliette, dit Noirceul, voilà, je vrois, de pûissariV motifs, et pour donner à tes passions toute l'extension qu'elles peuvent avoir, et pour ne nous cacher aucun de tes écarts.

« Mais, il faut convenir, messieurs, poursuivit aussitôt mon amant sans me donner le temps de répondre, vous faites là un merveilleux usage


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de l'autorité qui vous est confiée par les lois et par le monarque...

— Le meilleur possible, répondit Saint-Fond ; on n'agit jamais mieux que lorsqu'on travaille. pour soi : cette autorité nous est donnée par les hommes pour fairr; le bonheur des hommes ; n'y travaillons-nous pas en faisant le nôtre c\ celui de cette aimable enfant ?

— En nous revêtant de cette autorité, dit d'Al- bert, on ne nous a pas dit : « Vous ferez le bonheur de telle ou telle classe d'individus, abs- tractivement de tel ou tel cas. » On nous a dit simplement : « Les pouvoirs que nous vous trans- mettons sont pour faire la félicité des hommes, m Or, il est impossible de rendre tout le monde heureux également ; donc, dès qu'il en est parmi nous quelques-uns de contents, notre but est rempli.

— Mais, dit Noirceul, qui ne controversait que pour faire briller ses amis, vous travaillez pour- tant au malheur général, en sauvant le counable et en perdant l'innocent.

— Voilà ce que je nie, dit Saint-Fond : le vice fait beaucoup plus d'heureux que la T ertu ; je sers donc bien mieux l'intérêt général en pro- tégeant le vice qu'en récompensant la vertu.

— Voilà des systèmes bien dignes de coquins comme nous ! dit Noirceul.

— Mon ami, dit d'Albert, puisqu'ils font aussi


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Notre joie, ne vous en plaignez point.

— Vous avez raison, dit Noirceul. Il me sem- ble, au surplus, que nous devrions un peu plus agir que jaser.

« Voulez-vous Juliette seule, avant que l'on n'arrive ?

— Non, pas moi, dit d'Albert... Je ne suis nullement curieux des tête-à-tête... J'y suis... d'un gauche... L'extrême besoin que j'ai d'être toujours aidé dans ces choses-là fait que j'aime aulant patienter jusqu'à ce que tout le monde y soit.

— Je ne pense pas tout à fait ainsi, dit Saint- Fond, et je vais entretenir un instant Juliette au fond de ce boudoir...

A peine y fûmes-nous que Saint-Fond m'en- gagea à me mettre nue. Pendant que j'obéissais :

— On m'a assuré, me dit-il, que vous seriez d'Une complaisance aveugle à mes fantaisies ; elles me répugnent un peu, je le sais, mais je compte sur votre reconnaissance ; vous savez ce que j'ai fait pour vous : je ferai plus encore ; vous êtes jalouse, vindicative ; eh bien ! pour- suivit-il en me remettant six lettres de cachet en blanc, qu'il ne s'agissait plus que de remplir pour faire perdre la liberté à qui bon me semble- rait, prenez de plus ce diamant de mille louis, pour payer le plaisir que j'ai de faire ûtrafiajs


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sance avec vous ce soir...

« Voilà pour vous amuser ; prenez, prenez... tout cela ne me coûte rien, c'est l'argent de l'Etat.

— En vérité, monseigneur, je suis confuse de vos bontés...

— Oh ! je n'en resterai pas là. Je veux que vous veniez me voir cliez moi ; j'ai besoin d'une femme qui, comme vous, soit capable de tout ; je veux vous charger de la partie des poisons.

— Quoi ! monseigneur, vous vous servez de telles choses ?

— 11 îe faut bien ; il y a, partout, tant de gens dont nous sommes obligés de nous défaire ! Point de scrupules, je me flatte ?

— Pas le moindre, monseigneur... Je vous jure qu'il n'est aucun crime dans le monde capable de m'effrayer, et qu'il n'en est pas un seul que je ne commette avee délices...

— Ah ! baisez-moi. vous êtes charmante, dit Saint-Fond. Eh bien, au moyen de ce que vous me promettez là, je vous renouvelle le serment que je vous ai fait de vous procurer l'impunité la plus entière.

« Faites pour votre compte tout ce que bon vous semblera : je vous proteste d evous retirer de toutes les mauvaises aventures qui pourraient vous semblera ; je vous proteste de vous retirer suite, que vous êtes capable d'exercer l'emploi


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que je vous destine ; tenez, me dit-il en me remettant une petite boîte, je placerai ce soir, auprès de vous, au souper, celle des filles sur laquelle il m'aura plu de faire tomber l'épreuve ; caressez-ia bien — la feinte amoureuse est le man- teau du crime — trompez-la le plus adroitement possible, et dès que vous le pourrez, jetez cette poudre, au dessert, dans les verres de vin qui lui seront servis ; l'effet ne sera pas long. Je recon- naîtrai là si vous êtes digne de moi, et, dans ce cas, votre place vous attend.

— Oh ! monseigneur, répondis-je avec cha- leur, je suis à vos ordres. Donnez, donnez, vous allez voir comme je vais me conduire mainte- nant...

Juliette cl le Ministre coneluent un pacte

Cependant, d'après les lettres que de Noirceûl reçut du ministre, j'eus l'ordre de me monter une maison splendide ; ayant reçu l'argent néces- saire à l'exécution de ce projet, je louai tout de suite un magnifique hôtel, rue du Faubourg- Saint-Honoré ; j'achetai quatre chevaux, deux voitures charmantes ; je pris trois laquais d'une taille haute, majestueux et d'une figure enchan- teresse, un cuisinier, deux aides, une femme de charge, une lectrice, trois femmes de chambre, un coiffeur, deux filles de service en sous-ordre et deux cochers ; des meubles délicieux ornèrent ma maison, et, le ministre étant de retour, je


fus me présenter aussitôt chez lui.

Je venais d'atteindre ma dix-septième année, et je puis dire qu'il était, à Paris, bien peu de femmes plus jolies que moi ; j'étais mise comme la déesse même des Amours ; il était impossible de réunir plus de luxe et plus d'art ; cent mille francs n'eussent pas payé les parures dont j'ayaig orné mes attraits et je portais pour cent mille écus de bijoux ou de diamants.

Toutes les portes s'ouvrirent à mon aspect. Le ministre m'attendait, seul.

Je débutai par les félicitations les plus cères des grâces qu'il venait d'obtenir et lui demandai la permission de baiser les nouvelles marques de sa nouvelle dignité.

îl y consentit, pourvu que je ne remplis?- soin à genoux ; pénétrée de sa morgue erotique et loin de le heurter, je fis ce qu'il désirait.

C'est par des bassesses que le courtisan achète le droit d'être insolent avec les autres.

— Vous me voyez, me dit-il, madame, au milieu de ma gloire. Le roi m'a comblé, et j'ose dire que j'ai mérité ses dons ; jamais mon crédit ne fut plus considérable ; si je fais refluer sur vous une partie de ses grâces, il est inutile de vous dire à quelles conditions. Après ce que nous avons fait ensemble, je crois pouvoir être sûr de vous, ma plus entière confiance vous est acquise. Mais avant que j'entre, madame, dans aucun




détail, jetez les yeux sur ces deux clés ; celle-ci est celle des trésors qui vont vous couvrir si je suis bien servi par vous ; celle-là est celle de la Bastille ; une éternelle prison vous y est préparée si vous manquez de discrétion ou de la plus absolue des obéissances.

— Entre de telles menaces et un pareil espoir, vous n'imaginez pas, sans doute, que je balance, dis-je à Saint-Fond. Confiez-vous donc à votre plus soumise esclave, et soyez parfaitement sûr d'elle.

— Deux soins bien importants vont être remis dans vos mains, madame ; asseyez-vous et écou- tez-moi.

Et, comme j'allais prendre un fauteuil par inadvertance, Saint-Fond me fit signe de me pla- ur ces genoux. Je me confondis en excuses, et voici comme il me parla :

— Le poste que j'occupe, et dans lequel je veux me soutenir longtemps, m'oblige à sacri- fier un nombre infini de victimes : voici une cassette composée de différents poisons ; vous les emploierez d'après les ordres que vous recevrez de moi ; à ceux qui me desservent sont résrvés les plus cruels, les plus prompts pour ceux dont l'existence me nuit au point que je n'ai pas un instant, à perdre pour les enlever de ce monde ; ces derniers, que vous voyez sous l'étiquette de poisons lents, seront pour ceux dont, par de


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puissantes raisons politiques, je dois prolonger l'existence afin d'éloigner de moi les soupçons.

« Toutes ces expéditions, suivant l'exigence des cas, se feront tantôt chez vous, tantôt chez moi, et quelquefois en province ou dans les pays les plus éloignés.

« Passons maintenant à la seconde partie de vos soins ; celle-là, sans doute, deviendra la plus pénible pour vous, mais en même temps la plus lucrative,

« Doué d'une imagination 1res ardente, blasé depuis longtemps sur les plaisirs ordinaires, ayant reçu de la nature un tempérament de feu, dos goûts très cruels, et de la fortune tout ce qu'il faut pour satisfaire à ces furieuses passions, je ferai chez vous, soit avec Noireeul, soit avec quelques autres amis, deux soupers libertins par semaine, dans lesquels il faut absolument qu'il s'immole au moins trois victimes. En retranchant de l'année le temps des voyages, où vous me suivrez seulement sans qu'il soit question de ces orgies, vous voyez que cela fait environ deux cents filles dont la recherche ne regarde que vous ; mais il y a des clauses difficiles au choix de ces victimes.

« Il faut d'abord, Juliette, que la plus laide soit au moins aussi belle que vous ; il ne faut jamais qu'elle soit au-dessous de dix ans, ni au-dessus de seize ; il faut qu'elles soient vierges


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et de la meilleure naissance... toutes titrées ou au moins d'une grande richesse...

— Oh ! monseigneur, et vous immolerez tout cela ?

— Assurément, madame ! Le meurtre est la plus douce de mes voluptés ; j'aime le sang avec fureur ; c'est ma plus chère passion, et il est dans mes principes qu'il faut les satisfaire toutes, à quelque prix que ce puisse être.

— Monseigneur, dis-je, en voyant que Saint-. Fond attendait ma réponse, ce que je vous ai fait .voir de mon caractère vous prouve, je crois, suf- fisamment qu'il est impossible que je vous trahisse ; mon intérêt et mes goûts vous en ré- pondent...

— Oui, monseigneur, j'ai reçu de la nature les mêmes passions que vous... les mêmes fan- taisies, et celui qui se prête à tout cela, par amour de la chose même, sert assurément beau- coup mieux que celui qui n'obéirait que par pure complaisance ; le lien de l'amitié, la res- semblance des goûts, voilà, soyez-en sûr, les nœuds qui captivent le plus sûrement une femme telle que moi.

— Oh ! pour celui de l'amitié, ne m'en parlez Juliette, reprit vivement le ministre.' Je n'ai

pas plus de foi à ces sentiments-là qu'à ceux de l'amour ; tout ce qui vient du cœur est faux ; je ne crois qu'aux sens, moi ; je ne crois qu'aux


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habitudes charnelles... qu'à Tégoïsme, qu'à 1 in- térêt ; oui, l'intérêt sera toujours, de tous les liens, celui auquel je croirai le plus ; je veux donc que le vôtre se trouve infiniment flatte, prodigieusement caressé, dans les arrangements que je vais prendre avec vous ; que le goût vienne ensuite cimenter l'intérêt.

« Calculons donc votre petite fortune, ma- dame. Noirceul vous avait fait dix mille livres de rente, je vous en avais donné trois, vous en aVie2 douze ; voilà vingt-cinq, et vingt-cinq dont voici le contrat font cinquante mille livres.

« Parlons maintenant du casuel...

J'allai me jeter aux pieds du ministre pour lui rendre grâces de cette immense faveur ; il ne s;, opposa point et s'y prêta de bonne grâce. et, m 'ayant fait signe de m'asseoir :

— Vous imaginez bien, Juliette, que ce n'est pas avec un aussi mince revenu que vous pouvez me donner à souper deux fois la semaine, ni tenir la maison que je vous ai commandé de prendre ; je vous donne donc un million par an pour ces soupers, mais souvenez-vous qu'ils doi- vent être d'une magnificence incroyable ; j'y veux toujours les mets les plus exquis et épicés, les crus les plus fameux, les gibiers les plus rares et les fruits les plus extraordinaires : il faut que l'immensité accompagne la délicatesse, et, fussions-nous tête à tête, cinquante plats ne


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seraient pas trop suffisants. Les victimes vous seront payées vingt mille livres pièce ; ce n'est pas trop, à cause des qualités que je leur désiré".

<( Vous aurez de plus trente mille francs pour ne victime ministérielle immolée par vos is ; i! y en a bien cinquante par an ; cet article s'élève donc à un million cinq cent mille francs par an, auxquels je joins vingt mille fiancs par mois pour vos appointements ; autant que je puisse voir, madame, cela vous met à la tête de six millions sept cent quatre-vingt-dix mille francs ; nous y ajouterons deux cent dix mille livres pour vos menus plaisirs, afin de vous composer une somme de sept millions par an, dont cinquante mille francs passés par acte cl qui ne peuvent vous fuir. Etes-vous contente, Julie

îïorçant ici de cacher ma joie, afin de ser- vir encore mieux l'avarice dont j'étais dévorée, je représentai au ministre que les devoirs qu'il m'imposait étaient au moins aussi onéreux qu'étaient considérables les fonds dont il m'ac- cordait la disposition, qu'avec l'envie de le bien servir je ne ménagerais rien, et que je voyais qu'il serait fort possible que les dépenses énormes que j'allais être obligée de faire excédassent de beaucoup les recettes, et qu'au surplus...

— Non, voilà comme je veux qu'on me parle ! dit le ministre. Vous m'avez montré de Tinté-


So


rêt, Juliette : c'est ce que je veux ; je suis sûr d'être bien servi, maintenant ; n'épargnez rien, madame, et vous recevrez dix millions par an ; aucun de ces suppléments ne m'effraye ; je sais où les prendre sans toucher h mes revenus.

Il serait bien fou. l'homme d'Etat qui ne ferait pas payer ses plaisirs par l'Etat !

Et que nous importe la misère des peuples, pourvu que nos passions soient satisfaites !

Si je croyais que l'or put couler dans leurs veines, je les ferais saigner tous les uns après les autres, pour me gorger de leur substance.

— Homme adorable ! m'écriai-je, vos prin- cipes me tournent la tête ; je vous ai laissé voir de l'intérêt, croyez donc au goût de ma passion amoureuse, maintenant ; et persuadez-vous, je vous en conjure, que ce sera mille fois plus par idolâtrie que. par aucun autre motif que je vous servirai avec tant de zèle.

— Je' vous crois, dit Saint-Fond, je vous ai follement vu à l'épreuve. Eh ! comment n'aime- riez, vous pas mes passions ?

(c Ce sont les plus délicieuses qui puissent naître au cœur de l'homme ; et celui qui peut dire : Aucun préjugé ne m'arrête, je les ai tous vaincus, et voici d'un côté le crédit qui légitime toutes mes actions, et de l'autre les richesses nécessaires à les assaisonner de tous les crimes... celui-là, dis-je, n'en doutez pas Juliette, est le


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plus heureux de tous les êtres...

« Ah ! ceci me fait souvenir, madame, du brevet d'impunité que vous avait promis d' Al- bert . la dernière fois que nous soupâmes en- semble. Le voilà, mais c'est à moi que le chan- celier vient de l'accorder ce matin, et non à d'Albert, qui, selon son usage, vous avait tota- lement oubliée.

La manière dont toutes mes passions se trou- vaient satisfaites dans cette multitude d'événe- ments heureux me tenait dans une espèce d'ivresse, d'enchantement, d'où résultait une sorte de stupidité qui rn'ôtait jusqu'à l'usage de la parole.

Saint-Fond me sortit de cet engourdissement en m'attirant à lui...

— Dans combien de temps commencerons- nous, Juliette ? me dit-il, en baisant ma bouche.

— Monseigneur, lui dis- je, il me faut bien au moins trois semaines pour pour préparer tous les différents services que Votre Grandeur exige de moi.

— Je vous les accorde, Juliette ; c'est aujour- d'hui le premier du mois, je soupe chez vous le vingt-deux.

— Monseigneur, lui dis-je, en m 'avouant vos goûts, vous m'avez donner quelque droit à vous confier les miens ; vous m'avez reconnu ceux du meurtre, j'ai ceux du vol et de la vengeance ;


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je satisferai les premiers avec vous, le brevev que vous venez de me donner m 'assurant l'im- punité du vol ; fournissez-moi les moyens de la vengeance.

— Suivez-moi, répondit Saint-Fond.

us passâmes chez un commis d'adminis- tration.

— Monsieur, lui dit le ministre, examinez bien cette jeune femme ; je vous ordonne de lui signer tuotes les lettres de cachet qu'elle vous deman- dera, pour n'importe quelle raison.

Et, repassant dans le cabinet où nous étions :

— Voilà, poursuivit le ministre, un point, ac- cordé ; la lettre que je Vous ai donnée remplit l'autre. Tranchez, coupez, déchirez ; je vous livre la France entière, et, quel que soit le crime que vous commettiez, son étendue, sa gravité, je vous réponds qu'il ne vous arrivera jamais rien.

« Je vois plus loin et vous accorde, ainsi que je vous Fai dit, trente mille livres de gratifica- tion pour chacun des crimes que vous commet- trez pour votre propre compte.

Je renonce à vous dire, mes amis, ce que toutes ces promesses, toutes ces conventions me firent éprouver.

O ciel ! me dis-je, avec le dérèglement d'ima- gination que j'ai reçu de la nature, mo yoilà donc, d'un côté, assez riche pour satisfaire à



nue et coiffé&fcn femmee


— S4 —

foules mes fantaisies, de l'autre, avec assez de fortune pour être certain de l'impunité de toutes ■ non, il n'est point de jouissances intérieures pa- reilles à celles-là : aucune lubricité ne fait éprou- ver à l'âme un chatouillement plus excessif.

— Il faut sceller le marché, madame, me dit alors le ministre. Voici d'abord le pot-de-vin, coniinua-t-il en me faisant présent d'une cassette où il y avait cinq mille louis en or, et pour le double de pierreries et de magnifiques bijoux.

« Noubliez pas de faire emporter cela, avec la boîte de poisons.

M'attirant alors dans un cabinet secret où le faste le plus opulent se joignait au goût le plus recherché :

— Ici, me dit Saint-Fond, vous ne serez plus qu'une admirable putain ; hors de là, une des plus grandes dames du royaume de France.

— Partout, partout, je serai votre esclave^ monseigneur ; partout votre humble et douce admiratrice et l'âme damnée de vos plus délicats plaisirs.

Une victime du Premier Ministre Nous en étions là lorsqu'une vieille pauvresse nous aborda pour nous demander l'aumône.

— Comment se fait-il, dit Saint-Fond, surpris, qu'on ait laissé entrer cette pauvresse ?

Et le ministre, me voyant sourire, enienditt aussitôt la plaisanterie...


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— Ali ! friponne ! me dit-il... c'est délicieux !

— Eh bien ! que voulez-vous ? continua-i-il, en approchant cette vieille,

— Hélai ! quelques efearités, monseigneur. mdit l'infortunée. Venez, venez voir ma mi-

sère.

El elle le conduisit dons une mauvaise petite bicoque, éclairée d'un quisaquet fumeux qui pen- dait au plafond, et dans laquelle deux enfants, l'un mâle, l'autre femelle, de $i% à huit ans au plus, reposaient sur un peu de paille njoisie,

— Vous voyez cette pauvre famille, nous dit l;i pauvresse..- 11 y a trois jours que je n'ai eu un morceau de pain à leur donner ; daignez, vous que l'on dit si riche, me mettre è même de soutenir leur triste vie...

— Ah ; monseigneur, qui que vous soyez, eh bien, connaissez-vous M. de Saint-Fond ?

— Oui, répondit le ministre.

— Eh bien, vous voyez son ouvrage ; il a fait i'i<! enfermer mon mari ; il nous a pris le bien que nous possédions ; tel est l'état cruel où il nous a réduit sans rémission.

El voilà, mes amis, le grand mérite que j'avais h cette .•cène : c'est que tout cela était exacte- ment vrai ; j'avais découvert ces tristes et mi- nables victimes de l'injustice et de la rapacité nnt-Fond, et je les lui offrais généreusement pour éveiller réellement sa méchanceté.


36


— Ah 1 gueuse 1 s'écria le ministre en fixant cette femme ; oui, oui, je te connais, et tu dois me reconnaître aussi...

<( Oh 1 Juliette, vous tenez, par cette adroite scène, mon âme dans un état...

« Eh bien ! qu'avez-vous à me reprocher ?

« J'ai fait enfermer votre époux innocent, cela est vrai ; j'ai fait mieux encore, car il n'existe plus...

« Vous m'avez échappé, je voulais vous traiter de même.

— Quel mal avions-nous donc commis ?

— Celui d'avoir un bien à ma porte, que vous ne vouliez pas me vendre !

« En vous accablant, je l'ai eu... <( Vous mourrez de faim... « Que cela me fait-il ?

— El ces malheureux enfants ? reprit doulou- reusement la pauvresse...

— Il y en a dix millions de trop en France, et c'est rendre un fier service à la collectivité que d'élaguer tout cela.

Le système politique de Saint-Fond

— Apprends, Juliette, qu'il est de la politique de tous ceux qui mènent un gouvernement d'en- tretenir dans les citoyens le plus extrême désir de corruption ; tant que le sujet se gangrène et s'affaiblit dans les délices de la débauche, il ne sent pas le poids de ses fers ; on peut l'en acca




bler sans qu'il s'en doute.

« La véritable politique d'un Etat est donc de centupler tous les moyens possibles de la corrup- tion d'un sujet.

« Beaucoup de spectacles, un grand luxe, une immensité de cabarets... des bordels... une am- nistie générale pour tous les crimes de débau- che ; les voilà, les moyens qui assouplissent les hommes.

« O vous qui voulez régner sur eux, redoutez la vertu dans vos empires ; vos peuples règne- sont quand elle s'y éclairera, et vos trônes, qui ne sont étayés que sur le vice, seront bientôt renversés ; le réveil de l'homme libre sera cruel pour les despotes !

<c Quand les vices n'amuseront plus ses loi- sirs, il voudra dominer comme vous.

— Et quels sont, disje, les règlements que vous proposez ?

— C'est par les modes que je veux d'abord travailler l'opinion publique ; tu connais l'in- fluence qu'elles ont sur les Français...

« i° J'établis des costumes d'hommes et de femmes qui laisse presque totalement découvertes toutes les parties de la lubricité, les jambt et les fesses surtout (i).


Sans doute est-ce dans Juliette que Mme Tallien puisa l'idée de ces robes fendues et taillées court aux- (jfuelles on essaya de redonr.pr une vogue récemment.


38


« 2° Il y aura des. spectacles à l'iiïstar des Jeux de Flore, à Rome, où les jeunes garçons et les jeunes filles danseront nus.

« 3° Les principes de la simple nature y rempla- eeront ceux de la morale et de la religion dans les écoles publiques ; tout enfant de quinze ans, de l'un ou l'autre se&é, qui né pourra p*às prouver Un amant, sera flétri, aééhrJndfë dans l'opinion publique et déclaré incapable, si c'est une iille. dVhe junriér. et si c'est lui gàrçttëi, d'occuper aucune place.

« À défaut d'un aniaiil, la jeune personne de l'un ou l'autre sexe sera du moins obligée à four- nir Un certificat qui prouve qu'elle est prostituée ou qu'elle ne possède plus ses premier.

■< .1° La religion chrétienne sera sévèrement bannie du gouvernement ; il n'y sera, au grand jamais., célèbre a autre fête que celles du liberti- nage, et les haines religieuses existeront malgré cela ; j'en aurai besoin pour contenu' le peuple, je a ieus de te le protli eT...

« Qu'importe l'objet des cuite: potfHu >■ y ait de? pn'ii'-- ' Je [piàcetaj au il bien le poi- Éfîié.fd de 'a siif dan. \t

fàûts à'- ' , chui que dàiis telles dès Ërifânts de Marit :

« 5° L( i -._■'. \ ra tenu ôdi.

îaiis iiiî< -ition et Urj ._ i qu ;

le mettront hors d'état d'attenter jamais à la


- 5.j -

domination, ni à l' envahissement et à la dégra- dation des propriétés du riche : lié à la glèbe comme autrefois, il fera partie de cette propriété du doublement riche et éprouvera, comme elle, t ou les les différentes mutations.

« Les peines ne porteront que sur lui seul et S 'imposeront pour les fautes les plus légères...

« Son propriétaire aura sur lui et sa famille les droits de vie et de mort, et jamais ses plaintes ou ses récriminations ne seront écoutées ; il n'y aura jamais d'écoles gratuites pour lui : on n'a pas besoin de science pour labourer la terre ; le bandeau de l'ignorance est fait pour les yeux du travailleur ; on ne l'en arrachera jamais sans danger ; le premier individu, de quelque classe qu'il puisse être, qui chercherait à exalter un peuple ou à lui conseiller de briser ses fers, sor?. jeté à des tigres affamés, pour être dévoré tout vivant.

« G II sera ouvert, dans tôtitës les villes du gouvernement, un certain nombre de maisons publiques des deux sexes, proportionnellement à la population de ces Ailles, dans la graduation d une de Ces maisons de l'un et de l'autre sexe par IJlUJë habitants ; chàéUnç de cëé nuiooio contiendra de Si . â Itois cenL Sujets q\ entreront à treize ans pour n'en sortir qu : à vingt- cinq.

« Ces établissements seront subventionnés par


— fo- ie gouvernement ; lés seuls individus de classe libre auront le droit d'y entrer et d'y faire on ne peut plus librement tout ce que bon leur sem- blera.

c 7 Tout ce qui s'appelle crime de libertinage, tel que le crime passionnel, l'inceste, le viol, la sodomie, la philopédic, l'adultère, ne sera jamais puni que dans les castes esclaves (tels les parias de l'Indoustanie).

« 8° Il sera accordé des prix aux plus célèbres des courtisanes des maisons de débauche, de même qu'aux jeunes éphèbes de ces établisse- ments qui se seront fait une réputation dans l'art de donner du plaisir aux chalands.

« On accordera de même des récompenses à tout auteur de livres cyniques, à tout traducteur d'érotologie, à tout libertin reconnu pour être prof es dans cet ordre (tu quoque pinxit).

« 9 La classe des hommes dans l'esclavage existera comme autrefois celle des Ilotes à Lacé- démone.

« N'y ayant aucune espèce de différence entre l'homme esclave et la bête, pourquoi punirait- on le meurtrier de l'un plus que celui de l'autre P

— Monscigueur, lui dis-je, ceci mérite, je crois, quelque légère explication.

« Je voudrais que vous me prouvassiez qu'il n'existe aucune différence entre l'homme soi- disant esclave et la bête...


— kl —

— ■ Jette les yeux sur les ouvrages de la Nature, me répondit ce philosophe amer, et considère toi-même l'extrême différence que sa main a mise dans la formation des hommes dés dans la •première classe ou nés dans la seconde ; sois impartiale et décide...

« Ont-ils la même voix, le même accent de supériorité, la même marche altière, les mêmes 'goûts délicats, j'ose dire les mêmes besoins ?

« Inutilement me dira-t-on que le luxe et l'édu- cation ont établi ces différences, et que l'un et l'autre de ces individus, pris dans l'état de na- ture, se ressemblent absolument dès l'enfance.

(( Je nie le fait, et c'est pour l'avoir bien remarquer moi-même, pour l'avoir fait remar- quer par d'habiles anatomistes, que j'affirme qu'il n'y a aucune similitude dans les différentes conformations de l'un ou de l'autre de ces en- fants.

« Abandonnez-les tous les deux, et vous verrez que celui de la première classe manifestera des goûts et des intentions bien autres que tout ce que vous démontrera l'enfant de la seconde : vous reconnaîtrez des sentiments, des dispositions bien différents dans l'un et dans l'autre.

« Que je fasse la même étude, maintenant, sur l'animal qui ressemble le plus à l'homme, tel que le singe des bois ; que je compare, dîs-je, cet animal à l'individu pris dans la caste esclave,


r


qfctfe de rapprochements n'y trouverai-je pas ?

« L'homme du peuple n'est que l'espèce qui forme le premier échelon après le singe des bois, et la distance de ce singe à lui est absolument comme celle de lui à l'individu de la première - caste.

« Et pourquoi donc lu Nature, qui observe tdtlfes ces graduations avec tant de rigueur dans tous les autres ouvrages, les aurait-elle néglu dans celle-ci ?

'» lotîtes les plantes se rcssembicnl-eli'

« Tous les animaux sont-ils de la même figure et de la même force ?

< < )si ;v/.-vous comparer l'arbuste au majes- tueux peuplier, le roquet affreux au lin danois, le petit cheval corsico au fougueux étalon des montagnes d'Andalousie ?

« Voilà donc,, dan? i:s même:- clôéêeê, des dif- férences essentielles ; et pourquoi donc ne vou- driez-vous pas qu'elles existàsseïïl dé dans

celle- des hommeç ?

" Oserez-voUs rapprocher Voltaire de FréFOD, et !'■ maie gt\ h du débile Chinois P

« Né douter donc pku, Juliette, d

. et puiscfti'eUeè e&îsteri' •■>■ balançons £àa

': i: : f : I itfcfe

a êiôfl tèuiu nêui laite riaîlfë âtttts là pfrêfiàj

de ces classes d'hommes, c'est pour jouir à notre

gré du plaisir d'enchaîner l'autre et de la faire


despotiqueiuent servir à toutes nus passions et à lotis Htfs besoin?.

— Embrassez-moi, mon cher ami, lui dis-je, en rtiê jetant dans les bras d'un homme dont [es prïîteîpes me tournaient la tête... Tu es un Dieu pour moi, et c'est à tes pieds que je veux

tnâ a iè.

Sur hi Rëlïtfiàn

— Quel tort, dit ftoircetlî, la religion a l'ait à l'univers !

— Je la regarde, dis-je, comftté! le iléau le plus dangereux de l'humanité ; celui qui le pre- mier put en parler aux hommes dut être certai- nement son plus grand ennemi ; le plus enrayant des supplices eût encore été beaucoup trop doux pour lui.

— On ne sent pas assez, dit Beïmer, la dure nécessité de la détruire, de l'extirper de notre patrie.

— ( ra fort difficile, dil Pfoircéul ; il n'y a a quoi l'homme tieûfte comme aux prin- cipes dé àoil enfattee.

■ in jour, peùl par' un enthousiasme de

tîés qu^ cê'tht de fa religion, en culbutée le: idoles grah- uîcnles :...

i labj --- timide il e:__._-

au bout de quelqu, ternes k jnsemeni d_ . ■ îts et lès reédifera fe*é*U<5f avec mille fois


— u —

plus de faveurs.

« Non, non, jamais vous ne verrez la philoso- phie dans le peuple ; ses organes épais ne s'amol- liront pas sous le flambeau de cette déesse ; l'au- torité sacerdotale, affaiblie peut-être ne se réta- baira qu'avec plus de violence, et c'est jusqu'à la fin des siècles que vous verrez la superstition nous abreuver de ses venins.

— Cette prédiction est horrible !

— Elle est vraie.

— Le moyen de s'y opposer P

— Le voici, dit le comte ; il est violent sans doute, mais il est sûr.

« Il faut arrêter et massacrer tous les prêtres en un seul jour, traiter de même tous leurs adhé- rents, détruire à la même minute tout ce qui rappelle, et jusqu'au moindre vestige, la reli- gion catholique ; proclamer des systèmes d'athé- isme, confier dans l'instant l'éducation de la jeu- nesse à des philosophes, multiplier, donner, ré- pandre, afficher des écrits qui propagent l'incré- dulité et porter sévèrement, pendant un demi- siècle, la peine de mort contre tout individu qui essaierait de rétablir la chimère abolie.

— Mais, osons-nous dire, nu fait des prosélytes avec la sévérité ; l'intolérance est If flambeau des martyrs,

— Cette objection est absurde ; ce qu'on me dit là n'est arrivé que parce que l'on a v^ trop


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de mollesse et de douceur, au contraire, dans le procédé : on a tâtonné l'opération, et jamais on n'a été au but.

« Ce n'est pas une des têtes de l'hydre qu'il faut couper, c'est le monstre entier qu'il faut étouffer.

« Le martyr d'une opinion voit la mort avec un certain courage, parce que cette force lui est inspirée par celui qui le précède ; massacrez tout en un seul jour, que rien ne reste, et vous n'au- rez plus à ce moment ni sectateurs ni martyrs.

— Cette opération n'est pas aisée, dit Clair- ville.

— Infiniment plus qu'on ne se l'imagine, répondit Belmor, et je me charge de l'exécution, froidement, avec vingt-cinq hommes, si le gou- vernement veut bien me les confier.

« Il ne faut à cela que de la politique, du secret, de la fermeté surtout : le tout sans mol- lesse et point de pitié !

« Vous craignez les martyrs ? Vous en aurez tant qu'il restera un sectateur à l'abominable Dieu des Chrétiens.

— Mais, dis-je, il faudra donc détruire les deux tiers de la France ?

— Pas môme un, dit Belmor ; mais, à suppo- ser que la destruction nécessaire fût aussi grande que vous le dites, ne vaudrait-il pas cent fois mieux que cette belle partie de l'Europe ne fût


— 46 —

habitée que par deux millions d'honnêtes gens que par vingt-cinq millions de coquins ?

« Cependant, je le répète, ne croyez pas qu'il y ait en ^raïiee autani de sectateurs absolus de la religion chrétienne que vous semblez l'imaginer : le triage serait bientôt fait. Un an dans l'ombre et la silence me suffirai! à l'établir, et je n'écla- terais que sur de mon fait.

— Cette saignée serait vraiment prodigieuse !

— J'en conviens, mais elle assurer;:!! à jamais le bonheur de la France ; c'est un remède violon! administré sur un corps ux. En le tirant promptemen! d'affaire, il lui évite une infini

itions qui, trop multipliée-, finissent par

l'épuiser tout à fait.

« Soyez bien certains que toutes Jes p3

déchirent la France depuis mille huit cents au- ne deitnenj qui


Juliette () Florence

La première observation politique que je fis en arrivant dons cette capitale fut de me con- vaincre que les Florentins

princes de leur nation, et que ce n'étail peine qu'ils s'étaient soumis à des du Septentrion.

L'expérience simple de Léopold d'Autriche n'en


n'impose plus à personne ; toute la morgue tu- desque éclate, malgré son costume populaire, et tous ceux qui connaissent l'esprit de la maison d'Autriche savent bien qu'il lui sera plus facile de feindre des vertus que d'en acquérir. . Florence, située au pied de l'Apennin, est par- tagée en deux par l'Arno ; cette partie centrale de la capitale de Toscane ressemble un peu à celle que coupe la Seine à Paris ; mais il s'en faut de beaucoup que cette ville soit aussi peuplée et aussi grande que celle à laquelle nous la comparons un moment. La couleur brune des pierres qui ser- vent à la construction de ses palais lui donne un air de tristesse qui la rend désagréable aux re- gards.

Si j'eusse aimé les églises, j'aurais sans doute de belles descriptions à vous faire ; mais mon horreur pour tout ce qui touche à la religion est si forte que je ne me permets même pas d'entrer dans aucun de ses temples.

^ Il n'en est pas ainsi de la superbe galerie du Grand-Duc ; je fus la voir dès le lendemain de mon arrivée ; je ne vous rendrai jamais le bel enthousiasme que je ressentis au milieu de tous ces chefs-d'œuvre.

J'aime les arts, ils échauffent ma tète ; la na- ture est si bejle qu'on doit chérir tout ce qui l'imite... Ah ! saurait-on trop encourager ceux gui la choient et qui la copient ?


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La seule façon de lui arracher quelques-uns de ses mystères est de l'éudier sans cesse ; ce n'est qu'en la scrutant dans ses replis les plus secret qu'on arrive à l'anéantissement de tous ses pré- jugés.

J'adore une femme à talents, la figure séduit,, mais les lalents se fixent, et je crois que, pour l'amour propre et même l'amour tout cour!, l'un est bien plus flatteur que .l'autre.

Mon guide, ainsi que vous l'imaginez assez, facilement, ne manqua pas de m'arrêter à celle des pièces qui fait partie de cette galerie célèbre où Gosmc i er de Môdicis fut surpris dans une opération assez singulière...

Le fameux peintre Vésari peignait la voûte de- ce somptueux appartenmt. lorsque le grand-duc Cosme y entra avec sa fille aînée, dont il était fort amoureux ; ne se doutant point que le bel artiste travaillait dans les combles, ce prince incestueux caressa longuement l'objet de son ardeur, d'une manière assez peu équivoque.

LTn canapé se présente : Cosme en profite pour assouvir son ardeur, et l'acte se consomme aux regards du peintre ébahi, qui, dès le même ins- tant, décampa sans bruit de Florence, persuadé que l'on emploierait les moyens violents pour étouffer un tel secret, et que celui qui en aurait connaissance serait bientôt mis hors d'état de parler.


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et les jeunes filles danseront nues.


5o


Le grand Vesarj avait raison.

Tl vivait dans un siècle et dans une ville cé- lèbre où le machiavélisme faisait de grands pro- grès ; il était sage à lui de ne pas, de gaieté de cœur, s'exposer aux cruels effets de cette doc- trine immonde.

Cette immoralité de richesses était, m'expli- qua-t-il. un ex-voto, que le grand-duc Ferdi- nand II, qui mourut en i63o, offrit à saint Charles Borromée pour le rétablissement de sa santé ; le présent était en route lorsque le prince mourut.

Les héritiers, appliquant la vieille maxime la- tine : « Passata il pericole, grahbailo il santo », décidèrent assez philosophiquement que, puisque le saint n'avait pas exaucé le vœu, ils étaient exempts de le récompenser, et ils firent, sans plus, revenir le trésor.

Que d'intransigeances deviennent les fruits de la supers! ition, et comme on peut assurer une vérité que, de toutes les folies humaines, celle-là, sans doute, est celle qui dégrade le plus, à la fois, l'esprit et la raison !

Je passai de là à la fameuse Vénus du Titien, et j'avoue que mes sens se trouvèrent plus émus à la contemplation de ce tableau si sublime qu'ils ne l'avaient, été des ex-votos de Ferdinand.

Les beautés de la nature intéressent l'âme, mais les extravagances religieuses la font frissonner,


La Vénus du Titien est une très belle blonde, les plus beaux yeux qu'on puisse voir, les traits un peu trop prononcés pour une blonde, dont il semble que les mains de la Nature doivent adou- cir les charmes comme le caractère.

On la voit sur un matelas blanc, éparpillant fleurs d'une main, cachant sa jolie motte de l'autre.

Son attitude est voluptueuse, et on ne se lasse pas d'examiner les beauté de détail réalistes de ce tableau sublime et unique en celte ville...

Nous vîmes dans la pièce suivante, nommée la Chambre des Idoles, une infinité de chefs-d'œuvre du Titien, de Paul Véronèse et du Guido. Une idée bizarre est exécutée dans celle salle.

On y voit un sépulcre blanchi, rempli de ca- davres sur lesquels peuvent s'observer tous les différents degrés de la dissolution, depuis le pre- naier stade de la mort jusqu'à l'instant de la des- truction totale de l'individu.

Cette sombre exécution est de cire, colorée si naturellement que la Nature ne saurait être ni plus expressive, ni plus vraie.

L'impression est si forte, en considérant ce chef-d'œuvre, que les sens paraissent s'avertirent naturellement.

On porte sans le voiloir la main au cartilage du nez ; ma cruelle imagination s'amusa de ce spectacle ; à combien d'êtres ma méchanceté


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a-t-elle fait éprouver imaginairement ces affreuses dégradations ?...

Poursuivons : la Nature me porta sans doute à ces eûmes, puisqu'elle me dilecte encore seule- ment à ce souvenir- Non loin de là, est un autre sépulcre de pesti- férés, où les mêmes graduations poussière ■ s'observent ; on y remarque surtout un tel mal- heureux tout nu, apportant au charnier un ca- davre qu'il jet le avec les autres, et qui, suffoqué lui-même par l'odeur et le spectacle, tombe à la renverse et meurt ; ce groupe mémorable est d'une effrayante vérité,

Nous passâmes ensuite à nés objets plus gais. La chambre dite « la Tribune » nous offrit la fameuse Vénus de Médicis, placée tout au fond de cette grande pièce.

Jl est impossible, en voyant ce superbe mor- ceau, de se défendre de la plus douce des émo- tions amoureuses !...

Un Grec, dit-on, s'eidîannua pour celle su- perbe statue... Je l'avoue, je l'eusse aussi imité près de celle-là ; en examinant toutes les beautés de détail de ce superbe ouvrage, on croit aisé- ment que l'auteur dut, comme la célèbre tradi- tion le rappelle, se servir approximativement de cinq cents modèles différents pour le terminer. Les grâces de la figure, les arrondissements les plus gracieux de La ^orge et des fesses, sont des


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1 faits de génie pui pourraient le disputer à la nature, et je doute que ce triple modèle, choisi sur toutes les beautés de la terre, pût aujourd'hui fournir créature qui n'eût à perdre à comparai- son.

L'opinion générale est que cette statue nous représente la Vénus Maritime des Grecs ; je ne m'iif-jicsîintirai pas davantage sur un morceau dont les copies se sont autant multipliées ; tout Je monde peut la posséder sans doute, mais per- sonne ne l'appréciera comme moi...

L'exécrable dévotion du siècle fit autrefois bri- ser ce beau morceau...

Les imbéciles !... Ils adoraient l'auteur de la ire et croyaient le servir en brisant son plus bel omrage.

On ne s'accorda point sur le nom du célèbre sculpteur ; l'opinion commune prêta ce ce chef- d'œuvre à Praxitèle ; quelques-uns ne voient que Cléomèfte qui puisse l'avoir réalisé.

Qu'importe ! elle est belle, on l'admire ; c'est tout ce qu'il faut à l'imagination ; et quel que puisse être l'auteur, le plaisir que l'on prend à admirer l'ouvrage n'en est, pas moins un des plus doux que l'on puisse goûter.

Mes yeux se portèrent, de là, sur le Bel Ilenon- phrodilos ; vous savez que les Romains, tous pas- sionnés pour ce genre de monstres (à double fin M jouissance), les admettaient de préférence dans


— 54 —

leurs libertim île, est

un de ceux dont la réputation lubrique fui la itablie ; il esi fâcheux que l'artiste, en lui croisanl les jambes, n'ait • ulu

voir ce qui I le double se , ■

\ oit couché sur lut lit, exposant le i lu du monde.

Toul près esi le groupe tlu César Galigula cares- sanl sa sœur; ces maîti Leilleux de l'uni-

vers, loin de cacher leurs vices pim fai-

lI éterniser par les arts (tant il est vrai que l'inscription latine brave I' té.

• nies ensuite la plus belle el la < gulière collection de | Iquea uns

étaienl empoisonnés ; aucun peuple n'a raffiné ]»■ meurtre comme les Italiens ; il esi donc

" \<iir chez (■'.-■ toul ce qui pi i

à cette • i de la e la plu

et i;i plus traître. L'air esi très mai

même mortel ; un morceau de pain

F on 1 t s ' impr é

ni/i pendanl cette .-• ds< m < qui le mangerait.

iris subites, les coup:

étions au

in te mps, j (

ouchâm


— 55 —

uai une superbe maison sur le quai de l'Arno,

il signor Sbrigandini faisait les honneurs ;

issais toujours pour sa femme, et mes deux

Etablie là sur le

pied qu'à Turin el i ts les autres

villes où j'avais passé, les propositions arrivèrent

sitôt que nous fumes connu

Un ami de Sbrigandin l'avait prévenu qu'avec

de la modération et point de promptitude, nous

• aux plaisirs secrets du grand-duc ; pendanl quinze jours, nous refu- .1 se présentait ; les émissaires du prince arrivèrent enfin.

>pold voulait nous réunir toutes trois aux objets journalb ses débauches se<

Il y avait mille sequins pour chacune si noire plaisance était entière.

— Les goûts de Léopold sont despotes, cruels el flagellants, comme ceux de Ions les souverains,

serez poinl le plastron de ses luxu- us les servirez seulement, nous arinon- itiaires.

— s aux ordres du grand-duc, leur répondis-jè ; mais, pour mille sequins sei

"<"■■ possunu n cl non ; mes belles sœurs

et moi ne marcheront que pour le triple ; .nue/ si cela vous convient, ■


— 50 —

telles jouissances pour deux mille sequins dé plus.

Avare avec sa femme, avec les pauvres, avec ses sujets, le fils de l'Autrichienne ne l'était pas pour sa volupté.

On vint donc nous prendre le lendemain ma- tin pour nous conduire au Piccolo Prato, clans l'Apennin, sur la route par laquelle nous riions arrivées à Florence.

Je renonce à dépeindre les orgies princières qui se déroulèrent dans cette résidence somptueuse.

EXEMPLES TIRÉS DES MOEURS DE TOUTES LES NATIONS

Nous estimons beaucoup les prémices d'une fille. Les habitants des Philippines n'en font au- cun cas.

Il y a dans ces villes des officiers publics, que l'on paie fort cher, pour se charger du soin voluptueux de dévirginiser les filles pubères la veille de leur mariage.

L'adultère était publiquement autorisé et ho- noré à Sparte.

Nous méprisons, en Occident, les filles qui se sont prostituées ; les Lydiennes, au contraire, n'étaient estimées qu'en raison de la multiplicité de leurs amants.

Le fruit acquis par l'exereir. ,),- :.>ur mvc pros-


- 5 7 -

titutiOB était leur unique dot.

Les Chypriennes, pour s'enrichir, allaient se vendre publiquement à tous les étrangers qui étaient débarqués dans leur île.

La dépravation des mœurs était nécessaire dans un Etat policé.

Les Romains le sentirent efl établissant^ dans toute l'étendue de la République, des bordels de filles et de garçons, et des théâtres de genre dont les filles dansaient toutes nues.

Les Babyloniennes se prostituaient, une fois l'an, au temple de Vénus ; les Arméniennes étaient obligées de consacrer leur virginité aux prêtres de Tanaïs, qui

ne leur accordaient la faveur de la défloration qu'autant qu'elles avaient courageusement et fiè- rement soutenu les premières attaques ; une dé- fense, une larme ou un simple mouvement de contrariété venait-il à leur échapper, elles étaient alors privées de l'honneur des secondes et ne trouvaient plus à se marier.

Les Canariens de Goa font souffrir à leurs filles un bien autre supplice ; ils les prostituent, de gré ou de force, à une idole fournie d'un gros mem- bre de fer ; ils les plongent sur ce terrible god- miché que l'on a soin de chauffer à l'autre bout ; tel est l'état d'élargissure où la pauvre enfant va chercher un mari, qui ne la prendrait pas sans Cette êérémnnie,..


— 58 —

Les Caïmites, hérétiques du douzième siècle, prétendaient qu'on n'arrive au Ciel que par l'in- continence. Ils soutenaient que chaque action infâme avait un ange tutélaire, et ils adoraient cet ange en se livrânl à d'in< iches.

Le roi Ewin, ancien souverain d'Angleterre, avait établi par bill (loi), dans ses Etats, qu cune fille ne pouvait se marier sans qu'il ne l'eût dévirginisée.

isatis toute l'Ecosse el dans une grande partie de la France de l'époque, les grands vassaux du souverain jouissaient de ce droit.

Les femmes, ainsi que les hommes, arrivenl à la cruauté par le libertins

Trois cents femmes de l'Inca Àtabaliba, sur les confins du Pérou 1 , se prostituèrent su imp,

d'elles-mêmes, aux Espagnols envahisseurs, cl les aidèrent à massacrer leurs propres époux cl leurs enfants.

La sodomie esi générale sur la terre ; il n'esl pas un seul peuple qui ne s'} livre, pas un grand homme qui n'y soit adonné.

!.<• sàphisme y règne également à l'étal endé- mique.

I dans ia nai nre comme l'ai: elh- se ii le la petite fille I

de iv ans celui de la candeur ci de l'inno-

ç'onc lorsqu'elle n'a

■-,..■


5 9


par la main.

La bestialité fut aussi universelle. Xénophon,

al fameux, nous apprend que, pendant la

tite des Dix Mille, les Grecs no se servaient

de t\i<\ i


FIN


^


AMOUREUSES


I


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Les Fleurs du Mal

de Charles BAUDELAIRE

Voici le chef-d'œuvre de Charles Baudelaire,

Voici des œuvres souvent étranges, compliquées, erotiques et perverses, mais d'une forme savante, sonore, et d'une forte condensation -de pensée.

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Le V entame

Kama~Soutra

de VASTYAYANA

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VIENT DE PARAITRE :

La Félicité du Pauvre

P?,r JACQUES SAUTABEL

Réclamez à votre libraire ce roman, le plus puis- sant, le plus voluptueux. Gros volume de près de 4oo pages.

Quoi de plus réaliste que la vie même, racontée clans ses orgies, condensée en contingences sociales, débordante de sève, d'un charme ingénu, par l'auteur de Un Viol, volume dont le succès dépasse toutes les espérances ?

En le lisant, tous se reconnaîlront dans les débau- ches inouïes d'un être qui aima avec frénésie, d'un gueux maltraité dans le travail, lequel s'en affranchit, par ruse, d'un artiste ému des splendeurs de la nature, l'interrogeant pour en tirer l'ambroisie la plus eni- vrante.

Rires, larmes, tragédie, tout passe, roule, déferle comme un torrent dont l'apparition suscite une vio- lence d'émotion jusqu'à la stupeur.

Tous les déshérités, tous les amants, fous les in- quiets le liront avec profit pour ne plus s'en dessai-ir.

Envoi franco contre 13 francs en mandat ou en timbres français, adressés aux

EDITIONS MONTMARTRE-PARIS 39, rue Emile-Desvaux, Paris (19*)

TJN VIOL, volume de 3oo pages, contre 10 franc?.

Imp.Racinft, 18 rue de Romainviîle, Pari»


Marquis de Sade


Aventures Scabreuses

des 3 amies Zoioë, Yolsange, Laureda


EDITIONS " MONTMARTRE-PARIS a 39, Rue Emile-Desvaux - Paris-19 e


RÉSUMÉ SOMMAIRE (i)


Nous avons laissé les héroïnes : Zoloé (José- phine de Beauharnais), Volsange et Lauréda Mmes Tallien et Visconti), à l'instant de l'orgie aboutissant à la chute du ministre Fessinot dans la garde-robe ; le présent récit contient les aven- tures les plus scabreuses qui défrayèrent les ga- zettes du temps, époque galante du Directoire.

A la suite de la parution du présent pamphlet, le marquis de Sade fut arrêté et enfermé à l'hos- pice des déments de Bicêtre, sur l'ordre du Pre- mier Consul Bonaparte.

Cette prison devint le tombeau du divin et galant marquis, qui y décéda le 27 avril i8o3.

(1) Lire dans le n° 2 de la collection : Les Aventures amou- reuses de Zizi, où il est question de Zizi, Norah, Pampan, Tutu, Allard, Houpette, Dessony et Compagnie.

Envoi franco contre la somme de a francs (timbres-poste) adressée à l'éditeur.


k —


CONFÉRENCE


Des motifs urgents exigeaient la prompte réus- site des trois amies ; il fallait dérouter les curieux sur les acteurs qui avaient joué un rôle dans cette fameuse débauche et préparer d'autres par- ties de plaisir.

Le Comité arrêta d'abord que des affidés dési- gneraient à mi-voix, comme l'une des héroïnes, la marquise de Mirbonne, connue par la bizar- rerie de ses fureurs libidineuses, la fastueuse Gelna, maîtresse avouée du Mamamouc'hi, et Kesni, la plus dévergondée des officieuses procu- ratrices du vicomte de Sabar.

La calomnie était affreuse, mais elle sauvait le trio des épigrammes et des quolibets du pu- blic ; il n'en fallut pas davantage pour les déter- miner.

Dès le même jour, dans les plus nombreuses assemblées, on se soufflait à l'oreille -:


s


t»— Vous savez les hauts faits de la nuit ?... Oh ! ces femmes sont impayables !... Quelles licences ! Quelles effronteries !... Et elles osent, dit-on, paraître dans la société après cet éclat ?...

— Vraiment, reprenaient les autres, ce Fessinot est un grand poltron. Pourquoi aussi va-t-il se jeter dans une société perdue ?

— N'est-elle pas digne d'un pareil garnement ? ajoute une vieille édentée. Il m'a servi ; Dieu sait combien de tours de gibecière il m'a joué et à mes femmes. C'était la séduction même ; il s'en est peu fallu que je ne fusse moi-même la dupe de son air sournois. Il a dissipé, en mau- vais lieu, dans sa jeunesse, ce qu'il avait esca- moté. Mais, aujourd'hui, il ne lui reste plus de désirs à satisfaire, il est tout-puissant ; il est riche, infiniment riche et avare. Oh ! si j'avais le malheur d'être sa femme, combien je me ven- gerais !

L'arrivée de Lauréda et, plus encore, une ru- meur qui se répandit dans le salon, fit taire la vieille sybille. Les regards se portaient sur la marquise, qui entrait avec tout le cérémonial d'une dame de son importance. Zoloé était avec Volsange, dans le fond de l'appartement, en train.de confirmer les incrédules sur l'incartade attribuée à la marquise.

Celle-ci lançait sur les spectateurs un regard


Hardi, et ce ton décidé âcKeva de convaincre eC dMndigner les plus indulgents.

Gelna parut presque au même instant. Un mo- tif différent l'avait engagée à ce montrer ce jour- là dans les cercles les plus brillants.

Un de ses adorateurs l'avait complimentée sur l'heureuse nuit qu'elle avait passée, et de suite lui avait déroulé toute l'histoire.

Apercevant de loin la marquise qui minau- dait avec son éventail, elle courut à elle et l'em- brassa.

— Eh ! bonjour, ma chère compagne ! Com- ment vous trouvez-vous des fatigues de la soi- rée ?

— Madame, j'ignore ce que vous entendez par cette question. Il me semble que vous vous trompez de personnage. Je ne me crois pas si fort de vos amies.

— Non, vraiment, il n'y a pas à s'y mépren- dre. C'est bien vous avec laquelle j'ai partagé les délices d'une nuitl... Oh ! cela n'a pas de nom !

— Encore une fois, madame, cessez ce ton 'de familiarité ; je n'ai eu avec vous aucun rapport et ne veux point en avoir.

Un silence profond régnait dans l'assemblée. Tous brûlaient de voir le dénouement de cette comédie. Il était réservé à Fesainoi et au vicomte


— »«-

3e Satfar 3e le Sonner.

On n'ignore pas l'intimité qui existait entre ces deux hommes. Le premier venait, informer son épouse de l'arrivée du comte son père ; l'autre était un des habitués de la maison.

— Bon ! s'écrie en éclatant de rire la petite Gelna, voilà encore deux de nos champions !... Venez, messieurs, convertir la marquise.

« Elle nie qu'elle fut des nôtres cette nuit ; elle nierait, je crois, la clarté du soleil !

Rien n'était plus plaisant que de voir, d'un côté, les contorsions de la marquise, et de l'autre, les gestes de courroux de Fessinot.

— Quoi ! je vous trouve ici, mesdames, et c'est vous-mêmes qui osez être les prôneuses d'une infamie qui vous couvre de honte !

« L'impudence ne fut jamais moins permise ; et si vous croyez qu'en payant d'audace vous arrêterez ma vengeance, vous vous abusez.

« Mais je respecte l'aimable société qui embel- lit ce cercle. Chaque chose aura son temps.

— Est-il fou ? s'écrie à son tour la marquise, étouffant de colère... Qu'ai-je à démêler avec cet homme ?

<( Se sont-ils tous conjurés ici pour me vexer? Que signifient ces menaces, ces regard obliques, ces chuchotements qu'on se permet depuis mon arrivée ?... Madame, en l'adressant à la maltresse


du logis, on se comporte, chez vous, avec la dernière indécence ; vous eussiez dû y mettre bon ordre. Adieu, madame ; de ma vie, je vous le jure, je ne m'exposerai à de pareils affronts.

Gelna ne pouvait se contenir ; elle prenait un . plaisir infini à décontenancer la marquise, qui allait exhaler au dehors son épouvantable hu- meur, lorsque le vicomte la pria de l'entendre :

— Permettez-moi, madame, de vous arrêter un moment et d'éclairicir ce quiproquo dont les auteurs, en lançant un coup d'œil à Zoloé et à Volsange, devraient rougir. Ce n'est pas vous seule qui avez lieu d'être surprise de l'air de mystère, des plaisanteries qu'a occasionnés votre présence. Je partage avec vous ce déluge d'in- vectives, et je suis tout aussi innocent. Madame, en montrant Gelna, a voulu s'amuser en vous apostrophant.

« On a eu l'indignité de l'accuser, vous, moi, et d'autres qu'il est inutile de nommer, d'avoir participé à la débauche la plus effrénée.

« Nous pouvons tous donner un démenti for- mel et solennel à cette maudite calomnie, inven- tée pour dérober à une juste censure des per- sonnages que le temps dévoilera un jour.

« Dans ces méprises, le seul à plaindre est Fessinot (Tallien), car il a été le jouet du liber- tinage.


« 11 vous doit des excuses, et vous lui devez de l'indulgence.

Après ces mots prononcés assez vivement, le vicomte de Sabar (Barras) offrit ia main à la délicieuse marquise, salua et sortit avec le Fes- sinot déconfit, laissant un vaste champ aux en- tretiens de l'honorable société, pour ou contre ce qu'il venait d'affirmer.


BAt


Les scènes qui avaient suivi les calomnies mises en circulation avaient été trop violentes, elles pouvaient exciter à des enquêtes trop sé- rieuses pour qu'on ne s'empressât pas de les faire oublier. Aussi Lauréda, la première, pro- posa de donner un bal dans la maison du Fau- bourg et d'y inviter ce que la ville offrait de plus élégant et de plus distingué. Quelque évé- nement naîtrait de cette nombreuse réunion des deux sexes, et une anecdote ferait perdre le sou- venir de l'autre.

Une décade entière fut employée aux prépa- ratifs de la fête ; les salons furent ornés avec une somptuosité et un goût exquis. Le jardin offrait aux amants des retraites charmantes. On n'avait illuminé qu'autant qu'il le fallait pour guider leurs pas dans les berceaux de jasmin et de roses*


— If —

Det lit* 'd'un gazon frais invitaient à se repo- •ar.

On avait ménagé, à droite et à gauche, une petite issue couverte par une contre-allée, au moyen de laquelle on pouvait s'échapper dans les sinuosités ei. tromper la curiosité des impor- tuns.

On rencontrait çà et là des bons amusements, propres à divertirs les contemplateurs : c'était ici un jeu de bague, là une balançoire, plus loin des courses à pied, à cheval.

Des baladins faisaient rire par leurs tours de souplesse, et, dans le centre d'un bosquet bien éclairé, se trouvaient nombre de petites bou- tiques charmantes ; elle n'étalaient d'autres mar- chandises que des nœuds de rubans à tous les usages, des bonbons, des pâtisseries délicieuses, etc., etc., mais les marchandes étaient mises avec une telle propreté, elle avaient tant de grâce et d'esprit que plus d'un chaland s'offrit de bon cœur d'entrer de moitié dans leur com- merce.

Après quelques tours de danse et avoir fait admirer la richesse, le bon goût de leurs cos- tumes et grâces, Zoloé, Volsange et Lauréda pri- rent aussi possession d'un comptoir. Ce fut dans ce costume que Zoloé fit la conquête d'un capi- taine italien, Lauréda celle d'an colonel e*pa-



gnol, et Volsange celle d'un milord anglais.

Le désœuvrement avait porté à la fête ces messieurs fraîchement débarqués de l'Italie, d'où ils étaient venus ensemble. Ils se persuadèrent qu'ils pouvaient sérieusement hiettre leur en- chère sur toutes babioles qu'on offrait à leurs yeux. Mais c'étaient bien moins les joujoux et autres bagatelles dont ils enviaient l'acquisition que les charmes des aimables personnes qui les vendaient. A peine permirent-ils à d'autres ama- teurs de les mettre à prix.

Ils firent rafle sur tout, et il leur fallut payer les dos des forts commissionnaires pour empor- ter leurs achats.

Les boutiques se trouvant vides, il était natu- rel de proposer à ces dames un tour de pro- menade, ce qui fut accepté.

Si la chaleur de ces étrangers dans leurs em- plettes les avait amusées, elles le furent bien plus de leur dure conversation.

Ils écorchaient péniblement le français, et ils n'en étaient que plus ardents à parler. Ils vou- laient plaire et séduire. Cela ne se fait pas sans des paroles.

Les trois fausses marchandes pouvaient s'ex- primer aisément dans la langue de leurs ado- rateurs, mais les divines rusées trouvaient quel- que chose de très piquant dans leurs tournures


— iS —

de phrases et leurs singulières manières d'opérer.

La nuance qui établit une différence dans le caractère national était trop tranchante pour ne pas produire un contraste très plaisant. Mais ce qui aiguillonnait le plus la curiosité de ces dames, c'était de savoir à quoi ces empressements les conduiraient.

L'Italien lorgnait quiconque paraissait remar- quer sa compagne ; l'Egpagnol formait un duo de paroles et de soupirs ; l'Anglais, plus franc, moins accoutumé à se contraindre, en deux mots fit ses conditions à Volsange. La belle refusa de s'expliquer ; la recette est infaillible pour irriter les désirs. Les soupirants de Zoloé et Lauréda n'avaient pas fait le tiers du chemin, quoique plus enflammés mille fois que le noble lord.

Le jour allait paraître ; ces dames annoncèrent leur retour, les cavaliers offrirent leur voiture.

Quelle fut leur surprise d'entendre ces mar- chandes appeler leurs gens et de voir accourir de magnifiques officieux avec de superbes équi- pages !

Lauréda part avec Zoloé pour sa maison du boulevard. On s'empresse en vain de demander la permission de leur rendre des hommages ; les belles ne répondent que par un salut extrême- ment affectueux, et ordonnent qu'on accélère leur retour.


I*~


ÉVÉNEMENTS DE BAL


L'opiniâtreté que ces nouveaux amants avaient mise dans leurs attentions avait empêché les trois amies de prendre aucune part dans ce qui s'était passé dans les autres parties de la maison.

— Je suis excédée de fatigue, dit Zoloé, en se jetant sur le duvet d'une moelleuse ottomane.

Lauréda s'y plaça nonchalamment à ses côtés.

— Tu conviendras, ma chère, que notre étoile nous a mal servies cette soirée I

— Pourquoi, s'il vous plaît ? répondit Lau- réda ; est-ce que ton Italien ne promet pas beau- coup ?

— Oui, assez, mais cela est d'un ton mono- tone ! Pourquoi aussi cette obstination à diriger tes pas dans les endroits les plus isolé ?... Oh I tu conserves le goût de ton terroi I... Et cette folle de Volsange, avec son illustre Breton, n'en est-elle pas déjà aux préliminaires ?.... Sachons


Il


au moins à quoi nous en tenir sur les amuse- ments de tes invités.., Lise, sonnez La Tour. La Tour paraît.

— Eh bien, drôle (expression d'amitié dont on honore les laquais favorisés), as-tu bien em- ployé ton temps au bal ?

— Parfaitement, madame.

— Combien de bancs de gazon ont-ils gémi sous le poids de ton amour ?

— Aucun, madame. Je ne me suis occupé que des événements.

— Certainement, et tout le monde en a fait de même.

— La danse n'a pas duré trois heures. Madame ne s'est pas absentée, sans doute ?

— Vraiment, non, mais la migraine m'a con- duite à l'écart ; d'honneur, jje ne me suis nul- lement occupée de plaisirs.

— Vous ignorez donc ?... Mais non, j'allais vous ennuyer...

— Je ne sais rien, dis-moi..., ni Lauréda, te dis-je... Parle I

— Cette pauvre Gelna !... Beaucoup la plai- gnent, mais peu en rient... Elle était au bal, parée comme une boutique de brocanteur juif ou de joaillier levantin. Ses trente mille francs de pierreries jetaient un feu qui éblouissait, éclipsait et aussi dépitait toutes les belles du


— |6 —

cru.

« En valsant et pirouettant avec un danseur maladroit, elle fait une grave chute et s'éva- nouit.

« Le Mamamouchi accourt avec des sels ; le danseur l'écarté et prétend qu'il lui faut de l'air et rien de plus.

« Il la soulève et l'emporte avec vélocité dans le bosquet.

<( Les ronds se reforment, et on continue à danser. Mamamouchi se hâte inutilement de sui- vre sa sultane. Le danseur robuste et alerte s'est enfoncé dans le fond du bois.

(( Le mouvement, l'attouchement des feuillages humide de rosée raniment les esprits de Gelna ; elle veut crier.

<( — Comment, madame ! me faites-vous l'in- jure de me prendre pour un brigand ? Je m'em- presse de vous procurer tous les secours, et vous allez croire que je m'insurge contre votre hon- neur ! Vous en multipliez trop les preuves chaque jour pour que j'ose y attenter. Calmez-vous, un peu de repos va vous rendre à la société, qui ne saurait longtemps se priver de vos charmes.

« Tout en l'adulant ainsi, le galant gagnait du terrain. Enfin, le voilà dans un coin très éloigné, dont il connaissait apparemment l'iso- leinent.



Lauréda avait reçu auss? so n Espanol .


« — Bon ! asseyons-nous, ma reine, et pas fie bruit !... Comme tu m'as ravie, mon ange, dans cette délicieuse soirée ! Car c'est toi, je te recon- nais ; il y a longtemps que nous avons fait ensemble nos premières armes !

(( _ Ah ! vous êtes l'un des héros de la pièce, et nous sommes de vieilles connaissances !... A merveille ! Qui vous dit, monsieur, que je par- tage le déshonneur de cette orgie ?

« — Le public, madame, mes yeux, votre son de voix, votre taille, et mieux encore, cette Ivresse dans la jouissance, ce beau ravissement, Ce talent unique à faire renaître, à prolonger la volupté, à la porter dans tous les sens !... Ah ! je t'en supplie, répétons, sur cette herbe tendre, un des rôles les plus intéressants de cette belle nuit, qui restera éternellement et splendidement, présente à ma mémoire !

« — Non, vous dis-je, non !... Vous abusez de ma faiblesse insigne... Ne la poussez pas à bout.

« Ni les prières, ni les menaces, rien ne peut contenir la fougueuse ardeur de l'assaillant. Il la renverse sur le dos. La flèche va frapper la victime Que dis-je ? L'inflexible Gelna devient elle-même le sacrificateur ; elle perce de son poi- gnard, du poignard enrichi de diamants qu'elle portait à sa ceinture, comme les sultanes, l'ai-


guillon dirigé vers elle.

« Le malheureux tombe, à demi mort, sur le trône même du plaisir. Bientôt revenu de son évanouissement :

« — Cruelle 1 que t'ai-je fait que de t'aimer excessivement ? As-tu bien eu le courage de me priver du seul organe qui me fait encore chérir l'existence ? Achève-moi, ôte-moi le souffle de vie inutile à laquelle ta barbarie m'a réduit... Hélas ! je le vois, le Ciel, tôt ou tard, accomplit ses oracles ; j'ai péché, et c'est sur l'instrument même du péché qu'il exerce sa justice !

« — Miséricorde ! Quelle angoisse !

<( — Je me meurs !... Pacôme, infortuné et comblé Pacôme (c'était lui-même)... Ah ! quelle triste fin t'a réservée la vengeance divine !

« — O ciel ! Pacôme ?... Pacôme, ce vil cor- rupteur de ma belle innocence, ce ministre pré- varicateur qui le premier m'initia dans les mys- tères du crime, qui affermit mes pas timides dans l'habitude du vice, qui étouffa mes honnêtes scrupules et m'apprit à ne rougir de rien !...

« — Lui-même, ma chérie... Sois satisfaite ; je t'ai offensée et j'expire de tes mains.

« — Oh ! vis, adoré !... Je ne demande ni ton sang, ni ta mort. Voilà de l'or, voilà des bijoux, tout ce que je possède ; qu'ils servent à prolonger tes jours !


— *> —

« — Vain secours 1 te coup mortel m'unit à l'éternité. Adieu I

« Un instant après, il expire dans les convul- sions les plus horribles.

« Gelna a été ramassée sans connaissance, à quelques pas de ce tragique événement. C'est de ses gens que je tiens ces détails. Elle paraît affectée au plus haut point. Elle ne veut admettre ni Mamamouchi, ni le plus ancien de ses favo- risés pour la consoler. On craint que la belle ne renonce à la société et n'aille pleurer au loin sa vertu sacrifiée et son homicide.

La marquise 3e Mirbonnë apprêtait à rire pen- dant cette catastrophe lugubre. Follement éprise d'un débutant à la Comédie-Italienne, elle le traînait partout en triomphe. Fière d'avoir à ses côtés le bel histrion, et celui-ci bouffi de l'hon- neur qu'il avait d'être le sigisbée d'une mar- quise, ils ne se quittaient pas d'une minute. Point de danse, cette fois. On veut être tout entière à son idole. La promenade est magni- fique ; les allées sont d'un sombre propice aux larcins amoureux.

Une petite grotte par ci, un berceau bien fourré par là, que de reposoirs pour l'amour 1 Très bien ! Mais, en femme d'expérience, un peu d'exercice développe les esprits, donne de


11


l'énergie au physique, le féconde, le double, le triple, que sait-on ?

— Allons, mon ami, une partie de balançoire ! Et la voilà avec son Adonis, poussant en avant,

en arrière, haut, plus haut encore, se levant, s'allongeant, se baissant, élançant son corp3, ap- prochant genoux contre genoux, les éloignant, rendant mouvement pour mouvement, saut pour saut.

Grand cercle de spectateurs à belles lorgnettes sur la place.

Et l'admirable invention pour les dames que les caleçons roses et les dessous vaporeux 1

Et qu'est-ce que l'aperçu d'une superbe tour- nure de jambe, auprès du voisinage... vous m'en- tendez ?...

Revenons à nos balanceurs, qui sautent tant et si bien, et si fort, qu'un coup de jarret du jeune homme, animé par le jeu, brise l'une des cordes qui suspendaient la nacelle. Le voilà en bas, et la marquise élancée en l'air, qui s'échappe en diagonale, comme une fusée, et qui tombe à la Garnerin, en parachute de jupons.

— Oh ! là, là ! Oh ! là, là ! Elle est perdue ! Une si belle femme 1...

Et tous, les bras se jettent en l'air pour la sauver.

Un homme dont la stature et les muscles


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saillants annoncent la mâle vigueur, ferme comme une colonne, allonge la main, saisit le corps, gagnant au plus vite le centre de gra- vité, et l'arrête à deux pieds de terre, comme une poupée. Cet homme, vous le devinez sans doute, est le robuste Parmesan.

Parmesan au bal ! Pourquoi non ? Vous avez donc oublié que le fameux souper avait fourni, pendant vingt-quatre heures, matière aux con- versations de toute la ville ? que la marquise, malgré le démenti solennel du vicomte de Sabar (Barras), n'avait pu dissuader le public, injuste- ment prévenu, qu'elle y était l'une des figu- rantes ?

Parmesan a des oreilles tout comme un autre, un estomac qui digère vite et bien, des sens faciles à enfl'ammer et lents à s'émousser, et pourtant longtemps affectés.

Pouvait-il ne pas désirer vivement de connaître l'héroïne à laquelle il était redevable d'un sou- per délicieux et d'une séance de plaisirs, savou- rés avec une ardeur impossible à décrire ?

La curiosité l'avait conduit là. Le même motif y avait fait courir le bel imprudent Pacôme. Ivre de son amour, celui-ci avait osé se donner en spectacle, en dansant avec la divinité qu'il s'imaginait être du Temple de Cythère.

Mais les Dieux de la «Terre ont leurs caprices,


— 23 —

comme les Dieux du Ciel.

Un feu lent et favorable consume l'offrande d'Abel ; elle est agréée du Seigneur. Celle de Caïn est dévorée par la foudre est rejetée. Ainsi fut le téméraire Pacôme. Puisse Parmesan ne pas éprouver sa déconvenue I

Il dépose dans un fauteuil la partie matérielle de la marquise, car pour ses esprits, ils s'étaient envolés dans les régions inconnues. Debout de- vant elle, une foule d'empressés bourdonnant mille questions :

— Est-elle blessée ?

— Vit-elle ?

— Lui a-t-on administré le secours ?

— Délacez son corset, dit un vieux célibataire à l'œil lascif.

— Ses hanches sont trop serrées ! ajoute un petit malin à habit juponné, à pantalon de ma- telot, à moustaches de sapeur... Ma parole, c'est là le mal ! dit-il. en étendant la main pour prê- ter son ministère.

— Bien, mon petit mignon ! lui dit Parme- san en lui donnant une chiquenaude sur les doigts.

— Le brutal ! il m'a brisé les os !... Ahi ! ahi ! ahi ! ahihi ! ahihi !

— C'est bien fait s'écrient les uns.

— C'est affreux I s'exclament les autres,


— Un tant joli jeune homme ! ajoutent les dames sensibles et compatissantes... Le voilà maintenant estropié, peut-être I

— Qu'on saisisse le drôle ! Et le drôle paraît de marbre. La fermentation augmente.

— Quoi ? Quoi ? Qu'est-ce ?... Quel accident ? Une femme tuée ? Un homme assommé ? Un capucin assassiné ? Un capellan châtré ?...

Plus de danses ; on accourt sur la place aus- sitôt.

On se presse, on se heurte ; c'est une confusion pire que celle d'une séance législative de nuit.

— Eloignez-vous, messsieurs et dames ! Reti- rez-vous, les jeunes ! s'écrie Parmesan d'une voix de tonnerre.

« Vous l'étouffer... Ce n'est rien que de la frayeur.

À ce tumulte, à ces cris te stentor, la belle ouvre enfin les yeux.

— Messieurs, je n'ai point de mal... Un peu d'air seulement.

« Quelqu'un m'a sauvé la vie ? ajouta-t-elle, avec des yeux qui interrogent les spectateurs.

— Le voilà ! répond un ancien militaire ; c'est ce brave citoyen.

— Quoi I c'est vous, monsieur ? fit-elle, en toisant de la tête aux pieds son sauveur... Il me


semble que ce n'est pas le premier service que ma gratitude doit reconnaître, monsieur ?

— Ah ! madame, répond Parmesan avec feu, ne parlez pas de récompense ; elle est dans mon cœur. Il n'est rien qui vaille le bonheur d'avoir pu vous être utile. Il n'est personne ici qui n'en- vie mon étoile.

— Vous êtes bien obligeant, monsieur. Don- nez-moi la main, ajouta-t-elle d'un ton extrême- ment touché ; je voudrais rejoindre ma voiture.

Et voilà Parmesan qui fend la presse, fier comme un triomphateur romain.

Le Ilot des curieux s'amoncelle sur le passage. On se demande quelle est cette belle femme, quel est l'homme superbe qui l'accompagne. Les lys de la pâleur avaient remplacé l'incarnat qui colorait les joues de la marquise et ajoutaient à l'intérêt qu'inspire aux humains une très jolie figure.

Parmesan avait le teint animé et un air de satisfaction qu'il était impossible de ne pas re- marquer.

Le joli petit maître, favori en titre avant l'échappade de la balançoire, suivait en silence. La plus sombre jalousie était peinte dans tous ses mouvements et lui donnait une physionomie bouleversée et presque hideuse.

Oubliant la foule tumultueuse qui s'étouffait


— a6 —

pour la voir, la marquise dit à son cavalier :

— Par quel heureux coup du sort, monsieur, se fait-il que vous vous soyez rencontré là pour me sauver ?

« Sans vous, meurtrie et disloquée, je n'exis- terais que pour les douleurs !... Combien je me félicite, dans mon accident, d'avoir pu intéres- ser un si aimable homme !

— Vous me flattez infiniment, madame. Peut- on vous voir et ne pas épouser vos peines et vos plaisirs ? Je vous dois même plus que vous ne feignez de le croire.

— Point de compliments, monsieur ; ils ne m'apprennent pas à qui je suis tant redevable.

— Ah I madame, pourquoi vous obstiner à vous dérober à ma vive reconnaissance ? Accor- dez-moi, je vous en supplie, de déchirer le voile sous lequel vous voulez vous soustraire à mon tendre souvenir. Ne sais-je point que c'est à vous que je dois le bonheur le plus ravissant, le plus complet qui ait jamais embelli mon existence ?

— Que signifie ce langage, monsieur ? De qui parlez-vous ?... Le service que vous m'avez rendu vous permet-il de m'offenser ? Si je ne craignais le ridicule, croyez que je vous punirais sur-le- champ de votre méprise et que je vous appren- drais à réprimer votre indécente familiarité.

»*- ciel I moi, vous offenser ?,.. Je donne-


— 2 7 —

rais ma vie entière pour vous épargner un sou- pir !...

« Permettez-moi de vous accompagner jusqu'à votre hôtel et de me justifier...

Et les voilà à la porte du jardin.

— C'est Wen elle, dit quelqu'un qui s'appro- chait.

— Mais oui, répondit un autre ; la belle mar- quise de Mirbonne I

— Quel est le cavalier d'assez bonne mine qui l'escorte ?

— Ne me trompè-je pas ?... Non, ma foi, c'est mon frotteur. Certes, la rencontre, pour fortuite, est charmante, ajoute le couple en éclatant de rire.

Ce trait plaisant manquait à la belle histoire de la joyeuse soirée.

— Approchons, mon ami ; félicitons la com- bien jolie frotteuse, qui se frotte au frotteur de bonne maison !

— Bonsoir, belle marquise !

— N'est-ce pas Mirval ? en le cherchant des yeux... Bonsoir, beau chevalier ; vous ne faites que d'arriver ?

— Tout à l'heure, madame, le cher vicomte de Sabar m'a retenu.

— Ah 1 vicomte de mon cœur, je ne vous apercevais pas ; ces illuminations donnent une


fausse lumière qui trompe les yeux.

— Cela est vrai, ajoute Mirval en appuyant ; tenez, je ne reconnaissais pas mon frotteur... Eh I bonsoir, mon ami. Diable I je ne suis plus étonné que tu négliges mes appartements. Mon- sieur préfère les grands plaisirs à ses pratiques, et les pratiques préféreront l'homme assidu à Parmesan.

— Monsieur, répond celui-ci, outré de l'im- pertinence, je ne vous dois pas compte de ma conduite. Le respect que je dois à madame ne me permet pas d'autre explication.

Et, s'approchant de l'orgueilleux juponné :

— Chacun aura son tour. Vous me rendrez raison de votre conduite, ou je vous frotterai les reins.

S'adressant à la marquise :

— Je ne saurais, madame, vous remettre en de meilleures mains... Souffrez que je me retire.

Il la salue et pétrifie le déconcerté Mirval par un regard terrible.

Celui-ci ne se piquait pas d'intrépidité ; l'autre en avait donné des preuves honorables dans un temps où l'on faisait un crime de la reconnaissance.

Il avait osé se mettre entre l'autocratique auto- rité qui régnait alors et l'innocence opprimée, défendre celle-ci, la sauver au péril de sa vie.


Ce courage vaut bien celui 'd'un insolent fan- faron ; il porte un cachet qui fait trembler le lâche.


- 3o-


VISITES — ASSEMBLÉE


Le baron d'Orsec s'était présenté inutilement chez Zoloé ; il n'avait pu la rencontrer.

La fatigue des jours précédents l'avait enfin consignée pour quelques heures de plus dans son hôtel.

Expliquer en deux mots ses propositions, les accepter de même, telle est la méthode des gens comme il faut pour conclure un mariage. Il en fut de même de celui de Zoloé avec le baron.

La conversation avait changé d'objet ; le baron prenait congé de sa future, lorsqu'un laquais annonce l'empressé amoureux de la veille.

D'Orsec connaissait parfaitement le baron Gui- Le.lmi et en était aussi bien connu. Cela ie retint une minute, puis il disparut.

Après le cérémonial ordinaire, des excuses et des plaintes sur l'incognito d'hier, des félicita- lions et des assurances de respect, et mille autres


— 3i —

lieux communs aux galants, on se quitte pour se retrouver chez Volsange.

Lauréda avait reçu aussi son Espagnol. La reconnaissance avait animé et prolongé l'entre- tien ; il ne fut interrompu que par la présence de Zoloé.

— Il me fâche, dit-elle avec ce sourire qu'elle sait rendre si gracieux, de nous séparer.

« Il le faut ; nous nous réunirons chez mon amie Volsange, et j'imagine, monsieur, que vous achèverez là les cent mille questions qu'il vous reste à vous faire.

Don Fernance étant sorti, d'Orsec est venu.

— Eh bien ?

— Le mariage est conclu.

— Les conditions ?

— Point... Des conditions ? Tu rêves I... Se rendr eesclaves l'un de l'autre, il faut avoir perdu la tête !

« Non ; chacun reste maître de ses volontés et actions. Il n'y a de commun que le nom et le logement ; du reste, les beaux dehors de la plus parfaite intelligence, un simulacre d'amour et d' amitié.

— A-t-il percé le mystère de nos petites intri- gues et de nos fredaines ?

— Tu plaisantes !... Il m'épouse avec toutes mes faiblesses ; et, pourvu qu'elles n'éclatent


— &» —

point, qu'elles n'identifient point son beau renom de guerrier invicible avec celui de c... ce mot-là me répugne, passons là-dessus.

« Tiens, Lauréda, je veux désormais être la prudence, la circonspection, l'honnêteté mêmes.

— Te voilà donc convertie ?

— Tu ne veux donc pas m 'entendre ?

— (A.h I oui, sauver les apparences, n'est-ce pas ?

— f  déjeuner, Dubuisson ! et un chocolat à la Tortoni... Restaure ces dames... Suzanne, nos toilettes !

Et les voilà, au bout de deux heures, parées, belles comme Vénus même. Les chevaux volent chez Volsange avec ces dames.

Mille baiser, mille tendres inquiétudes sur le sommeil, le réveil. Bon ; point de maux de tête, point de rêves affreux.

Enfin, on aperçoit milord, ou plutôt on l'avait, aperçu le premier ; ce n'était pas son tour. Milord ici, si matin ! Et il est deux heures 1

Milord, accoutumé à se lever avec le père du jour, dès sept heures du matin, s'était présenté à la porte, avait du reste harcelé suisses, laquais, gardiens, suivantes, et jusqu'au cocher. Enfin, jurant, pestant, allant, revenant vingt fois, il est admis à dix heures.

Sa mauvaise humeur égalait sa sombre impa-



La légèret? et surtout la bizairerie des vêtements

3


-SÏ-

tience ; mais, semblable au soleil lorsqu'il perce les nuages d'un jour sombre, la jolie Volsange, d'un mot, d'un sourire, avait déridé ce front soucilleux.

Des baisers refusés d'abord, ensuite accordés, puis rendus, avaient scellé la fine réconcilia- tion.

Les yeux de milord exprimaient un air de satisfaction ; ceux de la brune Volsange, ani- més, une toilette un peu en désordre, un coloris vif, prouvaient qu'on ne s'en était pas tenu à de simples et banals préliminaires.

Mille plaisanteries assaisonnent la conversa- tion et remplissent l'espace et le temps qui res- tent à parcourir pour arriver jusqu'au dîner.

Milord, invité, reste.

Il avait pris possession ; il n'y avait plus d'étiquette à garder.

Enfin, on entend le fracas des voitures, des portes : on annonce dom Fernance, et peu après le prince Guilelmi.

Le dessert est à peine commencé ; n'importe, on passe au salon.

Il est bientôt rempli par une foule de femmes et d'hommes, les plus élégants et les plus à la mode. La légèreté et surtout la bizarrerie des vêtements, l'air sémillant, étourdi, de toutes ces têtes s' agitant, grimaçant, réfléchies dans les


35'


glaces, les riches éventails jouant sur les figures des belles, produisaient une variété très divertis- sante.

A travers une recherche infinie de parure, les coquettes avaient si bien ménagé des vides, la gaze était si transparente, le maintien si enga- geant, l'œil si fripon, le propos si badin, que le spectateur le plus novice eût compris qu'on ne se rendait là que pour préluder à l'embra- sement des sens et en assouvir ensuite toutes les fougues.

On s'assoit enfin. Les tables sont garnies.

Ici, la scène change.

Le silence, un air soucieux, succèdent à ces physionomies épanouies, à cette évaporation si bruyante.

Volsange avait arrangé les parties du jeu : Fernance, Guilelmi et milord avaient l'honneur de former celle des trois amies.

Mirval, d'Orbazan, Sabar, se consolaient d'un autre côté avec des remplaçantes.

Ils s'apprêtaient à rire aux dépens des nou- veaux adorateurs de leurs vieilles habitudes.

Il y avait en effet de quoi s'amuser en voyant la prodigue générosité de milord, dont les belles guinées roulaient, avec rapidité vers celles de Volsange, les contorsions de l'Italien à chaque chance malheureuse et l'air grave de l'Espagnol


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dans la bonne ou mauvaise fortune.

Quelques bourdons oisifs circulaient çà et là et paraissaient faire diversion à la triste mono- tonies des joueurs.

En moins de deux heures, les trois fédérées, font une rafle complète de l'or de leurs adver- saires. Milord avait perdu quatre mille louis sur parole, et il ne s'arrêtait pas.

Il fallut que ces dames missent un frein à cette fureur. Leur bonheur, disaient-elles, était trop opiniâtre. Il n'y avait pas de générosité à battre des vaincus. Elles se savaient mauvais gré de les avoir engagés dans une partie si malheu- reuse. La Fortune ne les favorisait tant que pour les' maltraiter une autre fois... Elles n'avaient jamais été heureuses...

Cependant, tous ces beaux propos, débités avec le ton de sensibilité le plus naturel du monde, ne rendaient pas aux perdants leurs pistoles ; elles étaient passées devant la bourse des âmes compatissantes de Zoloé, Volsange et Lauréda.

Les étrangers disparurent les premiers.

On n'est guère amoureux quand on a joué sa ruine.

Le sombre désespoir vous obsède, et il faut que la main du temps en détruise les noirs accès.

D'Orbazan, Mirval et Sabar se partagèrent, avec la cagnotte convoitée, dans un excellent


-37-

souper, la belle humeur de ces dames, et ne les quittèrent qu'après avoir épuisé dans leurs bras les réservoirs de la jouissance.

Ainsi se termina cette journée, sans autres événements que trois personnages ruinés, un festin somptueux et une charmante nuit volup- tueuse et longue pour les trois amies.


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PARTIES DE CAMPAGNE Milord avaif revu son banquier

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-3 9 -

et plus d'un prince italien, d'un illustre cardi- aal, s'étaient trouvés heureux d'avoir recours à son crédit et à ses immenses richesses.

Or, cet honnête homme avait quitté Milan lors des premiers troubles et s'était fixé à Paris.

Sa fille, follement éprise de Guilelmi, l'avait déterminé à s'établir dans cette capitale, où son amant avait été envoyé en ambassade.

Guilelmi, à force de souplesse et de fine cir- conspection, avait su captiver les grâces de l'en- fant de Jacob, et, la Révolution ayant brisé toutes des digues de démarcation de princes à sujets, de juifs et de gentils, de mécréants et de vils manants, rien ne s'opposait à la proposition de mariage du prince et de la gentille héritière de Piroto.

Elle fut agréée avec reconnaissance. On igno- rait les liaisons et les pertes du rusé Italien.

On remit à trois mois les engagements défi- nitifs ; il ne fallait guère moins que ce temps pour obtenir les papiers nécessaires à Guilelmi.

Le lendemain de son échec, à la pointe du jour, il arrive chez son futur beau-père.

Surpris de le voir si matin, on lui demande ce qui l'amène.

— Une affaire d'importance. Le gouvernement a admis ma soumission pour fournir l'armée d'italie, Il y a des bénéfices immenses à faire ;


— Ao —

voulez-vous être de moitié ? Parlez...

— Pourquoi non ? répond le bon israélite en se frottant les mains.

— Il y a, ajoute l'Italien, une seule petite condition, que mon amour et non l'intérêt me fait regarder comme indispensable. Vous me pas- serez promesse de me donner votre aimable fille en mariage à l'époque convenue, à peine de trois cent mille francs que vous déposerez chez un notaire et qui m'appartiendront, s'il y a obstacle de voire part à l'union projetée.

— Et si l'obstacle vient de vous,- monsieur le prince ?

— De moi ?... Cher Piroto !... Ah ! vous ne connaissez pas la passion qui m'enflamme pour l'aimable Déborah !

« Rien ne saurait la ralentir. En supposant que vous craigniez ces difficultés de ma part, eh bien ! votre dépôt vous est rendu et vous en disposez.

La vue d'un gain présent et incalculable l'em- porte sur les craintes de l'avenir.

Un extrait de l'acte de dépôt est expédié et remis dans les mains de Guilelmi, et, avec ce titre important, cent mille francs lui sont comp- tés par un officieux banquier, à condition que les autres cent mille francs lui appartiendront pour risques, intérêts, etc..


.-Ai —

La spéculation était d'un succès certain ; car, si les difficultés naissaient de Piroto, il y per- dait ses trois cent mille francs, et s'il n'y en avait point, la dot de la belle juive était hypo- téquée en nantissement du prêt.

Il n'y avait qu'une chance à courir pour le bailleur : c'était l'hypothèse où Guilelmi eût été assez insensé pour refuser lài-mêîne de répa- rer sa fortune en contractant l'engagement pro- mis. Or, c'est ce qu'on ne pouvait raisonnable- ment supposer.

Ainsi, avec ses deux cent mille francs dont il consacre une partie à acheter une commission de fournisseur et l'autre à remonter sa maison, Guilelmi reprend le train de prince et peut se présenter de nouveau sur la ligne des concur- rents qui aspiraient aux faveurs de la chère Zoloé.

Ce fut chez elle que Mi lord arrangea, avec ces dames et les favoris en activité, une pro- menade champêtre à quelques lieues de Paris.

Forbess y a métamorphosé l'abbaye de Bue, dont il s'est rendu acquéreur, en une charmante habitation.

La maison est magnifique, les jardins sont vastes et agréables, les alentours délicieux ; le noble lord a ajouté à tout cela des embellisse- ments de tous les genres, surtout dans le goût


■ #3 ! —

anglais et italien.

Au château sonl attenants un parc bien planta, bien peuplé, des étangs poissonneux, un terrain riche et considérable, couvert de vignobles et de superbes moissons.

Malgré sa dissipation, Forbess, le magnanime, aime la culture, l'entend et s'y livre dans ses moments de calme.

Un si beau domaine ne devrait-il pas combler tous les désirs de son heureux possesseur ?

Mais non, rien ne suffit aux goûts dépravés et inconstants des hommes ; ils préfèrent courir' après un vain fantôme de félicité qu'ils ne sai- sissent jamais !

La frivolité de ces femmes ne les empêcha pas d'exprimer vivement leur surprise en arri- vant dans cette riante retraite.

Le bon ordre et la magnificence des apparte- ments, l'art de la culture porté au plus haut degré, la diversité des promenades, des plus belles perspectives, les bosquets, les ombrages, excitent leur enthousiasme.

Rien, en effet, n'est plus propre que la nature parée de tous ses charmes à produire daus les Ames engourdies des sentiments d'admiration.

La chasse, la promenade, la danse, la pêche, la liberté et la bonne chère, tels sont les amuse- ments des oisifs dans une campagne ; ils furent


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ceux de la société, plus les jouissances privées dont nous ne disons rien.


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A QUOI ON NE S'ATTEND PAS


On avait, fait de longues excursions ; le soir, longue veille, et, la nuit, longue séance de vo- lupté : ces dames n'étaient pas visibles à midi.

Les trois adorateurs, en attendant leur lever, s'étaient réunis et, pour tromper leur impatience, s'étaient acheminés vers le bois.

Insensiblement, la conversation s'anima, se prolongea ; le sujet en était riche, intéressant. Le voici mot pour mot :

— Zoloé est charmante, dit le prince italien. Si on pouvait lui faire un reproche, ce serait d'outrer le luxe et l'appareil ; et encore pour- rait-on l'excuser en considérant sa fortune et la brillante destinée qu'on lui prépare.

— Vraiment, dit milord, on parle de son ma- riage avec le baron d'Orsec.

— Lauréda m'a confié ce secret, dit grave- ment l'Espagnol. Conçoit-on une pareille union ?


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— Je vois bien, reprend l'Italien, que vous ne connaissez pas le baron. Cet homme ne rêve que la gloire et tous les genres de gloire. Il ne se borne pas à être un autre César, un Périclès, un Solon. Il veut donner au monde l'exemple de toutes les vertus qui ont honoré l'humanité.

« Téméraire dans les combats, c'est pour mon- trer au soldat le chemin de la victoire.

Impénétrable dans le Conseil, il ne rassemble les opinions que pour perfectionner la sienne, et celle qu'il adopte est toujours la meilleure ou la plus heureuse.

« L'avenir se déroule devant ses yeux. Il sera toul ce que lui permettra d'être le destin de sa patrie.

« Il ne travaille que pour son bonheur. Il irait à l'extrémité de la terre moissonner de nou- veaux lauriers, pourvu qu'ils concourussent à la périté du pays.

« Le gouvernement actuel est d'une absur- dité palpable : il l'admire et le craint. Mais le peuple ne voit en lui qu'un héros ; ce héros le sauvera ; le plan de son bonheur est tracé dans sa !èle ; loi ou tard, il le mettra à exécution.

« Les gens de bien et de considération sou- pirent après cet heureux moment.

Milord. — C'est le seul homme dont la nation anglaise redoute la turbulente politique, la valeur


— w —

et la sagesse. Mais nous avons Pitt et Cobourg, et quelques guinées de plus ou de moins pour- raient bien (foi de cavalier de Saint-Georges !) nous en délivrer.

L'Espagnol. — Que dites-vous, Forbess ?... C'est affreux ! Non, le peuple anglais est trop généreux pour employer des moyens aussi vils, aussi lâches !

Forbess. — Ne vous ai-je pas nommé Pitt ?

L'Italien. — Pitt échouera dans ses complots. Le génie de la France et sa sagesse la protègent.

« Mais si vous ne devinez pas le but du ma- riage en question, le voici :

« Tous les partis, eh France, se croisent, se heurtent se choquent ; aucun point de rallie- ment.

« Celui qu'on appelle aristocrate abhorre la domination des hommes que se sont couverts de crimes et de sang. Le forcené démagogue est irrité de voir qu'on ose l'emmuseler et que les prépondérants l'abandonnent à son ignominie.

« Les peureux, les indifférents, qui forment le plus grand nombre, invoquent un seul maître qui joigne le courage aux lumières, les vertus aux talents, et ils trouvent cela dans Orsec.

« Son mariage avec Zoloé lui attache une classe proscrite. L'éclat de ses victoires ne per- permet pas à la malveillance de s'en offenser.


- 'Si -

Il a fait ses preuves de justice et d'honneur envers tous les partis : tous l'estiment, le révè- rent comme un ami et comme un homme supé- rieur.

Milord. — Qu'il en soit ce qu'il plaira à la fortune, je ne veux pas m'en fatiguer ici.

u Me voilà en France : si la paix y règne, je serai citoyen de France ; sinon, je reverrai mes dieux pénates.

« Je ne connais d'Orsec que par sa réputa- tion et ses triomphes. Il ne peut que protéger tout homme ami de la paix et de l'ordre public. Quant à moi, je ne veux que jouir. Peu m'im- porte sous quel pilote arriver au port, pourvu que j'y parvienne sans tourments et sans nau- frage !

Le bel Italien allait reprendre le fil de son discours, mais l'amoureux Espagnol le fit arrê- ter en lui rappelant que ces dames devaient être visibles et qu'il était gTand temps d'aller leur faire la cour.


SCÈNE ANGLAISE


Ces dames étaient levées depuis longtemps et très impatientes. L'humeur se peignait dans leur physionomie.

Quelques baisers, les saillies de milord au déjeuner, les protestations de Fernance et l'em- pressement de Guilelmi la firent disparaître.

Les ci eux étaient sans nuage ; pas un souffle l'air ; l'ardeur du soleil embrasait l'atmosphère. Les dames n'avaient garde de s'exposer à ses rayons.

Le relâchement du genre nerveux invite au repos. On préfère donc de ne rien faire et de causer.

On parle de romans : matière intarissable pour reloge et la critique.

la pétillante Volsange se déclare contre l'an- glomanie. Elle réduit en poudre tous ces pom- peux galimatias d'invraisemblances entassés dans les romans modernes, resassés sans cesse et tra



après avoir épuisé dans leurs bras. . .


— 5o —

vestis par nos auteurs d'un jour. Ces tours, ces souterrains, ces descriptions hideuses, ces tour- ments qui n'ont jamais existé que dans les cer- velles dérangées des romanciers, lui paraissent autant d'insultes faites au bon sens.

Forbess soutient l'honneur de la littérature an- glaise ; il a pour lui l'opinion de Zoloé et celle de Lauréda.

Guilelmi et Fernance se renferment dans la gâcaifcralité.

L'amour propre de milord est atteint au vif. I! promet de s'en venger et il tient parole.

On se rappelle, que son habitation fut jadis l??î couvent ; il y avait des souterrains, et cela fCHir cause : ils n'ont pas été comblés.

En moins de soixante heures, les batteries sont isées, les rôles distribués et la pièce jouée.

Ii» dénouement doit être terrible ; personne itié au mystère, ni Lauréda, ni Zoloé, ni ! agréables. Ml un mot sur le dîner.

Jamais on n'avait étalé tant de magnificence Sgu'à ce festin ; on y avait prodigué les produc- tions les plus délicates de toutes les parties du monde. Bacchus lui-même semblait y avoir pré- sidé et pour le choix des vins et pour l'ambroisie des liqueurs. Elles coulaient avec une abondance, avec une suavité à laquelle il était impossible


— 6i —

de résister.

I.t- dîner se prolongea loftgtènjpB et déUcieu-

semerit.

Rien de plus souverain, pour en calmer la conflagration, que la fraîcheur des bois ; la Fa- culté l'a dit et l 'expérience l'a prouvé.

On s'achemina donc sous le paisible ombrage des chênes et des hêtres, chaque dame escortée de son cavalier.

Peu à peu, les couples se divisent, se dissi- mulent, s'isolent ; le besoin s'enflamme ; on meurtrit la tendre fougère, le frais gazon, on recommence, on se repose, puis on pense à se réunir enfin.

Mi-lord se lève, donne la main à sa belle com- pagne.

Volsange aperçoit, au clair de la lune, des ruines.

— Ceci, dit-elle, dépend de l'abbaye ?

— Certainement, répondit Forbess. Je le tiens de mon intendant ; c'est ici le chef-d'œuvre et le centre du Grand Chapitre.

— Pourquoi l'avoir détruit ? Les restes an- noncent de la magnificence...

— Vous ne voyez pas tout. Ces restes masquent une jolie cabane.

En effet, en perçant un fourré de broussailles, on voyait sortir et s'élever, à vingt pieds de


terre, une espèce de chaumière.

L'isolement du lieu, les pâles et blancs rayoïi de la lune qui tombaient obliquement sur le to: de paille noire, le chant lugubre des hibou* quelques roucoulis d'oiseaux tapis dans les feui lages, les insectes qui bourdonnaient un so plaintif, donnaient à ce sauvage asile un aspe< effrayant et provoquait aux plus sombres pei

séej^

Milord ne disait rien ; la main de Volsang< auparavant si décidée, tremblait dans la sienn<

— Où me conduisez-vous, Forbess ? Serait-( dans un tombeau ?

— Quoi ! Volsange a peur ? Où est notre bel intrépidité ? Ne craignez rien, il ne faut pi juger sur les apparences.

Il pousse le loquet d'une porte mal assemblé et les voilà dans une petite pièce d'une propre charmante.

La lumière vacillante d'une lampe l' éclaira] Volsange admirait avec attendrissement le po trait d'un ermite pleurant sur la faiblesse ( ses jeunes ans.

Tout à coup, la lumière s'éteint. Elle appel Forbess ; un silence profond.

Le plancher s'enfonce, elle tombe assez raf dément dans une profondeur.

Etourdie de la chute, ses sens l'abandonner.


Son réveil est pénible. Elle ignore où elle est, iepuis quand elle habite ce caveau.

— cruel, ô barbare ! s'écrie-t-elle à travers ie longs sanglots ; c'est donc ainsi que tu réa- lises ta vengeance ?... Rassasié de mes plus ten- dres prédilections, tu me plonges dans ce tom- beau I Je n'ai donc passé par toutes les vicissi- tudes de la prospérité humaine que pour être enterrée vivante ?...

« Et vous le souffrez, mes amies, vous, les compagnes inséparables de mes plaisirs ! Et vous n'arrachez pas le cœur de l'inhumain qui a ourdi bette infâme trahison i... Puissent tous les fléaux de la justice humaine et divine l'écraser à la fois, ce monstre !...

« Malheureuse I à quelle déclamation tu te ivres ! Songe à mourir, à te réconcilier avec le Ciel... Hélas 1 oui, je l'ai offensé... Mourons dans cette prison ténébreuse...

(( Jeunesse, beauté, plaisirs, tout est enfoui dans cet abîme ! Le néant, va s'emparer de mon être ! Je n'ai que des horreurs en perspective 1 Cette pensée lui coupe la parole ; elle retombe

une seconde fois évanouie.

Enfin, un souffle bienfaisant ou quelque alcali

administré d'une manière subtile la rend à elle- même.

Hélas 1 c'est pour déplorer son malheur


m


Est-ce une lumière qu'elle entrevoit de loin, ou ses yeux fascinés lui font-ils illusion !'

Cependant, insensiblement, la faible lueur augmente, et il lai semble que de temps en temps des figures hideuses interceptent la com- munication.

Elle croit entendre des gémissements qui se prolongent dans la caverne, et le roulis de chaînes traînées pesamment.

Un silence profond et effrayant succède à ces lugubres sons.

Un violent coup de tonnerre qui se répète au loin interrompt seul ce calme affreux.

Un effroi involontaire fait frémir tous Ses membres ; des éclairs sillonnent la nuit de cet enfer.

Qu'aperçoit-elle ?

Des squelettes blancs et décharnés s'avancent dans la nuit sur elle.

Ils s'arrêtent à trente pas, et une voix fré- missante, qui semble sortir de dessous terre, lui adresse ces paroles :

— Volsange ! réponds moi !...

<( As-tu vu la mort ?...

« As-tu contempla ses horreurs ')...

(( Me voilà !...

« Comme toi, je fus favorisée des plus riches dons de la nature ; j'eus de la fortune, de la


5S


beauté, du talent, des amis ; je m'enivrai des plaisirs, de la gloire, des jouissances de toutes sortes.

« On vantait mon esprit, on encensait jus- qu'à mes défauts, on jetait un voile sur mes faiblesses ; les roses naissaient sous mes pas, tous mes jours étaient un cercle d'amusements et de délices ; le bonheur paraissait en permanence sur ma tète. Un souffle a renversé tout cet édi- fice.

« Vois ce qui me reste.

<( Attouche ces ossements qui contiennent les débris de mon être.,.

Et. en même temps, le fantôme sépulcral s'ap- proche, dans son appareil lugubre.

— ciel ! s'écrie-t-elle avec un accent de ter- reur et de désespoirindicibles, épargne à mes yeux cet horrible spectacle !

« Malheureuse, j'habite l'empire des morts !

Les éclats redoublés de la foudre, les voûtes de l'infernal souterrain qui paraissent s'écrou- ler, les gémissements qui se font entendre, gla- cent sa langue.

Une sueur froide coule sur son visage ; la nature, épuisée par des émotions si vive, suc- combe. Ses couleurs si fraîches et si belles dis- paraissent ; son teint est livide ; ses yeux éteints annoncent que sa dissolution est consommée. ^


C'est alors que le féroce Anglais éprouve à son tour la rage du désespoir.

Son amour-propre lui avait fait inventer ces moyens de terreur. Il ne voulait qu'effrayer sa maîtresse, et il l'a tuée.

Oh I qui pourrait décrire ce qui se passait dans son cœur P L'enfer s'en est emparé et y exerce tous les supplices.

Il vomit mille imprécations contre lui-même. Jl appelle :

— Au secours !...

L'écho seul de ces profondeurs lui répond, et ajoute aux horreurs dont il est bientôt envi- ronné.

Cependant, il approche une main tremblante, il la porte sur le cœur de Volsange.

Il croit y sentir un reste de chaleur.

Encouragé par une lueur de foi et d'espérance, il se hâte de la tirer de ce funeste lieu. Il charge sur ses épaules ce précieux fardeau et va le déposer sur l'herbe.

A genoux devant son amante, il invoque pour elle le Père de la nature éternelle.

L'haleine des zéphirs se fait sentir ; peu à peu, la fraîcheur de l'air, les sels, raniment les par- ties subtiles de ce corps engourdi ; la chaleur se dilate.


-•7-

11 aperçoit un mouvpmpnt. : Volsange vit, elle ouvre les yeux,

— Où suîs-je ?... D'où vîens-je ?...

« Oh I Dieux !... fait-elle en apercevant For- bess, encore un monstre maudit !

— Mon amie, ma belle pépée, mon adorable amie, peux-tu ainsi méconnaître ton meilleur ami, Forbess ?

« Chasse de vaines terreurs ; c'est ton amant qui t'en supplie...

— Toi, mon ami, mon amant ...

« Barbare ! toi qui m'as livré aux furies de l'enfer !...

« Retire-toi, âme féroce !... Lâche égoïste !.... Porte ailleurs le secours de ton encens.

« Ou, si tu veux me rendre un service, donne- moi la mort et délivre-moi de l'horreur de te voir !...

C'est en vain qu'il implore son pardon, qu'il embrasse ses genoux ; ni les larmes, ni les priè- res, ni les promesses ne peuvent ramener cette fi ère maîtresse.

L'amour-propre est piqué au vif ; jamais femme n'a pardonné une pareille blessure.

Enfin, ne pouvant la calmer par les voies douces et amicales, Forbess s'irrite à son tour ; il saisit son bras et l'entraîne au château malgré elle.


Depuis plus de deux heures, on les y atten- dait avec impatience ; les plaisants se promet- taient bien de s'amuser aux dépens des tardifs pour toutes les questions et les propos badins qu'on adresse aux amants.

Mais, en voyant entrer Volsange pâle, déco- lorée et dans l'attitude d'une femme excessive- ment agitée, en examinant ensuite l'air cons- terné, abattu, et les yeux enflammés de milord, on se douta bien que le bosquet avait été le théâtre de quelque scène extraordinaire.

Volsange les tira bientôt d'incertitude en leur déclarant ce qui s'était passé, et qu'elle allait quitter sur-le-champ l'infâme, le scélérat, comme elle l'appelait.

Inutilement, les amis s'efforcent de concilier ces esprits altiers.

Après mille débats, ils obtiennent seulement que Volsange diffère jusqu'au lendemain son départ ; ce qu'elle effectua dès l'aube du jour. La société ne tarda pas à la suivre.

Milord ne vit plus qu'avec horreur ce séjour, qu'il trouvait naguère si plein de charmes.

Il revint ainsi étouffer, dans le tumulte de la grande capitale, son incommensurable chagrin et ses remords.


%


CONCLUSION


Le dixième jour devait éclairer la cérémonie ol'licielle et solennelle du mariage de Zoioé avec d'Orsec.

A peine ce ce temps suffisait-il aux prépara- tifs de toute espèce auxquels il fallait présider.

Forbess avait tenté inutilement de renouer avec Volsange ; elle était devenue inexorable.

Le goût de Lauréda pour le beau Fernance était devenu une passion impétueuse : elle ne se privait pas du plaisir de le voir et de l'en- tendre.

Cependant, Fessinot se reposait sur la fidélité de sa digne et fière épouse ; mais il est partout de ces génies malfaisants ou jaloux qui se plai- sent à semer la division et les haines.

Averti par un de ses charitables collègues des assiduités de Fernance, il veut y opposer son autorité ; Lauréda reste séquestrée de tout corn-


— *> —

munication. Il croit tenir son honneur en sû- reté sous la sauvegarde des verrous.

Précautions superflues ! Celui même qui éveille sa jalousie s'empare de la place qu'il conseille de si bien garder, et il est encore aujourd'hui

en possession de la souveraineté.

■■* .

  • *

Forbess, chaque jour, parcourait les assem- blées, les spectacles, et ne pouvait rencontrer Volsange.

Les agents les plus affidés avaient perdu leur temps à la chercher.

Milord sortait de l'Opéra sans avoir fait atten- tion à la musique, ni au sujet de la pièce. Il appelait ses gens, en colère.

Un cavalier descend avec précipitation, le heurte et le renverse.

— Chevalier 1 s'écrie-t-il en fureur, vous m'in- sultez !

« A demain, huit heures du matin, au Bois de Boulogne, ou je vous tiens pour un lâche !

— A demain, milord !

Le combat avait commencé. L'épée n'ayant pu le terminer :

— Le pigtolet de combat ! s'écrie l'un des champions.

Le sort décide qui tirera le premier ; il favo- rise milord, qui manque son coup ; son adver-


— Ôi —

saire l'ajuste et lui perce la corne de son cha- peau.

— C'est assez ! dit l'inconnu.

« Tu chancelles, lâche !... Reconnais la farou- che Volsange !...

Et aussitôt, elle se jette sur son cheval et part rejoindre Zoloé.

Ce jour était désigné pour son mariage.

Il fut célébré en présence d'une nombreuse

assemblée.

r * i

  • *

Parmesan, de son côté, a tenu promesse à Mirval et lui a appris à respecter l'honnête, mais combien douloureuse médiocrité.

La belle et brune marquise de Mirbonne con- tinue à se livrer, sans retenue ni mesure, à tous ses caprices libertins.

Grandes prostituées et fameux libertins s'en donnent à cœur-joie.

Ft-ssinot, devenu le ridicule même, n'ose plus faire entendre sa voix au Sénat.

Guilelmi est marqué du sceau de l'opprobre. Fernance, dégoûté de la frivolité et de l'incons- tance françaises, est rentré dans sa patrie.

Sabar est tout-puissant et méprisé ; d'Orba- zan, l'idole du beau sexe, est le fléau des mœurs.

  • *


— 62 —

Qu'on se rappelle que nous parlons en histo- rien.

Ce n'est pas notre faute si nos tableaux sont chargés des couleurs de l'immoralité, de la per- fidie et de l'intrigue.

Nous avons peint les hommes d'un siècle qui n'est plus.

Puisse celui-ci en produire de meilleurs et prêter à nos pinceaux les charmes de la vertu !


FIN


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