Extrait de la correspondance littéraire de Grimm (La Religieuse, préface annexe)  

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Melchior Grimm

La Religieuse de M. de la Harpe a réveillé ma conscience endormie depuis dix ans, en me rappelant un terrible complot dont j’avais été l’âme, de concert avec M. Diderot, et deux ou trois autres bandits de cette trempe de nos amis intimes. Ce n’est pas trop tôt de s’en confesser, et de tâcher, en ce saint temps de carême, d’en obtenir la rémission avec mes autres péchés, et de noyer le tout dans le puits perdu des miséricordes divines.

L’année 1760 est marquée dans les fastes des badauds en Parisis par la réputation soudaine et éclatante de Ramponeau, et par la comédie des Philosophes, jouée en vertu d’ordres supérieurs sur le théâtre de la Comédie-Française. Il ne reste aujourd’hui de toute cette entreprise qu’un souvenir plein de mépris pour l’auteur de cette belle rhapsodie, appelé Palissot, qu’aucun de ses protecteurs ne s’est soucié de partager ; les plus grands personnages, en favorisant en secret son entreprise, se croyaient obligés de s’en défendre en public, comme d’une tache de déshonneur. Tandis que ce scandale occupait tout Paris, M. Diderot, que ce polisson d’Aristophane français avait choisi pour son Socrate, fut le seul qui ne s’en occupait pas. Mais quelle était notre occupation ! Plût à Dieu qu’elle eût été innocente ! L’amitié la plus tendre nous attachait depuis longtemps à M. le marquis de Croismare, ancien officier du régiment du Roi, retiré du service, et un des plus aimables hommes de ce pays-ci. Il était à peu près de l’âge de M. de Voltaire ; et il conserve, comme cet homme immortel, la jeunesse de l’esprit avec une grâces une légèreté et des agréments dont le piquant ne s’est jamais émoussé pour moi. On peut dire qu’il est un de ces hommes aimables dont la tournure et le moule ne se trouvent qu’en France, quoique l’amabilité ainsi que la maussaderie soient de tous les pays de la terre. Il ne s’agit pas ici des qualités du cœur, de l’élévation des sentiments, de la probité la plus stricte et la plus délicate, qui rendent M. de Croismare aussi respectable pour ses amis qu’il leur est cher ; il n’est question que de son esprit. Une imagination vive et riante, un tour de tête original, des opinions qui ne sont arrêtées qu’à un certain point, et qu’il adopte ou qu’il proscrit alternativement, de la verve toujours modérée par la grâce, une activité d’âme incroyable, qui, combinée avec une vie oisive et avec la multiplicité des ressources de Paris, le porte aux occupations les plus diverses et les plus disparates, lui fait créer des besoins que personne n’a jamais imaginés avant lui, et des moyens tout aussi étranges pour les satisfaire, et par conséquent une infinité de jouissances qui se succèdent les unes aux autres : voilà une partie des éléments qui constituent l’être de M. de Croismare, appelé par ses amis le charmant marquis par excellence, comme l’abbé Galiani était pour eux le charmant abbé. M. Diderot, comparant sa bonhomie au tour piquant du marquis de Croismare, lui dit quelquefois : Votre plaisanterie est comme la flamme de l’esprit-de-vin, douce et légère, qui se promène partout sur ma toison, mais sans jamais la brûler.

Ce charmant marquis nous avait quittés au commencement de l’année 1759 pour aller dans ses terres en Normandie, près de Caen. Il nous avait promis de ne s’y arrêter que le temps nécessaire pour mettre ses affaires en ordre ; mais son séjour s’y prolongea insensiblement ; il y avait réuni ses enfants ; il aimait beaucoup son curé ; il s’était livré à la passion du jardinage ; et comme il fallait à une imagination aussi vive que la sienne des objets d’attachement réels ou imaginaires, il s’était tout à coup jeté dans la plus grande dévotion. Malgré cela, il nous aimait toujours tendrement ; mais vraisemblablement nous ne l’aurions jamais revu à Paris, s’il n’avait pas successivement perdu ses deux fils. Cet événement nous l’a rendu depuis environ quatre ans, après une absence de plus de huit années ; sa dévotion s’est évaporée comme tout s’évapore à Paris, et il est aujourd’hui plus aimable que jamais.

Comme sa perte nous était infiniment sensible, nous délibérâmes en 1760, après l’avoir supportée pendant plus de quinze mois, sur les moyens de l’engager à revenir à Paris. L’auteur des mémoires qui précèdent se rappela que, quelque temps avant son départ, on avait parlé dans le monde, avec beaucoup d’intérêt, d’une jeune religieuse de Longchamp [Marguerite Delamarre] qui réclamait juridiquement contre ses vœux, auxquels elle avait été forcée par ses parents. Cette pauvre recluse intéressa tellement notre marquis, que, sans l’avoir vue, sans savoir son nom, sans même s’assurer de la vérité des faits, il alla solliciter en sa faveur tous les conseillers de grand-chambre du parlement de Paris. Malgré cette intercession généreuse, je ne sais par quel malheur, la sœur Suzanne Simonin perdit son procès, et ses vœux furent jugés valables. M. Diderot résolut de faire revivre cette aventure à notre profit. Il supposa que la religieuse en question avait eu le bonheur de se sauver de son couvent ; et en conséquence écrivit en son nom à M. de Croismare pour lui demander secours et protection. Nous ne désespérions pas de le voir arriver en toute diligence au secours de sa religieuse ; ou, s’il devinait la scélératesse au premier coup d’œil et que notre projet manquât, nous étions sûrs qu’il nous en resterait du moins une ample matière à plaisanterie. Cette insigne fourberie prit une tout autre tournure, comme Vous allez voir par la correspondance que je vais vous mettre sous vos yeux, entre M. Diderot ou la prétendue religieuse et le loyal et charmant marquis de Croismare, qui ne se douta pas un instant de notre perfidie ; c’est cette perfidie que nous avons eue longtemps sur notre conscience. Nous passions alors nos soupers à lire, au milieu des éclats de rire, des lettres qui devaient faire pleurer notre bon marquis ; et nous y lisions, avec ces mêmes éclats de rire, les réponses honnêtes que ce digne et généreux ami y faisait. Cependant, dès que nous nous aperçûmes que le sort de notre infortunée commençait à trop intéresser son tendre bienfaiteur, M. Diderot prit le parti de la faire mourir, préférant de causer quelque chagrin au marquis au danger évident de le tourmenter plus cruellement peut-être en la laissant vivre plus longtemps. Depuis son retour à Paris, nous lui avons avoué ce complot d’iniquité ; il en a ri, comme vous pouvez penser ; et le malheur de la pauvre religieuse n’a fait que resserrer les liens d’amitié entre ceux qui lui ont survécu. Cependant il n’en a jamais parlé à M. Diderot. Une circonstance qui n’est pas la moins singulière, c’est que, tandis que cette mystification échauffait la tête de notre ami en Normandie, celle de M. Diderot s’échauffait de son côté. Celui-ci, persuadé que le marquis ne donnerait pas un asile dans sa maison à une jeune personne sans la connaître, se mit à écrire en détail l’histoire de notre religieuse.

Un jour qu’il était tout entier à ce travail, M.d’Alainville. un de nos amis communs, lui rendit visite et le trouva plongé dans la douleur et le visage inondé de larmes. « Qu’avez-vous donc ? lui dit M. d’Alainville ; comme vous voilà ! – Ce que j’ai, lui répondit M. Diderot, je me désole d’un conte que je me fais. » Il est certain que s’il eût achevé cette histoire, il en aurait fait un des romans les plus vrais, les plus intéressants et les plus pathétiques que nous ayons. On n’en pouvait pas lire une page sans verser des pleurs ; et cependant il n’y avait point d’amour.

Ouvrage de génie, qui présentait partout la plus forte empreinte de l’imagination de l’auteur ; ouvrage d’une utilité publique et générale, car c’était la plus cruelle satire qu’on eût jamais faite des cloîtres ; elle était d’autant plus dangereuse que la première partie n’en renfermait que des éloges ; sa jeune religieuse était d’une dévotion angélique et conservait dans son cœur simple et tendre le respect le plus sincère pour tout ce qu’on lui avait appris à respecter. Mais ce roman n’a jamais existé que par lambeaux, et en est resté là : il est perdu, ainsi qu’une infinité d’autres productions d’un homme rare, qui se serait immortalisé par vingt chefs-d’œuvre, s’il avait su être avare de son temps et ne pas l’abandonner à mille indiscrets, que je cite tous au jugement dernier, où ils répondront devant Dieu et devant les hommes du délit dont ils sont coupables. (Et j’ajouterai, moi qui connais un peu M. Diderot, que ce roman il l’a achevé et que ce sont les mémoires mêmes qu’on vient de lire, où l’on a dû remarquer combien il importait de se méfier des éloges de l’amitié.)

Cette correspondance et notre repentir sont donc tout ce qui nous reste de notre pauvre religieuse. Vous voudrez bien vous souvenir que les lettres signées Madin, ou Suzanne Simonin ont été fabriquées par cet enfant de Bélial, et que toutes les lettres de la recluse à son généreux protecteur sont véritables et ont été écrites de bonne foi, ce qu’on eut toutes les peines du monde à persuader à M. Diderot, qui se croyait persiflé par le marquis et par ses amis.

BILLET

DE LA RELIGIEUSE A M. LE COMTE DE CROISMARE,

GOUVERNEUR DE L’ECOLE ROYALE MILITAIRE.

Une femme malheureuse, à laquelle M. le marquis de Croismare s’est intéressé il y a trois ans, lorsqu’il demeurait à côté de l’Académie royale de musique, apprend qu’il demeure à présent à l’École militaire. Elle envoie savoir si elle pourrait encore compter sur ses bontés, maintenant qu’elle est plus à plaindre que jamais.

Un mot de réponse, s’il lui plaît ; sa situation est pressante ; et il est de conséquence que la personne qui lui remettra ce billet n’en soupçonne rien.

ON A REPONDU :

Qu’on se trompait et que M. de Croismare en question était actuellement à Caen.

Ce billet était écrit de la main d’une jeune personne dont nous nous servîmes pendant tout le cours de cette correspondance. Un page du coin le porta à l’École militaire et nous rapporta la réponse verbale. M. Diderot jugea cette première démarche nécessaire par plusieurs bonnes raisons. La religieuse avait l’air de confondre les deux cousins ensemble. et d’ignorer la véritable orthographe de leur nom ; elle apprenait par ce moyen, bien naturellement, que son protecteur était à Caen. Il se pouvait que le gouverneur de l’École militaire plaisantât son cousin à l’occasion de ce billet et le lui envoyât ; ce qui donnait un grand air de vérité à notre vertueuse aventurière. Ce gouverneur très aimable, ainsi que tout ce qui porte son nom, était aussi ennuyé de l’absence de son cousin que nous ; et nous espérions le ranger au nombre des conspirateurs. Après sa réponse, la religieuse écrivit à Caen.

LETTRE

DE LA RELIGIEUSE A M. LE MARQUIS DE CROISMARE,

A CAEN.

Monsieur, je ne sais à qui j’écris ; mais, dans la détresse où je me trouve, qui que vous soyez, c’est à vous que je m’adresse. Si l’on ne m’a point trompée à l’École militaire et que vous soyez le marquis généreux que je cherche, je bénirai Dieu ; si vous ne l’êtes pas, je ne sais ce que je ferai. Mais je me rassure sur le nom que vous portez ; j’espère que vous secourrez une infortunée, que vous, monsieur, ou un autre M. de Croismare, qui n’est pas celui de l’École militaire, avez appuyée de votre sollicitation dans une tentative inutile qu’elle fit, il y a deux ans, pour se tirer d’une prison perpétuelle, à laquelle la dureté de ses parents l’avait condamnée. Le désespoir vient de me porter à une seconde démarche dont vous aurez sans doute entendu parler ; je me suis sauvée de mon couvent. Je ne pouvais plus supporter mes peines ; et il n’y avait que cette voie, ou un plus grand forfait encore, pour me procurer une liberté que j’avais espérée de l’équité des lois.

Monsieur, si vous avez été autrefois mon protecteur, que ma situation présente vous touche et qu’elle réveille dans votre cœur quelque sentiment de pitié ! Peut-être trouverez-vous de l’indiscrétion à avoir recours à un inconnu dans une circonstance pareille à la mienne. Hélas ! monsieur, si vous saviez l’abandon où je suis réduite ; si vous aviez quelque idée de l’inhumanité dont on punit les fautes d’éclat dans les maisons religieuses, vous m’excuseriez ! Mais vous avez l’âme sensible, et vous craindrez de vous rappeler un jour une créature innocente jetée, pour le reste de sa vie, dans le fond d’un cachot. Secourez-moi, monsieur, secourez-moi ! Voici l’espèce de service que j’ose attendre de vous, et qu’il vous est plus facile de me rendre en province qu’à Paris. Ce serait de me trouver, ou par vous-même ou par vos connaissances, à Caen ou ailleurs, une place de femme de chambre ou de femme de charge, ou même de simple domestique. Pourvu que je sois ignorée, chez d’honnêtes gens, et qui vivent retirés, les gages n’y feront rien. Que j’aie du pain et de l’eau, et que je sois à l’abri des recherches ; soyez sûr qu’on sera content de mon service. J’ai appris à travailler dans la maison de mon père, et à obéir en religion. Je suis jeune, j’ai le caractère doux et je suis d’une bonne santé. Lorsque mes forces seront revenues, j’en aurai assez pour suffire à toutes sortes d’occupations domestiques. Je sais broder, coudre et blanchir ; quand j’étais dans le monde, je raccommodais mes dentelles, et j’y serai bientôt remise. Je ne suis pas maladroite, je saurai me faire à tout. S’il fallait apprendre à coiffer, je ne manque pas de goût, et je ne tarderais pas à le savoir. Une condition supportable, s’il se peut, ou une condition telle quelle, c’est tout ce que je demande. Vous pouvez répondre de mes mœurs : malgré les apparences, monsieur, j’ai de la piété. Il y avait au fond de la maison que j’ai quittée, un puits que j’ai souvent regardé : tous mes maux seraient finis, si Dieu ne m’avait retenue. Monsieur, que je ne retourne pas dans cette maison funeste ! Rendez-moi le service que je vous demande ; c’est une bonne œuvre dont vous vous souviendrez avec satisfaction tant que vous vivrez, et que Dieu récompensera dans ce monde ou dans l’autre. Surtout, monsieur, songez que je vis dans une alarme perpétuelle et que je vais compter les moments. Mes parents ne peuvent douter que je ne sois à Paris ; ils font sûrement toutes sortes de perquisitions pour me découvrir ; ne leur laissez pas le temps de me trouver. Jusqu’à présent, j’ai subsisté de mon travail et des secours d’une digne femme que j’avais pour amie et à laquelle vous pouvez adresser votre réponse. Elle s’appelle Mme Madin. Elle demeure à Versailles. Cette bonne amie me fournira tout ce qu’il me faudra pour mon voyage ; et quand je serai placée, je n’aurai plus besoin de rien, et ne lui serai plus à charge. Monsieur, ma conduite justifiera la protection que vous m’aurez accordée : quelle que soit la réponse que vous me ferez, je ne me plaindrai que de mon sort.

Voici l’adresse de Mme Madin : A madame Madin, au pavillon de Bourgogne, rue dAnjou, à Versailles.

Vous aurez la bonté de mettre deux enveloppes, avec son adresse sur la première, et une croix sur la seconde.

Mon Dieu, que je désire d’avoir votre réponse ! Je suis dans des transes continuelles.

Votre très humble et très obéissante servante,

Signé : SUZANNE SIMONIN.


Nous avions besoin d’une adresse pour recevoir les réponses, et nous choisîmes une certaine Mme Madin, femme d’un ancien officier d’infanterie, qui vivait réellement à Versailles. Elle ne savait rien de notre coquinerie, ni des lettres que nous lui fîmes écrire à elle-même par la suite, et pour lesquelles nous nous servîmes de l’écriture d’une autre jeune personne. Mme Madin était seulement prévenue qu’il fallait recevoir et me remettre toutes les lettres timbrées Caen. Le hasard voulut que M. de Croismare, après son retour à Paris, et environ huit ans après notre péché, trouvât Mme Madin chez une femme de nos amies qui avait été du complot. Ce fut un vrai coup de théâtre ; M. de Croismare se proposait de prendre mille informations sur une infortunée qui l’avait tant intéressé, et dont Mme Madin ignorait jusqu’à l’existence. Ce fut aussi le moment de notre confession générale et celui de notre absolution.

RÉPONSE DE M. LE MARQUIS DE CROISMARE

Mademoiselle, votre lettre est parvenue à la personne même que vous réclamiez. Vous ne vous êtes pas trompée sur ses sentiments ; vous pouvez partir aussitôt pour Caen, si une place à côté d’une jeune demoiselle vous convient.

Que la dame votre amie me mande qu’elle m’envoie une femme de chambre telle que je la puis désirer, avec tel éloge qu’il lui plaira de vos qualités, sans entrer dans aucun autre détail d’état. Qu’elle me marque aussi le nom que vous aurez choisi, la voiture que vous aurez prise, et le jour, s’il se peut, que vous arriverez. Si vous preniez la voiture du carrosse de Caen, il part le lundi de grand matin de Paris, pour arriver ici le vendredi ; il loge à Paris, rue Saint-Denis, au Grand-Cerf. S’il ne se trouvait personne pour vous recevoir à votre arrivée à Caen, vous vous adresseriez de ma part, en attendant, chez M. Gassion, vis-à-vis la place Royale. Comme l’incognito est d’une extrême nécessité de part et d’autre, que la dame votre amie me renvoie cette lettre, à laquelle, quoique non signée, vous pouvez ajouter foi entière. Gardez-en seulement le cachet, qui servira à vous faire connaître, à Caen, à la personne à qui vous vous adresserez.

Suivez, mademoiselle, exactement et diligemment ce que cette lettre vous prescrit ; et pour agir avec prudence, ne vous chargez ni de papiers ni de lettres, ou d’autre chose qui puisse donner occasion, de vous reconnaître : il sera facile de faire venir tout cela dans un autre temps. Comptez avec une confiance parfaite sur les bonnes intentions de votre serviteur.

A …, proche Caen, ce mercredi

6 février 1760.

Cette lettre était adressée à Mme Madin. Il y avait sur l’autre enveloppe une croix, suivant la convention.

Le cachet représentait un Amour tenant d’une main un flambeau, et de l’autre deux cœurs, avec une devise qu’on n’a pu lire, parce que le cachet avait souffert à l’ouverture de la lettre. Il était naturel qu’une jeune religieuse à qui l’amour était étranger en prît l’image pour celle de son ange gardien.

LETTRE DE MADAME MADIN A M. LE MARQUIS DE CROISMARE

La chère enfant n’est plus ; ses peines sont finies ; et les nôtres ont peut-être encore longtemps à durer. Elle a passé de ce monde dans celui où nous sommes tous attendus, mercredi dernier, entre trois et quatre heures du matin. Comme sa vie avait été innocente, ses derniers instants ont été tranquilles, malgré tout ce qu’on a fait pour les troubler. Permettez que je vous remercie du tendre intérêt que vous avez pris à son sort ; c’est le seul devoir qui me reste à lui rendre. Voilà toutes les lettres dont vous nous avez honorées. J’avais gardé les unes, et j’ai trouvé les autres parmi des papiers qu’elle m’a remis quelques jours avant sa mort ; ils contiennent, à ce qu’elle m’a dit, l’histoire de sa vie chez ses parents et dans les trois maisons religieuses où elle a demeuré, et ce qui s’est passé après sa sortie. Il n’y a pas d’apparence que je les lise sitôt : je ne saurais rien voir de ce qui lui appartenait, rien même de ce que mon amitié lui avait destiné, sans ressentir une douleur profonde.

Si je suis assez heureuse, monsieur, pour vous être utile, je serai très flattée de votre souvenir.

Je suis, avec les sentiments, de respect et de reconnaissance qu’on doit aux hommes miséricordieux et bienfaisants, monsieur, votre très humble et très obéissante servante,

Signé : MOREAU-MADIN.

Ce 10 mai 1760.




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