Louis Menesclou
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Louis Menesclou (1860-1880) was a French murderer, a man who raped and murdered a four-year-old.
AFFAIRE MENESCLOU. - EXAMEN DE L'ETAT MENTAL DE L'INCULPĖ.
A report by Lasègue, Brouardel et Motet.
AFFAIRE MENESCLOU. 439
AFFAIRE MENESCLOU. - EXAMEN DE L'ETAT MENTAL DE L'INCULPĖ.
Rapport et réflexions.
Par MM. Ch. Lasègue, Brouardel et Motet.
Le 15 avril 1880, une petite fille âgée de 4 ans, Louise
Deu , disparaissait de chez ses parents . Le lendemain , à la
suite d'incidents inutiles à rapporter ici , on arrêtait le nommé
Louis Menesclou âgé de 19 ans, un des locataires de la maison. On trouvait dans ses poches les deux avant-bras de
l'enfant, puis on retirait du four d'un petit poêle la tête desséchée, mais encore parfaitement reconnaissable de la jeune
Deu, et du fourneau des intestins incomplètement carbonisés . Les recherches ultérieures firent retrouver dans les
fosses d'aisances quarante-trois morceaux, à l'aide desquels
440 LASÈGUE, BROUARDEL ET MOTET.
on put reconstituer presque dans son entier le corps de la
victime. Plusieurs fragments manquaient, et parmi eux le
cou et les organes génitaux . L'accusation admit que Menesclou avait attiré dans sa chambre cette petite fille pendant
qu'elle jouait sur le palier de l'escalier, qu'il s'était livré sur
elle à des tentatives de viol, qu'il l'avait étranglée pour
étouffer ses cris , et que ne sachant que faire du cadavre il
l'avait découpé, espérant se débarrasser plus facilement
des divers fragments du corps de sa victime .
Le cadavre avait été dépecé à l'aide de deux mauvais couteaux et d'un marteau . Cette partie de l'enquête ne mérite
pas de nous arrêter , elle ne révèle rien de spécial .
Interrogé sur l'endroit dans lequel il avait caché les organes génitaux de l'enfant, Menesclou refusa de répondre.
L'accusation trouva dans cette circonstance la preuve qu'avant
de tuer sa victime il lui avait fait subir des violences portant
sur ces parties . Une dernière découverte parut d'ailleurs ne
laisser aucun doute « sur la souillure que l'accusé avait fait
subir à Louise Deu » . On trouva chez lui un cahier de chansons , et à la dernière page on lut les vers suivants que
Menesclou reconnut avoir composés le lendemain de son
crime:
Je l'ai vue, je l'ai prise ,
Je m'en veux maintenant,
Et le bonheur n'a qu'un instant.
Dans, ma fureur aveugle,
Je ne voyais pas ce que je faisais .
En présence d'un crime aussi épouvantable, le juge d'instruction se demanda si le coupable possédait toute sa raison
et il nous chargea d'examiner l'état mental de Menesclou .
C'est cette partie de notre enquête que nous avons jugé
bon de placer sous les yeux du public médical . Nous publions
d'abord in extenso le rapport que nous avons remis à M. le
juge d'instruction , et nous le faisons suivre de quelques réflexions qui ne pouvaient être soumises utilement qu'à l'appréciation des médecins .
RAPPORT SUR L'ÉTAT MENTAL DE MENESCLOU. 441
1. Les médecins soussignés ..., com mis par ordonnance de
M. Ragon, juge d'instruction près le tribunal de première
instance du département de la Seine , en date du 22 avril 1880,
à l'effet de constater l'état mental du nommé Menesclou
(Louis) , âgé de 20 ans , détenu à Mazas, sous l'inculpation de
viol et d'assassinat , et de dire si l'inculpé doit être considéré
comme responsable des crimes qui lui sont imputés , serment
prêté entre les mains de ce magistrat, après avoir pris connaissance des pièces de la procédure, visité le prévenu à plusieurs reprises , interrogé les témoins qui pouvaient fournir
des renseignements utiles à l'expertise , ont consigné dans le
présent rapport les résultats de leur examen.
L'attentat commis par Menesclou se présentait dans de
telles conditions qu'on devait se demander si le crime n'avait pas été provoqué par une impulsion délirante de nature.
à atténuer ou à exclure la responsabilité de l'accusé.
Il était avéré d'autre part que Menesclou , quels que fussent
ses défauts de caractère et d'intelligence, n'avait pas présenté
les signes d'une de ces folies confirmées qui s'accusent par
des divagations manifestes et deviennent bientôt notoires
dans le milieu où vit l'aliéné .
S'il avait subi une atteinte d'aliénation, ce ne pouvait être
qu'une crise transitoire de l'ordre de celles qu'un de nous a
décrites sous le nom de folie par accès.
En pareil cas on ne saurait trop multiplier les éléments de
recherche. Le malade doit être étudié avant , pendant et après
l'acte impulsif qui , dans l'espèce, n'a pas eu de témoins. La
constitution physique et morale , les maladies antérieures ,
l'existence d'attaques convulsives ou autres, les défauts de
conformation fournissent, sinon des certitudes , au moins d'importantes présomptions.
Notre investigation a été à tous ces points de vue aussi
complète qu'il est possible, et nous exposerons successivement, avant de conclure, les données que nous avons recueillies.
1° Antécédents héréditaires. Un des oncles de Menes-
442 LASÈGUE, BROUARDEL ET MOTET.
clou aurait été atteint d'une aliénation de nature indéterminée, probablement alcoolique. Sa mère a été internée à
l'asile Sainte-Anne, du 4 octobre au 26 octobre 1876. Le certificat motivant l'arrêté d'admission était ainsi libellé : état
maniaque, accès subit il y a huit jours ; depuis lors , perte
de la mémoire, hébétude, inconscience de ses actes ; habituellement nerveuse et excitable. Le certificat d'entrée porte :
excitation maniaque, désordre d'idées et d'actions ; incapable
de donner des renseignements. La malade est mise en liberté
le 26 octobre avec cette mention du médecin traitant peut
être rendue à son mari qui la réclame et s'engage à la surveiller.
Menesclou père, en demandant le placement de sa femme,
avait fait au commissaire de police la déclaration suivante :
Depuis une huitaine de jours , ma femme a perdu la raison ;
toutes les fois que ses époques arrivaient, elle était agacée,
irritable, j'étais particulièrement l'objet de ses mauvaises
humeurs ; depuis quelques jours , sa menstruation a été accompagnée d'un accès de folie . Elle déclare que je veux l'empoisonner, que je m'entends avec son médecin; elle se refuse
à prendre aucune nourriture .
L'accès, aigu d'emblée, à la fois mélancolique et maniaque,
répondant aux types dits congestifs , a été de courte durée.
Depuis sa sortie la femme Menesclou n'a pas éprouvé de
rechutes et elle continue régulièrement ses occupations d'ouvrière à la manufacture de tabac sans avoir donné lieu à
aucune plainte.
Les chagrins intimes ont pu jouer un rôle considérable
dans l'invasion de cette attaque transitoire ; comme on était
intéressé à les dissimuler, ils ne figurent pas dans les commémoratifs , mais aujourd'hui , mieux renseignés, on ne peut
méconnaître leur valeur pathologique.
-- 2º Antécédents personnels, Les dépositions recueillies
par l'instruction et nos propres informations permettent d'établir le curriculum vitæ de l'accusé, au point de vue médical , depuis sa naissance jusqu'à son arrestation.
RAPPORT SUR L'ÉTAT MENTALE DE MENESCLOU. 443
Né à Paris , en 1860 , Menesclou a été , vers l'âge de 9 mois ,
atteint de convulsions sans gravité. Sa santé s'est graduellement raffermie , néanmoins il est resté sujet à quelques
troubles nerveux : sommeil inquiet, émission involontaire
des urines pendant la nuit, presque jusqu'à la puberté, habitudes précoces de masturbation, intelligence paresseuse ,
développée tardivement, irritabilité, mauvais instincts .
Ces renseignements sont fournis par la mère et par les
instituteurs chez lesquels il a été placé.
Après l'âge pubère, Menesclou s'est montré obstiné, indocile, résistant à tout travail. La famille a essayé avec un
zèle louable tous les moyens de solliciter son activité, aucun
n'a réussi ; dans les ateliers où il était admis comme apprenti
on a refusé de le garder, comme on avait fait dans les écoles
primaires; force a été de le consigner à la maison d'éducation
correctionnelle en 1875. Non amélioré malgré ses promesses,
il entre comme mousse dans la marine de l'État en 1876,
quitte le service en 1879 se plaignant de mauvais traitements.
Revenu à la maison paternelle, il passe ses journées à
jouer sur les boulevards de son quartier ou dans quelques
jardins publics , entouré de camarades la plupart de bas
étage, les attirant chez lui, essayant de faire de l'argent avec
des objets dérobés à son père.
La déposition très explicite de son camarade Larcher
nous l'a montré sous son aspect vrai : un oisif étranger aux
débauches, aimant le jeu sans entraînement, ayant des besoins d'argent, sans appétits démésurés de dépense, vivant
au hasard des rencontres, suffisant à ses besoins réduits
avec les 50 centimes que son père lui donnait chaque jour et
se passant de déjeuner pour se contenter du repas du soir ,
plus emporté que violent , malgré les scènes répétées que son
père et sa mère avaient à subir, sournois et sauvage bien
qu'il ne pût se passer de la compagnie de ses pareils. Pas
d'appétits génésiques constatés, sauf celui de l'onanisme,
pas d'habitudes lubriques. Tout détestable et moyen , plus
444 LASÈGUE, BROUARDÈL ET MOTET.
de médiocrité vicieuse que de passion . Les camarades le tenaient pour un mauvais sujet, il n'est venu à l'esprit d'aucun d'eux que ce fût un fou.
D'ailleurs pas d'accès morbides, pas de maladie, sauf une
affection scrofuleuse datant de l'enfance et sur laquelle nous
reviendrons .
3' Examen direct. Menesclou est d'une constitution robuste et déclare jouir d'une santé à peine compromise par quelques incidents. Le crâne est symétrique , sans déformations ,
les divers organes examinés fonctionnent régulièrement . Il
porte sur la joue droite un exanthème scrofuleux qui remonte
à l'adolescence. Quelques remèdes ont été employés au début, mais soit par insouciance, soit parce qu'il n'éprouvait
plus de sensations douloureuses , Menesclou a cessé depuis
longtemps de s'en occuper.
Il accuse une surdité incomplète, probablement aussi d'origine scrofuleuse, et de date inconnue. Des doutes se sont
élevés sur la réalité de cette infirmité ; quelques témoins ont
supposé qu'elle était au moins fort exagérée, s'appuyant sur
des observations contestables . Un indice irrécusable exclut
l'hypothèse d'une simulation d'ailleurs sans intérêt , et l'habitude que Menesclou a prise depuis des années de porter la
main à l'oreille droite pour renfoncer les sons a fait dévier
le pavillon ; cette déviation est évidente et caractéristique .
Au point de vue mental , sauf la demi-surdité qu'il exploite
peut-être à l'occasion pour avoir le temps de préparer ses
réponses , l'accusé répond volontiers à toutes les questions .
Il fournit sur son passé des explications toujours sommaires,
acceptant les objections , essayant rarement de les réfuter et
s'abstenant de tout effort intellectuel de longue haleine . Du
crime, il ne dit que ce qu'on sait , sans consentir à entrer
dans le détail des faits . Son récit est entremêlé d'exclamations banales : « C'est un malheur, comment cela a-t-il pu
arriver? » Dès qu'on soulève la question de viol préalable, il
s'anime, s'indigne, devient presque menaçant et s'écrie qu'on
ne lui fera jamais dire ce qui n'est pas.
RAPPORT SUR L'ÉTAT MENTAL DE MENESCLOU. 445
A aucun moment et quelque multipliées qu'aient été
nos interrogations, nous n'avons pu saisir une divagation . Si l'accusé donne peu de détails, ce qu'il en
donne est en somme correct. On sait d'ailleurs combien le détenu, fatigué par le séjour de la prison , indécis sur son lendemain , malhabile à juger ce qui peut lui
nuire ou lui servir, se maintient volontiers dans une réserve
où la paresse a autant de part que le calcul . La mémoire est
certainement présente ; il est impossible de supposer une
perte momentanée de la conscience qui comme toujours aurait pour corollaire l'ignorance de ce qui s'est passé.
4° Etude de l'acte criminel. - Ici tout moyen d'investiga .
tion fait absolument défaut, aucun témoin n'assistait , l'accusé ne mentionne que ce qu'il lui plaît d'énoncer. Le contrôle est interdit et le récit de Menesclou se réduit à admettre ce qu'il est incapable de nier.
Cette sorte de lutte entre l'accusation et la défense, que le
juge ou le médecin intervienne, permet d'estimer la présence
d'esprit du prévenu , qualité interdite aux aliénés ou qui chez
eux s'épuise vite. Menesclou , passif, sans initiative , plus enclin à se taire qu'à chercher ou à refuter des arguments, ne
s'est pas démenti . Il a fait preuve d'une intelligence bornée,
mais suffisante pour exclure non seulement la supposition
d'un désordre mental actuel, mais d'une crise délirante dont
le souvenir reste confus ou effacé, et qui laisse au réveil de
la conscience l'étonnement d'avoir accompli des actes auxquels on sent avoir été étranger.
Ce long exposé nous a paru nécessaire , il motive les conclusions auxquelles nous a conduits l'enquête médico-légale
dont nous étions chargés.
1° Menesclou n'est pas atteint d'une maladie mentale con
tinue et le privant du libre exercice de sa volonté.
2' Il n'a pas agi sous l'influence d'un accès de délire passager, suspendant momentanément la raison, et lui substituant des impulsions ou inconscientes ou irrésistibles .
3º Son intelligence est limitée, mais pas assez pour auto-
446 LASÈGUE, BROUARDEL ET MOTET.
riser à admettre un état d'imbécillité ou d'impuissance mentale de nature à exclure la responsabilité.
II. Il nous a paru qu'il ne serait pas sans utilité de publier le
rapport médico - légal qu'on vient de lire. L'accusation était
de celles qui éveillent plus d'étonnement que de curiosité par
l'énormité du crime.
La première impression qui s'imposa à la justice comme
à l'opinion fut qu'un acte si monstrueux ne pouvait être que
l'œuvre d'un aliéné. Les conclusions du rapport étaient négatives et le jury ayant prononcé la peine de mort, la sentence a été exécutée.
Les experts, en si graves occurences, ne sauraient se dissimuler la part énorme de responsabilité qui leur incombe.
Le crime touche par tant de côtés à la folie , comme la maladie
touche à la santé, qu'on a souvent peine à marquer exactement les limites qui les séparent.
Nous n'avons pas à soulever, et nous n'aurions garde de
le faire, la question irrésolue, parce qu'elle est insoluble , du
libre arbitre humain. Il s'agit d'un cas particulier qui, comme
toutes les variétés , rentre dans une espèce et , commetoutes les
espèces, dans un genre. Menesclou a répondu durant sa vie
entière à un type connu . L'assassinat dont il s'est rendu coupable s'est accompli dans des conditions qui semblent exceptionnelles , presque incompatibles avec les aptitudes mentales
et morales du criminel. Il n'est pas sans intérêt d'étudier
cette contradiction plus apparente que vraie et d'en chercher
l'explication.
Tout d'abord on doit affirmer que l'énormité, disons
plus , que l'étrangeté du crine n'implique nullement la supposition de la folie . En fait de passions , l'acte ne répond pas
à l'impulsion . Entre la délibération confuse que toute impulsion sentimentale comporte à des degrés variables et l'agissement, il existe une lacune. Le mouvement passionné et le
mouvement musculaire procèdent de même, et les comparer
l'un à l'autre n'est rien moins qu'un jeu d'esprit. L'homme
AFFAIRE MENESCLOU. 447
qui veut franchir un fossé prend son élan , il hésite, se démène dans une gesticulation indécise, presque bizarre ; une
fois lancé, il excède le but ou ne l'atteint pas , sans avoir été
maître de régler son dernier effort. La passion , celle surtout
qui prend son point de départ dans le sens génital, s'agite
d'abord confusément, puis se risque et ne se commande
plus.
C'est ainsi qu'on voit, dans un si grand nombre d'affaires
criminelles, l'accusé, ou plutôt le coupable, tourner si longtemps autour du crime. Un jour, sans qu'un incident nouveau
soit survenu , sans qu'une provocation extérieure y ait pu
concourir, il se précipite dans les violences extrêmes.
La raison, la droiture morale , la prévision des conséquenes, la conscience qui veille, interviennent au cours de la
discussion préliminaire, chez les gens excitables , même
chez ceux qui le sont peu; elles s'effacent ou s'annulent à
l'heure décisive , qu'une exclamation populaire traduit assez bien : Mafoi, tant pis!
Il importe donc à l'expert appelé à juger ces difficiles problèmes de faire deux parts dans son étude : l'une portant
sur le fait, et c'est de beaucoup la moins importante , l'autre
portant sur la capacité préalable du criminel , analyse toujours flottante , oscillant entre le plus et le moins , quand elle
ne mesure par des faits acquis mais des aptitudes .
Tel a été le cas de Menesclou.
Une autre considération non moins grave et qui rentre
dans le même ordre d'idées, mérite d'être mise en lumière.
Le plus délicat en ce monde n'est peut-être pas de trouver la
vérité, mais de se défendre contre les erreurs traditionnelles
qui en obstruent le chemin.
Il est de tradition inconsciente que les grandes criminalités sont l'apanage des gens à propulsions violentes, et
qu'étant connues les habitudes du caractère , on prévoit, suivant qu'elles sont plus ou moins ardentes, le maximum de
délit ou de crime auquel elles aboutissent . Rien n'est moins
vrai. C'est pour le faire comprendre que nous venons de sé-
448 LASÈGUE, BROUARDEL ET MOTET.
parer la poussée impulsive en ses trois temps : la délibération ou l'élan , la décision ou le départ , et l'arrivée .
Un ami de Menesclou exprimait naivement la même pensée. « Quand j'ai appris l'assassinat et qu'on m'a dit que ça
pouvait être Menesclou , je n'en ai rien cru ; j'ai été au poste et
quandj'ai appris que c'était bien lui , je n'en revenais pas. >>
Dans l'espèce, le contraste entre le criminel et le crime est
extrême en apparence , il est tel que non seulement il exclut
mais déroute les prévisions.
Nous ne savons du crime accompli sans témoin que ce
qu'il a plu àl'assassin d'en avouer mais; Menesclou, surveillé
étudié comme il l'a été par chacun de nous pendant sa longue prévention , raconté par ses camarades, n'éveillant ni
sympathie ni haine, il faut le dire, est facile à connaître : on
peut en donner mieux que la biographie, la photographie.
Nous avons exposé dans notre rapport les principaux traits
de cette nature vulgaire de partout , sans étroite personnalité.
Nous pouvons ici l'esquisser plus librement, sans quoi ce
corollaire n'aurait pas eude raison d'être . Il est juste que les
médecins ne soient pas associés seulement aux conclusions
des enquêtes médicales , mais qu'ils assistent à leur élaboration , initiés aux détails de l'observation et mis au courant
des incertitudes que les experts ont dû franchir avant de
formuler leur ferme opinion.
Depuis sa naissance Menesclou a été, qu'on nous passe le
mot, un homme àcôté. Atteint de convulsions infantiles , scrofuleux par constitution jusque passé l'adolescence, on pourrait dire de lui , sans que la formule soit bien osée, qu'il était
strumeux moralement et physiquement. Instable non par appétit du changement, mais par défaut de goût pour sa situation présente quelle qu'elle fût , sa vie n'a été qu'un vagabondage. Sa famille l'oblige à s'embarquer, il subit la nécessité et, son temps de service accompli, il rentre dans le cercle où il roule et n'avance pas.
On ne lui reproche rien de grave, pas même des vices d'hu-
AFFAIRE MENESCLOU. 449
meur, mais on ne trouve , chemin faisant, ni une aspiration
ni un acte à louer en lui . Ses camarades ne sont rien moins
que ses amis. Ils lui tiennent compagnie, les uns attachés par
l'oisivité, les autres faute de trouver ou de chercher ailleurs une autre attraction . On l'appelle sournois , défiant, et
probablement il n'en pense guère plus qu'il n'en dit . La lutte
n'est pas son objectif, mais la résistance muette, obstinée ,
consciente de la force que lui donne son mutisme.
Les appétits actifs ne se concilient pas plus avec ces natures que les fièvres ardentes avec les tempéraments scrofuleux .
L'onanisme paraît être le dernier mot de ses aspirations
génitales , il le pratique ostensiblement et ne tient pas à y
faire contribuer ses compagnons. Dans cette existence au
grand jour, qui fuit la maison pour se complaire sur la
place publique, tout est néanmoins solitaire . La famille
n'existe que pour assurer la nourriture, les camarades ne
valent que pour occuper les loisirs , le travail serait une superfétation puisqu'il est un ennui .
Cependant l'intelligence n'a pas subi les mêmes defaillances que le caractère. Il a appris à lire , à écrire, aussi
bien, sinon mieux, que beaucoup des élèves de son école ; il
a quelques dispositions pour le dessin . Les vers qu'il a écrits
- chez lui ou en prison sont plus inexpérimentés qu'absurdes ,
beaucoup de gens plus cultivés ne feraient peut - être pas
mieux. Voilà l'homme, pareil à ce qu'était déjà l'enfant.
Dire qu'il s'agit d'un individu correct, serait un non sens ;
mais où se prendre pour trouver dans cette nature massive
et toute d'un bloc les éléments du trouble mental qui exclut
la responsabilité ? Si défectueuse que soit l'organisation de
son existence, il l'a combinée, calculée avec une persistance systématique qu'aucun obstacle n'est parvenu à rompre. On ne l'a jamais détourné de sa voie : on a pu l'enlever
à son milieu de prédilection par la force , sitôt qu'il est redevenu son maître il a repris sa tradition interrompue
malgré lui.
3e SÉRIE. → TOME IV . - • N 5 , 2920
450 LASÈGUE, BROUARDEL ET MOTET.
Comment s'est-il pu que l'explosion d'un crime inouï ait
eu lieu sur un terrain si peu préparé?
Menesclou ne représente pas une si rare exception qu'on
inclinerait à le croire. C'est parmi ses pareils que se recru
tent nombre de grands criminels . Le violent y est moins
commun que le passif insouciant, et si Menesclou ne rentre
pas dans une catégorie d'aliénés, il appartient à une classe
bonne à connaître de coupables .
Nous avions donc pour asseoir notre jugement deux éléments qui se complétaient l'un par l'autre : d'une part, l'impossibilité d'assigner à l'état mental du prévenu les caractères d'une maladie, de l'autre , la possibilité de marquer sa
place en dehors des cas pathologiques .
Toute abstraite que paraisse une semblable analyse , on
nous permettra de la pousser plus loin .
Il existe à côté des imbéciles de l'intelligence , des débiles du sentiment. Les premiers n'arrivent pas à condenser
leurs idées réduites. Chaque proposition est pour eux une
unité sans rapport avec celles qui en dérivent . Ils sont raisonnables à la rigueur sans être raisonnants. Quelques-uns
dépensent de sincères efforts pour arriver à un résultat qui
leur est interdit par impuissance. Qu'une aspiration vive ,
imprévue les sollicite, ils sont incapables d'y faire face par
une délibération réfléchie. C'est leur demander trop que
d'exiger d'eux qu'ils combinent et qu'ils prévoient.
Cette faiblesse intellectuelle passe par des degrés presque
insensibles de l'infériorité réputée normale à l'idiotie . On la
mesure par à peu près, mais on la mesure parce que nous
disposons de dynamomètres presque exacts pour les phénomènes intellectuels . La culture est méthodique, la pédagogie constate des résultats , chaque acquisition de l'esprit
marque un cran ou un degré. L'expert appelé à juger un
imbécile de l'intelligence, bien qu'il soit tout autrement empêché que s'il doit caractériser un fou , a ses cases demiprêtes.
Il n'en est plus de même des imbéciles du sentiment. Là
AFFAIRE MENESCLOU. 451
pas de mensuration acceptable, pas d'instruction positive ,
une éducation toujours douteuse dans ses effets , des inductions vagues au lieu d'observations précises.
Menesclou rentrait évidemment dans une classe de cet ordre. Les excitations sentimentales qui s'imposent aux gens
normaux ne le touchaient pas , bonnes ou mauvaises . On
eût dit qu'il avait son programme de sentiments et que tout
ce qui n'y figurait pas lui devenait étranger. On comprend
que si une aspiration inconnue éclate dans cet organisme
fermé, elle n'y trouve pas des éléments de résistance. Or,
nous luttons contre les inspirations immorales à l'aide de
deux puissances : l'une empruntée à la raison qui contredit,
l'autre puisée dans le sentiment qui refuse. La répugnance
sensorielle pour une odeur ou pour une saveur a son équivalent dans les répugnances morales aussi impérieuses et
aussi peu mûries.
La limite qui sépare l'évolution physiologique des sentiinents de leur déviation maladive échappe à notre contrôle
et c'est à l'intelligence que nous empruntons nos informations. Ici l'intelligence pouvait et devait être réputée insuffisante pour tenir coup à elle seule.
Les délires de sentiment avec conservation partielle et
toujours incomplète de la raison répondent à des types définis, depuis la mélancolie raisonnante jusqu'à certaines excitations maniaques. Hors de là, il existe des infériorités ,
des déviations, si on veut des erreurs sentimentales , qui
n'ont qu'une lointaine ressemblance avec les états maladifs,
qui ne forcent pas la volonté, laissent la responsabilité plus
ou moins intacte, et ne sont pas, comme la conception et
les sentiments délirants, une sorte d'agents parasitaires végétant en dehors de l'organisme et contre lesquels il est désarmé.
C'est en nous fondant sur l'étude approfondie dont nous
venons de résumer quelques aperçus que nous n'avons pas
hésité à conclure à la non-existence de la folie .
Tout rapport négatif comporte fimplicitement ou explicite-
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ment une contre- partie positive. L'accusé n'était pas aliéné,
qu'était-il donc ? Une longue et patiente expérience des détenus dont la connaissance ne s'improvise pas plus qu'aucune autre , nous éclairait assez pour supprimer l'étonnement qu'on éprouve d'instinct à voir un assassinat monstrueux commis par un homme jusque-là inoffensif.
Ces considérations ne sont et ne pouvaient être que le complément de quelques- unes des propositions plus brièvement
énoncées dans le rapport soumis à la justice et qui vient
d'être reproduit textuellement.
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