Recueil nécessaire avec l'Évangile de la raison  

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"Il me fouvient à ce fujet du fouhait d'un homme qui fans étude avoit beaucoup de bon fens: le voici : Je foubaiterois , dit-il , que tous les Tyrans fuf fent pendus & étranglés avec des boyaux des prêtres. Ce fouhait eft prefque femblable à ce que pratiqua Erganes , Roi d'Ethyopie. (Voyez Dictionnaire historique.) Le Roi de Babylone fit la même chofe aux Prêtres de Baal. Peut- on en effet ufer de trop de cruauté envers des perfonnes qui abufent ainſi de la bonne foi des nations ? Ne puniroit-on pas févérement un Charlatan qui mettant à profit la crédulité du peuple lui vendroit du poifon pour de bons remedes ?"--Recueil necessaire (1765) by Voltaire

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Recueil necessaire (1765) by Voltaire

RECUEIL NÉCESSAIRE. AVEC L'EVANGILE DE LA RAISON TOME SECOND

LONDRES. MDCCLXVIII BECNEIT " 7 DET TEAVACIFE VANC MECE22VIDE MORIA D AYLOR STITUTION UNIVERSITY -9ОСТ 1984 OF OXFORD LIBRARY AMOA ว 1 ( 1) EXAMEN IMPORTANT PAR MILORD BOLINGBROKE, Ecrit fur la fin de 1736. Proëmium. 'Ambition de dominer fur les Lefprits eft une des plus fortes paffions. Un Théologien , un 罐裝 miffionnaire , un homme de parti , veut conquérir comme un prince ; & il y a beaucoup plus de fectes dans le monde, qu'il n'y a de fouverainetés. A qui foumettrai - je mon ame ? Serai - je Chrétien , parce que je ferai de Londres ou de Madrid? Serai-je Mufulman , parje ferai né en dois penfer que par Turquie ? Je ne moi -même le choix d'une religion eft ; Tome II. A ( 2 ) 1 mon plus grand intérêt. Tu adores un Dieu par Mahomet , & toi par le grand Lama, & toi par le Pape. Eh malheureux ! adore un Dieu par ta propre raiſon. La ftupide indolence dans laquelle la plupart des hommes croupiffent fur l'objet le plus important , fembleroit prouver qu'ils font de miférables machines animales , dont l'inftinct ne s'occupe que du moment préfent. Nous traitons notre intelligence comme notre corps ; nous les abandonnons fouvent l'un & l'autre pour quelqu'argent à des charlatans. La populace meurt en Eſpagne entre les mains d'un vil Moine & d'un Empirique ; & la notre à-peu-près de même. Un vicaire , un Diffenter affiégent leurs der- niers momens, . Un très - petit nombre d'hommes examine ; mais l'efprit de parti , l'envie de fe faire valoir les préoccupe. Un grand homme parmi nous n'a été chrétien que parce qu'il étoit ennemi de Colins ; no tre Whiston n'étoit chrétien que parce qu'il étoit Arien. Grotius ne voulait que confondre les Gomaristes. Boffuet foutint le Papifme contre Claude qui com-. battoit pour la fecte Calvinifte. Dans les premiers fiecles les Ariens combattoient contre les Athanafiens. L'Empereur Ju- ( 3 ) lien & fon parti combattoient contre ces deux fectes ; & le refte de la terre contre les Chrétiens , qui difputoient avec les Juifs. A qui croire? Il faut donc examiner ; c'eſt un devoir que perfonne ne révoque en doute. Cette multitude prodigieufe de fectes dans le Chriftianifme forme déja une grande préfomption que toutes font des fyftêmes d'erreur. L'homme fage fe dit à lui-même : Si Dieu avoit voulu me faire connoître fon culte , c'eſt que ce cul. te feroit néceffaire à notre efpece. S'il étoit néceffaire , il nous l'auroit donné à tous lui-même, comme il a donné à tous deux yeux & une bouche. Il feroit pärtout uniforme , puifque les chofes néceffaires à tous les hommes font uniformes. Les principes de la taifon univerfelle font communs à toutes les nations policées ; toutes reconnoiffent un Dieu : elles peuvent donc fe flatter que cette connoiffan ce eft une vérité. Mais chacune d'elles a une religion différente ; elles peuvent donc conclure , qu'ayant raifon d'adorer un Dieu , elles ont tort dans tout ce qu'elles ont imaginé au delà. 9 Le principe dans lequel l'univers s'accorde paroît bien vrai ; les conféquences diamétralement oppofées qu'on en tire , A 2 ( 4 ) paroiffent bien fauffes ; il eft naturel de s'en défier. La défiance augmente quand on voit que le but de tous ceux qui font à la tête des fectes , eft de dominer & de s'enrichir autant qu'ils le peuvent , & que depuis les Daïris du Japon jufqu'aux Evêques de Rome, on ne s'eft occupé que d'élever à un Pontife un trône fondé fur la mifere des peuples & fouvent ci menté de leur fang. Que les Japonois examinent comment les Daïris les ont longtemps fubjugués ; que les Tartares fe fervent de leur raifon pour juger fi le grand Lama eft immortel ; que les Turcs jugent leur Alcoran , mais nous autres Chrétiens exami nons notre Evangile. " Dès là que je veux fincérement examiner j'ai droit d'efpérer que je ne me tromperai pas ; ceux qui n'ont écrit que pour prouver leur fentiment me font fufpects. Paſcal commence par révolter fes lec teurs dans fes penfées informes qu'on a recueillies. Que ceux qui combattent la religion Chrétienne (dit-il) apprennent à la connoître &c. Je vois à ces mots un homme de parti qui veut fubjuguer. On m'apprend qu'un Curé en France nommé Jean Mêlier , mort depuis peu , ( 5 ) de P a demandé pardon à Dieu en mourant , d'avoir enfeigné le Chriftianifme. Cette difpofition d'un prêtre à l'article de la mort fait fur moi plus d'effet que l'enthoufiafme de Pafcal : mais le Teftament de Jean Mêlier n'eft pas pour moi une preu ve décifive. Le Juif Uriel Acofta renonça publiquement à l'Ancien Teftament dans Amfterdam ; mais je ne croirai pas plus le Juif Acofta que le Curé Mêlier. Je dois lire les piéces du procès avec une attention févere , ne me laiffer féduire par aucun des avocats , pefer de vant Dieu les raifons des deux partis , & décider fuivan ma confcience. C'eft à moi de difcuter les argumens de Volafton &de Clarcke , mais je ne puis en croire que ma raifon. J'avertis d'abord que je ne veux pas toucher à notre Eglife Anglicane , entant qu'elle eft établie par actes de Parlement, Je la regarde d'ailleurs comme la plus favante & la plus réguliere de l'Europe. Je ne fuis point de l'avis du Wig indépendant qui femble vouloir abolir tout facerdoce , & le remettre aux mains des peres de famille comme du temps des Patriarches. Notre fociété telle qu'elle eft , ne permet pas un pareil changement. Je penfe qu'il eft néceffaire d'entretenir des A 3 ( 6 ) prêtres pour être les maîtres des mœurs & pour offrir à Dieu nos prieres. Nous examinerons s'ils doivent être des joueurs de gobelets & des trompettes de difcorde. Commençons d'abord par m'inftruire moi - même. L CHAPITRE I. Des Livres de Moyfe. E Chriſtianlfme eft fondé fur le Judaïfme ; voyons donc fi le Judaïfme eft l'ouvrage de Dieu. On me donne à lire les livres de Moyfe, je dois m'informer d'abord fi ces livres font de lui. 1º. Eſt-il vraiſemblable que Moyfe ait fait graver le Pentateuque fur la pierre, & qu'il ait eu des graveurs & des polif feurs de pierre dans un défert affreux , oùой il eft dit que fon peuple n'avoit ni tailleurs ni faifeurs de fandales , ni d'étoffes pour fe vêtir , ni de pain pour manger, & où Dieu fut obligé de faire un miracle continuel pendant quarante années pour conferver les vêtemens de ce peuple & pour le nourrir ? 20. II eft dit dans le livre de Jofué que l'on écrivit le Deutéronome für un ( 7 )X 41autel de pierres brutes enduites de mortier. Comment écrivit- on tout un livre fur du mortier ? Comment ces lettres ne furent- elles pas effacées par le fang qui couloit continuellement fur cet autel ? & comment cet autel , ce monument du Deutéronome, fubfifta-t- il dans le pays où les Juifs furent fi long-temps réduits à un efclavage que leurs brigandages avoient tant mérité? 30. Les fautes innombrables de géogra phie , de chronologie , & les contradic tions qui fe trouvent dans le Pentateuque , ont forcé plufieurs Juifs & plufieurs Chrétiens à foutenir que le Pentateuque ne pouvoit être de Moyfe. Le favant Le Clerc , une foule de Théologiens , & même notre grand Newton , ont embraffé cette opinion; elle eſt donc au moins très-vraisemblable. 4°. Ne fuffit-il pas du fimple fens commun pour juger qu'un livre qui commence par ces mots: Voici les paroles que prononça Moyfe au delà du Jourdain , ne peut être que d'un fauffaire mal adroit , puifque le même livre affure que Moyfe ne paffa jamais le Jourdain ? La réponſe d'Abadie , qu'on peut entendre en deçà par au delà , n'eft - elle pas ridicule ? & doiton croire à un prédicant , mort fou en P1 ( 8 ) Irlande , plutôt qu'à Newton le plus grand homme qui ait jamais été ? De plus je demande à tout homme raifonnable , s'il y a quelque vraifemblance que. Moyfe eût donné dans le défert des préceptes aux Rois Juifs , qui ne vinrent que tant de fiecles après lui , & s'il eft poffible que dans ce même défert , il eût affigné (*) quarante-huit villes avec leurs fauxbourgs , pour la feule tribu des Lévites , indépendamment des décimes que les autres tribus devoient leur payer? (†) Il eft fans doute très- naturel que des prêtres ayent tâché d'engloutir tout ; mais il ne l'eft pas qu'on leur ait donné 48. villes dans un petit canton où il y avoit à peine alors deux villages ; il eût falu au moins autant de villes pour chacune des autres hordes Juives ; le total auroit monté à quatre cens quatre-vingt villes , avec leurs fauxbourgs. Les Juifs n'ont pas écrit autrement leur hiftoire. Chaque trait eft une hyperbole ridicule , un menfonge groffier , une fable abfurde. · (*) Deuter. chap. 17. (t) Nombr. chap. 35. CHA ( 9 ) Y CHAPITRE II. De la Perfonne de Moyfe. , A- t-il eu un Moyfe? Tout eft fi prodigieux en lui depuis fa naiffance jufqu'à fa mort , qu'il paroît un perfonnage fantaſtique comme notre enchanteur Merlin. S'il avoit exifté , s'il avoit opéré les miracles épouvantables qu'il eft fuppofé avoir faits en Egypte feroit- il poffible qu'aucun auteur Egyptien n'eût parlé de ces miracles ? que les Grecs , ces amateurs du merveilleux , n'en euffent pas dit un feul mot ? Flavian Jofephe qui pour faire valoir fa nation méprifée , recherche tous les témoignages des auteurs Egyptiens qui ont parlé des Juifs , n'a pas le front d'en citer un feul qui ait fait mention des prodiges de Moyfe. Ce filence univerfel n'eft- il pas une preuve que Moyfe eft un perfonnage fabuleux ? Pour peu qu'on ait étudié l'antiquité , on fait que les anciens Arabes furent les inventeurs de plufieurs fables , qui avec le temps ont eu cours chez les autres peuples. Ils avoient imaginé l'hiſtoire de Tome II. B ( 10 ) l'ancien Bacchus , qu'onfuppofoit très-anterieur au temps où les Juifs difent que parut leur Moyfe. Ce Bachus ou Back né dans l'Arabie avoit écrit fes loix fur deux tables de pierres ; on l'appella Mifem, nom qui reffemble fort à celui de Moyfe; il avoit été fauvé des eaux dans un coffre, & ce nom fignifioit fauvé des eaux ; il avoit une baguette avec laquelle il opéroit des miracles. Cette verge fe changeoit en ferpent' quand il vouloit. Ce même Mifem paffa la mer - rouge à pied fec, à la tête de fon armée ; il divifa les eaux de l'Oronte & de l'Hidafpe , & les fufpendit à droite & à gauche : une colonne de feu éclairoit fon armée pendans la nuit. Les anciens vers Orphi ques qu'on chantoit dans les Orgies de Bachus , célébroient toutes ces extravagances. Cette fable étoit fi ancienne que les Peres de l'Eglife ont cru que ce Mifem , ce Bacchus étoit Noë. N'eft- il pas de la plus grande vraiſemblance que les Juifs adopterent cette fable , & qu'enfuite ils l'écrivirent quand ils commencerent à avoir quelque connoiffance des lettres fous leurs Rois ? Il leur falloit du merveilleux comme aux autres peuples; mais ils n'étoient pas inventeurs ; jamais plus petite nation ne ( fr) fut plus groffiere ; tous leurs menfonges étoient des plagiats , comme toutes leurs cérémonies étoient vifiblement une imitation des Phéniciens , des Syriens & des Egyptiens. Ce qu'ils ont ajouté d'eux-mêmes paroit d'une groffiéreté & d'une abfurdité fi révoltante, qu'elle excite l'indignation & la pitié. Dans quel ridicule Ro man fouffriroit-on un homme qui change toutes les eaux en fang , d'un coup de baguette , au nom d'un Dieu inconnu & des magiciens qui en font autant au nom des Dieux du pays ? La feule fupériorité qu'ait. Moyfe fur les forciers du Roi, c'eft qu'il fit naître des poux , ce que les forciers ne purent faire ; fur quoi un grand Prince a dit que les Juifs en fait de poux en favoient plus que tous les magiciens du monde. Tout le refte de l'hiftoire de Moyfe eft également abfurde & barbare. Ses cailles , fa manne , fes entretiens avec Dieu , vingt - trois mille hommes de fon peuple égorgés à fon ordre par des prêtres , vingt - quatre mille maffacrés une autre fois , fix cens trente mille combattans dans un défert où il n'y a jamais eu deux mille hommes ; tout cela paroît affurément le comble de l'extravagance, B 2 ( 12 ) &quelqu'un a dit que l'Orlando furiofo & Don Quichotte font des livres de Géométrie en comparaifon des livres Hébreux. On a le front de nous dire que la fête de Pâque chez les Juifs eft une preuve du paffage de la mer rouge. On remercioit le Dieu des Juifs à cette fête de la bonté avec laquelle il avoit égor gé tous le premiers nés d'Egypte : donc , dit-on rien n'étoit plus vrai que cette fainte & divine boucherie. · Conçoit on bien , dit le déclamateur & trés -peu raifonneur Abadie, que Moyfe ait pu inftituer des mémoriaux fenfibles d'un événement reconnu pour faux par plus de fix cens mille témoins ? Pauvre homme tu devois dire par plus de deux millions de témoins ; car fix cens trente mille combattans , fugitifs ou non , fuppofent affurément plus de deux millions de perfonnes. Tu dis donc que Moyfe lut fon Pentateuque à ces deux ou trois millions de Juifs. Tu crois donc que ces deux ou trois millions d'hommes auroient écrit contre Moyfe , s'ils avoient découvert quelque erreur dans fon Pentateuque , & qu'ils euffent fait inférer leurs remarques dans les journaux du pays. Tu crois donc que les temples & les rites inftitués en l'honneur de Bacchus, " ( 13 ) d'Hercule & de Perfée prouvent évidemment que Perfée , Hercule , & Bacchus étoient fils de Jupiter , & que chez les Romains le temple de Caftor & de Pollux étoit une démonſtration que Caftor & Pollux avoient combattu pour les Romains ! C'eft ainfi qu'on fuppofe toujours ce qui eft en queftion ; & les trafiquans en controverfe débitent fur la caufe la plus importante au genre humain des argumens que Lady Blakacre n'oferoit pas hazarder dans la mun plays. falle de comCHAPITRE III. في De la divinité attribuée aux Ltores Fuifs. Omment a - t - on ofé fuppofer que Dieu choifit une horde d'Arabes pour être fon feul peuple chéri & pour armer cette horde contre toutes les autres nations ? & comment en combattant à fa tête , a- t - il fouffert que fon peuple fût fi fouvent vaincu & efclave? } Comment en lui donnant des loix , at-il oublié de contenir ce petit peuple de voleurs par la croyance de l'immortalité de l'ame & des peines après la B 3 ( 14 ) F " mort tandis que toutes les grandes nations voifines , Caldéens , Egyptiens , Syriens , Phéniciens , avoient embraffé de puis fi longtemps cette croyance utile? Eft-il poffible que Dieu eût pû preſcrire aux Juifs la maniere d'aller à la felle dans le défert , & leur cacher le dogme d'une vie future ? Hérodote nous apprend que le fameux temple de Tyr étoit bâti deux mille trois cens ans avant lui. On dit que Moyfe conduifoit fa troupe dans le défert environ feize cens ans avant notre Ere. Hérodote écrivoit cinq cens ans avant cette Ere vulgaire : donc le temple des Phéniciens fubfiftoit douze cens ans avant Moyfe; donc la religion Phénicienne étoit établie depuis plus longtemps encore. Cette religion annonçoit l'immortalité de l'ame , ainfi que les Caldéens & les Egyptiens. La horde Juive n'eut jamais ce dogme pour fondement de fa fec te. C'étoit , dit- on , un peuple groffier auquel Dieu fe proportionnoit. Dieu fe proportionner ! & à qui ? à des voleurs Juifs : Dieu être plus groffier qu'eux ! n'eft -ce pas un blafpheme? omg ful ro termed & ( 15 ) T CHAPITRE IV. De la Génefe. Ous les peuples dont les Juifs étoient entourés avoient une Génefe , une Théogonie , une Cofmogonie , longtemps avant que ces Juifs exiftaffent. Ne voit- on pas évidemment que la Génefe des Juifs étoit prife des anciennes fables de leurs voifins ? 1 Yaho l'ancien Dieu des Phéniciens débrouilla le cahos , le Khaütereb ; il arrangea Muth, la matiere ; il forma l'homme de fon foufle , Colpi ; il lui fit habiter un Jardin Aden ou Eden ; il le défendit contré le grand ferpent Ophionée , comme le dit l'ancien fragment de Phérécide. Que de conformités avec la Génefe Juive ! N'est- il pas naturel que le petit peuple groffier ait dans la fuite des tems emprunté les fables du grand peuple inventeur des arts ? C'étoit encore une opinion reçue dans l'Afie que Dieu avoit formé le monde en fix temps , appellés chez les Caldéens fi antérieurs aux Juifs, les fix ga- hambars. TB 4 ( 16 ) ? C'étoit auffi une opinion des anciens Indiens. Les Juifs qui écrivirent la Génefe ne font donc que des imitateurs ; ils mêlerent leurs propres abfurdités à ces fables ; & il faut avouer qu'on ne peut s'empêcher de rire quand on voit un ferpent parlant familiérement à Eve Dieu parlant au ferpent , Dieu fe promenant chaque jour à midi dans le Jardin d'Eden Dieu faifant une culotte pour Adam & une pagne à fa femme Eve. Tout le refte paroît auffi inſenſé ; plufieurs Juifs eux - mêmes en rougirent ; ils traiterent dans la fuite ces imaginations de fables allégoriques. Comment pourrions - nous prendre au pied de la lettre ce que des Juifs ont regardé comme des contes ? 9 Ni l'hiftoire des Juges , ni celle des Rois , ni aucun Prophête ne cite un feul paffage de la Génefe. Nul n'a parlé ni de la côte d'Adam tirée de fa poitrine pour en paîtrir une femme , ni de l'arbre de la fcience du bien & du mal , ni du ferpent qui féduifit Eve ni du péché originel , ni enfin d'aucune de ces imaginations. Encore une fois eft - ce à nous de les croire ? Leurs rapfodies démontrent qu'ils ont pillé toutes leurs idées chez les Phéni- ( 17 ) ciens , les Caldéens , les Egyptiens , comme ils ont pillé leurs biens quand ils l'ont pu. Le nom même d'Ifraël , ils l'ont pris chez les Caldéens , comme Philon l'avoue dans la premiere page du recit de fa députation auprès de Caligula ; & nous ferions affez imbécilles dans notre Occi dent pour penfer que tout ce que ces barbares d'Orient avoient volé , leur appartenoit en propre? S'ha CHAPITRE V. Des Meurs des Juifs. nous paffons des fables des Juifs aux mœurs de ce peuple , ne font elles pas auffi abominables que leurs contes font abfurdes ? C'eft de leur aveu un peuple de brigands qui emporte dans un défert tout ce qu'ils ont volé aux Egyptiens. Leur chef Jofué paffe le Jourdain par un miracle femblable au miracle de la mer rouge , pourquoi ? pour aller mettre à feu & à fang une ville qu'il ne connoiffoit pas , une ville dont fon Dieu fait tomber les murs au fon du cornet . Les fables des Grecs étoient plus huB 5 ( 18 )

maines. Amphion bâtiffoit des villes au fon de la flute , Jofué les détruit ; il livre au fer & aux flammes , vieillards . femmes , enfans , & beftiaux ; y a - t- il une horreur plus infenfée ? il ne pardonne qu'à une proftituée , qui avoit trahi fa patrie; quel befoin avoit- il de la perfidie de cette malheureufe , puifque fon cornet faifoit tomber les murs . comme celui d'Aftolphe , & faifoit fuir tout le mon de ? Et remarquons en paffant que cette femme nommée Raab la paillarde , eft une des ayeules de ce Juif , dont nous a vons depuis fait un Dieu , lequel Dieu compte encore parmi celles dont il eft né l'inceftueufe Thamar , l'impudente Ruth & l'adultere Betzabée.. г On nous conte enfuite que ce même Jofué fit pendre trente & un Rois du pays , c'eft- à-dire, trente & un Capitaines de village qui avoient combattu pour leurs foyers contre cette troupe d'affaffins. Si l'auteur de cette hiftoire avoit formé le deffein de rendre les Juifs exécrables aux autres nations , s'y feroit - il pris autrement ? L'auteur pour ajouter le blafphême au brigandage & à la barbarie, ofe dire que toutes ces abominations fe commettoient au nom de Dieu , par ordre exprès de Dieu , & étoient autant ( 19 ) de facrifices de fang humain offerts à Dieu. C'eſt-là le peuple faint ! Certes les Hurons, les Canadiens , les Iroquois ont été des philofophes pleins d'humanité compa rés aux enfans d'Ifraël ; & c'eſt en faveur de ces monftres qu'on fait arrêter le foleil &la lune en plein midi ! & pourquoi ? pour leur donner le temps de poursuivre & d'égorger de pauvres Amorrhéens , déja écrafés par une pluye de groffes pierres , que Dieu avoit lancées fur eux du haut des airs pendant cinq grandes lieues de chemin. Eft ce l'hiftoire de Gargantua? Eft-ce celle du peuple de Dieu ? Et qu'y a - t - il ici de plus infupportable ; ou l'excès de l'horreur ou l'excès du ridicule ? Ne feroit - ce pas même un autre ridicule que de s'amufer à combattre ce déteftable amas de fables qui outragent également le bon fens , la vertu , la nature & la Divinité ? Si malheureufement une feule de ces avantures de ce peuple étoit vraye , toutes les nations fe feroient réunies pour l'exterminer ; fi . elles font fauffes , on ne peut mentir plus fottement. OUND C.. " diu esmu dz ((20 ) Suite des mœurs des Juifs. Que dirons - nous d'un Jephté qui immole fa propre fille à fon Dieu fanguinaire , & de l'ambidextre Aod qui aflaffine Eglon fon Roi au nom du Seigneur , & de la divine Jahel qui affaffine le Général Sizara avec un clou qu'el le lui enfonce dans la tête, & du débauché Samfon que Dieu favorife de tant de miracles ? groffiere imitation de la fable d'Hercule.pulo Parlerons - nous d'un Lévite qui vient fur fon âne avec fa concubine & de la paille & du foin dans Gabaa de la tribu de Benjamin ? & voilà les Benjamites qui veulent commettre le péché de fodomie avec ce vilain prêtre , comme les Sodomites avoient voulu le commettre avec des Anges. Le Lévite compofe avec eux & leur abandonne fa maîtreffe ou fa femme , dont ils jouiffent toute la nuit , & qui en meurt le lendemain matin. Le Lévite coupe fa concubine en douze morceaux avec fon coûteau , ce ཝཱ་ 8 qui n'eſt pourtant pas une chofe fi aifée, & de là s'enfuit une guerre civile. (*) . Les onze tribus arment quatre cens (*) Jug. ch. 19. vs. 20. ( 21 ): mille foldats contre la tribu de Benjamin. Quatre cens mille foldats , grand Dieu! dans un territoire qui n'étoit pas alors de quinze lieues de longueur fur cinq ou fix de largeur. Le grand Turc n'a jamais eu la moitié d'une telle armée. Ces Ifraëlites exterminent la tribu de Benjamin vieillards , jeunes gens , femme , filles , felon leur louable coutume. Il échape fix cens garçons. Il ne faut pas qu'une des tribus périffe , il faut donner fix cens filles au moins à ces fix cens garçons. Que font les Ifraëlites ? Il y avoit dans le voifinage une petite ville nommée Jabes ; ils la furprennent, tuent tout , maffacrent tout jufqu'aux animaux , réfervent quatre cens filles pour quatre cens Benjamites. Deux cens garçons reftent à pourvoir, on convient avec eux , qu'ils raviront deux cens filles de Silo , quand elles iront danfer aux portes de Silo. Allons , Abadie , Sherlok , Houteville & confors , faites des phrafes pour juſtifier ces fables de Cannibales , prouvez que tout cela eft un type , une figure qui nous annonce Jéfus - Chrift. ( 22 ) CHAPITRE VI. F Des mœurs Fuives fous leur Melchim ou Roitelet & fous leurs Pontifes jufqu'à la deftruction de Férufalem par les Romains. L'

Es Juifs ont un Roi malgré le prê-. tre Samuel qui fait ce qu'il peutpour conferver fon autorité ufurpée , (*) & il a la hardieffe de dire que c'eft renoncer à Dieu que d'avoir un Roi. Enfin un pâtre qui cherchoit des âneſſes eſt élu Roi par le fort. Les Juifs étoient alors fous le joug des Cananéens ; ils n'avoient jamais eu de temple , leur fanctuaire étoit un coffre qu'on mettoit dans une charette : les Cananéens leur avoient pris leur coffre : Dieu qui en fut très- irrité , l'avoit pourtant laiffé prendre : mais pour fé venger , il avoit donné des hémorroïdes aux vainqueurs, & envoyé des rats dans leurs champs. Les vainqueurs l'appaiferent en lui renvoyant fon coffre, accompagné de cinq rats d'or & de cinq trous du cu auffi d'or. (†) Il n'y a point (*) I. des Rois ch. 8. (t) Rois liv. I. ch. 6. ( 23 ) de vengeance , ni d'offrande plus digne. du Dieu des Juifs. Il pardonne aux Ca-, nanéens ; mais il fait mourir cinquante mille foixante & dix hommes des fiens , pour avoir regardé fon coffre. C'eft dans ces belles circonftances que, Saül eft élu Roi des Juifs. Il n'y avoit dans leur petit pays ni épée , ni lance ; les Cananéens ou Philiftins ne permet toient pas aux Juifs leurs efclaves d'aiguifer feulement les focs de leurs charrues & leurs coignées ; ils étoient obligés d'aller aux ouvriers Philiftins pour ces foibles fecours ; & cependant on nous conte que le Roi Saül ( *) eut d'abord une armée de trois cens mille hommes , avec lefquels il gagna une grande bataille. ( †). Notre Gulliver a de pareilles fables , mais non de telles contradictions. Ce Saül dans une autre bataille, reçoit le prétendu Roi Agag à compoſition. Le prophête Samuel arrive de la part du Seigneur , & lui dit : (S) Pourquoi n'avez sous pas tout tué ? & il prend un faint couperet , & il hache en morceaux le Roi Agag. Si une telle action eſt vé❤ (*) I. Rois ch. 13. (t) Ibid. ch. II. (§) Ch. 15. ( 24 ) ritable , quel peuple étoit le peuple Juif! & quels prêtres étoient fes prêtres ! Saül réprouvé du Seigneur pour n'avoir pas lui-même haché en pieces le Roi Agag fon prifonnier, va enfin combattre contre les Philiftins après la mort du doux prophête Samuel. Il confulte fur le fuccès de la bataille une femme qui a un efprit de Pithon. On fait que les femmes qui ont un efprit de Pithon font apparoître des ombres. La Pithoniffe montre à Saül l'ombre de Samuel qui fortoit de la terre. Mais ceci ne regarde que la belle philofophie du peuple Juif. Venons à fa morale. Un joueur de harpe pour qui l'Eternel avoit pris une tendre affection , s'eft fait facrer Roi pendant que Samuel vivoit encore ; il fe révolte contre fon Souverain , il ramaffe quatre cens malheureux , & , comme dit la Sainte Ecriture , (* tous ceux qui avoient de mauvaises affaires , qui étoient perdus de dettes & d'un efprit méchant , s'affemblerent avec lui. C'étoit un homme felon le cœur de Dicu (†) ; auffi la premiere chofe qu'il veut faire eft d'affaffiner un tenancier (*) I. Rois ch. 22. (t) Ch. 25. nom- ( 25 ) Hommé Nabal qui lui refufe des contributions : il époufe fa veuve ; il épouse dix-huit femmes fans compter les concubines ; (*) il s'enfuit chez le Roi Achis ennemi de fon pays , il y eft bien reçu , & pour récompenfe , il va faccager les villages des alliés d'Achis ; il égorge tout fans épargner les enfans à la mammelle comme l'ordonne toujours le rit Juif ; & il fait accroire au Roi Achis qu'il a faccagé les villages Hébreux. Il faut avouer que nos voleurs de grand chemin ont été moins coupables aux yeux des hommes ; mais les voyes du Dieu des Juifs ne font pas les notres. Le bon Roi David ravit le trône à Isbofeth fils de Saül. Il fait affaffiner Miphibofeth fils de fon protecteur Jonathas. Il livre aux Gabaonites deux enfans de Saul, & cinq de fes petits - enfans, pour les faire tous pendre. Il affaffine Urie pour couvrir fon adultere avec Betzabée , & c'eft encore cette abominable Betzabée. mere de Salomon qui eft une ayeule de Jésus- Chrift. La fuite de l'hiftoire Juive n'eft qu'un tiffu de forfaits confacrés. Salomon com mence par égorger fon frere Adonias. Si Dieu accorda à ce Salomon le don de la (*) Ch. 27. Tome II. { C ( 26 ) fageffe , il paroît qu'il lui refufa ceux de l'humanité, de la juftice , de la continence & de la foi. Il a fept cens femmes & trois cens concubines. Le Cantique qu'on lui impute eft dans le goût de ces livres érotiques qui font rougir la pudeur. Il n'y eft parlé que de tetons , de baifers fur la bouche, de ventre qui eft femblable à un monceau de froment , d'attitu des voluptueufes, de doigt mis dans l'ou verture , de treffaillemens ; & enfin , il finit par dire , que ferons-nous de notre pe tite fœur ? elle n'a point encore de tetons fi c'est un múr , bâtillons deffus ; fi c'est une porte , fermons la. Telles font les moeurs du plus fage des Juifs , ou du moins les mœurs que lui imputent avec refpect de miférables Rabins, & des Theologiens Chrétiens encore plus abfurdes. 3 2 De tous les Rois de Juda & de Sama rie , il y en a très peu qui ne foient affaffins ou affaffinés , juſqu'à ce qu'enfin ce ramas de brigands qui fe maffacroient les uns les autres dans les places publiques & dans le temple, pendant que Ti tus les affiégeoit , tombe fous le fer & dans les chaînés des Romains , & que le refte de ce petit peuple de Dieu , dont dix douzièmes avoient été difperfés de puis fi longtemps en Afie , est vendu ( 27 ) dans les marchés des Villes Romaines chaque tête Juive étant évaluée au prix d'un porc , animal moins impur que cette nation même , fi elle fut telle que fes hiftoriens & fes prophêtes le racontent. Perfonne ne peut nier que les Juifs n'ayent écrit ces abominations. Quand on les raffemble ainfi fous les yeux , le cœur fe fouleve. Ce font donc - là les hérauts de la providence , les précurfeurs du regne de Jéfus ! Toute l'hiftoire Juive, dites - vous , ô Abadie , eft la prédiction de l'Eglife ; tous les prophêtes ont prédit Jefus ; examinons done les prophêtes. 1 CHAPITRE VII. Des Prophetes. Prophete yant , , Nabi,Roch, parlant, voTous les anciens Auteurs conviennent que les Egyptiens , les Caldéens , toutes les nations Afiatiques avoient leurs Prophêtes , leurs devins. Ces nations étoient bien antérieurs au petit peuple Juif, qui lorfqu'il eut compofé une horde dans un C 2 ( 28 ) coin de terre , n'eut d'autre langage qui celui de fes voifins , & qui , comme on l'a dit ailleurs , emprunta des Phéniciens jufqu'au nom de Dieu Eloba , Jehova Adonai , Sadat , qui enfin prit tous les rites , tous les ufages des peuples dont il étoit environné , en déclamant toujours contre ces mêmes peuples. Quelqu'un a dit que le premier devin , le premier prophête, fut le premier fripon qui rencontra un imbécille , ainfi la prophetie eft de l'antiquité la plus haute; mais à la fraude ajoutons encore le fanatifme ; ces deux monftres habitent aifément enſemble dans les cervelles hamaines. Nous avons vu arriver à Londres par troupes du fond du Languedoc & du Vivarès , des prophêtes tout femblables à ceux des Juifs , joindre le plus horrible enthoufiafme aux plus dégoûtans menfonges. Nous avons vu Jurieu prophétifer en Hollande. Il v eut de tout temps de tels impofteurs ; & non - feulement des miférables qui faifoient des prédictions , mais d'autres miférables qui fuppofoient des prophéties faites par d'anciens perfonnages. Le monde a été plein de Sibylles & de Noftradamus. L'Alcoran compte deux çens vingt-quatre mille prophêtes. L'E ( 29 ) vêque Epiphane dans fes notes fur le canon prétendu des Apôtres , compte foixante & treize prophétes Juifs , & dixprophéteffes. Le métier de prophête chez les Juifs n'étoit ni une dignité , ni un grade, ni une profeffion dans l'Etat ; on n'étoit point reçu prophête comme on eft reçu docteur à Oxford ou à Cam bridge; prophétifoit qui vouloit ; il fuffifoit d'avoir , ou de croire avoir, ou de feindre d'avoir la vocation & l'efprit de Dieu. On annonçoit l'avenir en danſant & en jouant du pfalterion. Saül , tout réprouvé qu'il étoit , s'avifa d'étre Prophête. Chaque parti dans les guerres civiles avoit fes prophêtes , comme nous avons nos écrivains de Grubſtreet. deux partis fe traitoient réciproquement de fous , de vifionnaires , de menteurs de fripons , & en cela feul ils difoient la vérité. Stultum (* ) & infanum prophetam , infanum virum fpiritualem , dit Özée felon la Vulgate. ? Les Les Prophetes de Férufalem font des extravagans , des hommes fans foi, dit Sophoniah , Prophête de Jérufalem (**) . Ils font tous comme notre Apoticaire (*) Ozée chap. 9. (**) Soph. chap. 3. vs. 4. }1C 3 ( 30 ) Moore , qui met dans nos gazettes , prenez de mes pilulles , gardez - vous des contrefaites. Le Prophête Michée prédilant des malheurs aux Rois de Samarie & de Juda, le Prophête Sédekias lui applique un énorme fouflet , en lui difant , comment l'Efprit de Dieu eft- il paffe par moi pour al ler à toi? (†) Jérémie qui prophétifoit en faveur de Nabucodonofor , tyran des Juifs , s'étoit mis des cordes au cou , & un bât ou un joug fur le dos , car c'étoit un type ; & il devoit envoyer ce type aux petits roitelets voifins , pour les inviter à fe fou mettre à Nabucodonofor. Le Prophête Ananias qui regardoit Jérémie comme un traître , lui arrache fes cordes , les rompt , &jette fon bât à terre. Ici c'eft Ozée à qui Dieu ordonne de prendre une putain & d'avoir des fils de putain. (c) Vade , fume tibi uxorem fornicationum , &fac tibi filios fornicationum , dit la Vulgate. Ozée obéit ponctuellement ; il prend Gomer fille d'Ebalaïm , il en a trois enfans , ainfi cette prophétie & ce putanifme durerent au moins trois (†) Paralip. chap. 18. [c] Ozée chap. xer. ( 31 ) 1 années. Cela ne fuffit pas au Dieu des Juifs , il veut qu'Ozée (d) couche avec une femme qui ait fait déja fon mari cocu. Il n'en coûte au prophête que quinze dragmes , & un boiffeau & demi d'orge; c'eft affez bon marché pour un adultere. Il en avoit coûté encore moins au patriarche Juda pour fon inceſte avec fa bru Thamar. Là c'eft Ezéchiel (e) qui après avoir dormi trois cens foixante jours fur le côté gauche, & quarante fur le côté droit , après avoir avalé un livre de parchemin , après avoir mangé un fir reverend (* ) fur fon pain par ordre exprès de Dieu, introduit Dieu lui - même , le créateur du monde , parlant ainfi à la jeune Oolla : (f) Tu es devenue grande , tes tetons ont paru, ton petit poil a commencé à croître ; je t'ai couverte mais tu t'es bâti un mauvais lieu ; tu as ouvert tes cuiffes à tous les paffans...... fa fœur Qoliba s'eft prostituée avec plus d'emportement , ( † ) elle a recherché ceux qui ont le membre d'un âne & qui déch: comme des chevaux. [d] Ibid. chap. 3.1 a Fel Ezech. ch. 4. Un fir reverend en Anglois eft un étron. [f] Ezéch. ch. 16 . 1) Ezéch. ch. 23, ^ . C 4 ( 32 ) Nôtre ami le Général Withers á quí on lifoit un jour ces prophéties , demanda dans quel bordel on avoit fait l'Ecriture Sainte ? On lit rarement les prophéties , il eſt difficile de foutenir la lecture de ces longs & énormes galimatias. Les gens du monde qui ont lu Guliver & l'Atlantis , ne connoiffent ni Ozée ni Ezechiel. Quand on fait voir à des perfonnes fenfées ces morceaux finguliers , noyés dans le fatras des prophéties , elles ne reviennent point de leur étonnement. Elles ne peuvent concevoir qu'un Ifaïe marche tout nud au milieu de Jérufalem , qu'un Ezéchiel coupe fa barbe en trois portions, qu'un Jonas foit trois jours dans le ventre d'une baleine &c. Si elles lifoient ces extravagances & ces impuretés dans un des livres qu'on appelle profanes , elles jetteroient le livre avec horreur. C'eſt la Bible , elles demeurent confondues , elles héfitent , elles condamnent ces abominations & n'ofent d'abord condamner le livre qui les contient. Ce n'eft qu'avec le temps qu'elles ofent faire ufage de leur fens commun ; elles finiffent enfin par détefter ce que des fripons & des imbécilles leur ont fait adorer. > Quand ces livres fans raifon & fans pu. ( 33 ) deur ont - ils été écrits ? perfonne n'en fait rien. L'opinion la plus vraiſemblable eft que la plupart des livres attribués à Salomon , à Daniel & à d'autres , ont été faits dans Alexandrie ; mais qu'importe le temps & le lieu ? ne fuffit - il pas de voir avec évidence que ce font des monumens de la folie la plus outrée , & de la plus infâme débauche? Comment donc les Juifs ont-ils pu les vénérer? C'eft qu'ils étoient des Juifs. Il faut encore confidérer que tous ces monumens d'extravagances ne fe confervoient gueres que chez des prêtres & des fcribes. Ôn fait combien les livres étoient rares dans tous les pays où l'imprimerie inventée par les Chinois ne parvint que fi tard. Nous ferons encore plus étonnés quand nous verrons les Peres de l'Eglife adopter ces rêveries dégoûtantes , ou les alléguer en preuve de leur fecte. Venons enfin de l'ancien Teftament au nouveau. Venons à Jéfus & à l'établiffement du Chriftianifme. KC 5 ( 34 ) Id : JE CHAPITRE VIII. De la perfonne de Féfus. Efas nâquit dans un temps où le fanatifme dominoit encore , mais où il y avoit un peu plus de décence. Le long commerce des Juifs avec les Grecs & les Romains avoit donné aux principaux de la nation des mœurs moins déraifonnables & moins groffieres. Mais la popu lace toujours incorrigible confervoit fon efprit de démence. Quelques Juifs opprimés fous les Rois de Syrie & fous les Romains , avoient imaginé alors que leur Dieu leur enverroit quelque jour un libérateur, un Meffie. Cette attente devoit naturellement être remplie par Hérode. Il étoit leur Roi , il étoit l'allié des Ramains , il avoit rebâti leur temple , dont l'architecture furpaffoit de beaucoup celle du temple de Salomon , puifqu'il avoit comblé un précipice fur lequel cet édifi ce étoit établi. Le peuple ne gémiffoit plus fous une domination étrangere ; il ne payoit d'impôts qu'à fon Monarque ; le culte Juif floriffoit , les loix antiques étoient refpectées ; Jerufalem , il faut ( 35 ) l'avouer , étoit au temps de fa plus gran de fplendeur. L'oifiveté & la fuperfti tion firent naître plufieurs factions ou fociétés religieufes , Saducéens , Pharifiens , Efféniens , Judaïtes , Thérapeutes , Joanniftes ou difciples de Jean ; à peu- près comme les Papiftes ont des Moliniftes des Janféniftes , des Jacobins & des Cordeliers. Mais perfonne alors ne parloit de l'attente du Meffie. Ni Flavian Jofephe, ni Philon , qui font entrés dans de fi grands détails fur l'hiftoire Juive , ne difent qu'on fe flattoit alors qu'il viendroit un Chrift , un Oint , un Libérateur un Rédempteur , dont ils avoient moins befoin que jamais ; & s'il Y en avoit un c'étoit Hérode. En effet il y eut un parti , une fecte qu'on appella les Hérodiens, & qui reconnut Hérode pour l'envoyé de Dieu. De tout temps ce peuple avoit donné le nom d'Oint , de Meffie , de Chrift , à quiconque leur avoit fait un peu de bien ; tantôt à leurs Pontifes , tantôt aux Princes étrangers. Le Juif qui compila les rêveries d'Ifaïe lui fait dire par une lâche flatterie bien digne d'un Juif efclave : Ainfi a dit l'Eternel à Cirus fon Oint , fon Meffie , duquel j'ai pris la main droite , afin que je terralle les nations devant lui. Le ( 36 ) 4. livre des Rois appelle le fcélérat Je hu, Oint, Meffie. Un prophéte annonce à Hazaël Roi de Damas , qu'il eft Meffie , & Oint du Très - Haut. Ezéchiel dit au Roi de Tyr , Tu es un Chérubin , un Oint , un Meffie , le fceau de la reffem blance de Dieu. Si ce Roi de Tyr avoit fu qu'on lui donnoit ces titres en Judée, il ne tenoit qu'à lui de fe faire une efpece de Dieu ; il y avoit un droit affez apparent, fuppofé qu'Ezéchiel eût été infpiré. Les Evangéliftes n'en ont pas tant dit de Jéfus. Quoi qu'il en foit , il eft certain que nul Juif n'efpéroit , ne defiroit , n'annonçoit un Oint, un Meffie du temps d'Hérode le Grand, fous lequel on dit que nâquit Jéfus. Lorfqu'aprés la mort d'Hérode le Grand, là Judée fut gouvernée en Province Romaine , & qu'un autre Hérode fut établi par les Romains Té trarque du petit canton barbare de Galilée, plufieurs fanatiques s'ingérerent de prêcher le bas peuple , furtout dans cette Galilée où les Juifs étoient plus groffiers qu'ailleurs. C'eft ainfi que Fox établit de nos jours la fećte des Quakers parmi les payfans d'une de nos provinces. Le premier qui fonda en France une Eglife Calvinifte fut un cardeur de laine nommé ( 37 ) Jean Le Clerc. C'eft ainfi que Muncer, Jean de Leyde & d'autres fonderent l'Anabaptifme dans le bas peuple de quelques cantons d'Allemagne. J'ai vu en France les convulfionnaires inftituer une petite fecte parmi la canaille d'un fauxbourg de Paris. Tous les fectaires commencent ainfi dans toute la terre. Ce font pour la plupart des gueux qui crient contre le gouvernement & qui finiflent ou par être chefs de parti ou par être pendus. Jéfus fut pendu à Jérufalem fans avoir été oint. Jean le baptifeur y avoit déja été condamné au, fupplice. Tous deux laifferent quelques difciples dans la lie du peuple. Ceux de Jean s'établirent vers l'Arabie où ils font encore. Ceux de Jéfus furent d'abord très-obfcurs ; mais quand ils fe furent affociés à quelques Grecs , ils commencerent à être connus. Les Juifs ayant fous Tibere pouffé plus. loin que jamais leurs friponneries ordinai res, ayant furtout féduit & volé Fulvia femme de Saturninus , furent chaffés de Rome , & ils n'y furent rétablis qu'en donnant beaucoup d'argent. On les pu nit encore févérement fous Caligula & fous Claude. I Leurs défaftres enhardirent le peu de ( 38 ) > 4. Galiléens qui compofoient la fecte nouvelle, à fe féparer de la communion Juive, Ils trouverent enfin quelques gens un peu lettrés qui fe mirent à leur tête, & qui écrivirent en leur faveur contre les Juifs. Ce fut ce qui produifit cette énorme quantité d'Evangiles , mot Grec qui figni fie bonne nouvelle. Chacun donnoit une vie de Jéfus , aucunes n'étoient d'accord , mais toutes fe reffembloient par la quan tité de prodiges incroyables qu'ils attri buoient à l'envi à leur fondateur, La Synagogue de fon côté voyant qu'une fecte nouvelle née dans fon fein, débitoit une vie de Jéfus très- injurieuſe au Sanhedrin & à la nation rechercha quel étoit cet homme auquel elle n'avoit point fait d'attention jufqu'alors. Il nous refte encore un mauvais ouvrage de ce temps-là intitulé , Sepher Toldos Fefebut. Il paroît qu'il eft fait plufieurs années après le fupplice de Jéfus , dans le temps que l'on compiloit les Evangiles. Ce petit livre eft rempli de prodiges , comme tous les livres Juifs & Chrétiens ; mais tout extravagant qu'il eft , on eft forcé de convenir qu'il y a des chofes beaucoup plus vraifemblables que dans nos Evangiles. Il eft dit dans le Toldos Fefchut, que ( 39 ) Jéfus étoit fils d'une nommée Mirja , mariée dans Bethléem, à un pauvre homme. nommé Jocanam. Il y avoit dans le voifinage un foldat dont le nom étoit Jofeph Pander, homme d'une riche taille , & d'une affez grande beauté , il devint amoureux de Mirja ou Maria ( car les He breux n'exprimant point les voyelles , prenoient fouvent un Apour un F.) Mirja devint groffe de la façon de Pander Jocanam confus & defefpéré quitta Bethleem , & alla fe cacher dans la Babylonie , où il y avoit encore beaucoup de Juifs. La conduite de Mirja la déshonora , fon fils Jefus ou Jefchut fut déclaré bâtard par les Juges de la ville. Quand il fut parvenu à l'âge d'aller à l'école publique , il fe plaça parmi les enfans légitimes on le fit fortir de ce rang; de la fon animofité contre les pretres , qu'il manifefta quand il eut atteint l'âge mûr, il leur prodigua les injures les plus atroces , les appellant races de viperes , fepulchres blancbis. Enfin , ayant pris querelle avec le fuif Juda fur quel que matiere d'intérêt comme fur des points de religion , Juda le dénonça au Sanhedrin , il fut arrêté, Te mit à pleurer , demanda pardon , mais mais en vain , on US ( 40 ) le fouetta, on le lapida , & enfuite on le pendit. Telle eft la fubftance de cette hiftoire. On y ajouta depuis des fables infipides, des miracles impertinens qui firent grand tort au fond; mais le livre étoit connu dans le fecond fiecle , Celfe le cita , Origene le réfuta , il nous eft parvenu fort défiguré. Ce fond que je viens ce citer eft certainement plus croyable , plus naturel , plus conforme à ce qui fe paffe tous les jours dans le monde, qu'aucun des cinquante Evangiles des Chrifticoles. Il eſt plus vraisemblable que Jofeph Pander avoit fait un enfant à Mirja , qu'il ne l'eft qu'un Ange foit venu par les airs faire un compliment de la part de Dieu à la femme d'un charpentier, comme Jupiter envoya Mercure auprès d'Alcmene. Tout ce qu'on nous conte de ce Jéfus. eft digne de l'Ancien Teftament & de Bedlam. On fait venir je ne fais quel Agion pneuma , un faint foufle , un St. Efprit, dont on n'avoit jamais entendu parler, & dont on a fait depuis la tierce partie de Dieu , Dieu lui-même, Dieu le créateur du monde ; il engroffe Marie , ce qui a donné lieu au Jéfuité Sanchez d'exa- ( 41 ) d'examiner dans fa Somme Théologique fi Dieu eut beaucoup de plaifir avec Maria , s'il répandit de la femence , & fi Maria répandit auffi de fa femence. Jéfus devint donc un fils de Dieu & d'une Juive , non encore Dieu lui-même, mais une créature fupérieure. Il fait des miracles. Le premier qu'il opere c'eft, de fe faire emporter par le diable fur le haut d'une montagne de Judée d'où on découvre tous les Royaumes de la terre.. Ses vêtemens paroiffent tout blancs , quel miracle ! Il change l'eau en vin dans un repas où tous les convives étoient déja yvres. Il fait fécher un figuier qui ne lui a pas donné des figues à fon déjeuner à la fin de Février. Enfin , il eft pendu en public , & il reffufcite en fecret. Il va faire un tour aux enfers , revient converfer avec fes difciples , & monte au ciel en préſence de quatre - vingt perfonnes , fans qu'aucun Juif le voye. Comment ces déteftables fadaifes ontelles pâ s'accréditer ? Comment ont- elles renversé les autres fadaifes des Grecs & des Romains , & enfin l'Empire même? Comment ont- elles caufé tant de maux , tant de guerres civiles , allumé tant de buchers & fait couler tant de fang ? c'ef de quoi nous allons rendre compte. TAYLOR Tome II. D INST OXFORD ( 42 ) CHAPITRE IX. De l'établissement de la Secte Chrétienne, & particulièrement de Paul. Q Uand les premiers Galiléens fe répandirent parmi la populace des Grecs & des Romains , ils trouverent cette populace infectée de toutes les traditions abfurdes qui peuvent entrer dans des cervelles ignorantes , qui aiment les fables ; des dieux déguifés en taureaux , en chevaux , en cignes , en ferpens , pour féduire des femmes & des filles. Les Magiftrats , les principaux citoyens n'ad mettoient pas ces extravagances ; mais la populace s'en nourriffoit , & c'étoit la canaille Juive qui parloit à la canaille Payenne. Il me femble voir chez nous les difciples de Fox difputer contre les difciples de Broun. Il n'étoit pas difficile à des énergumenes Juifs, de faire croire leurs rêveries à des imbécilles qui croyoient des rêveries non moins impertinentes. L'attrait de la nouveauté attiroit des efprits foibles ; laffés de leurs an ciennes fottifes , & qui couroient à de nouvelles erreurs , comme la populace de ( 43 ) la foire de Barthelemi , dégoûtée d'une ancienne farce qu'elle a trop fouvent entendue , demande une farce nouvelle. Si on en croit les propres livres des Chrifticoles , Pierre fils de Jone , de meuroit à Joppé chez Simon le corroyeur dans un galetas , où il reffufcita la coutu riere Dorcas. Voyez e chapitre de Lucien intitulé Philopatris , dans lequel il parle de ce Galiléen au front chauve & au grand nez qui fut enlevé au troifieme ciel. Voyez comme il traite une affemblée de Chrétiens où il fe trouva. Nos Presbytériens d'Ecoffe & les gueux de St. Médard de Paris , font précisément la même chofe. Des hommes déguenillés pref que nuds , au regard farouche , à là đếmarche d'énergumene , pouffant des foupirs , faifant des contorfions , jurant par le Fils qui eft forti du Pere , prédifoient mille malheurs à l'Empire , & blafphé moient contre l'Empereur. Tels étoient ces premiers Chrétiens. Celui qui avoit donné le plus de vogue à la fecte étoit ce Paul au grand nez & au front chauve dont Lucien fe moque. Il fuffic , ce me femble , des écrits de ce Paul , pour voir combien Lucien avoit raifon. Quel galimatias quand il écrit à - ་ D 2 ( 44 ) la fociété des Chrétiens qui fe formoit à Rome dans la fange Juive ! La circoncifion vous eft profitable fi vous obfervez la loi ; mais fi vous êtes prévaricateurs de la loi , votre circoncifion devient prépuce &c. Détruifons - nous donc la loi par la foi ? à Dieu ne plaife , mais nous établiffons la foi.... Si Abraham a été juftifié par fes œuvres , il a de quoi fe glorificr , mais non devant Dieu. Ce Paul en s'exprimant ainſi parloit évidemment en Juif & non en Chrétien. Quel difcours aux Corinthiens ! Nos pcres ont été baptifés en Moyfe dans la nuée &dans la mer. Le Cardinal Bembo n'avoit - il pas raifon d'appeller ces épitres Epiftolacia , & de confeiller de ne les point lire? Que penfer d'un homme qui dit aux Theffaloniciens , je ne permets point aux femmes de parler dans l'Eglife ; & qui dans la même épitre annonce qu'elles doivent parler & prophétifer avec an voile ? Sa querelle avec les autres Apôtres eftelle d'un homme fage & modéré ? Tout ne décele - t - il pas en lui un homme de parti ? Il eft Chrétien , il enfeigne le Chriftianifme , & il va facrifier fept jours de fuite dans le temple de Jérufalem par le confeil de Jaques , afin de ne paſſer ( 45 ) pas pour Chrétien ? Il écrit aux Galates : Je vous dis , moi Paul , que fi vous vous faites circoncire , Jésus-Chrift ne vous fer- vira de rien. Et enfuite il circoncit fon difciple Timothée , que les Juifs prétendent être fils d'un Grec & d'une proftituée. Il eft intrus parmi les Apôtres , & il fe vante aux Corinthiens d'être auffi Apôtre que les autres ; Ne fuis-je pas Apôtre? N'ai - je pas vu nôtre Seigneur FéJus- Chrift ? Netes-vous pas mon ouvrage ? quand je ne ferois pas Apôtre à l'égard des autres , je le fuis au moins à votre égard. N'avons - nous pas le droit d'être nourris à vos dépens ? N'avons nous pas le pouvoir de mener avec nous une femme qui foit notre fœur, (ou fi on veut , une foeur qui foit notre femme) comme font les autres Apôtres & les freres de notre Seigneur ? qui eft - ce qui va jamais à la guerre à jes dépens ? &c. · Que de chofes dans ce paffage ! Le droit de vivre aux dépens de ceux qu'il a fubjugués , le droit de leur faire payer les dépenfes de fa femme ou de fa four : enfin la preuve que Jéfus avoit des fre res , & la préfomption que Marie ou Mir.. ja étoit accouchée plus d'une fois. Je voudrois bien favoir de qui il parle encore dans la feconde lettre aux Corin D 3 ( 46 ) thiens chap. 2. Ce font de faux Apb tres..... mais qu'ils ofent , je l'ofe auffi ". Sant- ils Hébreux ? je le fuis auffi ; font ils de la race d'Abraham? j'en fuis auffi. Sont- ils Miniftres de Jésus - Chrift ? quand ils devroient m'accufer d'impudence , je le fuis encore plus qu'eux. F'ai plus travaillé qu'eux , j'ai été plus repris de justice , plus fouvent enfermé aux cachots qu'eux. F'ai reçu trente - neuf coups de fouet cing fois ; des coups de bâton trois fois ; lapidé une fois ; j'ai été un jour & une nuit au fond de la mer. Voilà donc ce Paul qui a été vingtquatre heures au fond de la mer fans étre noyé ; c'eft le tiers de l'avanture de Jonas. Mais n'eft - il pas clair qu'il manifefte ici fa baffe jaloufie contre Pierre & les autres Apôtres , & qu'il veut l'emporter fur eux pour avoir été plus repris de juftice & plus fouetté qu'eux? La fureur de la domination ne paroîtelle pas dans toute fon infolence , quand il dit aux mêmes Corinthiens: Je viens à vous pour la troisieme fois ; je jugerai tout par deux ou trois témoins ; je ne par donnerai à aucun de ceux qui ont péché ni aux autres ? Corint. chap. 9. ( 47 ) Aquels imbécilles, à quels cœurs abru tis de la vile populace écrivoit - il ainfi en maître tyrannique ? A ceux auxquels il ofoit dire qu'il avoit été ravi au troifieme ciel. Lâche, & impudent impof teur ! où eft ce troifieme ciel dans lequel tu as voyagé ? Eft-ce dans Vénus ou dans Mars ? Nous rions de Mahomet quand fes commentateurs prétendent qu'il alla vifiter fept cieux tout de fuite dans une nuit. Mais Mahomet au moins ne parle pas dans fon Alcoran d'une telle extravagance qu'on lui impute , & Paul ofe dire qu'il a fait près de la moitié de ce voyage ! Quel étoit donc ce Paul qui fait encore tant de bruit , & qui eft cité tous les jours à tort & à travers ? Il dit , qu'il étoit citoyen Romain. J'ofe affirmer qu'il ment impudemment. Aucun Juif ne fut citoyen Romain que fous les Décius & les Philippes. S'il étoit de Tarfis , Tarfis ne fut colonie Romaine , cité Romaine, que plus de cent ans après Paul. S'il étoit de Giscale , comme le dit Jérôme ce village étoit en Galilée ; & jamais les Galiléens n'eurent affurément l'honneur d'être citoyens Romains. Il fut élevé aux pieds de Gamaliel c'est-à-dire , qu'il fut domeftique de Ga44*D 4 ( 48 ) maliel. En effet , on remarque qu'il gar doit les manteaux de ceux qui lapiderent Etienne , ce qui eft l'emploi d'un valet. Les Juifs prétendirent qu'il voulut époufer la fille de Gamaliel. On voit quelque trace de cette avanture dans l'ancien livre qui contient l'hiftoire de Thècle. Il n'eft pas étonnant que la fille de Gamaliel n'ait pas voulu d'un petit valet chaudont les fourcils fe joignoient fur un nez difforme , & qui avoit les jambes crochues : c'eft ainfi que les Actes de Thecle le dépeignent. Dédaigné par Gamaliel & par fa fille , comme il méritoit de l'être il fe joignit à la fecte naiffante de Céphas, de Jaques , de Matthieu , de Barnabé , pour mettre le trouble chez les Juifs. ve , > Pour peu qu'on ait une étincelle de raifon , on jugera que cette caufe de l'apoftafie de ce malheureux Juif , eft plus naturelle que celle qu'on lui attribue. Comment fe perfuadera- t - on qu'une lu 'miere célefte l'ait fait tomber de cheval en plein midi , qu'une lumiere célefte fe foit fait entendre à lui , que Dieu lui ait dit , Saul, Saul , pourquoi me perfécutes. tu? ne rougit-on pas d'une telle fottife? Si Dieu avoit voulu empêcher que les difciples de Jéfus ne fuffent perfécutés , (49 ) n'auroit- il pas parlé aux princes de la nation plutôt qu'à un valet de Gamaliel? En ont - ils moins été châtiés depuis que Saul tomba de cheval ? Saul- Paul ne futil pas châtié lui-même ? à quoi bon ce ridicule miracle ? Je prends le ciel & la terre à témoin , ( s'il eft permis de fe fer vir de ces mots impropres le ciel & la terre) qu'il n'y a jamais eu de légende plus folle , plus fanatique , plus dégoûtante , plus digne d'horreur & de mépris. CHAPITRE X. que Des Evangiles. Disdemi - Chrétiens les fociétésfedefurent dmiinfenfi- - Juifs, blement établies dans le bas peuple à Jérufalem , à Antioche , à Ephefe , à Corinthe , dans Alexandrie quelque temps après Vefpafien chacun de ces petits trou peaux voulut faire fon Evangile. On en compta cinquante , & il y en eut beaucoup davantage. Tous fe contredifent comme on le fait , & cela ne pouvoit être autrement , puifque tous étoient forgés dans des lieux différens . Tous conviennent feulement que leur Jéfus étoit P 4D 5 ( 50 ) fils de Maria ou Mirja , & qu'il fut pendu; & tous lui attribuent d'ailleurs autant de prodiges qu'il y en a dans les métamorphofes d'Ovide. Luc lui dreffe une Généalogie abfolument différente de celle que Matthieu lui forge; & aucun d'eux ne fonge à faire la Généalogie de Marie , de laquelle feule on le fait naître. L'enthoufiafte Pafcal s'écrie , cela ne s'eft pas fait de concert. Non fans doute , chacun a écrit des extravagances à fa fantaifie pour fa petite fociété. De là vient qu'un Evangélifte prétend que le petit Jéfus fut élevé en Egypte ; un autre dit qu'il fut toujours élevé à Bethleem ; celui - ci le fait aller une feule fois à Jerufalem , celui- là trois fois. L'un fait arriver trois mages que nous nommons les trois Rois , conduits par une étoile nouvelle, & fait égorger tous les petits enfans du pays par le premier Hérode qui étoit alors près de fa fin. L'autre paffe fous fi- lence & l'étoile , & les mages , & lẻ maffacre des innocens. On a été obligé enfin , pour expliquer cette foule de contradictions , de faire une concordance : & cette concordance eft encore moins concordante que ce qu'on a voulu concorder. Prefque tous ( 51 ). ces Evangiles que les Chrétiens ne communiquoient qu'à leurs petits troupeaux, ont été vifiblement forgés après la prife de Jérufalem ; on en a une preuve bien fenfible dans celui qui eft attribué à Matthieu. Ce livre met dans la bouche de Jéfus ces paroles aux Juifs : Vous rendrex compte de tout le fang répandu depuis le juste Abel , jufqu'à Zacharie fils de Barack , que vous avez tué entre le temple l'autel. • Un fauffaire fe découvre toujours par quelque endroit. Il y eut pendant le fiege de Jérufalem un Zacharie, fils d'un Barack , affaffiné entre le temple & l'au tel par la faction des zêlés. Par là l'im poſture eft facilement découverte ; mais pour la découvrir alors il eût falu lire toute la Bible. Les Grecs & les Romains ne la lifoient gueres , & les Evangiles leur étoient entiérement inconnus ; on pouvoit mentir impunément. Une preuve bien évidente que l'Evangile attribué à Matthieu , n'a été écrit que très-longtemps après lui par quelque malheureux demi- Juif , demi- Chrétien Hellénifte , c'eft ce paffage fameux , s'il n'écoute pas l'Eglife , qu'il foit à vos yeux comme un payen & un publicain. Il n'y avoit point d'Eglife du temps de Jéfus ( 52 ) & de Matthieu. Ce mot Eglife eft Grec. L'affemblée du peuple dans Athenes s'appelloit Ecclefia. Cette expreffion ne fut adoptée par les Chrétiens que dans la fuite des temps , quand il y eut quelque forme de gouvernement. Il eſt donc clair qu'un fauflaire prit le nom de Matthieu pour écrire cet Evangile en trèsmauvais Grec. J'avoue qu'il feroit aſſez comique que Matthieu , qui avoit été publicain , comparât les payens aux pu blicains. Mais quel que foit l'auteur de cette comparaifon ridicule , ce ne peut être qu'un écervelé de la boue du peuple, qui regarde un chevalier Romain chargé de recouvrer les impôts établis par le gouvernement, comme un homme abominable. Cette idée feule eſt deſtructive de toute adminiſtration , & non feule. ment indigne d'un homme infpiré de Dicu , mais indigne du laquais d'un honnête citoyen. Il y a deux Evangiles de l'enfance ; le premier nous raconte qu'un jeune gueux donna une tappe fur le derriere au petit Jéfus fon camarade, & que le petit Jéfus ie fit mourir fur le champ, Kai para kremei pefon apeidonen. Une autre fois il faifoit des petits oifeaux de terre glaife , & ils s'envoloient. La maniere dont il ( 53 ) apprenoit fon alphabet étoit encore toutà-fait divine. Ces contes ne font pas plus ridicules que ceux de l'enlévement de Jéfus par le diable , de la transfiguration fur le Thabor , de l'eau changée en vin , des diables envoyés dans un troupeau de cochons. Auffi cet Evangile de l'enfance fut longtemps en vénération. Le ſecond livre de l'enfance n'eft pas moins curieux. Marie emmenant fon fils en Egypte , rencontre des filles défolées de ce que leur frere avoit été changé en mulet. Marie & le petit ne . manquerent pas de rendre à ce mulet fa forme d'homme , & l'on ne fait fi ce malheureux gagna au marché. Chemin faifant la famille errante rencontre deux voleurs, l'un nommé Dumachus & l'autre Titus. Dumachus vouloit abfolu ment voler la Sainte Vierge & lui faire pis. Titus prit le parti de Marie , & donna quarante dragmes à Dumachus pour l'engager à laiffer paffer la famille fans lui faire de mal. Jéfus déclara à la Sainte Vierge que Dumachus feroit le mauvais larron , & Titus le bon larron , qu'ils feroient un jour pendus avec lui que Titus iroit en Paradis , & Dumachus à tous les diables. ( 54 ) L'Evangile felon St. Jaques frere aîné de Jéfus , ou felon Pierre Barjone , Evangile reconnu & vanté par 'Tertullien & par Origene , fut encore en plus grande recommandation. On l'appelloit Proto evangelion , premier Evangile. C'eft peutêtre le premier qui ait parlé de la nou velle étoile , de l'arrivée des mages & des petits enfans que le premier Hérode fit égorger. Il y a encore une efpece d'Evangile ou d'Actes de Jean, dans lequel on fait dan fer Jéfus avec fes Apôtres la veille de fa mort ; & la chofe eft d'autant plus vraifemblable que les Thérapeutes étoient en effet dans l'ufage de danfer en rond , ce qui doit plaire beaucoup au Pere cé lefte. Pourquoi le Chrétien le plus fcrupu leux rit- il aujourd'hui fans remords de tous ces Evangiles , de tous ces Actes qui ne font plus dans le canon , & n'ofe- t-il rire de ceux qui font adoptés par l'Eglife? Ce font à- peu- près les mêmes con tes ; mais le fanatique adore fous un nom ce qui lui paroît le comble du ridicule fous un autre. Enfin , on choifit quatre Evangiles ; & la grande raifon, au rapport de St. Irénée, c'eft qu'il n'y a que quatre vents ( 55 ) eardinanx ; c'eft que Dieu eft affis fur les Chérubins , & que les Chérubins ont quatre formes. St. Jérôme ou Hiérome , dans fa préface fur l'Evangile de Marc ajoute aux quatre vents , & aux quatre animaux , les quatre anneaux qui fervoient aux bâtons fur lefquels on portoit le coffre appellé l'arche. Théophile d'Antioche prouve que le Lazare ayant été mort pendant quatre jours , on ne pouvoit conféquemment admettre que quatre Evangiles. St. Cyprien prouve la même chofe par les quatre fleuves qui arrofoient le Paradis. Il faudroit être bien impie pour ne pas fe rendre à de telles raifons. Mais qui a fabriqué ces quatre Evangi les ? n'eft - il pas très - probable que ce font des Chrétiens Helléniftes , puifque l'Ancien Teftament n'y eft prefque jamais cité que fuivant la verfion des Septante , verfion inconnue en Judée. Les Apôtres ne favoient pas plus le Grec que Jéfus ne l'avoit fu. Comment auroient-ils cité les Septante ? il n'y a que le miracle de la Pentecôte qui ait pu enfeigner le Grec à des Juifs ignorans. Quelle foule de contrariétés & d'impoſtures eft reſtée dans ces quatre Evan giles! n'y en eût - il qu'une feule , elle ( 56 ) fuffiroit pour démontrer que c'eſt un ouvrage de ténebres. N'y eût - il que le conte qu'on trouve dans Luc que Jéfus nâquit fous le gouvernement de Cirénius , lorfqu'Augufte fit faire le dénombrement de tout l'Empire , cette feule fauffeté ne fuffiroit- elle pas pour faire jetter le livre avec mépris? 1o. Il n'y eut jamas de tel dénombrement , & aucun auteur n'en parle. 20. Cirénius ne fut Gouverneur de Syrie que dix ans après l'époque de la naiffance de ce Jéfus. Autant de mots , autant d'erreurs dans les Evangiles. Et c'eſt ainfi qu'on réuffit avec le peuple CHAPITRE XI Comment les premiers Chrétiens fe conduifirent avec les Romains , & comme ils forgerent des vers attribués aux Sibylles &c. Es gens de bon fens demandent Dcomment ce tiffu de fables qui outragent fi plattement la raifon , & de blafphêmes qui imputent tant d'horreurs à la Divinité, put trouver quelque créance? ils devroient en effet être bien étonnés fi les premiers fectaires Chrétiens avoient perfuadé la cour des Empereurs & le ( 57 ) & le Sénat de Rome ; mais une canaille abjecte s'adreffoit à une populace non moins méprifable. Cela eft fi vrai que l'Empereur Julien dit dans , fon difcours aux Chrifticoles : C'étoit d'abord affez pour vous de féduire quelques fervantes , quelques gueux comme Corneille & Serge. Qu'on me regarde comme le plus effronté des impofteurs , fi parmi ceux qui embrafferent votre Secte fous Tibere & fous Claude , il y a eu un feul homme de nailance ou de mérite. · Les premiers raifonneurs Chrétiens difoient donc dans les carrefours & dans les auberges aux payens qui fe mêloient de raifonner : Ne foyez point effarouchés de nos myfteres ; vous recourez aux expiations pour vous purger de vos crimes ; nous avons une expiation bien plus falutaire. Vos oracles ne valent pas les nôtres ; & pour vous convaincre que notre Secte eft la feule bonne c'eft que vos propres oracles ont prédit tout ce que nous vous enfeignons , & tout ce qu'a fait notre Seigneur Jéfus - Chriſt. N'avez-vous pas entendu parler des Sibylles ? Oui , répondent les difputeurs payens aux difputeurs Galiléens ; toutes les Sibylles ont été infpirées par Jupiter même ; leurs prédictions font toutes. Tome II. E ( 58 ) véritables. Eh bien , repartent les Galiléens , nous vous montrerons des vers de Sibylles qui annoncent clairement Jéfus-Chrift , & alors il faudra bien vous rendre. Auffi- tôt les voilà qui fe mettent à forger les plus mauvais vers Grecs qu'on ait jamais compofés , des vers femblables à ceux de notre Grubftreett , de Blakmore, & de Gibfon. Ils les attribuent aux Sibylles , & pendant plus de quatre cens ans ils ne ceffent de fonder le Chriftianif me fur cette preuve qui étoit également à la portée des trompeurs & des trompés. Ce premier pas étant fait , on vit ces fauffaires puérils mettre fur le compte des Sibylles jufqu'à des vers acroftiches qui commençoient tous par les lettres qui compofent le nom de Jéfus- Chrift. Lactance nous a confervé une grande partie de ces rapfodies , comme des pieces autentiques. A ces fables ils ajoutoient des miracles qu'ils faifoient même quelquefois en public. Il eft vrai qu'ils ne reffufcitoient point de morts comme Elifée , ils n'arrêtoient pas le foleil comme Jofué ils ne paffoient point la mer à pied fec commeMoyfe, ilsne fe faifoient pas tranfporter par le diable comme Jéfus fur le haut d'une petite montagne de Galilée ( 59 ) d'où on découvroit toute la terre ; mais ils guériffoient la fievre quand elle étoit fur fon déclin , & même la galle lorfque le galleux avoit été baigné , faigné , pur gé , frotté. Ils chaffoient furtout les démons , c'étoit le principal objet de la miffion des Apôtres. Il eft dit dans plus d'un Evangile que Jéfus les envoya exprès pour les chaffer. C'étoit une ancienne prérogative du peuple de Dieu. Il y avoit , comme on fait , des exorciftes à Jérufalem qui guétiffoient les poffédés en leur mettant fous le nez un peu de la racine nommée Barath , & en marmotant quelques paroles tirées de la clavicule de Salomon. Jéfus lui-même avoue que les Juifs avoient ce pouvoir. Rien n'étoit plus aifé au diable que d'entrer dans le corps d'un gueux, moyennant un ou deux shellings. Un Juif, ou un Galiléen un peu à fon aife , pouvoit chaffer dix diables par jour pour une guinée. Les diables n'ofoient jamais s'emparer d'un Gouverneur de province , d'un Sénateur , pas même d'un Centurion : Il n'y eut jamais que ceux qui ne poffédoient rien du tout qui fuffènt poffédés. Si le diable dut fe faifir de quelqu'un j. c'étoit de Pilate , cependant il n'oſa ja- E 2 ( 54 ) L'Evangile felon St. Jaques frere aîné de Jéfus , ou felon Pierre Barjone , Evangile reconnu & vanté par 'Tertullien & par Origene , fut encore en plus grande recommandation. On l'appelloit Prote evangelion , premier Evangile. C'est peutêtre le premier qui ait parlé de la nou velle étoile , de l'arrivée des mages & des petits enfans que le premier Hérode fit égorger. Il y a encore une efpece d'Evangile ou d'Actes de Jean , dans lequel on fait dan fer Jéfus avec fes Apôtres la veille de fa mort; & la chofe eft d'autant plus vraifemblable que les Thérapeutes étoient en effet dans l'ufage de danfer en rond ce qui doit plaire beaucoup au Pere cé lefte. Pourquoi le Chrétien le plus fcrupu leux rit- il aujourd'hui fans remords de tous ces Evangiles , de tous ces Actes qui ne font plus dans le canon , & n'ofe- t-il rire de ceux qui font adoptés par l'Eglife? Ce font à- peu - près les mêmes con tes ; mais le fanatique adore fous un nom ce qui lui paroît le comble du ridicule fous un autre. Enfin , on choifit quatre Evangiles ; & la grande raifon, au rapport de St. Irénée, c'eft qu'il n'y a que quatre vents (( 55 ) eardinanx ; c'eft que Dieu eft affis fur les Chérubins , & que les Chérubins ont quatre formes. St. Jérôme ou Hiérome dans fa préface fur l'Evangile de Marc ajoute aux quatre vents, & aux quatre animaux , les quatre anneaux qui fervoient aux bâtons fur lefquels on portoit le coffre appellé l'arche. Théophile d'Antioche prouve que le Lazare ayant été mort pendant quatre jours , on ne pouvoit conféquemment admettre que quatre Evangiles. St. Cyprien prouve la même chofe par les quatre fleuves qui arrofoient le Paradis. Il faudroit être bien impie pour ne pas fe rendre à de telles raifons. Mais qui a fabriqué ces quatre Evangi les ? n'eft - il pas très - probable que ce font des Chrétiens Helléniftes , puifque l'Ancien Teftament n'y eft prefque jamais cité que fuivant la verfion des Septante , verfion inconnue en Judée. Les Apôtres ne favoient pas plus le Grec que Jéfus ne L'avoit fu. Comment auroient-ils cité les Septante ? il n'y a que le miracle de la Pentecôte qui ait pu enfeigner le Grec à des Juifs ignorans. Quelle foule de contrariétés & d'impoſtures eſt reſtée dans ces quatre Evangiles ! n'y en eût- il qu'une feule , elle ( 60 ) mais en approcher. On a longtemps exorcifé la canaille en Angleterre , & encore plus ailleurs ; mais quoique la Secte Chrétienne foit précisément établie pour cet uſage , il eft aboli prefque partout , excepté dans les Etats de l'obédience du Pape , & dans quelques pays groffiers d'Allemagne , malheureufement foumis à des Evêques & à des Moines. 9 Les Chrétiens s'accréditerent ainfi dans le petit peuple pendant tout un fiecle. On les laiffa faire ; on les regarda comme une fecte de Juifs , & les Juifs étoient tolérés ; on ne perfécutoit ni Pharifiens ni Saducéens , ni Thérapeutes , ni Efféniens , ni Judaïtes ; à plus forte raifon laiffoit -on ramper dans l'obfcurité ces Chrétiens qu'on ignoroit. Ils étoient fi peu de chofe que ni Flavian Jofephe , ni Philon , ni Plutarque ne daignent en parler ; & fi Tacite en veut bien dire un mot , c'eft en les confondant avec les Juifs , c'eft furtout avec le plus profond mépris. Ils eurent donc la plus grande facilité d'étendre leur fecte. On les rechercha un peu fous Domitien, quelquesuns furent punis fous Trajan , & ce fut alors qu'ils commencerent à mêler mille faux actes de martyres à quelques uns qui n'étoient que trop véritables. 2 ( 61 ) CHAPITRE XII. Comment les Chrétiens fe conduisirent avec les Juifs. Leur explication ridicule des prophetes. L Es Chrétiens ne purent jamais prévaloir auprès des Juifs comme auprès de la populace des Gentils. Tandis qu'ils continuerent à vivre felon la loi Mofaïque , comme avoit fait Jéfus toute fa vie , à s'abftenir des viandes prétendues impures , & qu'ils ne profcrivirent point la circoncifion , ils ne furent regardés que comme une fociété particuliere de Juifs , telle que celle des Saducéens , des Efféniens , des Thérapeutes. Ils difoient qu'on avoit eu tort de pendre Jéfus , que c'étoit un faint homme envoyé de Dieu , & qu'il étoit reffufcité. Ces difcours , à la vérité , étoient punis dans Jérufalem ; il en couta même la vie à Etienne, à ce qu'ils difent ; mais ailleurs cette fciffion ne produifit que des altercations entre les Juifs rigides & les demi- Chrétiens. On difputoit ; les Chré- tiens crurent trouver dans les Ecritures quelques paffages qu'on pouvoit tordre E 3 ( 62 ) en faveur de leur caufe. Ils prétendirent que les prophêtes Juifs avoient prédit Jéfus- Chrift ; ils citoyent Ifaïe que difoit au Roi Achaz: وو ? Une fille , ou jeune femme (Alma) fera groffe , & accouchera d'un fils qui ,, s'appellera Emmanuel , il mangera du beurre & du miel , afin qu'il fache re- , jetter le mal & choifir le bien. La ,, terre que vous déteftez fera délivrée de fes deux Rois , & le Seigneur fiflera ,, aux mouches qui font à l'extrémité des fleuves d'Egypte , & aux abeilles du d'Affur. Et il prendra un ra२१ lefoirpoilde dulouage pénil, && lail rafera barbe ladutête Roi, دو pays وو,, 29 C ३' २१ d'Affur. وو Et le Seigneur me dit , prenez un grand livre , & écrivez en lettres li fibles , Maher falal - has - bas , prenez ,, vite les dépouilles. Et j'allai coucher avec la prophéteffe, & elle fut groffe, & elle mit au monde un fils , & » le Seigneur me dit , appellez - le Ma- , her falal - has - bas , prenez vîte les dé- → pouilles. دو وو Vous voyez bien , difoient les Chrétiens , que tout cela fignifie évidemment l'avénement de Jéfus - Chrift. La fille qui fait un enfant c'eft la Vierge Marie, ( 63 ) Emmanuel, & prenez vite les dépouilles , c'eft nôtre Seigneur Jéfus. Pour le rafoir de louage avec lequel on rafe le poil du pénil du Roi d'Affur , c'eft une autre affaire. Toutes ces explications reffemblent parfaitement à celle de Milord Pierre dans le Conte du Tonneau de nôtre cher Doyen Suift. ܕ 7 Les Juifs répondoient , nous ne voyons pas fi clairement que vous , que prenez vite les dépouilles & Emmanuel, fignifient , Féfus , que la jeune femme d'Ifaïe foit une vierge, & qu'Alma qui exprime également fille ou jeune femme fignifie Maria ; &ils rioient au nez des Chrétiens. Quand les Chrétiens difoient , Jéfus eft prédit par le Patriarche Juda , car le Patriarche Juda devoit lier fon ânon à la vigne, & laver fon manteau dans le fang de la vigne ; & Jéfus eft entré dans Jérufalem fur un âne , donc Juda eft la figure de Jéfus ; alors les Juifs rioient encore plus fort, S'ils prétendoient que Jéfus étoit le Shilo qui devoit venir quand le fceptre ne feroit plus dans Juda , les Juifs les confondoient en difant que depuis la captivité en Babylone , le fceptre ou la verge d'entre les jambes n'avoit jamais été dans Juda , & que du temps même E 4 ( 64 ) de Saül la verge n'étoit pas dans Juda. Ainfi les Chrétiens loin de convertir les Juifs en furent méprifés , déteſtés , & le font encore. Ils furent regardés comme des bâtards qui vouloient dépouiller le fils de la maiſon , en prétextant de faux titres. Ils renoncerent donc à l'efpérance d'attirer les Juifs à eux , & s'adrefferent uniquement aux Gentils. CHAPITRE XIII. Des faules citations &des fauffes prédic tions dans les Evangiles. P Our encourager les premiers Catechumenes , il étoit bon de citer d'anciennes prophéties & d'en faire de nouvelles. On cita donc dans les Evangiles les anciennes prophéties à tort & à travers. Matthieu , qu celui qui prit fon dit , , (*) Fofeph habita dans une ville qui s'appelle Nazareth , pour accomplir ce qui a été prédit par les prophetes, it s'appellera Nazaréen. Aucun prophête n'avoit dit ces paroles ; Matthieu parloit donc au hazard. Luc ofe dire au chap. nom , (*) Matth. ch. 3. ( 65 ) 21. Il y aura des fignes dans la Lune & dans les étoiles ; des bruits de la mer & des flots ; les hommes féchant de crainte attendront ce qui doit arriver à l'univers entier. Les vertus des cieux feront ébranlées & alors ils verront le fils de l'homme venant dans une nuée avec grande puillance & grande majesté. En vérité je vous dis que la génération préfente ne paſſera point que tout cela ne s'accomplife. · La génération paffa , & fi rien de tout cela n'arriva , ce n'eft pas ma faute. Paul en dit à peu près autant dans fon Epître à ceux de Theffalonique : Nous qui vivons & qui vous parlons , nous ferons emportés dans les nuées pour aller au devant du Seigneur au milieu de l'air. Que chacun s'interroge ici , qu'il voye fi on peut pouffer plus loin l'impofture & la bêtife du fanatifme. Quand on vit qu'on avoit mis en avant des menſonges fi groffiers , les Peres de l'Eglife ne manquerent pas de dire que Luc & Paul avoient entendu par ces prédictions la ruine de Jérufalem. Mais quel rapport , je vous prie, de la prife de Jérufalem avec Jéfus venant dans les nuées dans une gran de puiffance & grande majeſté ? Il y a dans l'Evangile attribué à Jean un paffage qui fait bien voir que ce li E 5 ( 66 ) vre ne fut pas compofé par un Juif. Jé fus dit : (*) Je vous fais un commandement nouveau , c'est que vous vous aimiez mutuellement. Ce commandement loin d'être nouveau fe trouve expreffément , & d'une maniere bien plus forte dans le Lévitique , (†) Tu aimeras ton prochain comme toi - même. Enfin , quiconque fe donnera la peine de lire avec attention , ne trouvera dans tous les paffages où l'on allegue l'ancien Teftament, qu'un manifeſte abus de paroles , & le fceau du menfonge prefque à chaque page. CHAPITRE XIV. " De la fin du monde & de la Férufala nouvelle. N On-feulement on a introduit Jéfus fur la fcène prédifant la fin du monde pour le temps même où il vivoit, mais ce fanatifme fut celui de tous ceux qu'on nomme Apôtres & Difciples. Pierre Barjone dans la premiere Epitre qu'on (*) Jean ch. 13. (t) Lévitiq. ch. 19. ( ( 67 ) lui attribue , dit : (*) que l'Evangile a été prêché aux morts, & que la fin du monde approche. Dans la feconde Epitre , († ) Nous attendons de nouveaux cieux & une nouvelle terre. La premiere Epître attribuée à Jean , dit formellement : Il y a dès à préfent plu fieurs Antechrifts , ce qui nous fait connoltre que voici la derniere beure. L'Epître qu'on met fur le compte de ce Thaddée furnommé Jude , annonce la même folie. (S) Voilà le Seigneur qui va venir avec des milliers de Saints pour juger les hommes. Enfin , c'eft fur cette démence qu'on fonda cette autre démence d'une nouvelle ville de Jérufalem qui devoit defcendre du Ciel. L'Apocalypfe annonça cette prochaine avanture ; tous les Chrifticoles la crurent. On fit de nouveaux vers Sibyllins , dans lefquels cette Jérufalem étoit prédite ; elle parut même cette Ville nouvelle où les Chrifticoles devoient loger pendant mille ans après l'embrafement du monde. Elle defcendit du Ciel pendant quarante nuits conCh. 4. (†) Ch. 3. ( Jude ch. I ( 68 ) fécutives. Juftin la vit de les yeux. Un temps viendra où tous les honnêtes gens diront : eft - il poffible qu'on ait perdu fon temps à réfuter ce Conte du Tonneau? Voilà donc pour quelles opinions la moitié de la terre a été ravagée ! Voilà ce qui a valu des principautés , des royaumes à des prêtres impofteurs , & ce qui précipite encore tous les jours des imbécilles dans les cachots des cloîtres chez les Papiftes. C'eft avec ces toiles d'araignée qu'on a tiffu les liens qui nous ferrent ; on a trouvé le fecret de les changer en chaînes de fer. Grand Dieu ! c'eft pour ces fottifes , que l'Europe a nagé dans le fang, & que nôtre Roi Charles I. eft mort fur un échaffaut ! O deſtinée ! quand des demi- Juifs écrivoient leurs plattes impertinences dans leurs greniers , prévoyoient-ils qu'ils préparoient un trône pour l'abominable Pape Alexandre VI, & pour ce brave fcélérat de Cromwel? .... ( 69 ) CE CHAPITRE XV. Des Allégories. Eux qu'on appelle Peres de l'Eglife s'aviferent d'un tour affez fingulier pour confirmer leurs catéchumenes dans leur nouvelle créance ; il fe trouva avec le temps des difciples qui raifonnerent un peu. On prit le parti de leur dire que tout l'ancien Teftament n'eft qu'une figure du nouveau. Le petit morceau de drap rouge que mettoit la paillarde Rahab à fa fenêtre pour avertir les efpions de Jofué , fignifie le fang de Jéfus répandu pour nos péchés. Sara & la fervante Agar, Lia la chaffieufe , & la belle Rachel , font la Synagogue & l'Eglife. Moyfe levant les mains quand il donne la bataille aux Amalékites , c'eſt évidemment la croix , car on a la figure d'une croix quand on étend les bras à droite & à gauche. Jofeph vendu par fes freres c'eft Jéfus - Chrift. Les baifers que donna la Sulamite fur la bouche &c. dans le cantique des cantiques , font vifiblement le mariage de Jé- ( 70 ) fus -Chrift avec fon Eglife. La mariée n'avoit pas encore de dot , elle n'étoit pas encore trop bien établie ; on ne fa voit ce qu'on devoit croire ; aucun dogme précis n'étoit encore conftaté ; Jéfus n'avoit jamais rien écrit. C'étoit un étrange Légiflateur qu'un homme de la main duquel on n'avoit pas une ligne. Il fallut donc écrire pour lui , on s'abandonna donc à ces bonnes nouvelles , à ces Evangiles , à ces Actes dont nous avons déja parlé ; & on tourna tout l'Ancien Teftament en Allégories du Nouveau. Il n'eſt pas étonnant que des catéchumenes fafcinés par ceux qui vouloient former un parti , fe laiffaffent féduire par ces ima ges qui plaifent toujours au peuple. Cette méthode contribua plus que toute au tre chofe , à la propagation du Chriftia nifme , qui s'étendoit fecrettement d'un bout de l'Empire à l'autre , fans qu'alors les Magiftrats daignaffent prefque y pren dre garde. ( 71 ) CHAPITRE XVI. Des falfifications , & des livres ſuppoſés. P Our mieux féduire les catéchumenes des premiers fiecles , on ne manqua pas de fuppofer que la fecte avoit été ref pectée par les Romains & par les Empereurs eux - mêmes. Ce n'étoit Ce pas affez de forger mille écrits qu'on attribuoit à Jéfus ; on fit encore écrire Pilate ; Juf tin , Tertullien citent fes actes ; on les inféra dans l'Evangile de Nicodeme. Voici quelques paffages de la premiere lettre de Pilate à Tibere ; ils font curieux. "" وو Il eft arrivé depuis peu , & je l'ai vérifié, que les Juifs par leur envie fe font attiré une cruelle condamnation : ,, leur Dieu leur ayant promis de leur ,, envoyer fon Saint du haut du Ciel , qui ,, feroit leur Roi à bien jufte titre , & ,, ayant promis qu'il feroit fils d'une vier- ,, ge, le Dieu des Hébreux l'a envoyé ,, en effet , moi étant Préfident en Judée. ,, Les principaux des Juifs me l'ont dénoncé comme un magicien ; je l'ai cru , je l'ai bien fait fouetter ; je le ود وو ( 72 ) 99 leur ai abandonné ; ils l'ont crucifié ils ont mis des gardes auprès de fa fofſe il eft reffufcité le troifieme jour. Cette lettre très - ancienne eft fort importante , en ce qu'elle fait voir qu'en ces premiers temps les Chrétiens n'ofoient encore imaginer que Jéfus fût Dieu; ils l'appelloient feulement envoyé de Dieu. S'il avoit été Dieu alors , Pilate qu'ils font parler n'eût pas manqué de le dire. Dans la feconde lettre , il dit que s'il n'avoit pas craint une fédition , peutêtre ce noble Fuif vivroit encore , fortaffe vir ille nobilis viveret. On forgea encore une relation de Pilate plus circonftantiée. Eufebe de Céfarée au livre 7. de fon hiftoire Eccléfiaftique , affure que l'hémoroïffe guérie par Jéfus - Chrift , étoit citoyenne de Céfarée ; il a vu fa ftatue aux pieds de celle de Jéfus Chrift. Il a autour de la bafe des herbes qui guériffent toutes fortes de maladies. On a confervé une requête de cette hémoroïffe dont le nom étoit comme on fait , Véronique ; elle y rend compte à Hérode du miracle que Jéfus - Chrift a opéré fur elle. Elle demande à Hérode la permiffion d'ériger une ftatue à Jéfus , mais ce n'eft pas dans Céfarée , c'eft dans la Ville 1 ( 73 ) Ville de Paniade ; & cela eft trifte pour Eufebe. On fit courir un prétendu Edit de Ti bere pour mettre Jéfus au rang des Dieux. On fuppofa des lettres de Paul à Séneque , & de Séneque à Paul ; Empereurs , Phi lofophes , Apôtres , tout fut mis à contribution; c'eft une fuite non interrom . pue de fraudes ; les unes font feulement fanatiques , les autres fout politiques ; un menfonge fanatique , par exemple , eft d'avoir écrit fous le nom de Jean l'Apocalypfe qui n'eft qu'abfurde ; un men fonge politique eft le livre des conftitutions attribué aux Apôtres. On veut au chapitre 25. du livrer2. que les Evéques recueillent les décimes & les prémices. On y appelle les Evêques , Rois , au chapitre 26. qui Epifcopus eft hic vefter Rex & Dinaftes. 2 Il faut ( chapitre 28.) quand on fait le repas des Agapes , envoyer les meilleurs plats à l'Evêque , s'il n'eft pas à table. Il faut donner double portion au Prêtre & au Diacre. Les portions des Evêques ont bien augmenté, & furtout celles de l'Evêque de Rome, sa Au chapitre 3e. on met les Evêques bien rau-deffusodes Empereurs & des Rois, précepte dont l'Eglife s'eft écartés Tome II. F ( 74 ) le moins qu'elle a pu : quanto animus præftat corpore tantum facerdotium regno. C'eſtlà l'origine cachée de cette terrible puiffance que les Evêques de Rome ont ufurpée pendant tant de fiecles. Tous ces livres fuppofés , tous ces menfonges qu'on a ofé nommer pieux , n'étoient qu'entre les mains des fideles. C'étoit un péché énorme de les communiquer aux Romains , qui n'en eurent prefque aucune connoiffance pendant deux cens ans ; ainfi le troupeau groffiffoit tous les jours. for Па ZUS CHSAPP TUTOR XVII.nic Des principales impoftures des pre Old Smiers Chretiens. U'Ne Ne des plus anciennes impoftures de ces novateurs, énergumenes fut le Teftament des douzes Patriarches , que nous avons encore tout entier en Grec de la traduction de Jean furnommé St. Chrys foftôme. Cet ancien livre qui eft du premier fiecle de notre Ere , eft viſiblement d'un Chrétien , puisqu'on y fait dire à Lévi à l'article 8. de fon teftament : le troifieme aura un nom nouveau parce qu'il I ( 25 ) fera un Roi de Juda , & qu'il fera peutêtre d'un nouveau facerdoce pour toutes les nations &c. Ce qui défigne Jéfus- Chrift , qui n'a jamais pu être défigné que par de telles impoftures. On fait encore prédire clairement ce Jéfus dans tout l'article 18. après avoir fait dire à Lévi dans l'article 17. que les prêtres des Juifs font le péché de la chair avec des betes. On fuppofa le Teftament de Moyfe , d'Enoch , de Jofeph , l'afcenfion ou l'af fomption dans le Ciel , de Moyfe , d'Abraham , d'Elda , de Moda , d'Elie , de Sophonie , de Zacharie , d'Abacuc. On forgea dans le même temps le fameux livre d'Enoch , qui eft le feul fondement de tout le myftere du chriftianif me, puisque c'eft dans ce feul livre qu'on trouve l'hiftoire des Anges révoltés qui ont péché. Il eſt démontré que les écrits attribués aux Apôtres ne furent compofés qu'après cette fable d'Enoch , écrite en Grec par quelque Chrétien d'Alexandrie. Jude dans fon Epitre cite cet Enoch plus d'une fois ; il rapporte fes propres paroles ; il eft affez dépourvu de fens pour affurer qu'Enoch, feptieme hom me après Adam , a ecrit des prophéties: Voilà donc ici deux impoftures grof fieres avérées , celles du Chrétien qui fupF 2 ( 76 ): pofe des livres d'Enoch , & celle du Chrétien qui fuppofe l'Epitre de Jude , dans laquelle les paroles d'Enoch font rapportées ; il n'y eut jamais un menfonge plus groffier. Il est très inutile de rechercher quel fut le principal auteur de ces menfonges qui s'accréditerent infenfiblement : mais il y a quelque apparence que ce fut un nommé Hégéfipe, dont les fables eurent beaucoup de cours , & qui eft cité par Tertullien , & enfuite copié par Eufebe. C'eft cet Hégéfipe qui rapporte que Jude étoit de la race de David , que fes petitsfils vivoient fous l'Empereur Domitien. Cet Empereur, fi on l'en croit , fut trèseffrayé d'apprendre qu'il y avoit des def cendans de ce grand Roi David , lef quels avoient un droit inconteftable aut trône de Jérufalem , & par conféquent au trône de l'Univers entier. Il fit ve nir devant lui ces illuftres Princes ; mais ayant vu qu'ils étoient des gueux de l'oftiere , il les renvoya fans leur faire de mal. " 3 Pour Jude leur grand - pere , qu'on met au rang des Apôtres , on l'appelle tantôt Thadée & tantôt Lebbée , comme nos coupeurs de bourſes qui ont toujours deux ou trois noms de guerre. ( 77 ) - > La prétendue lettre de Jéfus Chriſt à un prétendu roitelet , de la Ville d'Edeffe , qui n'avoit point alors de roitelet le voyage de ce même Thadée auprès de ce roitelet , furent quatre cens ans en vogue chez les premiers Chrétiens." Quiconque écrivoit un Evangile , ou quiconque fe mêloit d'enfeigner fon petit troupeau naiffant imputoit à Jéfus des difcours & des actions , dont nos quatre Evangiles ne parlent pas. C'eſt ainfi que dans les Actes des Apôtres au ch. 20. Paul cite ces paroles de Jéfus : Macharion efti didonai mallon je lambanein : Il vaut mieux donner que de recevoir. Ces paroles ne fe trouvent ni dans Matthieu , ni dans Marc , ni dans Luc , ni dans Jean. Les voyages de Pierre , l'Apocalypfe de Pierre, les Actes de Pierre , les Actes de Paul , de Thècle , le lettres de Paul à Séneque & de Séneque à Paul , les Actes de Pilate , les lettres de Pilate font affez connus des favans , & ce n'eft pas la peine de fouiller dans ces archives du menfonge & de la bêtife. On a pouffé le ridicule jufqu'à écrire l'hiftoire de Claudia Procula femme de Pilate. Un malheureux nommé Abdias , qui paffa incontestablement pour avoir vécu . F 3 ( 78 ) avec Jéfus - Chrift , & pour avoir été un des plus fameux difciples des Apôtres , eſt celui qui nous a fourni l'hiftoire du combat de Pierre avec Simon le prétendu magicien , fi célebre chez les premiers Chrétiens ; c'eft fur cette feule impofture que s'eft établie la croyance que Pierre eft venu à Rome ; c'eſt à cette fable que les Papes doivent toute leur grandeur ; & cela feul rendroit cette grandeur précaire bien ridicule , fi une foule de crimes ne l'avoit rendue abominable. Voici donc ce que raconte cet Abdias témoin oculaire. Simon Pierre étant ve. nu à Rome , fous Néron , Simon le magicien y vint auffi. Un jeune homme proche parent de Néron , mourut ; il faloit bien reffufciter un parent de l'Empereur ; les deux Simons s'offrirent pour cette affaire. Simon le magicien y mit la condition qu'on feroit mourir celui des deux qui ne pourroit pas réuffir ; Simon Pierre l'accepta , & l'autre Simon commença fes opérations ; le mort branla la tête , tout le peuple jetta des cris de joye. Simon Pierre demanda qu'on fit filence , & dit , Meffieurs , fi le défunt eft en vie, qu'il ait la bonté de fe lever , de marcher & de caufer avec nous ; le mort s'en donna bien de garde ; alors ( 79 ) " Pierre lui dit de loin : Mon fils , levezvous Notre Seigneur Féfus Chrift vous guerit. Le jeune homme fe leva , parla , & marcha , & Simon Barjone le rendit à fa mere. Simon fon adverfaire alla fe plaindre à Néron , & lui dit , que Pierre n'étoit qu'un miférable charlatan & un ignorant. Pierre comparut devant l'Empereur , & lui dit à l'oreille ; Croyezmoi , j'en fais plus que lui ; & pour vous le prouver , faites - moi donner fecrettement deux pains d'orge , vous verrez que je devinerai fes penfées , & qu'il ne de- vinera pas les miennes. On apporte à Pierre ces deux pains , il les cache dans fa manche. Auffi - tôt Simon fit paroître deux gros chiens, qui étoient fes anges tutelaires ; ils voulurent dévorer Pierre mais le madré leur jetta fes deux pains ; les chiens les mangerent & ne firent nul mal à l'Apôtre. Eh bien , dit Pierre , vous voyez que je connoiffois fes penſées & qu'il ne connoiffoit pas les miennes. Le magicien demanda fa revanche ; il promit qu'il voleroit dans les airs comme Dédale ; on lui affigna un jour ; il vola en effet , mais St. Pierre pria Dieu avec tant de larmes , que Simon tomba & fe caffa le cou. Néron indigné d'avoir perdu un fi bon machinifte par les prieres de F 4 ( (80 )) . Simon Pierre " ne manqua pas de faire crucifier ce Juif la tête en bas. 9.0 Qui croiroit que cette hiftoire eft contée par trois Chrétiens contemporains ? Abdias & Hégéfipe la rapportent tout au long; un nommé Marcel l'écrivit auffi , mais il met Paul de la partie ; il ajoute feulement que Simon pour convaincre l'Empereur de fon favoir faire , dit à l'Empereur : Faites -moi le plaifir de me couper la tête , & je vous promets de reffufciter le troifieme jour ; l'Empereur effaya la chofe , on coupa la tête au magicien , qui reparut le troifieme jour devant Néron avec la plus belle tête du monde fur fes épaules. Que le lecteur maintenant faffe une réflexion avec moi : je fuppofe que les trois imbécilles Abdias , Hégéfipe & Marcel qui racontent ces pauvretés , euffent été moins mal-adroits , qu'ils euffent inventé des contes plus vraisemblables fur les deux Simons , ne feroient- ils pas regardés aujourd'hui comme des Peres de l'Eglife irréfragables ? Tous nos Docteurs ne les citeroient - ils pas tous les jours comme d'irréprochables témoins ? Ne prouveroient- ils pas la vérité de leurs écrits par leur conformité avec les Actes des Apôtres , par ces mêmes écrits d'Abdias ( 81 ) d'Hégéfipe & de Marcel ? Leurs hiftoires font affurément auffi authentiques que les Actes des Apôtres & les Evangiles ; elles font parvenues jufqu'à nous de fiecle en fiecle par la même voye , & il n'y a pas plus de raifon de rejetter les unes que les autres. Je paffe fous filence le refte de cette: hiftoire, les beaux faits d'André , de Jacques le majeur , de Jean , de Jacques le mineur, de Matthieu & de Thomas; lira qui voudra ces inepties. Le même fanatifme , la même imbécillité les ont toutes dictées , mais un ridicule trop long eſt trop infipide. CHAPITRE XVIII. Des Dogmes & de la Métaphyfique des Chrétiens des premiers fiecles. De Fuftin. JUftin qui vivoit fous les Antonins , eft un des premiers qui ait eu quelque teinture de ce qu'on appelloit Philofophie ; il fut auffi un des premiers qui donnerent du crédit aux oracles des Ŝibylles , à la Jérufalem nouvelle , & au F 5 ( 82 ); féjour que Jéfus - Chrift devoit faire fur la ierre pendant mille ans. Il prétendit que toute la fcience des Grecs venoit des Juifs. Il certifie dans fa feconde Apologie pour les Chrétiens, que les dieux n'étoient que des diables qui venoient en forme d'incubes & de fuccubes , coucher avec les hommes & avec les femmes, & que Socrate ne fut condomné à la cigue , que pour avoir prêché aux Athéniens cette vérité. On ne voit pas que perfonne avant lui. ait parlé du myftere de la Trinité , comme on en parle aujourd'hui ; fi l'on n'a pas falfifié fon ouvrage , il dit nettement dans fon expofition de la foi , qu'au commencement il n'y eut qu'un Dicu en trois perfonnes , qui font le Pere , le Fils , & le St. Efprit , que le Pere n'eft pas engendré & que le St. Efprit procede. Mais pour expliquer cette Trinité d'une maniere différente de Platon , il compare la Trinité à Adam. Adam , ditil, ne fut point engendré , Adam s'identifie avec fes défcendans ; ainfi le Pere s'identifie avec le Fils & le St. Efprit, Enfuite ce Juftin écrivit contre Ariftote , & on peut affurer que fi Ariftote ne s'entendoit pas , Juftin ne l'entendoit pas da vantage. ( 83 ) Il affure dans l'article 43. de fes réponfes aux Orthodoxes , que les hommes & les femmes reffufciteront avec les parties de la génération , attendu que ces parties les feront continuellement fouvenir que fans elles ils n'auroient jamais connu Jésus - Chrift , puifqu'ils ne feroient pas nés. Tous les Peres fans exception , ont raifonné à peu près comme Juftin , & pour mener le vulgaire , il ne faut pas de meilleurs raifonnemens. Loke & Newton n'auroient point fait de religion. - · Au refte ce Juftin & tous les Peres qui le fuivirent , croyoient comme Platon à la pré-exiſtence des ames , & en admettant que l'ame eft fpirituelle , une espece de vent , de foufle , d'air invifible , ils la faifoient en effet un compofé de matiere fubtile. L'ame eft manifeftement compoJée , dit Tatien dans fon difcours aux Grecs ; car comment pourroit - elle fe faire connoître fans corps ? Arnobe parle encore bien plus pofitivement de la corporalité des ames ; qui ne voit , dit - il , que ce qui eft immortel & fimple ne peut fouffrir aucune douleur ? l'ame n'eft autre chose que le ferment de la vie , l'électuaire d'une chofe diffoluble fermentum vitæ , rei diffociabilis glutinum. ( 84 ) L CHAPITRE XIX. De Tertullien. 'Africain Tertullien parut après Juftin. Le métaphyficien Malebranche , homme célebre dans fon pays , lui donne fans détour l'épithete de fou ; & les écrits de cet Africain juſtifient Malebranche. Le feul ouvrage de Tertullien qu'on life aujourd'hui , eft fon Apologie pour la Religion Chrétienne. Abadie , Houteville la regardent comme un chef- d'œu vre , fans qu'ils en citent aucun paſſage. Ce chef- d'œuvre confifte à injurier les Romains au lieu de les adoucir ; à leur imputer des crimes , & à produire avec pétulance des affertions , dont il n'aporte pas la plus légere preuve. Il reproche aux Romains (chap. 22) , que les peuples de Cartage immoloient encore quelquefois en fecret des enfans à Saturne , malgré les défenfes expreſſes des Empereurs, fous peine de la vie. C'é toit une occafion de louer la fageffe Romaine , & non pas de l'infulter. Il leur reproche les combats des gladiateeurs qu'o' on faifoit combattre contre des ani- ( 85 ) maux farouches , en avouant qu'on n'expofoit ainfi que des criminels condam-- nés à mort. C'étoit une occafion qu'on leur donnoit de fauver leur vie par leur courage. falloit encore en louer les Romains ; c'étoit les combats des gladiateurs volontaires qu'il eût dû condamner , & c'eft de quoi il ne parle pas. Il s'emporte (chap. 23.) jufqu'à dire ; Amenez -moi votre vierge céleste qui promet des pluyes , & votre Efculape qui conServe la vie à ceux qui la doivent perdre quelque temps après : s'ils ne confeſſent pas qu'ils font des diables ( n'ofant mentir devant un Chrétien) verfez le fang de ce Chrétien téméraire; qu'y a - t - il de plus manifeſte ? qu'y a-t-il de plus prouvé? A cela tout lecteur fage répond , qu'y a-t-il de plus extravagant & de plus fanatique que ce difcours ? Comment des ftatues auroient- elles avoué au premier Chrétien venu , qu'elles étoient des diables ? en quel tems , en quel lieu a- t-on vu un pareil prodige ? il faloit que Tertullien fat bien für que les Romains ne liroient pas fa ridicule Apologie , & qu'on ne lui donneroit pas des ftatues d'Efculape à exorcifer , pour qu'il ofất avancer de tel. les abfurdités. Son chap. 32. qu'on n'a jamais re- ( 86 ) marqué , eft très - remarquable. Nous prions Dieu , dit - il , pour les Empereurs &pour l'Empire ; mais c'est que nous savons que la diffolution générale qui menace l'univers &la confommation des fiecles en fera retardée. Miférable ! tu n'aurois donc pas prié pour tes maîtres , fi tu avois cru que le monde dût fubfifter encore. Que Tertullien veut - il dire dans fon latin abfolument barbare ? Entend- il le regne de mille ans ? entendil la fin du monde annoncée par Luc & par Paul , & qui n'étoit point arrivée ? Entend- il qu'un Chrétien peut par fa priere empê- cher Dieu de mettre fin à l'univers quand Dieu a réfolu de brifer fon ouvrage ? N'eft - ce pas là l'idée d'un énergumene , quelque fens qu'on puiffe lui donner ? Une obfervation beaucoup plus impor tante , c'eft qu'à la fin du fecond fiecle il y avoit déja des Chrétiens très - riches. Il n'eft pas étonnant qu'en deux cens années , leurs miffionnaires ardens & infatigables n'euffent attiré enfin à leur parti des gens d'honnêtes familles. Exclus des dignités , parce qu'ils ne vou loient pas affifter aux cérémonies infti tuées pour la profpérité de l'Empire , ils ( 87 ) exerçoient le négoce comme les Presbytériens & autres Non-Conformiftes ont fait en France & font chez nous ; ils s'enri- , chiffoient. Leurs Agapes étoient de grands feftins ; on leur reprochoit déja le luxe & la bonne chere. Tertullien en convient (chap. 39 ) Oui , dit - il , mais dans les mysteres d'Athenes & d'Egypte ne fait - on pas bonne chere auffi ? Quelque dépense que nous faffions , elle est utile & pieufe , puifque les pauvres en profitent : Quantifcumque fumptibus conftet lucrum eft pietatis , fiquidem inopes refrigerio ifte juvamus. Anos het Enfin le fougueux Tertullien fe plaint de ce qu'on ne perfécute pas les philofophes , & de ce qu'on réprime les Chrétiens ch. 46. Ta- t- il quelqu'un , dit-il , qui force un philofophe à facrifier , à jurer par vos Dieux ? Quis enim philofophum facrificare aut dejerare &c. Cette différen ce prouve évidemment que les philofophes n'étoient pas dangereux , & que les Chrétiens l'étoient. Les philofophes fe moquoient avec tous les Magiftrats , des fuperftitions populaires; mais ils ne fai foient pas un parti , une faction » dans l'Empire , & les Chrétiens commençoient à compofer une faction fi dangereufe , qu'à la fin elle contribua à la deftruction C ( 88 ) de l'Empire Romain. On voit par ce feul trait , qu'ils auroient été les plus cruels perfécuteurs , s'ils avoient été les maîtres , & que leur fecte infociable , intolérante , n'attendoit que le moment d'être en pleine liberté pour ravir la liberté au refte du genre humain. Déja Rutilius au fecond fiecle difoit de cette faction demi- Juive & demiChrétienne. Atque utinam nunquam Judæa fubalta fuiflet Pompeji armis imperioque Titi. Latius excife peftis contagia ferpunt . ? Vittoresque fuos natio vida premit.-' Plût auxDieux queTitus, plût aux Dieux que Pompée, N'euffent dompté jamais cette infame Judée! Ses poifons parmi nous en font plus répandus : Les vainqueurs opprimés vont céder aux vaincus. -On voit par ces vers que les Chrétiens ofoient étaler le dogme affreux de l'intolérance ; ils crioient partout , qu'il falloit détruire l'ancienne religion de l'Empire ; & on entrevoyoit qu'il n'y avoit plus de milieu entre la néceffité de les exterminer ou d'être bientôt exterminé par eux. Cependant telle fut l'indulgence du Sénat, qu'il y eut très-peu de condamnations à mort , ( 89 ) mort , comme l'avoue Origene dans la réponſe à Celfe au livre 3. comme Nous ne ferons pas ici une analyfe des autres écrits de Tertullien ; nous n'èxaminerons point fon livre qu'il intitule le Scorpion , parce que les Gnoftiques piquent , à ce qu'il prétend , comme des fcorpions ; ni fon livre fur les manteaux dont Malebranche s'eft affez moqué. Mais ne paffons pas fous filence fon ouvrage fur l'ame ; non feulement il cherche à prouver qu'elle eſt matérielle , l'ont penfé tous les Peres des trois premiers fiecles ; non feulement il s'appuye de l'autorité du grand Poëte Lucrece , Tangere enim ac tangi nifi corpus nulla poteft res mais il affure que l'ame eſt figurée & colorée. Voilà les champions de l'Eglife ; voilà fes Peres. Au refte ne paffons pas fous filence qu'il étoit Prêtre & marié: ces deux états n'étoient pas encore des Sacremens , & les Evêques de Rome ne défendirent le mariage aux Prétres que quand ils furent affez puiffans & affez ambitieux avoir dans une par- pour tie de l'Europe une milice , qui étant fans famille & fans patrie , fût plus föumife à fes ordres. Tome II. G ( 90 ) C CHAPITRE XX. De Clément d'Alexandrie. Lément Prêtre d'Alexandrie appelle toujours les Chrétiens Gnoftiques. Etoit- il d'une de ces fectes qui diviferent les Chrétiens & qui les diviferont toujours ? ou bien les Chrétiens prenoientils alors le titre de Gnoftiques ? Quoi qu'il en foit , la feule chofe qui puiffe inftruire & plaire dans fes ouvrages , c'eſt cet. te profufion de vers d'Homere, & même d'Orphée , de Mufée d'Héfiode , de Sophocle , d'Euripide & de Ménandre, qu'il cite à la vérité mal - à - propos , mais qu'on relit toujours avec plaifir. C'eft le feul des Peres des trois premiers fiecles , qui ait écrit dans ce goût ; il étale dans fon exhortation aux nations & dans fes ftromates , une grande connoiffance des anciens livres Grecs & des rites Afiatiques & Egyptiens ; il ne raiſonne guere & c'eft tant mieux pour le lecteur. Son plus grand défaut eft de prendre toujours des fables inventées par des Poëtes & par des Romanciers pour le fond de la Religion des Gentils , défaut com- ( 91 ) mun aux autres Peres & à tous les écrivains polémiques. Plus on impute de fottifes à fes adverfaires , plus on croit en être exempt ; ou plutôt on fait compenfation de ridicule. On dit : Si vous trouvez mauvais que notre Jéfus foit Fils de Dieu , vous avez votre Bacchus , votre Hercule , qui font Fils de Dieu : fi notre Jéfus a été tranſporté par le Diable fur une montagne , vos Géans ont jetté des montagnes à la tête de Jupiter. Si vous ne voulez pas croire que notre Jéfus ait changé l'eau en vin dans une noce de village , nous ne croirons pas que les filles d'Anius ayent changé tout ce qu'elles vouloient en bled , en vin & en huile. Le parallele eft très - long & trèsexact des deux côtés. ། Le plus fingulier miracle de toute l'an. tiquité payenne , que rapporte Clément d'Alexandrie dans fon exhortation , c'eſt celui de Bacchus aux enfers. Bacchus ne favoit pas le chemin; un nommé Polimnus que Paufanias & Hygin appellent autrement , s'offrit à le lui enfeigner , à condition qu'à fon retour , Bacchus (qui étoit fort joli) le payeroit en faveurs , & qu'il fouffriroit de lui ce que Jupiter fit à Ganimede & Apollon à Hyacinte. Bacchus accepta le marché il alla aux enG 2 ( 92 ) fers , mais à fon retour il trouva Polimnus mort ; il ne voulut pas manquer à fa promeffe , & rencontrant un figuier auprès du tombeau de Polimnus , il tailla une branche bien proprèment en priape , il fe l'enfonça au nom de fon bienfaiteur dans la partie deftinée à remplir fa promeffe , & n'eut rien à fe reprocher. De pareilles extravagances communes à prefque toutes les anciennes Religions , prouvent invinciblement que quiconque s'eft écarté de la vraie Religion , de la vraie philofophie qui eft l'adoration d'un Dieu fans aucun mélange , quiconque en un mot s'eft pu livrer aux fuperftitions , n'a pu dire que des choſes infenfées. goMais en bonne foi ces fables Miléfiennes étoient- elles la Religion Romaine? Le Sénat a-t-il jamais élevé un temple à Bacchus fe fodomifant lui - même ? Ganimede a- t- il eu des temples ? Adrien , à la vérité , fit ériger un temple à fon Ami Antinoüs comme Alexandre à Epheftion ; mais les honoroit-on en qualité de Gitons ? Y a-t-il une médaille , un monument dont l'infcription fût à Antinous pédérafte ? Les Peres de l'Eglife s'égayoient aux dépens de ceux qu'ils ap pelloient Gentils mais que les Gentils ( 93 ) avoient de repréfailles à faire ! & qu'un prétendu Jofeph mis dans la grande confrérie par un Ange , & qu'un Dieu charpentier dont les aycules étoient des adulteres , des inceftueufes , des proſtituées , & qu'un Paul voyageant au troifieme ciel &c. fourniffoient aux Gentils de terribles armes ! ག Le bon fens eft le même dans ce Clément , que dans tous fes confreres. (*) Dieu felon lui a fait le monde en fix jours & s'eft repofé le feptieme , parce qu'il y a fept étoiles errantes , parce que la petite Ourfe eft compofée de fept étoiles ainfi que les Pléyades , parcequ'il y a fept principaux anges , parce que la lune change de face tous les fept jours , parce que le feptieme jour eft critique dans les maladies. C'eft - là ce qu'ils appellent la vraye philofophe ; tein aletein filofophian gnofticon. Voilà encore une fois les gens qui fe préferent à Platon &à Cicéron ; & il nous faudra révérer aujourd'hui tous ces obfcurs pédans que l'indulgence des Romains laiffoit débiter leurs rêveries fanatiques dans Alexandrie , où les dogmes du chriftianifme fe formerent principalement? (*) Stromat 6. G 3 ( 94 ) CHAPITRE XXI. D'Irénée. Rénée , à la vérité , n'a ni ſcience ni philofophie ni éloquence ; il fe borne prefque toujours à répéter ce que difent Juftin , Tertullien , & les autres ; il croit avec eux que l'ame eft une figure légere & aërienne ; il eft perfuadé du regne de mille ans dans une nouvelle Jérufalem defcendue du ciel en terre . On voit dans fon cinquieme livre ch. 33. quelle énorme quantité de farine produira chaque grain de bled , & combien de futailles il faudra pour chaque grape de raifins dans cette belle ville; il attend l'Antechrift au bout de ces mille années , & explique merveilleufement le chiffre 666. qui eſt la marque de la bête. Nous avouons qu'en tout cela il ne differe point des autres Peres de l'Eglife. Mais une chofe affez importante & qu'on n'a peut - être pas affez rélévée c'eft qu'il affure que Jéfus eft mort à cinquante ans paffés , & non pas à trente & un, ou à trente-trois , comme on peut l'inférer des Evangiles. , ( 95 ) Irénée (*) attefte les Evangiles pour garans de cette opinion ; il prend à témoins tous les vieillards qui ont vécu avec Jean & avec les autres Apôtres ; il déclare pofitivement qu'il n'y a que ceux qui font venus trop tard pour connoître les Apôtres qui puiffent être d'une opinion contraire. Il ajoute même contre fa coutume , à ces preuves de fait , un raifonnement affez concluant. L'Evangile de Jean fait dire à Jéfus : Votre Pere Abraham a exulté pour voir mes jours, il les a vus, & il s'en est bien réjour: & les Juifs lui répondirent : Estu fou? tu n'as pas encore cinquante " ans , & tu te vantes d'avoir vu notre Pere Abraham ? Irénée conclut de là que Jéfus étoit près de fa cinquantieme, quand les Juifs lui parloient ainfi. En effet fi Jéfus avoit été alors âgé de trente années au plus , on ne lui auroit pas parlé de cinquante années. Enfin puifqu'Irénée appelle en témoignage tous les Evangiles & tous les vieillards qui avoient ces écrits entre les mains , les Evangiles de ce temps-là n'étoient donc pas ceux que nous avons aujourd'hui. Ils ont été altérés (*) Irénée liv. 11. ch. 22, édition de Paris 1710. G 4 ( 95 ) comme tant d'autres livres. Mais puifqu'on les changea on devoit donc les rendre un peu plus raifonnables. C CHAPITRE XXII. D'Origene & de la Trinité. Lément d'Alexandrie avoit été le premier favant parmi les Chrétiens. Origene fut le premier Philofophe. Mais quelle philofophie que celle de fon temps ! Il fut au rang des enfans célebres , & enfeigna de très - bonne heure dans cette grande ville d'Alexandrie où les Chrétiens tenoient une école publique: les Chrétiens n'en avoient point à Rome. Et en effet , parmi ceux qui prenoient le titre d'Evêque de Rome, on ne compte pas un feul homme illuftre ; ce qui eft très - remarquable. Cette Eglife qui devint enfuite fi puiffante & ſi fiere , tint tout des Egyptiens & des Grecs. Il y avoit fans doute une grande dofe de folie dans la philofophie d'Origene , puifqu'il s'avifa de fe couper les tefticules. Epiphane a écrit qu'un Préfet d'Alexandrie lui avoit donné l'alternative de ( 97 ) fervir de Ganimede à un Ethiopien ou de facrifier aux Dieux , & qu'il avoit facrifié pour n'être pas fodomifé par un vilain Ethiopien (*). • Si c'eft là ce qui le détermina à ſe faire Eunuque , ou fi ce fut une autre raifon , c'eft ce que je laiffe à examiner aux favans qui entreprendront l'hiftoire des Eunuques ; je me borne ici à l'hiftoire des fottifes de l'efprit humain. comme Il fut le premier qui donna de la vogue au non fens , au galimathias de la Trinité qu'on avoit oubliée depuis Juftin. On commençoit dès lors chez les Chrétiens à regarder le fils de Marie commeDien comme une émanation du Pere , comme le premier Eon identifié en quelque forte avec le Pere ; mais on n'avoit pas fait encore un Dieu du St. Efprit. On ne s'étoit pas avifé de falfifier je ne fais quelle Epitre attribuée à Jean , dans laquelle on inféra ces paroles ridicules : Il y en a trois qui donnent témoignage dans le ciel , le Pere , le Verbe & Efprit - Saint. Seroit - ce ainfi qu'on devroit parler de trois fubſtances ou perfonnes divines , compofant enfemble le Dieu Créateur du monde? diroit. (*) Epiph. heref. 64. ch. 2. G 5 TAYLOR OXFORD INST ( 98 ) on qu'ils donnent témoignage ? D'autres exemplaires porterent ces paroles plus ridicules encore : Il y en a trois qui rendent témoignage en terre , l'Esprit , l'eau & le fang , & ces trois ne font qu'un. On ajouta encore dans d'autres copies , & ces trois font un en Féfus. Aucun de ces paffages , tous différens les uns des autres , ne fe trouve dans les anciens manufcrits ; aucun des Peres des trois premiers fiecles ne les cite ; & d'ailleurs quel fruit en pourroient recueillir ceux qui admettent ces falfifications ? Comment pourront-ils entendre que l'Efprit , l'eau & le fang font la Trinité & ne font qu'un ? Est - ce parce qu'il eft dit que Jéfus fua fang & eau & qu'il rendit l'efprit ? quel rapport de ces trois chofes à un Dieu en trois hipoftafes ? La Trinité de Platon étoit d'une autre efpece ; on ne la connoit guere ; la voici telle qu'on peut la découvrir dans fon Timée. Le Demiourgos éternel eft la premiere caufe de tout ce qui exifte , fon idée archétipe eft la feconde , l'ame univerfelle qui eft fon ouvrage, eft la troifieme. Il y a quelque fens dans cette opinion de Platon. Dieu conçoit l'idée du monde , Dieu le fait , Dieu l'anime ; mais jamais Platon n'a été affez fou pour ( 99 ): dire que cela compofoit trois perfonnes en Dieu. Origene étoit Platonicien , il prit ce qu'il put de Platon ; il fit une Trinité à fa mode. Ce fyftême refta fi obfcur dans les premiers fiecles , que Lactance du temps de l'Empereur Conftantin , parlant au nom de tous les Chrétiens , expliquant la créance de l'Eglife , & s'adreffant à l'Empereur même , ne dit pas un mot de la Trinité ; au contraire , voici comme il parle au chap. 29. du liv. 4. de fes inftitutions : peut - être quelqu'un me demandera , comment nous adorons un feul Dieu quand nous affurons qu'il y en a deux , le Pere & le Fils ; mais nous ne les diftinguons point , parce que le Pere ne peut pas être fans fon Fils , & le Fils fans Jon Pere. Le St. Efprit fut entiérement oublié par Lactance , & quelques années après on n'en fit qu'une commémoration fort légere & par maniere d'acquit au Concile de Nicée ; car après avoir fait la déclaration auffi folemnelle qu'intelligible , que le fils eft confubftantiel au pere , on fe contente de dire fimplement ; nous croyons auffi au St. Efprit. On peut dire qu'Origene jetta les premiers fondemens de cette métaphyfique chimérique , qui n'a été qu'une fource de ( 100 ) difcorde & qui étoit abſolument inutile à la morale. Il eft évident qu'on pouvoit être auffi honnête homme , auffi fage , auffi modéré avec une hipoftafe qu'avec trois , & que ces inventions Théologiques n'ont rien de commun avec nos devoirs. Origene attribue un corps délié à Dieu , auffi bien qu'aux Anges & à tou tes les ames ; & il dit que Dieu le Pere & Dieu le Fils font deux fubftances différentes ; que le Pere eft plus grand que le Fils , le Fils plus grand que le St. Efprit , & le St. Efprit plus grand que les Anges ; il dit que le Pere eft bon par luimême, mais que le Fils n'eft pas bon par lui - même, que le Fils n'eft pas la vérité par rapport à fon Pere , mais l'image de la vérité par rapport à nous , qu'il ne faut pas adorer le Fils , mais le Pere ; que c'eft au Pere feul qu'on doit adreffer fes prieres ; que le Fils apporta du Ciel la chair dont il fe revêtit dans le fein de Marie, & qu'en montant au Ciel il laiffa fon corps dans le Soleil. Il avoue que la Vierge Marie en accouchant du fils de Dieu , fe délivra d'un arriere- faix comme une autre ; ce qui l'obligea de fe purifier dans le temple Juif ; car on fait bien que rien n'eft fi ( IOT ) impur qu'un ' arriere-faix. Le dur & pétulant Jérôme lui a reproché aigrement , environ cent cinquante années après fa mort , beaucoup d'opinions femblables qui valent bien les opinions de Jérôme ; car dès que les premiers Chrétiens fe mêlerent d'avoir des dogmes , ils fe dirent de groffes injures & annoncerent de loin kes guerres civiles qui devoient défoler le monde pour des argumens. N'oublions pas qu'Origene fe fignala plus que tout autre en tournant tous les faits de l'Ecriture en allégories ; & il faut avouer que ces allégories font fort plaifantes. La graiffe des facrifices eft l'ame de Jéfus Chrift. La queue des animaux facrifiés eft la perfévérance dans les bonnes œuvres. S'il eft dit dans l'Exode chap. 33. que Dieu met Moyfe dans la fente d'un rocher , afin que Moyfe voye le derriere de Dieu , mais non pas fon vifage ; cette fente du rocher eft Jéfus Chrift , au travers duquel on voit Dieu le pere par derriere. En voilà je penfe affez pour faire connoître les Peres & pour faire voir fur quels fondemens on a bâti l'édifice le plus monftrueux qui ait jamais déshonoré la raifon. Cette raiſon a dit à tous les hommes: la religion doit être claire, fimple, ( 102 ) univerfelle , à la portée de tous les efprits , parce qu'elle eft faite pour tous les cœurs ; fa morale ne doit point être étouffée fous le dogme; rien d'abfurde ne doit la défigurer. En vain la raifon a tenu ce langage , le fanatifme a crié plus haut qu'elle. CHAPITRE XXIII Des Martyrs. Pourquoi les Romains ne perfécute. rent - ils jamais pour leur religion aucun de ces malheureux Juifs abhorrés ? ne les obligerent - ils jamais de renoncer à leurs fuperftitions ? leur laifferent - ils leurs rites & leurs loix ? & d'où vient que vers le troifieme fiecle , ils traiterent les Chrétiens iffus des Juifs avec quelque févérité ? N'eft - ce pas parce que les Juifs occupés de vendre des chiffons & des philtres , n'avoient point la rage d'exterminer la religion de l'Empire , & que les Chrétiens intolérans étoient poffédés de cette rage? On punit en effet au troifieme fiecle quelques- uns des plus fanatiques ; mais ( 103 ) en fi petit nombre , qu'aucun Hiftorien Romain n'a daigné en parler. Les Juifs révoltés fous Vefpafien , fous Trajan , fous Adrien, furent toujours cruellement châtiés comme ils le méritoient : on leur défendit même d'aller dans leur petite Ville de Jérufalem , dont on abolit jufqu'au nom , parce qu'elle avoit été toujours le centre de la révolte ; mais il leur fut permis de circoncire leurs enfans fous les murs du Capitole & dans toutes les provinces de l'Empire. Les Prêtres d'Ifis furent punis à Rome fous Tibere ; leur temple fut démoli parce que ce temple étoit un marché de proſtitutions , & un repaire de brigands : mais on permit aux autres prêtres & prêtreffes d'Ifis d'exercer leur métier partout ailleurs. Leurs troupes alloient impunément en proceffion de ville en ville ; ils faifoient des miracles , guériffoient les maladies difoient la bonne avanture , avec des caftagnettes. C'eft c'eft qu'on peut voir am plement dans Apulée. Nous obferve rons ici que ces mêmes proceffions fe font perpétuées jufqu'à nos jours. Il y a encore en Italie quelques reftes de ces anciens vagabonds qu'on appelle Zingari , & chez nous Gipfi , qui eft l'abrégé d'Edanfoient la danfe d'Ifoient les , ( 104 ) gyptien, & qu'on a je crois nommé Bohêmes en France. La feule différence entre eux & les Juifs , c'eft que les Juifs ayant toujours exercé le commerce comme les Banians, fe font maintenus ainfi que les Banians , & que les troupes d'Ifis étant en très - petit nombre font prefque anéanties. Les Magiftrats Romains qui donnoient tant de liberté aux Ifiaques & aux Juifs , en ufoient de même avec toutes les autres fectes du monde. Chaque Dieu étoit bien venu à Rome. Dignus Roma locus , quo Deus omnis cat. Tous les Dieux de la terre étoient devenus citoyens de Rome.. Aucune fecte n'étoit affez folle pour vouloir fubjuguer les autres ; ainfi toutes vivoient en paix. La fecte Chrétienne fut la feule qui fur la fin du fecond fiecle de notre Ere , ofât dire qu'elle vouloit donner l'exclufion à tous les rites de l'Empire , & qu'elle devoit non - feulement dominer mais écrafer toutes les autres religions ; les Chrifticoles ne ceffoient de dire que leur Dieu étoit un Dieu jaloux ; belle définition de l'Etre des Etres , que de lui imputer le plus lâche des vices ! Les enthoufiaftes qui prêchoient dans leurs affemblées , formoient un peuple de fana- ( 105 ) fanatiques. Il étoit impoffible que parmi tant de têtes échauffées , il ne fe trouvât des infenfés qui infultaffent les prêtres des Dieux , qui ne troublaffent l'ordre public , qui ne commiffent des indécences puniffables. C'eft ce que nous avons vu arriver chez tous les fectaires de l'Europe , qui tous comme nous le prouverons , ont eu infiniment plus de mar tyrs égorgés par nos mains , que les Chrétiens n'en ont jamais eu fous les Empereurs. Les Magiftrats Romains excités par les plaintes du peuple , purent s'emporter quelquefois à des cruautés indignes ; ils purent envoyer des femmes à la mort quoiqu'aflurement cette barbarie ne foit . point prouvée. Mais qui ofera reprendre les Romains d'avoir été trop féveres quand on voit le Chrétien Marcel centu rion , jetter fa ceinture militaire & fon bâton de commandant au milieu des Aigles Romaines , en criant d'une voix féditieufe: je ne veuxfervir que Jésus- Chrift le Roi éternel, je renonce aux Empereurs. Dans quelle armée auroit-on laiffé impunie une telle infolence fi pernicieuſe ? je ne l'aurois pas foufferte affurément dans Je tems que j'étois Sécrétaire d'Etat de Tome II. H ( 106 ) la Guerre ; & le Duc de Marlboroug ne l'eût pas foufferte non plus que moi. S'il eft vrai que Polieucte en Arménie , le jour où l'on rendoit graces aux Dieux dans le temple pour une victoire figna- ' lée, ait choifi ce moment pour renverfer les ftatues , pour jetter l'encens par terre , n'eft- ce pas en tout pays le crime d'un infenfé? Quand le DiacreLaurent refufe au Préfet de Rome de contribuer aux charges publiques , quand ayant promis de don ner quelqu'argent du tréfor des Chrétiens , qui étoit confidérable , il n'amene que des gueux au lieu d'argent , n'eft- ce pas vifi blement infulter l'Empereur , n'eft ce pas être criminel de Lèze Majefté ? il eft fort douteux qu'on ait fait faire un gril de fix pieds pour cuire Laurent ; mais il eft certain qu'il méritoit fpunition by L'empoulé Grégoire de Nice fait l'élo ge de St. Théodore qui s'avifa de brûler dans Amazée le templesde Cibele , comme on dit qu'Eroftrate avoit brûlé le temple de Diane: on a ofé faire un Saint de cet incendiaire.ru Tous les martyres d'ailleurs , que tant d'écrivains ont copiés de fiecle en fiecle , reflemblent tellement à la légende dorée , ( 107 ) qu'en vérité il n'y a pas un feul de ces contes qui ne faffe pitié. Un de ces premiers contes, eft celui de Perpétue & de Félicité. Perpétue vit une échelle d'or qui alloit jufqu'au Ciel : (Jacob n'en avoit vu qu'une de bois) . Cela marque la fupériorité de la loi nouvelle. Perpétue monte à l'échelle , elle voit dans un jardin un grand berger blanc qui trayoit fes brebis & qui lui donne une cuillerée de lait caillé ; après trois ou quatre vifions pareilles , on expofe Perpétue & Félicité à un ours & à une vache. Un Bénédictin François nommé Ruinart , croyant répondre à notre favant compatriote Dodwel , a recueilli de prétendus actes de martyrs, qu'il appelle les actes finceres. Ruinart commence par le martyre de Jacques frere aîné de Jéfus , rapporté dans l'hiftoire Eccléfiaftique d'Eufèbe 330. années après l'évé nement. Ne ceffons jamais d'obferver que Dieu avoit des freres hommes. Ce frère aîné , dit-on , étoit un Juif très - dévot ; il ne ceffoit de prier & de facrifier dans le temple Juif, même après la defcente du St. Efprit ; il n'étoit donc pas Chrétien. Les Juifs l'appelloient Oblia le juste : on le prie de monter fur la platte-forme du PH2 ( 108 ) temple pour déclarer que Jéfus étoit un impofteur Ces Juifs étoient donc bien fots de s'adreffer à un frere de Jéfus. Il ne manqua pas de déclarer fur la platteforme que fon cadet étoit le Sauveur du monde, & il fut lapidé. Que dirons -nous de la converfation d'Ignace avec l'Empereur Trajan , qui lui dit : qui es - tu , efprit impur ? & de la bienheureuſe Simphorofe qui fut dénoncée à l'Empereur Adrien par fes Dieux Lares ? & de Policarpe à qui les flammes d'un bucher n'oferent toucher , mais qui ne put réfifter au tranchant du glaive ? & du foulier de la martyre Sainte Epipode qui guérit un jeune gentilhomme de la fievre ? 093 Et de Sainte Potamiene qui n'ayant pas voulu coucher avec le Gouverneur d'A lexandrie , fut plongée trois heures entie res dans de la poix-réfine bouillante, & en fortit avec la peau la plus blanche & la plus fine ? Et de Pionius , qui refta fain & frais au milieu des flammes ; & qui en mourut je ne fais comment? Et du Comédien Geneft , qui devint Chrétien en jouant une farce devant l'Empereur Dioclétien , & qui fut condamné par cet Empereur dans le temps qu'il fa ( 109 ) vorifoit le plus les Chrétiens ? Et d'une légion Thébaine qui n'exiftoit pas , la . quelle fut envoyée d'Orient en Occident pour aller réprimer la fédition des Bagaudes , qui étoit déjà réprimée & qui fut martyrifée toute entiere dans un temps où l'on ne martyrifoit perfonne , & dans un lieu où il n'eft pas poffible de mettre quatre cens hommes en bataille , & qui enfin fut tranfmife au public par écrit , deux cens ans après cette belle avanture ? Ce feroit un ennui infupportable de rapporter, tous ces prétendus martyres. Cependant je ne peux m'empêcher de jetter encore un coup d'œil fur quelques martyrs des plus célebres. Nilus , témoin oculaire à la vérité (mais qui eft inconnu & c'eſt grand dommage) affure que fon ami St. Théodote , cabaretier de fon métier , faifoit tous les miracles qu'il vouloit. C'étoit à lui de changer l'eau en vin , mais il aimoit mieux guérir les malades en les tou chant du bout du doigt. Le cabaretier Théodote rencontra un Curé de la ville d'Ancire dans un pré ; ils trouverent ce pré tout-à -fait propre à ybâtir une chapelle dans un temps de perfécution ; Je le veux bien , dit le , prêtre , mais il me H3 ( 110 ) faut des reliques. Qu'à cela ne tienne, dit le Saint , vous en aurez bien-tôt , & voila ma bague que je vous donne en ga ge: il étoit bien für de fon fait , comme vous l'allez voir. On condamna bientôt fept vierges Chrétiennes d'Ancire de foixante & dix ans chacune , à être livrées aux brutales paffions des jeunes gens de la Ville. La Légende ne manque pas de remarquer que ces demoiſelles étoient très- ridées , & ce qui eft fort étonnant , c'eft que ces jeunes gens ne leur firent pas la moindre avance , à l'exception d'un feul qui , ayant en fa perfonne de quoi négliger ce point- là , voulut tenter l'avanture , & s'en dégoûtta bientôt le gouverneur extrêmement irrité que ces fept vieilles n'euffent pas fubi le fupplice qu'il leur deftinoit , les fit prêtreffes de Diane , ce que ces vierges Chrétiennes accepterent fans difficulté ; elles furent nommées pour aller laver la ftatue de Diane dans le lac voifin ; elles étoient toutes nues , car c'étoit fans doute l'ufage que la chafte Diane ne fût jamais fervie que par des filles nues , quoiqu'on n'approchât jamais d'elle qu'avec un grand voile. Deux choeurs de Ménades & de Bacchantes armées de thyrfes , précédoient le char , felon la remarque. ( III ) judicieufe de l'auteur , qui prend ici Diane pour Bacchus ; mais comme il a été témoin oculaire , il n'y a rien à lui dire. St. Théodote trembloit que ces fept vierges ne fuccombaffent à quelques tentations ; il étoit en prieres , lorfque fa femme vint lui apprendre qu'on venoit de jetter les fept vieilles dans le lac ; ik remercia Dieu d'avoir ainfi fauvé leur pudicité. Le gouverneur fit faire une garde exacte autour du lac , pour empê cher les Chrétiens qui avoient coutume de marcher fur les eaux , de venir enlever leurs corps. Le St. Cabaretier étoit au défeſpoir ; il alloit d'Eglife en Eglife ; car tout étoit plein de belles Eglifes pendant ces affreufes perfécutions ; mais les payens rufés avoient bouché toutes les portes. Le cabaretier priť alors le parti de dormir : L'une des vieilles lui apparut dans fon premier fomme ; c'étoit , ne vous déplaife , Sainte Técufe , qui lui dit en propres mots ; mon cher Théodote , fouffrirez- vous que nos corps foient mangés par des poiffons? Théodote s'éveille ; il réfout de repêcher les Saintes du fond du lac au péril de fa vie. Il fait tant qu'au bout de trois jours , ayant donné aux poif- H 4 ( 112 ) fons le temps de les manger, il court au lac par une nuit noire avec deux braves Chrétiens. Un cavalier célefte fe met à leur tête , portant un grand flambeau devant eux pour empêcher les gardes de les décou vrir le cavalier prend fa lance , fond fur les gardes , les met en fuité ; c'étoit , comme chacun fait , St. Soziandre ancien ami de Théodote , lequel avoit été martyrifé depuis peu. Ce n'eft pas tout ; un orage violent mêlé de foudres & d'éclairs & accompagné d'une pluie prodigieufe , avoit mis le lac à fec. Les fept vieilles font repêchées & proprement enterrées. Vous croyez bien que l'attentat de Théodote fut bientôt découvert ; le cavalier céleste ne put l'empêcher d'être fouetté & appliqué à la queftion. Quand Théodote eut été bien étrillé , il cria aux Chrétiens & aux idolâtres : Voyez , mes amis , de quelles graces notre Seigneur Jéfus comble fes ferviteurs ; il les fait fouetter jufqu'à- ce qu'ils n'ayent plus de peau , & leur donne la force de fuppor ter tout cela ; ' enfin il fut pendu. Son ami Fronton le Curé fit bien voir alors que le St. étoit cabaretier : car en ayant reçu précédemment quelques bouteilles d'excellent vin , il enyvra les gar ( 113 ) e des & emporta le pendu , lequel lui dit ; Monfieur le Curé , je vous avois promis des reliques , je vous ai tenu ma parole. · Cette hiftoire admirable eſt une des plus avérées. Qui pourroit en douter après le témoignage du Jéfuite Bollandus & du Bénédictin Ruinart? Ces contes de vieilles me dégoûtent ; je n'en parlerai pas davantage. J'avoue qu'il y eut en effet quelques Chrétiens fuppliciés en divers tems comme des féditieux qui avoient l'infolence d'être intolérans & d'infulter le gouvernement. Ils eurent la couronne du martyre & la méritoient bien. Ce que je plains , c'eſt de pauvres femmes imbécilles , féduites par ces non - conformistes. Ils étoient bien coupables d'abufer de la facilité de ces foibles créatures & d'en faire des energumenes ; mais les juges qui en firent mourir quelques-uns étoient des barbares. Dieu merci , il y eut peu de ces exécutions; les Payens furent bien loin d'exercer fur ces énergumenes les cruautés que nous avons depuis fi longtems dé ployées les uns contre les autres . Il fem ble que, fur- tout les Papiftes , ayent for gé tant de martyres imaginaires dans les premiers fiecles pour juftifier les maffacres dont leur Eglife s'eft fouillée. H 5 ( 114 ) , Une preuve bien forte qu'il n'y eut jamais de grandes perfécutions contre les premiers Chrétiens c'eft qu'Alexandrie qui étoit le centre , le chef-lieu de la fecte, eut toujours publiquement une école du Chriftianifme , ouverte comme le Licée, le Portique & l'Académie d'Athenes. Il y eut une fuite de Profeffeurs Chrétiens. Pantène fuccéda publiquement à un Marc , qu'on a pris mal à propos pour Marc l'Apôtre. Après Pantène vint Clément d'Alexandrie , dont la chaîre fut enfuite occupée par Origene qui laiffa une foule de difciples. Tant qu'ils fe bornerent à ergoter , ils furent paifibles ; mais lorfqu'ils s'éleverent contre les loix & la police publique, ils furent punis. On les réprima furtout fous l'Empire de Décius ; Origene même fut mis en prifon. Cyprien Evêque de Cartage ne diffimule pas que les Chrétiens s'étoient attiré cette perfécution. Cha99 99 cun d'eux , dit - il dans fon livre des tombés ,,, court après les biens & les honneurs avec une fureur infatiable, Les Evêques font fans religion , les femmes fans pudeur ; la friponnerie ré- » gne; on jure , on fe parjure ; les animofités divifent les Chrétiens ; les Evê ,, ques abandonnent les chaîres pour cou 22 ( 115 ) " "" , rir aux foires & pour s'enrichir par le négoce ; enfin nous nous plaifons à nous feuls , & nous déplaifons à tout le monde. Il n'eſt pas étonnant que ces Chrétiens euffent de violentes querelles avec les par tifans de la religion de l'Empire , que l'intérêt entrât dans ces querelles , qu'el les ne caufaffent fouvent des troubles violens , & qu'enfin ils ne s'attiraffent une perfécution. Le fameux juriſcon fulte Ulpien avoit regardé la fecte comme une faction très- dangereufe , & qui pou voit un jour fervir à la ruine de l'Etat ; en quoi il ne fe trompa pas, A CHAPITRE XXIV. Des Miracles. Près les merveilles orientales dé l'Ancien Teftament , après que dans le Nouveau , Dieu emporté fur une montagne par le Diable, en eft defcendu pour changer des cruches d'eau en cru ches de vin , qu'il a féché un figuier , par ce que ce figuier n'avoit pas de figues fur la fin de l'hiver , qu'il a envoyé des diables dans le corps de deux mille co- ( 116 ) chons , après , dis-je, qu'on a vu toutes ces belles chofes , il n'eft pas étonnant qu'elles ayent été imitées. Pierre Simon Barjone a très- bien fait de reffufciter la couturiere Dorcas ; c'eſt bien le moins qu'on puiffe faire pour une fille qui raccommodoit gratis les tuniques des fideles. Mais je ne paffe point à Simon Pierre Barjone d'avoir fait mourir de mort fubite Ananie &fa femme Saphire , deux bonnes créatures , qu'on ſuppoſe avoir été affez fottes pour donner tout leur bien aux Apôtres. Leur crime étoit d'avoir retenu de quoi fubvenir à leurs befoins preffans. O Pierre ! ô Apôtres défintéreffés ! quoi ! déjà vous perfuadez à vos dirigés de vous donner leur bien ! De quel droit raviffez-vous ainfi toute la fortune d'une famille ? Voilà donc le premier exemple de la rapine de votre fecte & de la rapine la plus puniffable. Venez à Londres faire le même manége , & vous verrez fi les héritiers de Saphire & d'Ananie ne vous feront pas rendre gorge , & fi le grand Juré vous laiffera impunis. Mais ils ont donné leur argent de bon gré! mais vous les avez féduits pour les dépouiller de leur bon gré ; ils ont retenu quelque chofe pour eux ! Lâches ravif 117 ) feurs , vous ofez leur faire un crime d'a voir gardé de quoi ne pas mourir de faim . Ils ont menti , dites vous ; étoient - ils obligés de vous dire leur fecret ? Si un efcroc vient me dire : Avez-vous de l'ar-t gent ? je ferai très - bien de lui répondre , je n'en ai point. Voilà en un mot le plus abominable miracle qu'on puiffe trouver dans la légende des miracles. Aucun de tous ceux qu'on a faits de puis n'en approche ; & fr la chofe étoit vraie , ceferoit la plus exécrable des chofes vraies. Il eft doux d'avoir le don des lane gues ; & tous les Peres de l'Eglife eurent ce don. La plus grande preuve que nous en ayons , c'eft qu'Auguftin ne fçut jamais l'hébreu & favoit trèsmal le grec.. 3 Nous avons déja vu les beaux miracles des martyrs , qui fe laiffoient toujours couper la tête pour dernier prodige. Ori gene à la vérité dans fon premier livre contre Celfe, dit que les Chrétiens ont des vifrons , mais il n'ofe prétendre qu'ils reffufcitentides morts: in T LeChriftianifme opéra toujours de grandes chofes dans les premiers fiècles, St. Jean , par exemple , enterré dans Ephèfe , remuait continuellement dans fa ( 118 ) foffe; ce miracle utile dura jufqu'au tems de l'Evêque d'Hippone , (*) Auguftin. Les prédictions , les exorcifmes ne manquoient jamais ; Lucien même en rend témoignage. Voici comme il rend gloire à la vérité dans le chapitre de la mort du Chrétien Pérégrinus qui eut la vanité de fe brûler : Dès qu'un joueur de gobelets ha bile fe fait Chrétien , il eft fûr de faire fortune aux dépens des fots fanatiques auxquels il a affaire. Les Chrétiens faifoient tous les jours des miracles , dont aucun Romain n'en tendit jamais parler. Ceux de Grégoire le Thaumaturge ou le merveilleux , font en effet dignes de ce furnom. Premié rement un beau vieillard defcend du Ciel pour lui dicter le catéchifme qu'i doit enfeigner. Chemin faifant , il écrit une lettre au Diable ; la lettre parvient à fon addreffe ; & le Diable ne manque pas de faire ce que Grégoire lui ordonne. Deux freres fe difputoient un étang ; Grégoire féche l'étang , & le fait difparoître pour appaifer la noife. Il rencon tre un charbonnier & le fait Evêque. C'eft apparemment depuis ce temps · là que la foi du charbonnier eft paffée en (*) Auguſtin tom. 3. pag. 18902 ( 119 ) proverbe. Mais ce miracle n'eft pas grand; j'ai vu quelques Evêques dans mes voyages qui n'en favoient pas plus que le charbonnier de Grégoire. Un miracle plus rare , c'eft qu'un jour les Payens couroient après Grégoire & fon Diacre pour leur faire un mauvais parti , les voilà qui fe changent tous les deux en arbres. Ce Thaumaturge étoit un vrai Protée. Mais quel nom donnera - t- on à ceux qui ont écrit ces inepties ? & comment fe peutil que Fleuri les ait copiées dans fon hif toire Eccléfiaftique ? Eft-il poffible qu'un homme qui avoit quelque fens & qui raifonnoit tolérablement fur d'autres fujets , ait rapporté férieufement , que Dieu ren dit folle une vieille femme pour empêcher qu'on ne découvrît St. Felix de Nole pendant la perfécution ? (*). On me répondra que Fleuri s'eft borné à tranfcrire ; & moi je répondrai qu'il ne falloit pas tranferire des bêtifes injurieufes à la Divinité, qu'il a été coupable s'il les a copiées fans les croire , & qu'il a été un imbécille s'ibles a crues. SOLLO (*) Voyez fur tous ces miracles des 6. & div de Fleuri 2 i nob 36 1 ( 120 ) CHAPITRE XXV. Des Chrétiens depuis Diocletien jufqu'à Conftantin. L' Es Chrétiens furent bien plus fou 攀 vent tolérés & même protégés , qu'ils n'effuyerent de perfécutions. Le regne de Dioclétien fut pendant dixhuit années entieres un regne de paix & de faveurs fignalées pour eux. Les deux principaux officiers du Palais , Gorgonius & Dorothée étoient Chrétiens. On n'exigeoit plus qu'ils facrifiaffent aux Dieux de l'Empire, pour entrer dans les emplois publics. Enfin Prifca , femme de Dioclétien , étoit chrétienne , auffi jouiffoient ils des plus grands avantages. Ils bâtiffoient des temples fuperbes , après avoir tous dit dans les premiers fiecles qu'il ne falloit ni temples ni autels à Dieu ; & paffant de la fimplicité d'une Eglife pauvre & cachée , à la magnifi cence d'une Eglife opulente & pleine d'oftentation , ils étaloient des vafes d'or & des ornemens éblouiffans. Quelquesuns de leurs temples s'élevoient fur les ruines d'anciens péripteres payens aban- donnés. ( 121 ) donnés. Leur temple à Nicomédie dominoit fur le Palais Impérial ; & comme le remarque Eufebe , tant de prospérité avoit produit l'infolence , Pafure , la moldeffe , & la dépravation des murs. On ne voyoit , dit Eufebe , qu'envie , médifance, difcorde & fédition. Ce fut cet efprit de fédition qui laffa la patience du Céfar Maximilien Galere. Les Chrétiens Kirriterent précisément dans le temps que Dioclétien venoit de publier des Edits fulminans contre les Manichéens. Un des Edits de cet Empereur commence ainfi : Nous avons appris depuis peu que des Manichéens fortis de la Perfe notre Pancienne ennemie inondent notre mondes . Ces Manichéens n'avoient encore cau. fé aucun trouble ; ils étoient nombreux dans Alexandrie & dans l'Afrique ; mais ils ne difputoient que contre les Chré tiens ; & il n'y a jamais eu le moindre monument d'une querelle entre la Reli gion des anciens Romains & la fecte de Manès. Les différentes fectes des. Chré tiens au contraire , Gnoftiques, Marcio- nites Valentiniens , Ebiodites Gali léens , oppofées les unes aux autres , & toutes ennemies de la religion dominante, répandoient la confufion dans l'Empire. Tome 11. I ( 122 ) N'eſt-il pas bien vraisemblable que les Chrétiens eurent affez de crédit au Pa lais , pour obtenir un Edit de l'Empereur contre le Manichéifme? Cette fecte qui étoit un mélange de l'ancienne Religion des Mages & du Chriftianifme , étoit trèsdangereufe, furtout en Orient , pour l'Eglife naiffante. L'idée de réunir ce que l'Orient avoit de plus facré avec la fec te des Chrétiens , fafoit déja beaucoup d'impreffion. 9 La Théologie obfcure & fublime des Mages mêlée avec la Théologie non moins obfcure des Chrétiens Platoniciens étoit bien propre à féduire des efprits romanefques , qui fe payoient de paroles ; enfin puifqu'au bout d'un fie cle , le fameux pafteur d'Hyppone , Auguftin , fut Manichéen , il eft bien für que cette fecte avoit des charmes pour les imaginations allumées. Manès avoit été crucifié en Perfe , fi l'on en croit Condhémir; & les Chrétiens amoureux de leur crucifié , n'en vouloient pas un fecond.

Je fais que nous n'avons aucune preuve que les Chrétiens obtinrent l'Edit contre le Manichéifme ; mais enfin il y en eut un fanglant , & il n'y en avoit point contre les Chrétiens. Quelle fut dont ( 123 ) enfuite la caufe de la difgrace des Chrétiens , les deux dernieres années du regne d'un Empereur affez philoſophe pour abdiquer l'Empire, pour vivre en folitai re & pour ne s'en repentir jamais ? Les Chrétiens étoient attachés à Conftance le pâle, pere du célebre Conftantin , & qu'il eut d'une fervante de fa maifon nommée Hélène ( *) . Conftance les protégea toujours ouvertement. On ne fait fi le Céfar Galérius fut jaloux de la préférence que les Chrétiens donnoient fur lui à Conftance le pâle , ou s'il eut quelqu'autre fujet de fe plaindre d'eux ; mais il trouva fort mauvais qu'ils bâtiffent une Eglife qui offufquoit fon palais. Il follicita longtemps Dioclétien de faire abbattre cette Eglife & de prohiber l'exercice de la Religion Chrétienne. Dioclétien réfifta ; il affembla enfin un Confeil , compofé des principaux officiers de l'Empire. Je me fouviens d'avoir lu dans Cette Hélène dont on a fait une Sainte , étoit Stabularia prépofee à l'écurie chez Conftance Clore , comme l'avouent Euſebe , Ambroife , Nicéphore , Jérôme. La chronique d'Alexandrie appelle Conftantin batard ; Zozime le cer tifie ; & certainement on n'auroit point parlé ainfi , on n'auroit point fait cet affront à la famille d'un Empereur fi puiffant, s'il y avoit eu le moin- dre doute fur fa naiffance, I 2 ( 118 ) foffe ; ce miracle utile dura jufqu'au tems de l'Evêque d'Hippone , (*) Auguftin. Les prédictions , les exorcifmes ne manquoient jamais ; Lucien même en rend témoignage. Voici comme il rend gloire à la vérité dans le chapitre de la mort du Chrétien Pérégrinus qui eut la vanité de fe brûler : Dès qu'un joueur de gobelets ha bile fe fait Chrétien , il eft fûr de faire fortune aux dépens des fots fanatiques auxquels il a affaire..... Les Chrétiens faifoient tous les jours des miracles , dont aucun Romain n'en tendit jamais parler. Ceux de Grégoire le Thaumaturge ou le merveilleux , font en effet dignes de ce furnom. Premié rement un beau vieillard defcend du Ciel pour lui dicter le catéchifme qu'il doit enfeigner. Chemin faifant , il écrit une lettre au Diable ; la lettre parvient à fon addreffe ; & le Diable ne manque pas de. faire ce que Grégoire lui ordonne. 3 Deux freres fe difputoient un étang; Grégoire féche l'étang , & le fait difparoître pour appaifer la noife. Il rencontre un charbonnier & le fait Evêque. C'eſt apparemment depuis ce temps là que la foi du charbonnier eft paffée en 6(*) Auguſtin tom. 3. pag. 189. ( 119 ) ¿ proverbe. Mais ce miracle n'eft pas grand; j'ai vu quelques Evêques dans mes voya ges qui n'en favoient pas plus que le charbonnier de Grégoire. Un miracle plus rare , c'eft qu'un jour les Payens couroient après Grégoire & fon Diacre pour leur faire un mauvais parti , les voilà qui fe changent tous les deux en arbres. Ce Thaumaturge étoit un vrai Protée. Mais quel nom donnera - t- on à ceux qui ont écrit ces inepties ? & comment ſe peutil que Fleuri les ait copiées dans fon hif toire Eccléfiaftique ? Eft- il poffible qu'un homme qui avoit quelque fens & qui rai fonnoit tolérablement fur d'autres fujets ait rapporté férieufement , que Dieu ren dit folle une vieille femme pour empêcher qu'on ne découvrit St. Felix de Nole . pendant la perfécution ? (*). On me répondra que Fleuri s'eft borné à tranfcrire; & moi je répondrai qu'il ne falloit pas tranfcrire des bêtifes injurieu fes à la Divinité , qu'il a été coupable s'il les a copiées fans les croire , & qu'il a été un imbécille s'il les a crues. 501100 (*) Voyez fur tous ces miracles des 6. & li de Fleuri. نداره

( 124 ) l'hiftoire Eccléfiaftique de Fleuri , que cet` Empereur avoit la malice de ne point confulter quand il vouloit faire du bien , & de confulter quand il s'agiffoit de faire du mal. Ce que Fleuri appelle malice , je l'avoue, me paroît le plus grand éloge d'un Souveran. Y a- t - il rien de plus beau que de faire le bien par foi - même? un grand cœur alors ne confulte perfonne; mais dans les actes de rigueur , un homme jufte & fage ne fait rien fans confeil. L'Eglife de Nicomédie fut enfin démolie en 303. mais Dioclétien ſe contenta de décerner que les Chrétiens ne feroient plus élevés aux dignités de l'Empire ; c'étoit retirer fes graces , mais ce n'étoit point perfécuter. Il arriva qu'un Chrétien eut l'infolence d'arracher publis quement l'Edit de l'Empereur , de le dé chirer , & de le fouler aux pieds. Ce crime fut puni comme il méritoit de l'étre par la mort du coupable. Alors Prifca , femme de l'Empereur , n'ofa plus protéger des féditieux ; elle quitta même la Religion Chrétienne , quand elle vit qu'elle ne conduifoit qu'au fanatifme & à la révolte. Galérius fut alors en plei ne liberté d'exercer fa vengeance. Il y avoit en ce temps beaucoup de Chrétiens dans l'Arménie & dans la Sy ( 125 ) rie ; il s'y fit des foulévemens ; les Chrétiens mêmes furent accufés d'avoir mis le feu au palais de Galérius. Il étoit bien naturel de croire que des gens qui avoient déchiré publiquement les Edits & qui avoient brûlé des temples comme ils l'avoient fait fouvent , avoient auffi brûlé le palais ; cependant il eft très - faux qu'il y eût une perfécution générale contre eux. Il faut bien qu'on n'eût févi que légalement contre les réfractaires , puifque Dioclétien ordonna qu'on enterrât les fupliciés , ce qu'il n'auroit point fait , fi on avoit perfécuté fans forme de procès. On ne trouve aucun Edit qui condamne à la mort uniquement pour faire profeffion du Chriftianifme. Cela eût été auffi infenfé & auffi horrible que la St. Barthélémi que les maffacres d'Irlande & que la Croi fade contre les Albigeois ; car alors un cinquieme ou un fixieme de l'Empire étoit Chrétien. Une telle perfécution eût forcé cette fixieme partie de l'Empire de courir aux armes , & le défefpoir qui l'eût armée , l'auroit rendu terrible. Les déclamateurs , comme Eufebe de Céfarée, & ceux qui l'ont fuivi , difent en général qu'il y eut une quantité incroyable de Chrétiens immolés. Mais d'où vient que l'hiftorien Zozime n'en dit 1 3 ( 126 ) pas un feul mot? Pourquoi Zonare Chré tien ne nomme- t-il aucun de ces fameux Martyrs ? D'où vient que l'exagération eccléfiaftique ne nous a pas confervé les noms de cinquante Chrétiens livrés à la mort ? Si on examinoit avec des yeux critiques ces prétendus maffacres , que la lé gende impute vaguement àDioclétien , il y auroit prodigieufement à rabattre , ou plutôt on auroit le plus profond mépris pour ces impoftures; & on cefferoit de regarder Dioclétien comme un perfécuteur. C'eſt en effet fous ce Prince qu'on place la ridicule avanture du cabaretier Théodote , la prétendue légion Thébaine immolée , le petit Romain né bègue , qui parle avec une volubilité incroyable , fitôt que le médecin de l'Empereur devenu bourreau lui a coupé la lange ; & vingt autres avantures pareilles que les vieilles radoteufes de Cornouailles auroient honte aujourd'hui de débiter à leurs pe- tits enfans. ( 127 ) Q CHAPITRE De Conftantin. XXVI. Uel eſt l'homme, qui ayant reçu une éducation tolérable , puiffe ignorer ce que c'étoit que Conftantin ? Il fe fait reconnoître Empereur au fond de l'Angleterre par une petite armée d'étrangers ; avoit -il plus de droit à l'Empire que Maxence élu par le Sénat ou par les armées Romaines? Quelque temps après il vient en Gaule & ramaffe des foldats Chrétiens attachés à fon pere , il paffe les Alpes , groffiffant toujours fon armée ; il attaque fon rival, qui tombe dans le Tibre au milieu de la bataille. On ne manque pas de dire qu'il y a eu du miracle dans fa victoire, & qu'on a vu dans les nuées un étendart & une croix célefte où chacun pouvoit lire en lettres Grecques : tu vaincras par ce figne. Car les Gaulois , les Bretons , les Allobroges , les Infubriens , qu'il traînoit à fa fuite , entendoient tous le Grec parfaitement , & Dieu aimoit mieux leur parler Grec que Latin. I 4 2 ( 128 ) Cependant malgré ce beau miracle , qu'il fit lui-même divulguer , il ne fe fit point encore Chrétien ; il fe contenta en bon politique de donner liberté de confcience à tout le monde ; & il fit une profeffion fi ouverte du paganifme , qu'il prit le titre de grand pontife : ainfi il eft démontré qu'il ménageoit les deux religions; en quoi il fe conduifoit très-prudemment dans les premieres années de fa tyrannie. Je me fers ici du mot de tyrannie fans aucun fcrupule ; car je ne me fuis pas accoutumé à reconnoître pour Souverain un homme qui n'a d'autres droits que la force : & je me fens trop humain pour ne pas appeller tyran un barbare qui a fait affaffiner fon beau - pere Maximilien Hercule à Marseille , fur le prétexte le moins fpécieux , & l'Em pereur Licinius fon beau-frere à Theffalonique , par la plus lâche perfidie. J'appelle tyran fan doute celui qui fait égorger fon fils Crifpus , étouffer fa femme Faufta , & qui fouillé de meurtres & de parricides , étalant le faſte le plus révoltant, fe livroit à tous les plaifirs dans la plus infâme molleffe. Que de lâches flatteurs Eccléfiaftiques lui prodiguent des éloges , même en avouant fes crimes; qu'ils voyent , s'ils ( 129 ) veulent , en lui un grand homme , un faint , parcequ'il s'eft fait plonger trois fois dans une cuve d'eau ; un homme de ma nation & de mon caractere , & qui a ſervi une Souveraine vertueuſe , ne s'avilira jamais jufqu'à prononger le nom de Conftantin fans horreur. Zozime rapporte , & cela eft bien vraisemblable , que Conftantin auffi foibie que cruel , mêlant la fuperftition aux crimes , comme tant d'autes Princrut trouver dans le Chriftianifme l'expiation de fes forfaits. A la bonne heure que des Evêques intéreffés lui ayent fait accroire que le Dieu des Chrétiens lui pardonnoit tout , & lui fauroit un gré infini de leur avoir donné de l'argent & des honneurs ; pour moi je n'aurois point trouvé de Dieu qui eût reçu en grace un cœur fi fourbe & fi inhumain ; il n'appartient qu'à des prêtres de canonifer l'affaffin d'Urie chez les Juifs , & le meurtrier de fa femme & de fon fils chez les Chrétiens, Le caractere de Conftantin , fon fafte & fes cruautés , font affez bien exprimés dans ces deux vers qu'un de fes malheureux courtifans nommé Ablavius afficha à la porte du palais. 1 5 ( 130 ) Saturni aurea fecla quis requirat ? Sunt hæc gemmea , fed Neroniana. Qui peut regretter le fiecle d'or de Saturne? Celui-ci eft de pierreries , mais il eft de Néron. Mais qu'auroit dû dire cet Ablavius du zêle charitable des Chrétiens , qui , dès qu'ils furent mis par Conftantin en pleine liberté , affaffinerent Candidien fils de l'Empereur Galérius , un fils de l'Empereur Maximin âgé de huit ans , fa fille âgée de fept , & noyerent leur mere dans FÖronte ? Ils pourfuivirent longtemps la vieille Imperatrice Valérie veuve de Galérius, qui fuyoit leur vengeance. I's l'atteignirent à Theffalonique , la maffa crerent & jetterent fon corps dans la mer. C'eft ainfi qu'ils fignalerent leur douceur Evangélique ; & ils fe plaignent d'avoir eu des martyrs ! ( 131 ) CHAPITRE XXVII. Des querelles Chrétiennes avant Conftantin & fous fon Regne. A Vant , pendant & après Conftantin, la fecte Chrétienne fut toujours divifée en plufieurs fectes , en plufieurs factions & en plufieurs fchifmes. Il étoit impoffible que des gens qui n'avoient aucun fyftême fuivi , qui n'avoient pas même ce petit Credo , fi fauffement imputé depuis aux Apôtres ; différens entre eux de nation , de langage , & de mœurs ; fuffent réunis dans la même créance. Saturnin , Bafilide , Carpocrate , Euphrate , Valentin , Cerdon , Marcion Hermogène, Hermias , Juftin , Tertul lien , Origene , eurent tous des opinions contraires ; & tandis que les Magiftrats Romains tâchoient quelquefois de réprimer les Chrétiens , on les voyoit tous acharnés les uns contre les autres , s'excommunier , s'anathématifer réciproquement , & fe combattre du fond de leurs cachots ; c'étoit bien- là le plus fenfi. ( 132 ) ble & le plus déplorable effet du fanatiſme. La fureur de dominer ouvrit une autre fource de difcorde ; on fe difputa ce qu'on appelloit une dignité d'Evêque , avec le méme emportement & les mêmes fraudes qui fignalerent depuis les fchifmes de quarante Antipapes. On étoit auffi jaloux de commander à une petite populace obfcure, que les Urbains , les Clémens , les Benoits , les Grégoires , les Jeans , l'ont été de donner des ordres à des Rois. Novat difputa la premiere place Chrétienne dans Carthage , à Cyprien qui fut élu. Novatien difputa l'Evéché de Rome à Corneille ; chacun d'eux reçut l'impofition des mains par les Evèques de fon parti. Ils ofoient déja troubler Rome, & les compilateurs Théologiques ofent s'étonner aujourd'hui que Décius ait fait punir quelques - uns de ces perturbateurs ! Cependant Décius fous lequel Cyprien fut fupplicié , ne punit ni Novatien ni Corneille ; on laiffa ces rivaux obfcurs fe déclarer la guerre , comme on laiffe des chiens fe battre dans une baffe - cour pourvu qu'ils ne mordent pas leurs maî tres. Du temps de Conftantin il y eut un pa- ( 1334 ) reil fchifme à Carthage ; deux Antipapes Africains , ou Anti - Evêques , Cécilien & Majorin , fe difputerent la chaîre qui commençoit à devenir un objet d'ambi tion. Il y avoit des femmes dans chaque parti. Donat fuccéda à Majorin & forma le premier des fchifmes fanglans qui devoient fouiller le Chriftianifme. Eufebe rapporte qu'on fe battoit avec dest maffues , parce que Jéfus , dit - on , avoit ordonné à Pierre de remettre fon épée dans le fourreau. Dans la fuite on fut moins fcrupuleux , & les Donatiftes & les Cyprianiftes fe battirent avec le fer. Il s'ouvroit dans le même temps une fcène de trois cens ans de carnage pour la querelle d'Alexandre & d'Arius , d'Athanafe & d'Eufebe , pour favoir fi Jéfus étoit précisément delamême fubftance que Dieu ,ou d'une fubftance femblable à Dieu. noid nomed en' CHAPITRE XXVIII. 9736 Arianifme & Athanafianifme. Ue Jéfus ait été femblable à Dieu, ou confubftantiel à Dieu , cela eft A stb également abfurde & impie..

" ((134 ) Qu'il y ait trois perfonnes dans une fubftance, cela eft également abfurde. Qu'il y ait trois Dieux dans un Dieu , cela eft également abfurde. Rien de tout cela n'étoit un ſyſtême Chrétien , puifque rien de toute cette doctrine ne fe trouve dans aucun Evangile, feul fondement reconnu du Chriftianifme. Ce ne fut que quand on voulut platonifer qu'on fe perdit dans ces idées chimériques. Plus le Chriftianifme s'étendit , plus fes Docteurs fe fatiguerent à le rendre incompréhensible. Les fubtilités fauverent ce que le fonds avoit de bas & de groffier. Mais à quoi fervent toutes ces imaginations métaphyfiques ? qu'importe à la Société humaine , aux moeurs , aux devoirs , qu'il y ait en Dieu une perſonne ou trois ou quatre ou mille ? en fera- t-on plus homme de bien pour prononcer des mots qu'on n'entend pas ? La religion qui eft la foumiffion à la Providence & l'amour de la vertu , a - t - elle donc befoin de devenir ridicule pour être embraffée? Il y avoit déja longtemps qu'on difputoit für la nature du Logos , du verbe inconnu, quand Alexandre Pape d'Alexan drie fouleva contre lui l'efprit de plu- ( 135 ) fieurs Papes en prêchant que la Trinité étoit une monade. Au refte ce nom de Pape étoit donné indiftinctement alors aux Evêques & aux Prêtres, Alexandre étoit Evêque le Prêtre Arius fe mit à la tête des mécontens ; il fe forma deux partis violens , & la queftion ayant bientôt changé d'objet comme il arrive fou vent, Arius foutint que Jéfus avoit été créé , & Alexandre qu'il avoit été engendré. Cette difpute creufe reffembloit affez à celle qui a divifé depuis Conftantinople , pour favoir fi la lumiere que les Moines voyoient à leur nombril , étoit celle du Thabor , & fi la lumiere du Thabor & de leur nombril étoit créée ou éternelle. Il ne fut plus queftion de trois hypof tafes entre les difputans. Le Pere & le Fils occuperent les efprits , & le St. Ef prit fut négligé Alexandre fit excommunier Arius par fon parti. Eufebe Evêque de Nicomédie , protecteur d'Arius , affembla un pe tit Concile , où l'on déclara erronée la doctrine qui eft aujourd'hui l'orthodoxe ; la querelle devint violente , l'Evêque Alexandre & le Diacre Athanafe , qui fe fignaloit déja par fon inflexibilité & par " ( 136 ) fes intrigues , remuerent toute l'Egypte. L'Empereur Conftantin étoit defpotique & dur ; mais il avoit du bon fens; il fen tit tout le ridicule de la difpute. On conhoît affez cette fameufe lettre qu'il fit porter par Ozius aux chefs des deux fac tions. Ces queſtions , dit - il , ne viennent que de votre oifiveté curieuſe , vous êtes divifés pour un fujet bien mince. Cette conduite eft baffe & puérile , indigne d'hom mes fenfés. La lettre les exhortoit à la paix ; mais il ne connoiffoit pas encore les Théologiens.qofbalho fon Le vieil Ozius confeilla à l'Empereur d'affembler un Concile nombreux. Conftantin qui aimoit l'éclat & le fafte , convoqua l'affemblée à Nicée. Il y parut comme en triomphe avec la robe Impé riale , la couronne en tête & couvert de pierreries. Ozius y préfida comme le plus ancien des Evêques. Les écrivains de la fecte Papifte ont prétendu depuis que cet Ozius n'avoit préfidé qu'au nom du Pape de Rome Sylveftre. Cet infigne menfonge qui doit être placé à côté de la donation de Conftantin , eft affez confondu par les noms des députés de Sylveftre , Titus & Vincent , chargés de fa procuration. Les Papes Romains étoient , à la vérité, regardés comme les Evêques de ( 137 ) de la ville Impériale & comme les métro politains des villes fuburbicaires dans la province de Rome ; mais ils étoient bien loin d'avoir aucune autorité fur les Evê ques de l'Orient & de l'Afrique. Le Concile, à la plus grande pluralité. des voix , dreffa un formulaire , dans le quel le nom de Trinité n'eft pas feulement prononcé. Nous croyons en unfeul Dieu & en un feul Seigneur Féfus - Chrift , Fils unique de Dieu , engendré du Pere & non fait , confubftantiel au Pére : après ces mots inexplicables on met par furérogation : Nous croyons auffi au St. Efprit ; fans dire ce que c'eſt que ce St. Efprit , s'il eft engendré , s'il eft fait , s'il eft créé ; s'il procede , s'il eft confubftantiel. En fuite on ajoute anathême à ceux qui difent qu'il y a eu un temps où le Fils n'é toit pas. Mais ce qu'il y eut de plus plaifant au Concile de Nicée , ce fut la déciſion fur quelques livres canoniques. Les Peres étoient fort embarraffés fur le choix des Evangiles & des autres écrits. On prit le parti de les entaffer tous fur un autel & de prier le St. Efprit de jetter à terre tous ceux ceux qui n'étoient pas légiti mes. Le St. Efprit ne manqua pas d'exaueer fur le champ la requête des Peres Tome II. K +4 ( 138 ) 4 yen Une centaine de volumes tomberent d'eux - mêmes fous l'autel ; c'eſt un moinfaillible de connoître la vérité : & c'eft ce qui eft rapporté dans l'appendix des actes de ce Concile ; c'eſt un des faits de l'hiftoire Eccléfiaftique des mieux avérés. Notre favant & fage Midleton a dé- 'couvert une chronique d'Alexandrie , écrite par deux Patriarches d'Egypte , dans laquelle il eft dit que non feulement dixdept Evêques , mais encore deux mille prêtres , protefterent contre la décifion du Concile. Les Evêques vainqueurs obtinrent de Conftantin qu'il exilât Arius & trois ou quatre Evêques vaincus : mais enſuite Athanafe ayant été élu Evêque d'Alexandrie, & ayant trop abufé du crédit de fa place , les Evêques & Arius exilés furent rappellés & Athanafe exilé à fon tour. De deux chofes l'une , ou les deux partis avoient également tort , ou Conftantin étoit très injufte. Le fait eft que les difputeurs de ce temps - là étoient des cabaleurs comme ceux de ce temps- ci , & que les Princes du quatrieme fiecle reffembloient à ceux du nôtre , qui n'entendent rien à la matiere , ni eux ni leurs minif tres , & qui exilent à tort & à travers. ( 139 ) Heureufement nous avons ôté à nos Rois le pouvoir d'exiler ; & fi nous n'avons pu guérir dans nos prêtres la rage de cabaler , nous avons rendu cette rage inutile. Il y eut un Concile à Tyr où Arius fut réhabilité & Athanafe condamné. Eufebe de Nicomédie alloit faire entrer pompeufement fon ami Arius dans l'Eglife de Conftantinople ; mais un Saint Catholique nommé Macaire pria Dieu , avec tant de ferveur & de larmes , de faire mourir Arius d'apoplexie , que Dieu qui eft bon , l'exauça ; mais St. Macaire ayant oublié de demander la paix de l'Eglife Chrétienne , Dieu ne la donna jamais . Con ftantin quelque temps après mourut entre les bras d'un prêtre Arien ; apparemment que St. Macaire avoit encore prié Dieu. CHAPITRE XXIX. Des enfans de Conftantin & de Fulien le Philofophe furnommé l'Apoftat par les L Chrétiens. Es enfans de Conftantin furent auffi Chrétiens , auffi ambitieux & auffi K 2 ( 140 ) cruels que leur pere ; ils étoient trois qui partagerent l'Empire , Conftantin II. , Conftantinus &Conftant.L'Empereur Conftantin Ier. avoit laiffé un frere nommé Jule & deux neveux , auxquels il avoit donné quelques terres. On commença par les égorger , pour arrondir la part des nouveaux Empereurs. Ils furent d'abord unis par le crime & bientôt défunis. Conftant fit affaffiner Conſtantin fon frere aîné, & il fut enfuite tué lui-même. Conftantius demeuré feul maître de l'Empire , avoit exterminé preſque tout le refte de la famille Impériale. Ce Jule qu'il avoit fait mourir, laiffoit deux enfans, l'un nommé Gallus , & l'autre le célebre Julien. On tua Gallus , & on épargna Julien , parce qu'ayant du goût pour la retraite & pour l'étude , on ju gea qu'il ne feroit jamais dangereux. S'il eft quelque chofe de vrai dans l'hif toire , il eft vrai que ces deux premiers Empereurs Chrétiens , Conftantin & Conftantius fon fils , furent des monftres de defpotifme & de cruauté. Il fe peut , comme nous l'avons déja infinué , que dans le fond de leur cœur ils ne cruffent aucun Dieu , & que fe moquant égale ment des fuperftitions Payennes & du fanatifme Chrétien , ils fe perfuadaffent mal0 ( 141 ) heureufement que la Divinité n'exiſte pas , parce que ni Jupiter le Crétois , ni Hercule le Thébain , ni Jéfus le Juif ne font des Dieux. Il eft poffible auffi que des tyrans qui joignent prefque toujours la lâcheté à la barbarie , ayent été féduits & encouragés au crime , par la croyance où étoient alors tous les Chrétiens fans exception , que trois immerfions dans une cuve d'eau avant la mort, effaçoient tous les forfaits & tenoient lien de toutes les vertus. Cette malheureufe créance a été plus funefte au genre humain que les paffions les plus noires. Quoi qu'il en foit , Conftantius fe déclara orthodoxe , c'est-à-dire Arien ; car l'Arianifme prévaloit alors dans tout l'Orient contre la fecte d'Athanafe ; & les Ariens auparavant perfécutés , dans ce temps-là perfécuteurs. étoient Athanafe fut condamné dans un Concile de Sardique, dans un autre tenu dans la Ville d'Arles , dans un troifieme tenu à Milan; il parcouroit tout l'Empire Romain , tantôt fuivi de fes partifans , tantôt exilé , tantôt rappellé. Le trouble étoit dans toutes les villes pour ce feul mot de confubftantiel. C'étoit un fléau que jamais on n'avoit connu jufques - là. K 3 ( 142 ) dans l'hiftoire du Monde. L'ancienne religion de l'Empire qui fubfiftoit encore avec quelque fplendeur , tiroit de toutes ces divifions un grand avantage contre le Chriftianifme. Cependant Julien dont Conftantius avoit affaffiné le frere & toute la famille , fut obligé d'embraffer à l'extérieur le Chriftianifme , comme notre Reine Elizabeth fut quelque temps forcée de diffimuler fa religion fous le regne tyrannique de notre infâme Marie , & comme en France Charles IX. força le grand Henri IV. d'aller à la Meffe après la St. Barthé- lémi. Julien étoit Stoïcien de cette fecte enfemble philofophique & religieu fe , qui produifit tant de grands hommes & qui n'en eut jamais un méchant , fecte plus divine qu'humaine , dans laquelle on voit la févérité des Brachmanes & de quelques Moines fans qu'elle en eût la fuperftition ; la fecte enfin des Caton , des Antonin, & des Epictete. > Ce fut une chofe honteufe & déplorable que ce grand homme fe vît réduit à cacher tous fes talens fous Conftantius , comme le premier des Brutus fous Tar quin. Il feignit d'être Chrétien & prefque imbécillé pour fauver fa vie. Il fut même forcé d'embraffer quelque temps la ( 143 ) vie monaftique. Enfin Conftantius, qui n'avoit point d'enfans , déclara Julien Céfar ; mais il l'envoya dans les Gaules comme dans une efpece d'exil ; il y étoit prefque fans troupes & fans argent , environné de furveillans & prefque fans au torité. Différens peuples de la Germanie paffoient fouvent le Rhin & venoient rava ger les Gaules , comme ils avoient fait avant Céfar , & comme ils firent fouvent depuis jufqu'à ce qu'enfin ils les envahirent , & que la feule petite nation des Francs fubjugua fans peine toutes ces pro vinces. Julien forma des troupes , les difcipli na , s'en fit aimer ; il les conduifit jufqu'à Strasbourg , paffa le Rhin fur un pont de bateaux , & à la tête d'une armée très -foible en nombre, mais animée de fon courage , il défit une multitude prodigieufe de Barbares , prit leur Chef prifonnier , les pourfuivit jufqu'à la forêt Hercinienne , fe fit rendre tous les captifs Romains & Gaulois , toutes les dépouilles qu'avoient pris les Barbares , & leur impofa des tributs. A cette conduite de Céfar , il. joignit les vertus de Titus & de Trajan , faifant venir de tout côté du bled pour nourrir K 4 ( 144 ) des peuples dans des campagnes dévaf tées , faifant défricher ces campagnes rebâtiffant les villes , encourageant la po pulation , les arts & les talens par des privileges , s'oubliant lui - même & travaillant jour & nuit au bonheur des hommes. Conftantius pour récompenfe voulut lui ôter les Gaules où il étoit trop aimé , il lui demanda d'abord deux légions que luimême avoit formées. L'armée indignée s'y oppofa ; elle proclama Julien Empereur malgré lui. La terre fut alors délivrée de Conftantius lorfqu'il alloit marcher contre les Perfes. Julien le Stoïcien fi fottement nommé l'Apoftat par des prêtres fut reconnu unanimement Empereur par tous les peuples de l'Orient & de l'Occident. La force de la vérité eft telle que les hiftoriens Chrétiens font obligés d'avouer qu'il vécut fur le trône , comme il avoit fait dans les Gaules. Jamais fa philofophie ne fe démentit. Il commença par réformer dans le Palais de Conftantinople le luxe de Conftantin & de Conftan tius. Les Empereurs , à leur couronnement , recevoient de péfantes couronnes d'or de toutes les villes , il réduifit prefqu'à rien ces préfens onéreux. La frugale ( 145 ) fimplicité du philofophe n'ôta rien à la majefte & à la juftice du Souverain. Tous les abus & tous les brigandages de la Cour furent réformés ; mais il n'y eut que deux concuffionnaires publics d'exécutés à mort. Il renonça , il eft vrai , à fon baptême mais il ne renonça jamais à la vertu. On lui reproche de la fuperftition , donc au moins par ce reproche on avoue qu'il avoit de la religion. Pourquoi n'auroitil pas choifi celle de l'Empire Romain? pourquoi auroit - il été coupable de fe conformer à celle des Scipions & des Céfars plutôt qu'à celle des Grégoire de Nazianze & des Théodoret ? Le Paganifme & le Chriftianifine partageoient l'Empire. Il donna la préférence à la fecte de fes peres , & il avoit grande raiſon en politique , puifque fous l'ancienne religion Rome avoit triomphé de la moitié de la terre & que fous la nouvelle tout tomboit en décadence. Loin de perfécuter 9 les Chrétiens il voulut appaifer leurs indignes querelles, Je ne veux pour preuve que fa 52e. let- tre. Sous mon prédéceffeur plufieurs " ?? Chrétiens ont été chaffés , emprifonnés , perfécutés ; on a égorgé une granK 5 ( 146 ) 39. 99 de multitude de ceux qu'on nomme ,, hérétiques à Samozate en Paphlago- ,, nie, en Bithynie, en Galatie , en plu fieurs autres Provinces ; on a pillé , on a ruiné des Villes. Sous mon regne au contraire les bannis ont été rappellés , les biens confifqués ont été rendus. Cependant ils font venus à ce point de fureur qu'ils fe plaignent de ,, ce qu'il ne leur eft plus permis d'é tre cruels & de fe tyrannifer les uns les autres. دو دو 39 99 99 دو Cette feule lettre ne fuffiroit - elle pas pour confondre les calomnies dont les prêtres Chrétiens l'accablerent ? Il y avoit dans Alexandrie un Evêque nommé George , le plus féditieux & le plus emporté des Chrétiens ; il fe faifoit fuivre par des fatellites ; il battoit les Payens de fes mains ; il démoliffoit leurs temples. Le peuple d'Alexandrie le tua, Voici comment Julien parle aux Alexandrins dans fon Epitre 1o. 39 دو 91 Quoi! au lieu de me réferver la connoiffance de vos outrages , vous vous êtes laiffés emporter à la colere ; vous vous êtes livrés aux mêmes excès que ,, vous reprochez à vos ennemis ! Geor- ,, ge méritoit d'être traité ainfi , mais ce n'étoit pas à vous d'être fes exécu " دو 99 ( 147 ) 99 teurs. " Vous avez des loix, il faloit demander juſtice &c. " Je ne prétends point répéter ici & réfuter tout ce qui eft écrit dans l'hiftoire Eccléfiaftique que l'efprit de parti & de faction ont toujours dictée. Je paffe à la mort de Julien , qui vécut trop peu pour la gloire & pour le bonheur de l'Empire. Il fut tué au milieu de fes victoires contre les Perfes , après avoir paffé le Tigre & l'Euphrate , à l'âge de trente & un ans , & mourut comme il avoit vécu , avec la réfignation d'un Stoïcien , remerciant l'Etre des êtres , qui alloit rejoindre fon ame à l'ame univerfelle & divine. On eft faifi d'indignation quand on lit dans Grégoire de Nazianze & dans Théodoret , que Julien jetta fon - fang vers le ciel en difant : Galiléen , tu as vaincu. Quelle mifere ! quelle abfurdité ! Julien combattoit-il contre Jéfus ? & Jéfus étoit-il le Dieu des Perfes ? On ne peut lire fans horreur les difcours que le fougueux Grégoire de Nazianze prononça contre lui après fa mort. Il eft vrai que fi Julien avoit vécu , le Chriftianifme couroit rifque d'être aboli. Certainement Julien étoit un plus grand homme que Mahomet , qui a détruit la ( 148 ) fecte Chrétienne dans toute l'Afie & dans toute l'Afrique ; mais tout çede à la deftinée ; & un Arabe fans lettres a écrasé la fecte d'un Juif fans lettres ; ce qu'un grand Empereur & un philofophe n'a pu faire. Mais c'eft que Mahomet vécut affez , & Julien trop peu. Les Chrifticoles ont ofé dire queJulien n'avoit vécu que trente & un ans , en punition de fon impiété , & ils ne fongent pas que leur prétendu Dieu n'a pas vécu davantage, J CHAPITRE XXX. Confidérations fur Julien. Ulien Stoïcien de pratique, & d'une vertu fupérieure à celle de fa fecte même, étoit Platonicien de théorie : fon efprit fublime avoit embraffé la fublime idée de Platon , priſe des anciens Caldéens , que Dieu exiftant de toute éternité , avoit créé des êtres de toute éternité. Ce Dieu immuable , pur , immortel , ne put former que des êtres femblables à lui , des images de fa fplen deur auxquels il ordonna de créer les fubftances mortelles ; ainfi Dieu fit les ( $49 ) Dieux , & le Dieux firent les hommes. Ce magnifique fyftême n'étoit pas prouvé ; mais une telle imagination vaut fans doute mieux qu'un jardin dans lequel on établit les fources du Nil & de l'Euphrate qui font à huit cens grandes lieues l'une de l'autre ; un arbre qui donne la connoiffance du bien & du mal ; une femme tirée de la côte d'un homme un ferpent qui parle, un Chérubin qui garde la porte , & toutes les dégoûtantes rêveries dont la groffiéreté Juive a farci cette fable empruntée des Phéniciens. Auffi faut-il voir dans Cyrille avec quelle éloquence Julien confondit ces abfurdi tés. Cyrille eut affez d'orgueil pour rapporter les raifons de Julien , & pour croire lui répondre. Julien daigne faire voir combien il répugne à la nature de Dieu d'avoir mis dans le jardin d'Eden des fruits qui donnoient la connoiffance du bien& du mal , & d'avoir défendu d'en manger. Il falloit au contraire , comme nous l'avons déja remarqué , recommander à l'homme de fe nourrir de ce fruit néceffaire. La diftinction du bien & du mal , du jufte & de l'injufte , étoit le lait dont Dieu devoit nourrir des créatures forties de fes mains. Il auroit mieux valu leur crever ( 150 ) les deux yeux que leur boucher l'enten- dement. Si le rédacteur de ce roman Asiatique de la Géneſe avoit eu la moindre étincelle d'efprit, il auroit fuppofé deux arbres dans le Paradis ; les fruits de l'un nourriffoient l'ame & faifoient connoître & aimer la juftice ; les fruits de l'autre enflammoient le cœur de paffions funeſtes : l'homme négligea l'arbre de la fcience, & s'attacha à celui de la cupidité. Voilà du moins une allégorie jufte , une image fenfible du fréquent abus que les hommes font de leur raifon. Je m'étonne que Julien ne l'ait pas propofée ; mais il dédaignoit trop ce livre pour defcendre à le corriger. C'eft avec très - grande raifon que Julien méprife ce fameux Décalogue que les Juifs regardoient comme un code divin. C'étoit en effet une plaifante légiflation en comparaifon des loix Romaines , de défendre le vol , l'adultere & l'homicide! Chez quel peuple barbare la nature n'a- t - elle pas dicté ces Loix avec beaucoup plus d'étendue ? quelle pitié de faire defcendre Dieu au milieu des éclairs & des tonnerres fur une petite montagne pelée , pour enfeigner qu'il ne faut pas être voleur! encore peut-on dire que ce ( 151 ) n'étoit pas à ce Dieu qui avoit ordonné aux Juifs de voler les Egyptiens , & qui leur propofoit l'ufure avec les étrangers comme leur plus digne récompenfe , & qui avoit récompenfé le voleur Jacob , que ce n'étoit pas , dis-je , à ce Dieu de défendre le larcin. C'eft avec beaucoup de fagacité que ce digne Empereur détruit les prétendues prophéties Juives , fur lefquelles les Chrif ticoles appuyoient leurs rêveries , & la verge de Juda qui ne manqueroit point entre les jambes , & la fille ou la femme qui fera un enfant , & furtout ces paroles attribuées à Moyfe , lefquelles regardent Jofué , & qu'on applique fi mal-à- propos à Jéfus Dieu vous fafcitera un prophête femblable à moi. Certainement un prophête femblable à Moyfe , ne veut pas dire Dieu & fils de Dieu. Rien n'eft fi palpable , rien n'eft fi fort à la portée des efprits les plus groffiers. Mais Julien croyoit ou feignoit de croire par politique , aux divinations aux augures , à l'efficacité des facrifices : car enfin les peuples n'étoient pas philofophes ; il falloit opter entre la démence des Chrifticoles & celle des payens. Je pense que fi ce grand homme eût vécu , il eût avec le tems dégagé la Re- ( 152 ) ligion des fuperftitions les plus groffieres , & qu'il eût accoutumé les Romains a reconnoître un Dieu formateur des Dieux & des hommes , & à lui addreffer tous les hommages. Mais Cyrille & Grégoire & les autres prêtres Chrétiens profiterent de la néceffité où il fembloit être de profeffer publiquement la religion payenne , pour le décrier chez les fanatiques. Les Ariens & les Athanafiens fe réunirent contre lui ; & le plus grand homme qui peut- être ait jamais été , devint inutile au monde. A CHAPITRE XXXI. Des Chrétiens jufqu'à Théodofe. Près la mort de Julien , les Ariens & les Athanafiens dont il avoit réprimé la fureur , recommencerent à troubler tout l'Empire. Les Evêques des deux partis ne furent plus que des Chefs de féditieux. Des Moines fanatiques for tirent des déferts de la Thébaïde pour foufler le feu de la difcorde , ne parlant que de miracles extravagans tels qu'on les trouve dans l'hiftoire des Papas du défert ; inful. ( 153 ) infultant les Empereurs & montrant de loin ce que devoient être un jour des moines. 1 Hy eut un Empereur fage , qui pour éteindre s'il fe pouvoit toutes ces querelles , donna une liberté entiere de confeience , & la prit pour lui - même ; ce fut Valentinien Ier. Dans fon temps toutes les fectes vécurent au moins quelques années dans une paix extérieure , fe bornant à s'anathématifer fans s'égorger ; Payens , Juifs , Athanafiens , Ariens , Macédoniens, Donatiftes , Cyprianiftes , Manichéens , Apollinariftes , tous furent étonnés de leur tranquillité. Valentinien aprit à tous ceux qui font nés pour gouverner, que fi deux fectes déchirent un Etat, trente fectes tolérées laiffent l'Etat en repos. Theodofe ne penfa pas ainfi , & fut fur le point de tout perdre; il fut le premier qui prit parti pour les Athanafiens , & il fit renaître la difcorde par fon intolérance. Il perfécuta les payens & les aliéna. Il fe crut alors obligé de donner lâchement des provinces entieres aux Goths fur la rive droite du Danube , & par cette malheureufe précaution prife contré ces peuples , il prépara la chute de FEmpire Romain. Tome II. སྙ་ L ( 154 ) " Les Evêques à l'imitation de l'Empereur s'abandonnerent à la fureur de la perfécution. Il y avoit un tyran qui a- yant détrône & allalliné un collégue de Théodofe nommé Gratien , s'étoit rendu maître de l'Angleterre , des Gaules & de l'Espagne. Je ne fais quel Prifcillien en Efpagne , ayant dogmatifé comme tant d'autres , & ayant dit que les ames étoient des émanations de Dieu, quelques Evêques Efpagnols qui ne favoient, pas plus que Prifcillien d'où venoient les ames , le déférerent lui & fes principaux Secta teurs au Tyran Maxime, Ce monftre, pour faire fa cour aux Evêques dont il avoit befoin pour fe maintenir dans fon ufurpation , fit condamner à mort Prif cillien & fept de fes partifans. Un Evêque nommé Itace fut affez barbare pour leur faire donner, la queftion en fa préfence, Le peuple toujours fot & tou jours cruel , quand on lâche la bride à fa fuperftition , affomma dans Bordeaux à coups de pierres une femme de qualité qu'on difoit être Prifcillianifte. Ce jugement de Prifcillien eft plus a véré que celui, de tous les martyrs, dont les Chrétiens avoient fait tant de bruit fous les premiers Empereurs. Les malheureux croyoient plaire à Dieu , en fe I ( 155 ) fouillant des crimes dont ils s'étoient plaints. Les Chrétiens depuis ce temps, furent comme des chiens qu'on avoit mis en curée ; ils furent avides de carnages , non pas en défendant l'Empire qu'ils laifferent envahir par vingt nations barbares , mais en perfécutant tantôt les Sectateurs de l'antique Religion Romaine, & tantôt leurs freres qui ne penfoient pas com me eux. Y a-t-il rien de plus horrible & de plus lâche que l'action des prêtres de l'Evêque Cyrille , que les Chrétiens appellent St. Cyrille ? Ily avoit dans Alexandrie une fille célebre par fa beauté & par fon efprit ; fon nom étoit Hypatie: élevée par le Philofophe Théon fon pere , elle occu pa la chaîre qu'avoit eu fon pere, & fut applaudie pour fa fcience autant qu'honorée pour fes mœurs ; mais elle étoit payenne. Les dogues tonfurés de Cyril le , fuivis d'une troupe de fanatiques , l'al lerent faifir dans la chaîre où elle dictoit fes leçons , la traînerent par les cheveux , la lapiderent , & la brûlerent , fans que Cyrille le Saint leur fît la plus légere réprimande , & fans que le dévot Théodo fe fouillé du fang des peuples de Theffalonique , condamnât cet excès d'inhumanité. L 2 ( 156 ) CHAPITRE XXXII. Des Sectes & des malheurs des Chrétiens jufqu'à l'établissement du Mabométifme. L Es difputes , les anathêmes , les per- fécutions ne cefferent d'inonder l'Eglife Chrétienne. Ce n'étoit pas affez d'avoir uni dans Jéfus la nature divine avec la nature humaine. On s'avifa d'agiter la queftion fi Marie étoit mere de Dieu. Ce titre de mere de Dieu parut un blafphême à Neftorius Evêque de Conftantinople. Son fentiment étoit le plus probable : mais comme il avoit été perfécuteur , il trouva des Evêques qui le perféOn le chaffa de fon fiege au Concile d'Epheſe ; mais auffi trente Evêde ce même Concile dépoferent ce St. Cyrille l'ennemi mortel de Neftorius, & tout l'Orient fut partagé. cuterent. ques Ce n'étoit pas affez ; il fallut favoir précisément fi ce Jéfus avoit eu deux natures deux perfonnes , deux ames , deux volontés ; fi quand il faifoit les fonctions animales de l'homme , la partie divine s'en mêloit ou ne s'en mêloit pas. ( 157 ) 1 Toutes ces queftions ne méritoient d'être traitées que par Rabelais ou par notre cher Doyen Swift ou par Punch. Cela fit trois partis dans l'Empire , par le fanatifme d'un Eutichès , miférable moine ennemi de Neftorius & combattu par d'autres moines. On voyoit dans toutes ces difputes , monafteres oppofés à monaſteres , dévotes à dévotes , Eunuques à Eunuques , Conciles à Conciles , & fou. vent Empereurs à Empereurs. > Pendant que les defcendans des Camilles , des Brutus , des Scipions , des Catons , mêles aux Grecs & aux Barbares barbottoient ainfi dans la fange de ta Théologie, & que l'efprit de vertige étoit répandu fur la face de l'Empire Romain, des brigands du Nord qui ne favoient que combattre vinrent démembrer ce grand Coloffe devenu foible & fidicule. . Quand ils eurent vaincu , il fallut gouverner des peuples fanatiques , il falut prendre leur Religion & mener ces bêtes de fomme par les licous qu'elles s'étoient faits elles- mêmes. Les Evêques de chaque fecte tâcherent de féduire leurs vainqueurs ; ainfi les Princes Oftrogots & Viligots & Bourguignons L 3 ( 158 )) 1 fe firent Ariens , les Princes Francs fu rént Athanafiens. L'Empire Romain d'Occident détruit , fut partagé en provinces ruiffelantes de fang, qui continuerent à s'anathématifer avec une fainteté réciproque. Il y eut autant de confufion & une abjection auf fi miférable dans la Religion que dans l'Empire. Les méprifables Empereurs de Conítantinople affecterent de prétendre toujours fur l'Italie & fur les autres Provinces qu'ils n'avoient plus, les droits qu'ils croyoient avoir. Mais au feptieme fiecle , il s'éleva une Religion nouvelle qui ruina bientôt les fectes Chrétiennes dans l'Afie , dans l'Afrique & dans une grande partie de l'Europe. Le Mahométifme étoit fans doute plus fenfé que le Chriftianifme. On n'y ado roit point un Juif en abhorrant les Juifs; on n'y appelloit point une Juive , mere de Dieu; on n'y tomboit point dans le blafphême extravagant de dire que trois Dieux font un Dieu ; enfin on n'y mangeoit pas ce Dieu qu'on adoroit , & on n'alloit pas rendre à la felle fon créateur. Croire un feul Dieu tout - puiffant , étoit le feul dogme; & fi on n'y avoit pas a- " ( 159 ) jouté que Mahomet eft fon prophête , c'eût été une religion auffi pure , auffi belle que celle des lettres Chinois. C'étoit le fimple Théifme , la religion naturelle , & par conféquent la feule véritable. Mais on peut dire que les Mufulmans étoient en quelque forte excufables d'appeller Mahomet l'organe de Dieu puifqu'en effet il avoit enfeigné aux Arabes qu'il n'y a qu'un Dieu. Les Mufulmans par les armes & par la parole firent taire de Chriftianifme jufqu'aux portes de Conftantinople , & les Chrétiens refferrés dans quelques provinces d'Occident continuerent à difputer & à fe déchirer. CHAPITRE P XXXIII. Difcours fommaire des ufurpations Papales. CE E fut un état bien déplorable que celui où l'inondation des barbares réduifit l'Europe. Il n'y eut que le temps de -Théodoric &de Charlemagne qui fut fignalé par quelques bonnes loix ; encore Charlemagne,moitié Franc, moitié Germain , exerça des barbaries dont aucun Souverain n'o- .L 4 ( 160 ) feroit fe fouiller aujourd'hui. Il n'y a que de lâches écrivains de la fecte Ros maine qui puiffent louer ce Prince d'avoir égorgé la moitié des Saxons pour convertir l'autre. Les Evêques de Rome dans la décadence de la famille de Charlemagne , commencerent à tenter de s'attribuer un pouvoir fouverain & de reffembler aux Califes qui réuniffoient les droits du trône & de l'autel. Les divifions des Princes & l'ignorance des peuples favoriferent bientôt leur entreprife. L'Evêque de Rome Grégoire VII. fut celui qui étala ces deffeins audacieux avec le plus d'infolence. Heureufement pour nous , Guil laume de Normandie qui avoit ufurpé notre trône, ne diftinguant plus la gloire de notre nation , de la fienne propre réprima l'infolence de Grégoire VII. & empêcha quelque temps que nous ne payaffions le denier de St. Pierre , que nous avions donné d'abord comme une aumône, & que les Evêques de Rome exigeoient comme un tribut. Tous nos Rois n'eurent pas la même fermeté ; & lorfque les Papes fi peu puiffans par leur petit territoire devinrent les maîtres de l'Europe par les croifades & par les moines , lorfqu'ils eurent dé1 ( 161 ) pofé tant d'Empereurs & de Rois & qu'ils eurent fait de la Religion une arme terrible qui perçoit tous les Souverains , notre Ifle vit le miférable Roi Jean fans terre , fe déclarer à genoux Vaffal du Pape , faire ferment de fidélité aux pieds du Légat Pandolphe, s'obliger lui & fes fucceffeurs à payer aux Evêques de Rome un tribut annuel de mille marcs ; ce qui faifoit prefque le revenu de la Couronne. Comme un de mes ancêtres eut le malheur de figner ce traité , le plus infâme des traités , je dois en parler avec plus d'horreur qu'un autre ; c'eft une amende honorable que je dois à la dignité de la nature humaine avilie. CHAPITRE 1 XXXIV. De l'excès épouvantable des perfecuL ne tions Chrétiennes. pas que les nouveaux Il faut croit ne dogmes inventés chaque jour , ne contribuaffent beaucoup à fortifier les ufurpation des Papes. Le hocus pocus ou la transfubftantiation , dont le nom feul eft ridicule , s'établit peu à peu , après avoir été inconnu aux premiers fiecles du Chrif L 5 ( 162 ) & non feulemee tianifme. On peut fe figurer quelle ve nération s'attiroit un prêtre , un moine qui faifoit un Dieu avec quatre paroles , un Dieu , mais autant de Dieux qu'il vouloit avec quel ref pect voifin de l'adoration , ne devoit on pas regarder celui qui s'étoit rendų le maître abfolu de tous ces faifeurs de Dieux ? Il étoit le Souverain des prêtres , il l'étoit des Rois. Quential Cependant au milieu de cette fange dans laquelle l'efpece humaine étoit plongée en Europe , il s'éleva toujours des hommes qui protefterent contre ces nouveautés ils favoient que dans les premiers fiecles de l'Eglife , on n'avoit jamais prétendu changer du pain en Dieu dans le fouper du Seigneur , que la Cène faite par Jéfus avoit été un agneau cuit avec des laitues , que cela ne reffembloit nullement à la communion de la Meffe , que les premiers Chrétiens avoient eu les images en horreur , que même encore fous Charlemagne , le fameux Concile de Francfort les avoit profcrites. Plufieurs autres articles les révoltoient; ils ofoient même douter quelquefois que le Pape , tout Vice - Dieu qu'il étoit , pût de droit divin dépofer un Roi , ( 163 ) pour avoir époufé fa commere ou fa parente au feptieme dégré ; ils rejettoient' donc fecrettement quelques points de la créance chrétienne , & ils en admettoient. d'autres non moins abfurdes ; femblables aux animaux , qu'on prétendit autrefois être formés du limon du Nil , & qui avoient la vie dans une partie de leurs corps tandis que l'autre n'étoit encore que de la boue. Mais quand ils voulurent parler, comment furent - ils traités ? On avoit dans l'Orient employé dix fiecles de perfécutions , à exterminer les Manichéens , & fous la régence d'une Impératrice Théodora dévote & barbare , on en avoit fait périr plus de cent mille dans les fupplices. Les Occidentaux entendant confufément parler de ces boucheries , s'accoutumerent à nommer Manichéens tous ceux qui combattoient quelques dogmes de l'Eglife Papifte , & à les pourfuivre avec la même barbarie. C'eft ainfi qu'un Robert de France fit brûler à fes yeux le Confeffeur de fa femme & plufieurs Prêtres. Quand les Vaudois & les Albigeois parurent , on les appella Manichéens , pour les rendre plus odieux. Qui ne connoît les cruautés horribles exercées dans les ( 164 ) provinces méridionales de France , contre ces malheureux dont le crime étoit de nier qu'on pût faire Dieu avec des paroles ? Lorsqu'enfuite les difciples de notre, Viclef, de Jean Hus , & enfin ceux de Luther & de Zuingle, voulurent ſecouer le joug Papal, on fait que la plupart des provinces de l'Europe furent bientôt partagées en deux efpeces , l'une de bourreaux & l'autre de fuppliciés. Les Ré formés firent enfuite ce qu'avoient fait les Chrétiens des quatrieme & cinquieme fiecles ; après avoir été perfécutés , ils devinrent perfécuteurs à leur tour. Si on vouloit compter les guerres civiles que les difputes fur le Chriftianifme ont ex- citées on verroit qu'il y en a plus de cent. Notre Grande - Bretagne a été faccagée: les maffacres d'Irlande font comparables à ceux de la St. Barthélémi ; & je ne fais s'il y eut plus d'abominations commifes, plus de fang répandu en France qu'en Irlande. La femme du Sr. Henri Spotvood fœur. de ma bifayeule fut égorgée avec deux de fes filles. Ainfi dans cet examen j'ai toujours à venger le genre humain & moi- même. , Que dirai - je du tribunal de l'Inquifition qui fubfifte encore ? Les facrifices ( 165 ) de fang humain , qu'on reproche aux ap ciennes nations , ont été bien plus rares que ceux dont les Efpagnols & les Portugais fe font fouillés dans leurs actes de foi. Est -il quelqu'un maintenant qui veuille comparer ce long amas de deſtruction & de carnage au martyre de Sainte Potamienne , de Sainte Barbe , de St. Pionius , & de St. Euftache ? Nous avons nagé dans le fang comme des tigres acharnés pendant des fiecles , & nous ofons flétrir les Trajan & les Antonin du nom, de perfécuteurs ! Il m'eft arrivé quelquefois de repréſen ter à des Prêtres l'énormité de toutes ces défolations dont nos ayeux ont été les victimes ; ils me répondoient froidement que c'étoit un bon arbre qui avoit produit de mauvais fruits : je leur difois que c'étoit un blafphême de prétendre qu'un arbre qui avoit porté tant & de fi horribles poifons , a été planté des mains de Dieu même. Mande 82.0 ( 166 ) J CONCLUSION , I Judd of dipano { E conclus que tout homme fenfé , tout homme de bien doit avoir la fecte Chrétienne en horreur. Le grand nom de Theifte qu'on ne révere pas affez , eft le feul nom qu'on doive prendre. Le feul évangile qu'on doive lire, c'eft le grand livre de la nature écrit de la main de Dieu & fcellé de fon cachet. La feule religion qu'on doive profeffer eft celle d'adorer Dieu & d'être honnête bomme. Il eft auffit impoffible que cette religion pure & éternelle produife du mal , qu'il étoit impoffible que le fanatifme Chré tien n'en fit pas. On ne pourra jamais faire dire à la re ligion naturelle je fuis venue apporter non pas la paix, mais le glaive. Au lieu que c'eſt la premiere confeffion de foi qu'on met dans la bouche du Juif qu'on a nommé le Chrift. Les hommes font bien aveugles & bien malheureux de préférer une fecte abfurde, fanguinaire , foutenue par des bourreaux & entourée de buchers , une fecte qui ne peut être approuvée que par ceux ( 167 ) à qui elle donne du pouvoir & des ri cheffes , une fecte particuliere qui n'eft reçue que dans une petite partie du mon, de, à une religion fimple & univerfelle , qui de l'aveu même des Chrifticoles étoit la religion du genre humain du temps de Seth , d'Enoch , de Noé, Si la Religion de leurs premiers Patriarches eft vraie , certes la fecte de Jéfus eft fauffe. Les Souverains fe font foumis à cette fecte , croyant qu'ils en feroient plus chers à leurs peuples, en fe chargeant eux - mêmes du joug que leurs peuples portoient. Ils n'ont pas vu qu'ils faifoient les pre miers , efclaves des prêtres , & ils n'ont pu encore parvenir dans la moitié de l'Eu rope à fe rendre indépendans.c Et quel Roi , je vous prie, quel Ma, giftrat , quel Pere de famille n'aimera pas mieux être le maître chez lui que d'être l'efclave d'un prêtre ? sd zol ansb sniti.it Quoi le nombre innombrable de cito yens moleftés , excommuniés , réduits à la mendicité , égongés, jertés à la voirie , le nombre de Princes détrônés & affaffinés , n'a pas encore ouvert les yeux des hommes & fi on les entr'ouvre , on n'a pas encore renverfé cette idole funefte! sildes silpusid si adat Que mettrons-nous à la place , ditest TLT ( 168 ) - vous? quoi ! un animal féroce a fuccé le fang de mes proches: je vous dis de vous défaire de cette bête , & vous the deman dez ce qu'on mettra à fa place ! vous me le demandez ! vous , cent fois plus odieux que les Pontifes payens , qui fe contentoient tranquillement de leurs cé rémonies & de leurs facrifices , qui ne prétendoient point enchaîner les efprits par des dogmes , qui ne difputerent - jamais aux Magiftrats leur puiffance , qui n'introduifirent point la difcorde chez les hommes. Vous avez le front de de mander ce qu'il faut mettre à la place de vos fables ! Je vous réponds , Dieu , la vérité , la vertu , des loix , des peines & des récompenfes. Prêchez la probité , & non le dogme. Soyez les prêtres de Dieu, & non les prétres d'un homme. " ? Après avoir pefé devant Dieu le Chrif tianifme dans les balances de la vérité , il faut le pefer dans celles de la politique. Telle eft la miférable condition humaine, que le vrai n'eft pas toujours avantageux. Il y auroit du danger & peu de raifon à vouloir faire tout d'un coup du Chriftianifme ce qu'on a fait du Papifme. Je tiens que dans notre Ile on doit laiffer fubfifter la hiérarchie établie par acte de Parlement, en la foumettant toujours à la " légi- ( 169 ) légiflation civile , & en l'empêchant de nuire. Il feroit fans doute à defirer que l'idole fût renverfée , & qu'on offrît à Dieu des hommages plus purs ; mais le peuple n'en eft pas encore digne. Il fuffit pour le préfent que notre Eglife foit contenue dans fes bornes. Plus les laïques feront éclairés , moins les prêtres pourront faire de mal. Tâchons de les éclairer eux-mêmes , de les faire rougir de leurs erreurs , & de les amener peu-à- peu jufqu'à être citoyens. TRADUCTION D'UNE LETTRE De Mylord Bolingbroke à Mylord Cornsburi. NE E foyez point étonné , Mylord , que Grotius & Pafcal aient eu les travers que nous leur reprochons, La vanité, la paffion de fe diftinguer , & furtout celle de dominer fur l'efprit des autres , ont corrompu bien des génies , & obfcurci bien des lumieres. Tome II. M ( 170 ) Vous avez vu chez nous d'excellens confeillers de loi , foutenir les caufes les plus mauvaifes. Nôtre Wiſton , bon géometre & très-favant homme , s'eft rendu très- ridicule par fes fyftêmes. Defcartes étoit certainement un excellent géometre pour fon temps ; cependant quelles fottifes énormes n'a- t- il pas dites en phy fique & en métaphyfique ? A- t-on jamais yu un roman plus extravagant que celui de fon monde? Le Docteur Clarke paffera toujours pour un métaphyficien très-profond , mais cela n'empêche pas que la partie de fon livre qui regarde la religion chrétienne ne foit fiflée de tous les penfeurs.. J'ai lu il y a quelques mois le manuferit du Commentaire de l'Apocalypfe de Newton que m'a prêté fon neveu Conduit. Je vous avoue que fur ce livre je le ferois mettre à Bedlam , fi je ne favois d'ailleurs qu'il eft dans les chofes de fa compétence le plus grand homme qu'on ait jamais eu. J'en dirois bien autant d'Auguftin Evêque d'Hippone , c'eft- à- dire que je le jugerois digne de Bedlam fur quelques-unes de fes contradictions & de fes allégories , mais je ne prétends pas dire que je le regarderois comme un grand homme, ( 171 ) "" وو دو On est tout étonné de lire dans fon fermon fur le 6e. Pfeaume ces belles paro les. "; Il eft clair que le nombre de quatre a rapport au corps humain , à caufe des quatre élémens , des quatre qualités dont il eft compofé, le froid , le ,, chaud, le fee & l'humide. Le nom- ,, bre de quatre a rapport au vieil hom ,, me & au Vieux Teftament , & celui de 3, trois a rapport au nouvel homme & au ,, Nouveau Teftament. Tout fe fait donc , par quatre & par trois qui font fept ; ,, & quand le nombre de fept jours fera "" paffé , le huitieme fera le jour du ju- A ,, gement. "" Les raifons que donne Auguftin pourquoi Dieu dit à l'homme , aux poiffons & aux oifeaux , croiffez & multipliez , & ne le dit pas aux autres animaux , font encore excellentes. Cela fe trouve à la fin des confeffions d'Auguftin, &je vous exhorte à les lire.. Pafcal étoit affez éloquent , & il étoit fur-tout un bon plaifant. Il eft à croire qu'il feroit devenu même un profond géometre ; ce qui ne s'accorde gueres avec la raillerie & le comique qui régnent dans fes Lettres provinciales ; mais fa mauvaiſe fanté le rendit bientôt incapable de faire des études fuivies. Il étoit M 2 ( 172 ) 1 extrêmement ignorant fur l'hiftoire des premiers fiecles de l'Eglife , ainfi que fur prefque toute autre hiftoire. Quelques Janféniftes mêmes m'avouerent lorfque j'étois à Paris qu'il n'avoit jamais lu I'Ancien Teftament tout entier ; & je crois qu'en effet peu d'hommes ont fait cette lecture , excepté ceux qui ont eu la manie de le commenter. Pafcal n'avoit lu aucun des livres des Jéfuites dont il fe moque dans fes lettres. C'étoient des manoeuvres littéraires de Port- Royal qui lui fourniffoient les paffages qu'il tournoit fi bien en ridicule. Ses penfées font d'un enthouſiaſte , & non d'un philofophe. Si le livre qu'il méditoit eût été compofé avec de pareils matériaux , il n'eût été qu'un édifice monftrueux bâti fur du fable mouvant. Mais il étoit lui - même incapable d'élever ce bâtiment , non feulement à caufe de fon peu de fcience , mais parce que fon cerveau fe dérangea fur les dernieres années de fa vie qui fut courte. C'eft une chofe bien finguliere que Pafcal & Abbadie , les deux défenfeurs de la religion Chrétienne que l'on cite le plus , foient tous deux morts fous. Pafcal , comme vous favez , croyoit toujours voir un précipice à côté de fa chaife ; & Ab.. ( 173 ) badie couroit les rues de Dublin avec tous les petits gueux de fon quartier. C'eſt une des raifons qui ont engagé nôtre pauvre Doyen Swift à faire une fondation pour les fous. res. A l'égard de Grotius , il s'en faut beaucoup qu'il eût le génie de Paſcal , mais il étoit favant , j'entends favant de cette pédanterie qui entaffe beaucoup de faits , & qui poffede quelques langues étrangeSon Traité de la vérité de la religion Chrétienne eft fuperficiel , fec , aride , & auffi pauvre en raifonnemens qu'en éloquence , fuppofant toujours ce qui eft en queftion , & ne le prouvant jamais. Il pouffe même quelquefois la foibleffe du raifonnement jufqu'au plus grand ridicule. Connoiffez-vous , Mylord , rien de plus impertinent que les preuves qu'il donne du jugement dernier au chap. 22 de fon Ier, livre ? Il prétend que l'embrafement de l'univers eft annoncé dans Hiſtape & dans les Sibylles . Il fortifie ce beau té moignage des noms de deux grands philofophes , Ovide & Lucain. Enfin , il pouffe l'extravagance jufqu'à citer des aftronomes qu'il appelle aftrologues , lefquels , dit-il , ont remarqué que le Soleil s'approche infenfiblement de la Terre ? TAYLOR M 3 OXFORD ( 174 ) ce qui eft un acheminement à la deftruction univerfelle. Certainement ces aftrologues avoient très-mal remarqué , & Grotius les citoit bien mal à propos. Il s'avife de dire au chap. 14. du Ir. livre , qu'une des grandes preuves de la vérité & de l'antiquité de la religion des Juifs étoit la circoncifion. C'eft une opération , dit- il , fi douloureufe , & qui les rendoit fi ridicules aux yeux des étrangers , qu'ils n'en auroient pas fait le fymbole de leur religion s'ils n'avoient pas fu que Dieu l'avoit expreffément ordonnée. Il eſt pourtant vrai que les Ifmaëlites & les autres Arabes , les Egyptiens , les Ethiopiens , avoient pratiqué la circoncifion longtemps avant les Juifs , & qu'ils ne pouvoient fe moquer d'une coutume que ces Juifs avoient priſe d'eux. Il s'imagine démontrer la vérité de la fecte Juive en faifant une longue énumération des peuples qui croyoient l'exiſtence des ames & leur immortalité. Il ne voit pas que c'eft cela même qui démontre invinciblement la groffiéreté ftupide des Juifs , puifque dans leur Pentateuque non-feulement l'immortalité de l'ame eft inconnue , mais le mot hébreu qui peut répondre au mot ame ne fignifie jamais que la vie animale, ( 175 ) C'est avec le même difcernement que Grotius au ch. 16. liv. Ir. pour rendre l'hiftoire de Jonas vraisemblable cite un mauvais poëte Grec Licophron , felon lequel Hercule demeura trois jours dans le ventre d'une baleine. Mais Hercule fut bien plus habile que Jonas , car il trouva le fecret de griller le foye du poiffon , & de faire bonne chere dans fa prifon. On ne nous dit pas où il trouva un gril & des charbons ; mais c'eft en cela que confifte le prodige ; & il faut avouer que rien n'eft plus divin que ces deux avantures du prophête Jonas & du prophète Hercule. Je m'étonne que ce favant Batave ne fe foit pas fervi de l'exemple de ce même Hercule qui paffa le détroit de Calpé & d'Abila dans fa taffe , pour nous prouver le paffage de la mer rouge à pied fec car affurément il eft auffi beau de naviger dans un gobelet que de paffer la mer fans vaiffeau. En un mot ? je ne connois de gueres livre plus méprifable que ce Traité de la religion Chrétienne de Grotius. Il me paroît de la force de fes harangues au Roi Louis XIII, & à la Reine Anne fa femme. Il dit à cette Reine lorfqu'elle fut groffe qu'elle reffembloit à la juive AnM 4 ( 176 ) ne qui eut des enfans dans fa vieilleffe. Que les Dauphins en faifant des gambades fur l'eau annonçoient la fin des tempêtes, & que le petit Dauphin dont elle étoit groffe , en remuant dans fon ventre annonçoit la fin des troubles du Royaume. A la naiffance du Dauphin il dit à Louis XIII. La conftellation du Dau phin eft du préfage le plus heureux chez les aftrologues. Il a autour de lui l'aigle, Pégafe , la flèche , le verfeur d'eau & le cygne. L'aigle défigne clairement que le Dauphin fera un aigle en affaires , Pégafe montre qu'il aura une belle cavalerie , la flèche fignifie fon infanterie. On voit par le cygne qu'il fera célébré par les poëtes, les hiftoriens & les orateurs ; & les neuf étoiles qui compofent le figne duDauphin marquent évidemment les neuf mufes qu'il cultivera. Ce Grotius fit une tragédie de Jofeph qui eft toute entiere dans ce grand goût, & une autre tragédie de Sophonphanée, dont le ftyle eft digne du fujet. Voilà quel étoit cet apôtre prétendu de la religion Chrétienne ; voilà les hommes qu'on nous donne pour des oracles. Je crois d'ailleurs l'auteur auffi mauvais politique que mauvais raifonneur. ( 177 ) Vous favez qu'il avoit la chimere de vouloir réunir toutes les fectes des Chrétiens. Il m'importe fort peu que dans le fond il ait été Socinien , comme tant de gens le lui ont reproché ; je ne me foucie point de favoir s'il a cru Jéfus éternellement engendré , ou éternellement fait ou fait dans le temps , ou engendré dans le temps , ou confubftantiel , ou non confubftantiel ; ce font des chofes qu'il faut renvoyer avec Mylord Pierre à l'auteur du Conte du Tonneau; & qu'un efprit de vôtre trempe n'examinera jamais férieuſement. Vous êtes né, Mylord , pour des chofes plus utiles , pour fervir vôtre patrie , & pour méprifer ces rèveries fcolaftiques &c. M 5 ( 178 ) DIALOGUE DU DOUTEUR ET DE L'ADORATEUR, Par Mr. l'Abbé de Tilladet. C LE DOUTEUR. Omment me prouverez - vous l'exiftence de Dieu? L'ADORATEUR. Comme on prouve l'existence du Soleil, en ouvrant les yeux. LE DOUTEUR " . Vous croyez donc aux caufes finales ? L'ADORATEUR. Je crois une caufe admirable quand je vois des effets admirables. Dieu me garde de reffembler à ce fou qui difoit qu'une horloge ne prouve point un horlo- ( 179 ) ger , qu'une maifon ne prouve point un architecte , & qu'on ne pouvoit démontrer l'exiſtence de Dieu que par une for mule d'algèbre ; encore étoit- elle erronée. LE DOUTEUR. Quelle eft votre religion ? L'ADORATEUR. C'eft non - feulement celle de Socrate qui fe moquoit des fables des Grecs mais celle de Jéfus qui confondoit les Pharifiens. LE DOUTE U R. Si vous êtes de la religion de Jéfus pourquoi n'êtes - vous pas de celle des Jéfuites , qui poffedent trois cens licues de pays en long & en large au Paraguai ? Pourquoi ne croyez - vous pas aux Prémontrés , aux Bénédictins à qui Jéfus a donné tant de riches Abbayes ? L'ADORA TEU R. Jéfus n'a inftitué ni les Bénédictins ni les Prémontrés , ni les Jéfuites. LE DOUTEUR. Penfez - vous qu'on puiffe fervir Dieu ( 180 ) en mangeant du mouton le vendredi , en n'allant point à la meſſe? L'ADORATEUR. & Je le crois fermement , attendu que Jéfus n'a jamais dit la meffe & qu'il mangeoit gras le vendredi & même le famedi. LE DOUTE U R. Vous penfez donc qu'on a corrompu la religion fimple & naturelle de Jéfus , qui étoit apparemment celle de tous les fages de l'antiquité ? L'ADORA TE U R. Il fal- Rien ne paroît plus évident. loit bien qu'au fond il fût un fage , puifqu'il déclamoit contre les prêtres impofteurs , & contre les fuperftitions ; mais on lui impute des chofes qu'un fage n'a pu ni faire , ni dire. Un fage ne peut chercher des figues au commencement de mars fur un figuier & le maudire parce qu'il n'a point de figues. Un fage ne peut changer l'eau en vin en faveur de gens déja yvres. Un fage ne peut envoyer des diables dans le corps de deux mille cochons , dans un pays où il n'y a point de cochons. Un fage ne fe transfigure point pendant la nuit pour avoir ( 181 ) un habit blanc. Un lage fage n'eft n'eſt pas tranfporté par le Diable. Un fage quand il dit que Dieu eft fon pere , entend fans doute que Dieu eft le pere de tous les hommes. Le fens dans lequel on a voulu l'entendre eft impie & blafphématoire. Il paroît que les paroles & les actions de ce fage ont été très-mal recueillies , que parmi plufieurs hiftoires de fa vie. écrites quatre - vingt - dix ans après lui , on a choifi les plus improbables , parce qu'on les crut les plus importantes pour des fots. Chaque écrivain fe piquoit de rendre cette hiftoire merveilleufe , chaque petite fociété chrétienne avoit fon Evangile particulier. C'eft la raifon démonftrative pour laquelle ces évangiles ne s'accordent prefque en rien. Si vous croyez à un évangile, vous êtes obligé de renoncer à tous les autres. Voilà une plaifante marque de vérité qu'une contradiction perpétuelle ; voilà une plaifante fageffe que des folies qui fe combattent. Il eft donc démontré que des fanatiques ont féduit d'abord des hommes fimples , qui en ont enfuite féduit d'autres. Les derniers ont encore enchéri fur les premiers. L'hiftoire véritable de Jéfus n'étoit probablement que celle d'un homme jufte qui avoit repris les vices des ( 182 ) Pharifiens & que les Pharifiens firent mourir. On en fit enfuite un prophête , & au bout de trois cens ans on en fit un Dieu ; voilà la marche de l'efprit humain. } Il est reconnu par les fanatiques même. les plus entêtés , que les premiers chrétiens employerent les fraudes les plus honteufes pour foutenir leur fecte naiffante. Tout le monde avoue qu'ils for gerent de fauffes prédictions , de fauffes hiftoires , de faux miracles. Le fanatifme s'étendit de tous côtés ; & enfin dès qu'il a été dominant , il n'a foutenu que par des bourreaux ce qu'il avoit établi par l'impofture & par la démence. Chaque fiecle a tellement corrompu la religion de Jéfus que celle des Chrétiens lui eft toute contraire. · Si on a fait dire à Jéfus que fon Royaume n'eft pas de ce monde , ceux qui préténdent être les fucceffeurs de fes premiers difciples ont été autant qu'ils l'ont pu les tyrans du monde , & ont marché fur la tête des Rois. Si Jéfus a vécu pauvre , fes étranges fucceffeurs ont ravi nos biens & le prix de nos fueurs. Confidérez les fêtes que Jéfus obferva , elles étoient toutes Juives & nous faifons brûler ceux qui célebrent des fêtes ( 183 ) Juives. Jéfus a- t-il dit qu'il y avoit en lui deux natures ? non ; & nous lui donnons deux natures. Jéfus a - t- il dit que Marie étoit mere de Dieu? non; & nous la faifons mere de Dieu. Jéfus a-t-il dit qu'il étoit trin & confubftantiel? non; & nous l'avons fait confubftantiel & trin. Montrez - moi un feul rit que vous ayez obfervé précisément comme lui ; dites-moi un feul de vos dogmes qui foit précisément le fien , je vous en défie. LE DOUTEUR.

Mais , Monfieur, en parlant ainſi vous n'êtes pas Chrétien ? L'ADORATEUR. Je fuis Chrétien comme l'étoit Jéfus 2. dont on a changé la doctrine céleſte en doctrine infernale. S'il s'eft contenté d'être jufte , on en a fait un infenfé , qui couroit les champs dans une petite province Juive , en comparant les cieux au grain de moutarde. LE DOUTEUR. Que penfez- vous de Paul meurtrier d'Etienne , perfécuteur des premiers Galiéens , depuis Galiléen lui- même & perfécuté? Pourquoi rompit - il avec Gama- ( 184 ) liel fon maître ? eft- ce , comme le difent quelques Juifs , parceque Gamaliel lui refufa fa fille en mariage? parce qu'il avoit les jambes torfes , la tête chauve & les fourcils joints , ainfi qu'il eft rapporté dans les actes de Sainte Técle fa favorite? A-t-il écrit enfin les Epitres qu'on a mifes fon fous nom ? L'ADORATEUR. Il eſt affez reconnu que Paul n'eft point l'auteur de l'Epitre aux Hébreux , dans laquelle il eft dit : (a ) Jéfus eft autant élevé au deffus des Anges que le nom qu'il a reçu eft plus excellent que le leur. Et dans un autre endroit , (b) il eft dit que Dieu l'a rendu pour quelque temps inférieur aux Anges. Et dans fes autres Epitres , il parle prefque toujours de Jéfus comme d'un fimple homme chéri de Dien , élevé en gloire. Tantôt il dit que les femmes peuvent prier , parler, prêcher , prophétifer , (c) pourvû qu'elles ayant la tête couverte , car une femme fans voile déshonore fa tête. (a) Chap. I. vs. 4. (b) Chap. 2. vs. 9. (c) le. aux Corinth. ch. II. vs. 5. Tan- ( 185 ) Tantôt il dit que les femmes ne doi vent point parler dans l'Eglife. (d) Il fe brouille avec Pierre parce que Pierre ne judaïfe pas avec les étrangers , & qu'enfuite Pierre ne judaïfe avec les Juifs. (e) Mais ce même Paul va judaïfer lui- même pendant huit jours dans le temple de Jérufalem , & y amene des étrangers pour faire croire aux Juifs qu'il n'eft pas Chrétien. Il eft accufé d'avoir fouillé le temple , le grand - Prêtre lui donne un fouflet ; il eft traduit devant le Tribun Romain. Que fait- il pour fe tirer d'affaire ? il fait deux menfonges impudens au Tribun & au Sanhedrin ; il leur dit , Je fuis Pharifien , & fils de Pharifien , quand il étoit Chrétien ; il leur dit , on me perfécute parce que je crois à la réfurrection des morts. Il n'en avoit point été queftion ; & par ce menfonge trop aifé pourtant à reconnoître , il prétendoit commettre enfemble & divifer les juges du Sanhedrin dont la moitié croyoit la réfurrection & l'autre ne la croyoit pas. > Voilà , je vous avoue , un fingulier Apôtre ; c'eft pourtant le même homme (d) Même Epitre ch. 14. vs. 36. (e) Actes des Apôtres ch. 21 . Tome II. N ( 186 ) qui ofe dire qu'il a été ravi au troisieme ciel, & qu'il y a entendu des paroles qu'il n'eft pas permis de rapporter. (f) Le voyage d'Aftolphe dans la Lune eft plus vraisemblable , puifque le chemin eft plus court. Mais pourquoi veut - il faire accroire aux imbécilles auxquels il écrit qu'il a été ravi au troifieme ciel? C'eft pour établir fon autorité parmi eux , c'eſt pour fatisfaire fon ambition d'être chef de parti , c'eft pour donner du poids à ces paroles infolentes & tyranniques : (g) Si je viens encore une fois vers vous , je ne pardonnerai ni à ceux qui auront péché ni à tous les autres. Il eſt aifé de voir dans le galimathias de Paul qu'il conferve toujours fon premier efprit perfécuteur ; efprit affreux qui n'a fait que trop de profélites. Je fais qu'il ne commandoit qu'à des gueux; mais c'eſt la paffion des hommes de vouloir s'élever au deffus de fes femblables , & de vouloir les opprimer. C'eft la paffion des tyrans. Quoi Paul Juif, faifeur de tentes , tu ofes écrire à des Corinthiens que tu puniras ceux - même qui n'ont pas péché ! Néron , Attila , le Pape Alexan- > (f) Ile. aux Corinth. ch. 13. (g) Idem. ( 187 ) dre VI. ont- ils jamais proféré de fi' abo minables paroles ? Si Paul écrivit ainſi , il méritoit un châtiment exemplaire. Si des fauffaires ont forgé ces Epitres , ils en méritoient un plus grand. Hélas ! c'eft ainfi que la plupart des fectes populaires commencent. Un impof teur harangue la lie du peuple dans un grenier, & les impofteurs qui lui fucce dent habitent bientôt des palais. LE DOUTE Ù R. Vous n'avez que trop raifon ; mais après m'avoir dit ce que vous penfez de ce fanatique , moitié Juif moitić Chrétien , nommé Paul , que penfez - vous des anciens Juifs ? L'ADORA TE U R. Ce que les gens fenfés de toutes les nations en penfent , & ce que les Juifs raifonnables en penfent eux- mêmes. LE DOUTE U R. Vous ne croyez donc pas que le Dieu de toute la nature ait abandonné & profcrit le refte des hommes pour fe faire. Roi d'une miférable petite nation ? Vous ne croyez pas qu'un terpent ait parlé à une femme? que Dieu ait planté un arN 2 ( 188 ) 1 bre dont les fruits donnoient la connoiffance du bien & du mal? que Dieu ait défendu à l'homme & à la femme de manger de ce fruit , lui qui devoit plutôt leur en préfenter , pour leur faire connoître ce bien & ce mal , connoiffance abfolument néceffaire à l'efpece humaine? Vous ne croyez pas qu'il ait conduit fon peuple chéri dans des déferts , & qu'il ait été obligé de leur conferver pendant quarante ans leurs vieilles fandales & leurs vieilles robes ? Vous ne croyez pas qu'il ait fait des miracles égalés par les miracles des mages de Pharaon pour faire paffer la mer à pied fec à fes enfans chéris en larrons & en lâches, & pour les tirer miférablement de l'Egypte, au lieu de leur donner cette fertile Egypte? Vous ne croyez pas qu'il ait ordonné à fon peuple de maffacrer tout ce qu'il rencontreroit , afin de rendre ce peuple prefque toujours efclave des nations ? Vous ne croyez pas que l'âneffe de Balaam ait parlé? Vous ne croyez pas que Samfon ait attaché enfemble trois cens renards par la queue ? Vous ne croyez pas que les habitans de Sodome ayent voulu violer deux Anges? Vous ne croyez pas........ ? ( 189 ) L'ADORATEUR. Non fans doute je ne crois pas ces horreurs impertinentes , l'opprobre de l'efprit humain. Je crois que les Juifs avoient des fables , ainfi que toutes les autres nations , mais des fables beaucoup plus fottes , plus abfurdes , parce qu'ils étoient les plus groffiers des Afiatiques, comme les Thébains étoient les plus grof- fiers des Grecs. LE DOUTEUR. J'avoue que la religion Juive étoit abfurde & abominable. Mais enfin ce Jéfus que vous aimez , étoit Juif, il accomplit toujours la loi Juive , il en obferva toutes les cérémonies. L'ADORA TE UR. C'eſt encore une fois une grande contradiction , qu'il ait été Juif & que fes difciples ne le foient pas. Je n'adopte de lui que fa morale quand elle ne fe contredit point. Je ne peux fouffrir qu'on lui faffe dire ; je ne fuis pas venu apporter la paix , mais le glaive : ces paroles font affreufes. Un homme fage encore un coup n'a pu dire que le Royaume des Cieux eft femblable à un grain de mouN 3 ( 190 ) tarde, à des noces , à de l'argent qu'on fait valoir par l'ufure ; ces paroles font ridicules. J'adopte cette fentence , Aimez Dieu & votre prochain , c'eft la loi éternelle de tous les hommes c'eft la mienne ; c'eft ainfi que je fuis ami de Jéfus ; c'eft ainfi que je fuis Chrétien. S'il a été un adorateur de Dieu ennemi des mauvais prêtres , perfécuté par des fripons , je m'unis à lui , je fuis fon frere, LE DOUTE U R. Y Il n'y a jamais eu de religion qui n'en ait dit autant que Jéfus , qui n'ait recom mandé la vertu comme Jéfus. LADORA TEU R. Eh bien donc je fuis de la religion de tous les hommes , de celle de Socrate , de Platon , d'Ariftide , de Cicéron , de Caton , de Titus , de Trajan, d'Antonin , de Marc Aurele , d'Epictete , de Jéfus. f Je dirai avec Epictete : (a) C'eft Dieu qui m'a créé , Dieu eft au dedans de moi , je le porte partout , pourquoi le fouillerai - je par des penfees obfcenes , par des actions baf fes , par d'infames defirs ? (b) Je réunis (a) Nombre 18. (b) 25. ( 191 ) en moi des qualités dont chacune m'impofe un devoir; homme , citoyen du monde , enfant de Dieu , frere de tous les hommes; fils , mari , pere , tous ces noms me difent , n'en déshonore aucun. (c) Mon devoir eft de louer Dieu de tout de le remercier de tout , de ne ceffer de le bénir qu'en ceffant de vivre. Cent maximes de cette efpece valent bien le Sermon de la montagne , & cette belle maxime , Bienheureux les pauvres d'efprit. Enfin j'adorerai Dieu , & non les fourberies des hommes. Je fervirai Dieu , & non un Concile de Calcédoine ou un Concile in trullo. Je déteſterai l'infâme fuperftition ; & je ferai fincérement attaché à la vraie religion jufqu'au dernier foupir de ma vie. (c) 64. N 4 ( 192 ) LES DERNIERES PAROLES D'EPICTETE A SON FILS. JT EPICTE TE, E vais mourir ; j'attends de vous un fouvenir tendre & non des larmes inutiles ; je meurs content , puifque je vous laiffe vertueux. LE FIL- S. Vous m'avez enfeigné à l'être. Mais vous favez quel trouble m'agite. Une nouvelle fecte de la Paleſtine cherche à me donner des remords. EPICTE T E. Des remords ! il n'appartient qu'aux fcélérats d'en éprouver. Vos mains & votre amefont pures. Je vous ai enſeigné la vertu , & vous l'avez pratiquée. ( 193 ) LE FIL S. Oui. Mais cette nouvelle fecte annonce une nouvelle vertu que je ne connoif- fois pas. EPICTET E. Quelle eft donc cette ſecte ? LE FIL S. Elle eſt compofée de ces Juifs qui vendent des haillons & des philtres , & qui rognent les efpeces à Rome. EPICTET E. La vertu qu'ils enſeignent eft apparem ment de la fauffe monnoye.. LE FIL S. Ils difent qu'il eft impoffible d'être vertueux fans s'être fait couper un peu de prépuce , ou fans s'être plongé dans l'eau au nom du pere par le fils ; il eft vrai qu'ils ne font pas d'accord en cela ; les uns veulent du prépuce , les autres n'en veulent point. Ceux-ci croyent l'eau néceffaire comme Pindare qui la dit merveilleufe; ceux -là s'en paffent ; mais tous difent qu'il leur faut donner de l'ar gent. N 5 ( 194 ) EPICTE T´E. Comment de l'argent ? Sans doute on doit fecourir de fon fuperflu les pauvres qui ne peuvent travailler , payer ceux qui peuvent gagner leur vie , & partager fon néceffaire avec fes amis. C'eſt notre loi , c'eſt notre morale. C'eſt ce que j'ai fait depuis qu'Epaphrodite m'affran chit , & c'eft ce que je vous ai vu faire avec une fatisfaction qui rend mes der niers momens heureux. LE FIL S. Les philofophes dont je vous parle exigent bien autre chofe. Ils veulent qu'on apporte à leurs pieds tout ce qu'on à juſ qu'à la derniere obole. EPICTET E. S'il eft ainfi , ce font des voleurs , & vous êtes obligé de les déférer au préteur ou aux centumvirs. LE FIL S. Oh , non, ce ne font point des voleurs , ce font des marchands qui vous donnent la meilleure denrée du monde

  • pour votre argent ; car il vous promettent la vie éternelle ; & fi en mettant vo-

( 195 ) tre argent à leurs pieds comme ils l'ordonnent , vous gardez feulement de quoi. manger , ils ont le pouvoir de vous faire mourir fubitement. EPICT ÉT E. Ce font donc des affaffins , dont il faut au plutôt purger la fociété. K LE FIL S. diNon, vous dis -je , ce font des mages qui ont des fecrets admirables & qui tuent avec des paroles. Le pere , fent-ils , leur a fait cette grace par le fils. Un de leurs profélites qui put horriblement , mais qui prêche dans des greniers avec beaucoup de fuccès , me difoit hier qu'un de leurs parens nommé Ananiah ayant vendu fa métairie pour plaire au fils au nom du pere , porta tout l'argent aux pieds d'un mage nommé Barjone , mais qu'ayant gardé en fecret de quoi acheter le néceffaire pour fon petit enfant , il fut puni de mort fur le champ. Sa femme vint enfuite, Barjone la fit mourir de même en prononçant une feule parole, EPICT ET E. Mon fils , voilà d'abominables gens. Si la chofe étoit vraye, ils feroient les plus ( 196 ) infâmes criminels de la terre. On vous a conté des hiftoires ridicules ; vous êtes un bon enfant , mais j'ai peur que vous ne foyez un imbécille , & cela me fâche. LE FIL S. Mais , mon pere , fi on gagne la vie éternelle en donnant tout fon bien à Si+ mon Barjone, il eft clair qu'on fait un bon marché. EPICTETE. Mon fils , la vie éternelle , la commu nication avec l'Etre Suprême n'a rien de commun , croyez - moi , avec votre Simon Barjone. Le Dieu très- bon & trèsgrand, Deus optimus , maximus , qui anima les Catons , les Scipions , les Cicé rons , les Paul Emile , les Camilles , le pere des Dieux & des hommes , n'a pas fans doute remis fon pouvoir entre les mains d'un Juif. Je favois que ces miférables étoient au rang des plus fuperfti tieux peuples de la Syrie ; mais je ne favois pas qu'ils ofaffent porter leur démence jufqu'à fe dire les premiers miniſtres de Dieu, . T LE FILS. Mais, mon pere , ils font continuelle- ( 197 ) ment des miracles. (ici le bon homme Epictete ricanne). Vous ricannez , mon pe re. Vous levez les épaules. EPICTET E. Hélas ! un mourant n'a gueres envie de rire , mais tu m'y forces , mon pauvre enfant. As-tu vu des miracles ? LE FIL S. Non. Mais j'ai parlé à des hommes qui avoient parlé à des femmes qui difoient que leurs commeres en avoient vu. Et puis la belle morale que la morale des Juifs , qui font fans prépuce & qu'on lave depuis les pieds jufqu'à la tête ! EPICTET E. Et quels font donc les préceptes moraux de ces gens- là ? LE FIL S. C'eſt premiérement qu'un homme riche ne peut être un homine de bien , & qu'il lui eft plus difficile de gagner le royaume des cieux , ou le jardin , qu'à un chameau de paffer par le trou d'une aiguille ; moyennantquoi tous les riches doivent donner leurs biens aux gueux qui prêchent ce royaume & ce jardin . ( 198 ) 20. Qu'il n'y a d'heureux que les fots , les pauvres d'efprit. 30. Que quiconque n'écoute pas l'affemblée des gueux doit être détefté comme un receveur des impôts. pas 4°. Que fi on ne hait fon pere, fa mere & fes freres , on n'a point de part au royaume ou au jardin. 5°. Qu'il faut apporter le glaive & non la paix. 60. Que quand on fait un feftin de nocés , il faut forcer tous les paffans à ve nir aux noces , & jetter dans un cu de baſſe - foſſe extérieure ceux qui n'auront pas la robe nuptiale. ЕРІСТЕТ Ё. Hélas ! mon fot enfant , j'étois tout à l'heure fur le point de mourir de rire , & je fens à préfent que tu me feras mourir d'indignation & de douleur. Si les malheureux dont tu me parles féduifent le fils d'Epictete , ils en féduiront bien d'autres. Je prévois des malheurs épouvantables fur la terre. Ces énergumenes fontils nombreux ? LE FIL S. Leur nombre augmente de jour en jour ; ils ont une caiffe commune dont ils ( 199 ) payent quelques Grecs qui écrivent pour eux. Ils ont inventé des myfteres ; ils exigent un fecret inviolable ; ils ont inftitué des infpirés qui décident de tous leurs intérêts & qui ne fouffrent pas que les gens de la fecte plaident jamais devant les Magiftrats. EPICTE TE. Imperium in imperio. Mon fils , tout eft perdu. IDÉES DE LA MOTHE LE VATER. 1º. I hommes étoient raiſonna-> S'bles ,ils auroient une religion capable de faire du bien , & incapable de faire du mal. 20. Quelle eft la religion dangereufe? n'eft- ce pas évidemment celle qui établif fant des dogmes incompréhenfibles donne néceffairement aux hommes l'envie d'expliquer ces dogmes chacun à fa maniere , excite néceffairement les difputes , les haines , les guerres civiles ? ( 200 ) 3°. N'eft- ce pas celle qui fe difant indépendante des Souverains & des Magi ftrats , eft néceffairement aux prifes avec les Magiftrats & les Souverains ? 40. N'eft-ce pas celle qui fe choififfant un Chef hors de l'Etat , eft néceffairement dans une guerre publique ou fecrette avec l'Etat ? 5°. N'eft - ce pas celle qui ayant fait couler le fang humain pendant plufieurs fiecles, peut le faire couler encore? 60. N'eft- ce pas celle qui ayant été enrichie par l'imbécillité des peuples , eft néceffairement portée à conferver fes richeffes , par la force fi elle peut, & par la fraude fi la force lui manque ? 7°. Quelle eft la religion qui peut faire du bien fans pouvoir faire du mal? n'eftce pas l'adoration de l'Etre Suprême fans ancun dogme métaphyfique ? celle qui feroit à la portée de tous les hommes, celle qui dégagée de toute fuperftition , éloignée de toute impofture , fe contenteroit de rendre à Dieu des actions de gra ces folemnelles fans prétendre entrer dans les fecrets de Dieu. 80. Ne feroit- ce pas celle qui diroit , foyons juftes ; fans dire , hajffons , pour- fuivons d'honnêtes gens qui ne croyent pas que Dieu eft du pain , que Dieu eft du ( 201 ) e cette da vin , que Dieu a deux natures & deux volontés que Dieu eft trois , que fes myfteres font fept , que fes ordres font dix, qu'il eft né d'une femme, femme eft pucelle , qu'il a été pendu , qu'il détefte le genre humain au point de brûler à jamais toutes les générations , excepte les moines & ceux qui croyent aux moines? 90. Ne feroit-ce pas celle qui diroit ; Dieu étant jufte , il récompenfera l'homme. de bien & il punira le méchant , qui s'en tiendroit à cette croyance raifonnable & utile , & qui ne prêcheroit jamais que la morale? 100. Quand on a le malheur de trouver dans un Etat une religion qui a toujours combattu contre l'Etat en s'incorporant à lui , qui eft fondée fur un amas de fuper ftitions accumulé de fiecle en fiecle , qui a 'pour foldats des fanatiques diftingués en plufieurs régimens noirs blancs gris ou minimes , cent fois mieux payés que les foldats qui verfent leur fang pour la patrie; quand une religion a fouvent infulté le trône au nom de Dieu , a dé pouillé les citoyens de leurs biens au nom de Dieu , a intimidé les fages , & perverti les foibles , que faut - il faire? 110. Ne faut-il pas alors en ufer avec Tome II. O ( 202.) ( elle comme un médecin habile traite une maladie chronique ? il ne prétend pas la guérir d'abord, il rifqueroit de jetter fon malade dans une crife mortelle. Il attaque le mal par dégrésil diminue les fymptômes. Le malade ne recouvre pas une fanté parfaite , mais il vit dans un état tolérable à l'aide d'un régime fage. C'eſt ainfi que la maladie de la fuperftition eft traitée aujourd'hui en Angleterre & dans tout le Nord par de très - grands Princes , par leurs miniftres & par les premiers de la nation. 129. Il feroit auffi utile qu'aifé d'abor lir toutes les taxes honteufes qu'on paye à l'Evêque de Rome fous différens noms , & qui ne font en effet qu'une fimonie dé, guifée. Ce feroit à la fois conſerver l'ar gent qui fort du Royaume , brifer une chaîne ignominieufe , & affermir l'autorité du Gouvernement, Rien ne feroit plus avantageux & plus facile que de diminuer le nombre inutile & dangereux des couvens & d'appliquer à la récompenfe des fervices le revenu de l'oifiveté. Les Confreres, les Pénitens blancs ou noirs, les fauffes reliques qui font innombrables , peuvent être profcrites avec le temps fans le moindre danger. ( 203 ) A mefure qu'une nation devient plus éclairée , on lui ôte les alimens de fon ancienne fottife. Une Ville qui auroit pris les armes autrefois pour les reliques de St. Pancrace , rira demain de cet objet de fon culte. On gouverne les hommes par l'opinion régnante , & Popinion change quand la lumiere s'étend. Plus la police fe perfectionne , moins on a befoin de pratiques religieufes. Plus les fuperftitions font méprifées , plus la véritable religion s'établit dans tous les efprits. Moins on refpecte des inventions hu maines , & plus Dieu eft adoré. ( 204 ) J ABRÉGÉ De la vie du Sieur MESLIER. EAN MESLIER, Curé d'Etrépigny & de But en Champagne , natif du Village de Ma zarin (a) dépendant du Duché de ce nom , étoit fils d'un ouvrier en foie. Quoiqu'élevé à la Campagne , il avoit néonmoins fait fes Etudes , & il étoit parvenu à la Prêtrife fans vocation. Lorsqu'il étoit au Séminaire , où il vécut avec beaucoup de régularité, il s'attacha au Systéme de Descartes. Irréprébenfible dans fes mœurs, il faifoit fou vent l'aumône , & il étoit très-fobre tant fur le boire & le manger que fur les femmes. Meffieurs Voiry & Lavaux , Pun Curé de Va &l'autre de Bouzicourt (b) étoient fes confreres , & les feuls qu'il fréquentoit. Rigide partifan de la justice , il pouffoit quel quefois trop loin le zéle qu'il avoit pour elle. En voici une preuve ; le Sieur de Thouilly, Seigneur de fon Village ayant maltraité quelques Payfans , il ne voulut plus le recommander au Prone. M. de Mailly Archevêque de Rheims devant qui la conteftation fut portée , l'y con damna ; mais le Dimanche qui fuivit cette con- (a) Dans d'autres manufcrits on trouve Mazorni. (b) Bontricourt.

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( 205 ) damnation , ce Curé , montant en chaire , fe plaignit en ces termes de la Sentence du Prélat : وو Voici le fort ordinaire des pauvres Curés دو وو de campagne , les Archevêques qui font ,, de grands Seigneurs , les méprifent & ne ,, les écoutent pas ; ils n'ont des oreilles que ,, pour la Nobleffe: recommandons donc le ,, Seigneur de ce lieu, & prions Dieu pour Antoine de Thoüilly , demandons à Dieu ,, fa converfion & qu'il lui faffe la grace de ,, ne point maltraiter le pauvre , & de ne », point dépouiller l'orphelin. وو " On dit que Mr. de Thoüilly préſent à cette mortifiante recommandation , fit de nouvelles plaintes au même Archevêque : celui - ci ayant fait venir le Sr. Meflier à Donchery , l'y maltraita de paroles. Il n'y a gueres eu depuis d'autres événemens dans fa vie , dignes d'être rapportés : il n'a poffédé d'autres bénéfices que la Cure d'Etrépigny. Dans un voyage qu'il fit à Paris , vers le tems que parut la premiere fois le traité de M. l'Abbé Houtteville fur la Religion , le Pere Baffier, ami du Curé, lui propofa de lire cet ouvrage , afin qu'il lui en dit fon fentiment : le Sr. Mes lier y confentit , à condition qu'ils le liroient enfemble. Quelques jours après étant à dîner chez ce Féfuite en la compagnie d'un jeune homme de ces Efprits - forts , qui le font encore plus par vanité que par principes , la converſation roula Jur le traité en queftion : ce jeune homme s'abandonnant à des pointes malignes , le Sr. Mes lier répliqua d'un grand fangfroid , qu'il ne falloit pas avoir beaucoup d'efprit pour fe railler de 03 ( 206 ) la Religion ; mais qu'il en falloit beaucoup plus pour la foutenir & la défendre. Ses principaux livres étoient la Bible , les Mémoires de Commines un Montagne & quelques Peres : c'est dans la lecture de la Bible & des Peres qu'il puifa fes fentimens. Il enfit trois copies de fa main , dont une fut portée à M. Chauvelin Garde des Sceaux de France ; le manuferit original a été adreffé à M. Le Roux Procureur & Avocat au Parlement , de Mézieres. T Sur le Verfo d'un Papier qui fert d'envelop pe, il est écrit : Jai yu & reconnu les abus , les erreurs , les vanités , les folies & les méchancetés des hommes , je les ai haïs & déteftés ; je n'ai ofé le dire pendant ma vie , je le dirai au moins en mourant & après ma mort ; c'eft afin qu'on le fache que j'ai ecrit le préfent Mémoire , afin qu'il puiffe fervir de témoignage de la vérité à tous ceux qui le liront. 1 On a auffi trouvé chez ce Curé un imprimé des traités fur l'exiftence de Dieu & für fes attributs par M. de Fénelon , & les Réflexions du Pere Tournemine Jéfuite fur l'Athéifime , & en marge il y a fes notes & fes Réponses fi gnées de Ja main. Il avoit écrit deux lettres aux Curés de fon voifinage pour leur faire part de fes fentimens elles font trop longues pour les rapporter dans cet abrégé il leur déclare qu'il a configné au greffe de Sainte Méneboult , Juſtice de ja Paroiffe , une Copie de fon Ecrit , mais qu'il craint qu'on ne le fupprime , fuivant le mauvais ufage établi d'em- ( 207 ) pécber que les Peuples ne foient inftruits & ne connoiffent la vérité. On dit que le Begue , Grand - Vicaire à Rheims , s'eft emparé defa troifieme Copie. Ce Curémourut en mille fept cens vingt trois , ágé de cinquante cinq ans on a cru que dégoû té de la vie , il s'étoit exprés refufe les alimens néceffaires , parcequ'il ne voulut rien prendre, pas même un verre d'eau. Par fon teftament il a donné à fes Paroiffiens tout ce qu'il poffédoit ; mais ce qu'il avoit n'étoit pas confidérable. Il a prié qu'on l'enterrât dans Jon jardin. FIN. AVIS AU LECTEUR. Et ouvrage eft de tous ceux de l'Auteur celui qui eft le plus utile & le plus inftructif. Il combat les préjugés de l'Education , qui , en nous faifant refpecter le mensonge & le vice , nous privent des lumieres de la raifon. Il y a eu avant lui des Auteurs auffi refpectables par leurs Ecrits que par leur probité , qui ont entrepris , mais en tremblant , d'éclairer les mortels : ils ont diffipé quelques nuages , mais ils ne nous ont pas donné un Ciel entiérement Sérein ; tels font Montagne , Spinofa & Bayle , qui ont été , · pour ainfi dire , les précurfeurs de ce nouveau Meffie. • Cet illuftre perfonnage nous laiffe des armes pour foudroyer l'impoſture qui nous a précipités 04 ( 208 ) dans l'esclavage. Ce n'eft point un Moyfe ambitieux, un Jéfus rempli de fes vifions & de fes rêveries , un Mahomet fenfuel; non , c'est le feul & véritable Adam, qui n'a d'autre guide que la raison; c'est enfin l'homme que Diogene a fi longtems cherché & qu'il n'a pu trouver. Ne foyez pas, mon cher Lecteur , du nombre de ces infenfes qui avant de lire fes ouvrages crient , ab ! le déteſtable , ah ! l'exécrable ! Remontez , s'il eft poffible , à l'état d'ignorance des deux enfans que Pfamméticus Roi d'Egypte qui wivoit 640 ans avant Jésus- Chrift , avoit fait abandonner dans les forêts & que deux chevres allaiterent (a). Sortez tout ifolé de ces forêts , ignorant les hommes & leurs impoftures , cher chez à découvrir ce que vous êtes : pour y parvenir, lifez les maximes des Egyptiens , la loi de Moyfe , celle de Jéfus , celle de Mahomet : occupez-vous des pensées de notre Curé Anti - Chrif ticole , comparez - les enfemble , & décidez - vous alors fans préjugés , avec désintérelement , & en un mot comme n'appartenant qu'à vous - mêmes ; vous deviendrez , je fuisfur , le plus zélé profélite du nouveau Miffionnaire. Puiffiez - vous l'écouter avec attention ! c'eft la feule raison qui pous parle dans fes Ecrits. ? (a) Bayle, dans fon Dictionnaire , dit que ce Prince pour découvrir quel étoit le plus ancien Peuple du monde , fit élever deux enfans de telle forte qu'ils n'entendirent parler perfonne : & parcequ'e Age de deux ans ils prononcerent le mot Ecchus , qui fignifioit le pain dans la langue de Phrygie , il fallut que les Egyptiens ceffaffent de s'attribuer la#:! premiere antiquité , & la cédaljent aux Phrygiens, ( 209 ) AVANT- PROPO S. MES ES chers amis > comme j'aurois beaucoup rifqué pendant ma vie de dire mon fentiment fur les gouvernemens, la Religion & les mœurs des hommes , je vous laiffe fans crainte après ma mort un préfervatif contre leurs erreurs: C'eſt le prefent le plus cher que vous puiffiez exiger de ma tendreffe. Hoc fentite in vobis: fentez- en tout le prix. १ Voici ingénûment ce qui m'a infpirá cet ouvrage. Sentant toute la douceur de la paix , de l'équité , de la vérité fources de tous les véritables biens , je conçus une horreur indicible de la divifion , du menfonge , de l'injuftice , de la tyrannie , fléaux de la liberté qui eſt l'attribut effentiel de l'homme. Dès ma plus tendre jeuneffe je décou- vris la caufe de tous ces maux. Quoique mon état m'ait éloigné du monde, je puis cependant dire avec Salomon. Eccléf. 3. 16. que ,, j'ai vu avec horreur l'impiété ,, régner fur toute la terre , l'injustice affife à fon côté , & ceux qui étoient ,, prépofés pour rendre les hommes juf- " 1 05 ( 202 ) ( elle comme un médecin habile traite une maladie chronique ? il ne prétend pas la guérir d'abord, il rifqueroit de jetter fon malade dans une crife mortelle. Il attaque le mal par dégrés , il diminue les fymptômes. Le malade ne recouvre pas une fanté parfaite , mais il vit dans un état tolérable à l'aide d'un régime fage. C'eft ainfi que la maladie de la fuperftition eft traitée aujourd'hui en Angleterre & dans tout le Nord par de très - grands Princes , par leurs miniftres & par les pre miers de la nation. 129. Il feroit auffi utile qu'aifé d'abor lir toutes les taxes honteufes qu'on paye à l'Evêque de Rome fous différens noms , & qui ne font en effet qu'une fimonie dé, guifée. Ce feroit à la fois conferver l'argent qui fort du Royaume , brifer une chaîne ignominieufe , & affermir l'auto- rité du Gouvernement. Rien ne feroit plus avantageux & plus facile que de diminuer le nombre inutile & dangereux des couvens & d'appliquer à la récompenſe des fervices le revenu de l'oifiveté, Les Confreres , les Pénitens blancs ou noirs , les fauffes reliques qui font innombrables , peuvent être profcrites avec le temps fans le moindre danger. (203 ) A mesure qu'une nation devient plus éclairée, on lui ôte les alimens de fon ancienne fottife. Une Ville qui auroit pris les armes autrefois pour les reliques de St. Pancrace , rira demain de cet objet de fon culte. On gouverne les hommes par l'opinion régnante , & l'opinion change quand la lumiere s'étend. Plus la police fe perfectionne , moins on a befoin de pratiques religieufes. Plus les fuperftitions font méprifées , plus la véritable religion s'établit dans tous les efprits. Moins on refpecte des inventions hu maines, & plus Dieu eft adoré. 1 ( 210 ) 99 99 "" tes , marcher eux-mêmes dans la voye de l'iniquité : j'ai vu les docteurs & les fages du fiecle encenfer eux- mêmes l'erreur & la fuperſtition. "" Il ne fuffit pas toujours de connoître les erreurs pour les abandonner. La Re ligion , par exemple , a les fiennes ; elles font du nombre de celles qu'on ne quitte pas aifément , puisqu'on ne le pourroit faire fans hazarder la perte de fes biens , & même de fa vie , l'intérêt étant l'unique mobile de l'homme terreftre. La Religion du Monarque eft toujours la plus fcrupuleufement fuivie , parce qu'elle eft plus propre à feconder l'ambition. Comme les charges & les dignités dans tous les Etats font l'ouvrage de la fuperftition , il n'eft pas étonnant que les perfonnes qui les occupent ne s'atta chent point à diffiper les erreurs qui fervent de fondement à leur élévation. De plus , la perfidie & la méfiance font les appuis du menfonge. Les miniftres de la vérité ne peuvent allumer fon flambeau fans s'expofer à la trahiſon de leurs amis, de leurs freres méme. N'attendez pas , mes freres , que profcrivant toutes les religions , j'excepte la Religion Chrétienne. Celle-là comme les autres n'a puifé fon origine que dans les ( 211 ) entrailles de l'erreur. Je dis & je fou-. tiens qu'il n'y a de vraye Religion que la Religion naturelle qui confifte dans la morale. Desabufez - vous donc , & méprifez les difcours intéreffés de vos fçavans. Méfiez -vous de leur doctrine , qui n'eft pas moins fauffe dans fes principes qu'ils di fent divins , ni moins abfurde dans fes dogmes & fes maximes. Les Chrétiens font idolâtres comme les Payens ; ils ne different que de nom. Laiffez vos Docteurs préconifer la grandeur , l'excellence, la fainteté des myfteres , la certitu de des miracles. Ecoutez - les tranquilement vous menacer des peines éternelles , ou vous promettre des récompenfes qui ne finiffent point. N'efpérez ni ne craignez rien d'eux. Toutes ces fables font l'ouvrage de la politique & des féducteurs , de l'aveuglement des peuples. L'ignorance de ceux - ci , & l'autorité des Souverains les foutiennent aux dépens de la raifon. L'autorité des Rois feroit bien près de fa chûte fi elle n'étoit étayée de la fuper- ftition. Le nom & l'autorité de Dieu dont ils fe fervent fi injuftement , les tient paifibles poffeffeurs d'une puiffance ufurpée. Ce n'eft qu'à l'ombre de la pié- ( 212 ) té qu'ils en impofent. Voilà comment au lieu de procurer partout la paix, la vérité & la justice , ils établiffent au contraire l'iniquité. Que je vous plains , mes freres , dans votre aveuglement ! Ouvrez enfin les yeux , la lumiere fe préfente , profitezen: voyez comment victimes de l'autorité qu'on a ufupée fur vous , vous êtes adorateurs de ce qui ne mérite que votre mépris. Il me fouvient à ce fujet du fouhait d'un homme qui fans étude avoit beaucoup de bon fens : le voici : Je foubaiterois , dit-il , que tous les Tyrans fuf fent pendus &étranglés avec des boyaux des prêtres. Ce fouhait eft prefque femblable à ce que pratiqua Erganes , Roi d'Ethyopie. (Voyez Dictionnaire hiftorique.) Le Roi de Babylone fit la même chofe aux Prêtres de Baal. Peut- on en effet ufer de trop de cruauté envers des perfonnes qui abufent ainſi de la bonne foi des nations ? Ne puniroit-on pas févérement un Charlatan qui mettant à profit la crédulité du peuple lui vendroit du poifon pour de bons remedes ? Vous connoiffez mes freres , mon défintéreffement ; je ne facrifie point ma croyance à un vil intérêt. Si j'ai ( 213 ) 1 embraffé une profeffion fi directement oppofée à mes fentimens, ce n'eft point par cupidité ; j'ai obéi à mes parens. Je vous aurois plutôt éclairés , fi j'avois pû le faire impunément. Vous êtes témoins de ce que j'avance. Je n'ai point avili mon miniftere en exigeant des rétributions qui y font atta- chées. J'attefte le Ciel , que j'ai auffi fouverainement méprifé ceux qui fe rioient de la fimplicité des peuples aveuglés , lefquels fourniffoient pieufement des fom-. mes confidérables pour acheter des prie res. Combien n'eft pas horrible cette monopole ! Je ne blâme pas le mépris que ceux qui s'engraiffent de vos fueurs & de vos peines , témoignent pour leurs myfteres & leurs fuperftitions : mais je détefte leur infatiable cupidité & l'indigne plaifir que leurs pareils prennent à fe railler de l'ignorance de ceux qu'ils ont foin d'entretenir dans cet état d'aveuglement. Qu'ils fe contentent de rire de leur propre aifance ; mais qu'ils ne multiplient pas du moins les erreurs en abufant de l'aveugle piété de ceux qui par leur fimplicité leur procurent une vie fi commode. Vous me rendez , fans doute , mes ( 216 ) s'agit donc de tenir ma parole & de vous prouver évidememment qu'on vous entretient dans l'erreur. Je vais vous donner des raifons fi intelligibles que , pour peu que vous faffiez ufage de votre bon fens , vous conviendrez aifément qu'on vous en impofe fur l'article de la Religion , & que tout ce qu'on vous oblige de croire par foi divine , eft indigne même d'une for humaine. EXTRAIT DES SENTIMENS ཙྪཱི ཏི ། DE JEAN MESLIER,' Adreffés à fes Paroiffiens , fur une partie des abus & des erreurs en général & én particulier.. TA CHAPITRE I. Ite. Preuve , tirée des motifs qui ont porté les hommes à établir une Religion. C Omme il n'y a aucune fecte parti. culicre de Religion , qui ne préten-de (( 217 ) de être véritablement fondée fur l'autori té de Dieu & entiérement exemte de toutes les erreurs & impoftures qui fe trouvent dans les autres , c'eſt à ceux qui prétendent établir la vérité de leur fecte à faire voir qu'elle eft d'inftitution divi ne, par des preuves & des témoignages clairs & convaincans ; faute de quoi il faudra tenir pour certain qu'elle n'eft que d'invention humaine, pleine d'erreurs & de tromperies ; car il n'eft pas croyable qu'un Dieu tout - puiffant , infiniment bon , auroit voulu donner des loix & des ordonnances aux hommes , & qu'il n'auroit pas voulu qu'elles portaffent des marques plus fûres & plus autentiques de vé rité , que celles des impofteurs qui font en fi grand nombre, Or il n'y a aucun de nos Chrifticoles , de quelque fecte qu'il foit , qui puiffe faire voir par des preuves claires , que fa Religion foit véritablement d'inftitution divine ; & pour preuve de cela c'eft que depuis tant de fitcles qu'ils font en conteftation fur ce fujet les uns contre les autres , même juf qu'à fe perfécuter à feu & à fang pour le maintien de leurs opinions , il n'y a eu cependant encore aucun parti d'entreeux , qui ait pu convaincre & perfuader Tome II. Р . ( 218 ) les autres par de tels témoignages de vé rité ; ce qui ne feroit certainement point , s'il y avoit de part ou d'autre des raifons ou des preuves claires & fûres d'une inftitution divine ; car comme perfonne d'aucune fecte de Religion , éclairée & de bonne foi , ne prétend tenir & favo rifer l'erreur & le menfonge , & qu'au contraire chacun de fon côté prétendfou tenir la vérité , le véritable moyen de bannir toutes erreurs, & de réunir tous les hommes en paix dans les mêmes fentimens & dans une même forme de Religion , feroit de produire ces preuves & ces témoignages convaincans de la vérité, & de faire voir par là que telle Religion eft véritablement d'inftitution divine , & non pas aucune des autres. Alors chacun fe rendroit à cette vérité , & perfonne n'oferoit entreprendre de combattre ces témoignages, ni foutenir lè parti de l'erreur & de l'impofture , qu'il ne fût en même tems confondu par des preuves contraires : mais comme ces preuves ne fe trouvent dans aucune Religion , cela donne lieu aux impofteurs d'inventer & de foutenir hardiment toutes fortes de men. fonges. Voici encore d'autres preuves qui ne (( 219 ) feront pas moins clairement voir la fauffeté des Religions humaines , & furtout la fauffeté de la notre. HOME! C # ASPOPT R EII. I II. Preuve tirée des Erreurs de la Foi. T 3216 Oute Religion qui pofe pour fondement de les myfteres , & qui prend pour régle de fa doctrine & de fa morale un principe d'erreurs , & qui eft mê- me une fource funefte de troubles & de divifions éternelles parmi les hommes ne peut être une véritable Religion , ni être d'inftitution divine. Or les Religions humaines , & principalement la Catholique , pofe pour fondement de fa doctrine & de fa morale un principe d'erreurs. Donc , &c. Je ne vois pas qu'on puiffe nier la premiere propofition de cet argument ; elle eft trop claire & trop évidente pour pouvoir en douter. Je paffe à la preuve de la feconde propofition , qui eft que la Religion Chrétienne prend pour régle de fa doctrine & de fa morale ce qu'ils appellent foi ; c'est-à- dire , une créance aveugle , mais cependant ferme & affurée , de quelques Loix , ou de quel- P 2 ( 220 ) H V " ques révélations divines , & de quelque Divinité. Il faut néceffairement qu'elle le fuppofe ainfi ; car c'eft cette créance de quelque Divinité & de quelques révélations divines qui donne tout le crédit & toute l'autorité qu'elle a dans le monde , fans quoi on ne feroit aucun état de ce qu'elle preferiroit. C'eft pourquoi il n'y a point de Religion qui ne recommande expreffément à fes fectateurs (*) d'être fermes dans leur foi. De-là vient que tous les Chrifticoles tiennent pour maximes , que la foi eft le commencement & le fondement du falut , & qu'elle eft la racine de toute juftice & de tou te fanctification , comme il eft marqué dans le Concile de Trente Seff. 6. chap. 8. Or il eft évident qu'une créance aveugle de tout ce qui fe propofe fous le nom & l'autorité de Dieu , eft un principe d'erreurs & de menfonges. Pour preuve c'eft que l'on voit qu'il n'y a aucun impofteur en matiere de Religion qui ne prétende fe couvrir du nom de l'autorité de Dieu, & ne fe dife particuliérement infpiré & envoyé de Dieu. Non feulement cette foi & cette créance aveugle qu'ils pofent pour fondement de leur Doc- (*) Eftote fortes in fide. ( 221 ) "trine , eft un principe d'erreurs , mais elle éft auffi une fource funefte de troubles & de divifions parmi les hommes , pour le maintien de leurs Religions. Il n'y a point de méchancetés qu'ils n'exercent les uns contre les autres , fous ce fpécieux prétexte. Or il n'eft pas croyable qu'un Dieu tout-puiffant , infiniment bon & fage voulût fe fervir d'un tel moyen ni d'une voie fi trompeufe pour faire connoître fes volontés aux hommes; car ce feroit manifeftement vouloir les induire en erreur & leur tendre des piéges , pour leur faire embraffer le parti du menfonge. Il n'eſt pareillement pas croyable qu'un Dieu qui aimeroit l'union & la paix , le bien & le falut des hommes, eût jamais établi pour fondement de fa Religion , une fource fi fatale de troubles & de divifions éternelles parmi les hommes. Donc des Religions pareilles ne peuvent être véritables , ni avoir été inftituées de Dieu. Mais je vois bien que nos Chrifticoles ne manqueront pas de recourir à leurs prétendus motifs de crédibilité , & qu'ils diront que quoique leur foi & leur créance foit aveugle en un fens , elle ne laiffe pas néanmoins d'être appuyée par de fi clairs & fi convaincans témoignages de P 3 ( 222 ) vérité que ce feroit non feulement une imprudence b mais une témérité & une grande folie de ne pas vouloir s'y rendre, Ils réduifent ordinairement tous ces pré tendus motifs à trois ou quatre chefs. Le premier ils le tiennent de la prétendue fainteté de leur Religion , qui condamne le vice & qui recommande la pratique de la vertu. Sa doctrine eft fi pure , fi fimple, à ce qu'ils difent , qu'il eft vifible qu'elle ne peut venir que de la pureté & de la fainteté d'un Dieu infiniment bon & fage. loloy GARS Le fecond motif de crédibilité , ils le tirent de l'innocence & de la fainteté de la vie de ceux qui l'ont embraffée avec amour , & défendue jufqu'à fouffrir la mort & les plus cruels tquemens , plutôt que de l'abandonner : n'étant pas croya ble , que de fi grands perfonnages fe foient laiffés tromper dans leur créance , qu'ils ayent renoncé à tous les avantages de la vie , & fe foient expofés à de fi cruelles perfécutions pour ne maintenir que des erreurs & des impoftures. ག།། Il tirent leur troifieme motif de crédi bilité des oracles & des prophéties qui ont été depuis fi long- tems rendues en leur faveur, & qu'ils prétendent accom, plies d'une façon à n'en point douter. ( 223 )

Enfin leur quatrieme motif de crédibilité , qui eft comme le principal de tous , fe tire de la grandeur & de la multitude des miracles faits en tout tems & en tous lieux en faveur de leur Religion. Mais il eft facile de réfuter tous ces vains raifonnemens , & de faire connoître la fauffeté de tous ces témoignages. Car 10, les argumens que nos Chrifticoles tirent de leurs prétendus motifs de crédibilité , peuvent également fervir à établir & confirmer le menfonge comme la vérité ; car l'on voit effectivement qu'il n'y a point de Religion , fi fauffe qu'elle puifle être , qui ne pretende s'appuyer fur de femblables motifs de crédibilité ; il n'y en a point qui ne prétende avoir une doctrine faine & véritable , & au moins en fa maniere qui ne condamne tous les vices & ne recommandé la pratique de toutes les vertus. Il n'y en a point qui n'ait eu de doctes & zélés défenfeurs , qui ont fouffert de rudes perfécutions pour le maintien & la défenfe de leur Religion ; & enfin il n'y en a point qui ne prétende avoir des prodiges & des miracles qui ont été faits en leur faveur. Les Mahométans , les Indiens , les Payens en alleguent en faveur de leurs Religions , auffi - bien que les Chrétiens. Si P 4 ( 224 ) nos Chrifticoles font état de leurs miracles & de leurs prophéties , il ne s'en trouve pas moins dans les Religions Payennes que dans la leur. Ainfi l'avantage que l'on pourroit tirer de tous ces prétendus motifs de crédibilité , ſe trouve à-peu-près également dans toutes fortes de Religions. Cela étant, comme toutes les hiftoires & la pratique de toutes les Religions le démontrent , il s'enfuit évidemment que tous ces prétendus motifs de crédibilité dont nos Chrifticoles veulent tant fe prévaloir , fe trouvent également dans toutes les Religions , & par conféquent ne peuvent fervir de preuves & de témoi gnages affurés de la vérité de leur Reli gion , non plus que de la vérité d'aucune; la conféquence eft claire. 20. Pour donner une idée du rapport des miracles du Paganiſme avec ceux du Chriftianifme , ne pourroit-on pas dire, par exemple , qu'il y auroit plus de raifon de croire Philoftrate , en ce qu'il récite dans le ge. livre de la vied'Apollonius , que de croire tous les Evangéliftes enfemble , dans ce qu'ils difent des miracles de J. C. parce que l'on fçait au moins que Philoftrate étoit un homme d'efprit , éloquent & difert , qu'il étoit ( 225 ) Secrétaire de l'Impératrice Julie , femme de l'Empereur Sévere , & que ç'a été à la follicitation de cette Impératrice , qu'il écrivit la vie & les actions merveilleufes d'Apollonius ? marque certaine que cet Apollonius s'étoit rendu fameux par de grandes & extraordinaires actions , puisqu'une Impératrice étoit ficurieufe d'avoir fa vie par écrit ce que l'on ne peut nullement dire de J. C. ni de ceux qui ont écrit fa vie ; car ils n'étoient que des ignorans , gens de la lie du peuple; de pauvres mercenaires , des pêcheurs qui n'avoient pas feulement l'efprit de raconter de fuite & par ordre les faits dont ils parlent , & qui fe contredifent même très-fouvent & très- groffiérement.

A l'égard de celui dont ils décrivent la vie & les actions , s'il avoit véritablement fait les miracles qu'ils lui attribuent , il fe feroit infailliblement rendu très-recommandable par fes belles actions ; chacun l'auroit admiré , & on lui auroit érigé des ftatues , comme on a fait en faveur des Dieux : mais au lieu de cela on l'a regardé comme un homme de néant , un fanatique , &c. Jofeph 1'Hiftorien , après avoir parlé des plus grands miracies rapportés en faveur de fanation & de fa Religion , P 5 ( 226 ) en diminue auffi tôt la créance ; & la rend fufpecte , en difant qu'il laiffe b chacun la liberté d'en croire ce qu'il voudra ; marque bien certaine qu'il n'y ajoutoit pas beaucoup de foi. C'eſt auffi ce qui donne lieu aux plus judicieux , de regarder les hiftoires qui parlent de ces fortes de chofes comme des narrations fabuleufes. Voyez Montagne & l'auteur de l'Apologie des grands hommes. On peut auffi voir la relation des Miffionnais res de l'Ile de Santorini : il ya trois chapitres c de fuite fur cette belle matiere. Tout ce que l'on peut dire à ce sujet nous fait clairement voir que les prés tendus miracles fe peuvent également imaginer en faveur du vice & du menfongé comme en faveur de la juftice & de la vérité.5 m. ll'a Je le prouve par le témoignage de ce que nos Chrifticoles mêmes appellent la Parole de Dieu , & par le témoignage de celui qu'ils adorent ; car leurs livres qu'il difent contenir la Parole de Dieu, & le Chrift lui-même qu'ils adorent commeun Dieu fait homme, nous marquent expreffément , qu'il y a non- feulement de faux Prophêtes, c'eft- à - dire des Impofteurs , que fe difent envoyés de Dieu & qui par lent en fon nom , mais nous marquent 29 ( 227 ) expreffément encore qu'ils font & qu'ils feront de fi grands & de fi prodigieux. miracles, que peu s'en faudra que les Juftes n'en foient féduits. Voy. Math. 24. 5, 11. 27. & ailleurs.

De plus ces prétendus faifeurs de miracles veulent qu'on y ajoute foi , & non à ceux que font les autres d'un parti contraire au leur , fe détruifant les uns les autres. ས་ Un jour un de ces prétendus Prophêtes nommé Sédécias, fe voyant contredit par un autre appellé Michée, celuila donna un fouflet à celui-ci , & lui dit plaifamment, (*) Par quelle voie l'efs prit de Dieu a - t - il paffé de moi pour aller à toi ? " Voy. encore 3. Reg. 18. 40. & autres. C 市 Mais comment ces prétendus miracles feroient - ils des témoignages de vérité , puisqu'il eft clair qu'ils n'ont pas été faits ? car il faudroit fçavoir 10. fi ceux que l'on dit être les premiers Auteurs de ces narrations le font véritablement ; 20, s'ils étoient gens de probité , dignes de foi , fages & éclairés , & s'ils n'étoient point prévenus en faveur de ceux dont ils parlent fi avantageufement ; 30. s'ils (*) II. Paral, 18, 23. ( 228 ) ont bien examiné toutes les circonstances des faits qu'ils rapportent , s'ils les ont bien connues , & s'ils les rapportent bien , fidellement ; 40. fi les livres ou les hiftoires anciennes qui rapportent tous ces grands miracles , n'ont pas été falfifiés & corrompus , dans la fuite du tems , comme quantité d'autres l'ont été. f Que l'on confulte Tacite & quantité d'autres célebres Hiftoriens , au fujet de Moyfe & de fa nation , on verra qu'ils font regardés comme une troupe de voleurs & de bandits. La Magie & l'AC trologie étoient pour lors les feules fciences à la mode; & comme Moyfe étoit , dit- on , inftruit dans la fageffe des Egyp tiens , il ne lui fut pas difficile d'infpirer de la vénération & de l'attachement pour fa perfonne aux enfans de Jacob , rufti ques & ignorans , & de leur faire embraffer dans la mifere où ils étoient , la difcipline qu'il voulut leur donner. Voilà qui eft bien différent de ce que les Juifs & nos Chrifticoles nous en veulent faire accroire. Par quelle régle certaine con noîtra- t- on qu'il faut ajouter foi à ceuxci plutôt qu'aux autres ? Il n'y en a cer- tainement aucune raifon vraisemblable. Il y a auffi peu de certitude , & même de vraifemblance fur les miracles du Nou- ( 229 ) veau Teftament que fur ceux de l'Ancien , pour pouvoir remplir les conditions précédentes. Il ne ferviroit de rien de dire que leshiftoires qui rapportent les faits contenus dans les Evangiles ont été regardées comme faintes & facrées , qu'elles ont tou-- jours été fidellement confervées fans aucune altération des vérités qu'elles renferment, puisque c'eft peut-être par làmême qu'elles doivent être plus fufpectes & d'autant plus corrompues par ceux qui prétendent en tirer avantage ou qui craignent qu'elles ne leur foient pas affez favorables ; l'ordinaire des auteurs qui tranfcrivent ces fortes d'hiftoires étant d'y ajouter , d'y changer ou d'en retrancher tout ce que bon leur femble pour fervir à leur deffein. TAYL C'eft ce que nos Chrifticoles mêmes ne fçauroient nier puisque fans parler de plufieurs autres graves perfonnages qui ont reconnu les additions , les retranche- mens &les falfifications que LOR ont été faites en différens temps à ce qu'ils appellent leur Ecriture Sainte , leur St. Jérôme, fameux Docteur parmi eux , dit formellement en plufieurs endroits de fes prologues, qu'elles ont été corrompues & falfifiées , étant déja de fon temps en- ( 230 ) tre les mains de toutes fortes de perfonnes , qui y ajoutoient & en retranchoient tout ce que bon leur fembloit , enforte . qu'il y avoit , dit- il , autant d'exemplaires différens qu'il y avoit de différentes copies. Voyez fes prologues à Paulin , fa préface fur Jofué , fon Epître à Galéate , fa préface fur Job , celle fur les Evangiles au Pape Damafe, celle fur les Pfeaumes à Paul & à Euftachium , &c. Touchant les Livres de l'Ancien Teftament en particulier , Esdras Prêtre de la Loi témoigne lui-même avoir corrigé & remis dans leur entier les prétendus Livres facrés de fa Loi, qui avoient été en partie perdus & en partie corrompus. Il les diftribua en XXII, Livres felon le nombre des Lettres Hébraïques , & compofa plufieurs autres livres dont la doctrine ne devoit fe communiquer qu'aux feuls fages. Si ces Livres ont été partie perdus , partie corrompus comme le témoigne Esdras & le Docteur St. Jérôme , en tant d'endroits , il n'y a donc aucune certitude fur ce qu'ils contiennent ; & quant à ce qu'Esdras dit les avoir corrigés & remis en leur entier par l'infpira tion de Dieu même, il n'y a aucune cer. A ( 231 ) titude de cela , & il n'y a point d'impof teur qui n'en puiffe dire autant. Tous les Livres de la Loi de Moyfe & des Prophêtes qu'on put trouver , furent brûlés du temps d'Antiochus. Le Talmud regardé par les Juifs comme un Li vre faint & facré , & qui contient toutes les Loix divines, avec les fentences & dits notables des Rabins , leur expofition tant fur les Loix divines qu'humaines , & une quantité prodigieufe d'autres fecrets & myfteres de la langue Hébraïque , eſt regardé par les Chrétiens comme un Livre farci de rêveries , de fables , d'impoftures & d'impiétés. En l'année 1559. ils firent brûler à Rome, par le comman dement des Inquifiteurs de la foi , douze cens de ces Talmuds trouvés dans uneBibliotheque de la Ville de Crémone. Les Pharifiens qui faifoient parmi les Juifs une fameufe Secte , ne recevoient que les cinq Livres de Moyfe , & rejettoient tous les Prophêtes. Parmi les Chrétiens , Marcion & fes fectateurs rejettoient les Livres de Moyfe & les Prophêtes , & introduifoient d'autres Ecritu res à la mode. Carpocrate & fes fectateurs en faifoient de même , & rejettoient tout l'Ancien Teftament, & maintenoient ( 226 ) en diminue auffi - tôt la créance ; & la rend fufpecie , en difant qu'il laiffe à chacun la liberté d'en croire ce qu'il voudra ; marque bien certaine qu'il n'y ajoutoit pas beaucoup de foi. C'eft auffi ce qui donne lieu aux plus judicieux , de regarder les hiftoires qui parlent de ces fortes de chofes comme des narrations fabuleufes. Voyez Montagne & l'auteur de l'Apologie des grands hommes. On peut auffi voir la relation des Miffionnai res de l'Ile de Santorini : il y a trois chapitres de fuite fur cette belle matiere. Tout ce que l'on peut dire à ce sujet nous fait clairement voir que les prétendus miracles fe peuvent également imaginer en faveur du vice & du menfongé comme en faveur de la juftice & de la vérité. Je le prouve par le témoignage de ce que nos Chrifticoles mêmes appellent la Parole de Dieu , & par le témoignage de celui qu'ils adorent ; car leurs livres qu'il difent contenir la Parole de Dieu , & le Chrift lui-même qu'ils adorent comme un Dieu fait homme, nous marquent expreffément , qu'il y a non- feulement de faux Prophetes , c'eft à dire des Impofteurs , que fe difent envoyés de Dieu & qui par lent en fon nom , mais nous marquent 29 ( 227 ) expreffément encore qu'ils font & qu'ils feront de fi grands & de fi prodigieux miracles , que peu s'en faudra que les Juftes n'en foient féduits. Voy. Math. 24. 5. II. 27. & ailleurs. De plus ces prétendus faifeurs de miracles veulent qu'on y ajoute foi , & non à ceux que font les autres d'un parti contraire au leur , fe détruifant les uns les autres. Un jour un de ces prétendus Prophêtes nommé Sédécias, fe voyant contres dit par un autre appellé Michée , celuila donna un fouflet à celui-ci , & lui dit plaifamment,, ( *) Par quelle ui dit voie l'ef prit de Dieu a- t - il paffé de moi pour aller à toi ? " Voy. encore 3. Reg. 18. 40. & autres... Mais comment ces prétendus miracles feroient - ils des témoignages de vérité puisqu'il eft clair qu'ils n'ont pas été faits ? car il faudroit fçavoir 19. fi ceux que l'on dit être les premiers Auteurs de ces narrations le font véritablement ; 20, s'ils étoient gens de probité , dignes de foi , fages & éclairés , & s'ils n'étoient point prévenus en faveur de ceux dont ils parlent fi avantageufement ; 30. s'ils (*) II. Paral, 18, 23. ( 232 ) que Jéfus - Chrift n'étoit qu'un homme comme les autres. Les Marcionites & les Souverains réprouvoient auffi tout l'Ancien Teftament comme mauvais , & rejettoient auffi la plus grande partie des quatre Evangiles & les Epitres de St. Paul. Les Ebionites n'admettoient que le feul Evangile de St. Matthieu , rejettant les trois autres , & les Epîtres de St. Paul. Les Marcionites publioient un Evangile fous le nom de St. Matthias , pour confirmer leur Doctrine. Les Apoftoliques introduifoient d'autres Ecritures , pour maintenir leurs erreurs , & pour cet effet fe fervoient de certains actes , qu'ils attribuoient à St. André & à St. Thomas. Les Manichéens , Chron. pag. 287. écrivirent un Evangile à leur mode , & rejettoient les écrits des Prophêtes & des Apôtres. Les Etzfaites débitoient un certain Livre , qu'ils difoient être venu du Ciel ; ils tronçonnoient les autres Ecritures à leur fantaifie. Origene même avec tout fon grand efprit , ne laiffoit pas que de corrompre les Ecritures , & forgeoit à tous coups des allégories hors de propos , & fe détournoit par ce moyen du fens des Prophêtes & des Apô tres; & même avoit corrompu quelquesuns ( 283 ) uns des principaux points de la Doctrine. Ses Livres font maintenant mutilés & falfifiés , ce ne font plus que pieces coufues & ramaffées par d'autres qui font venus depuis , auffi y rencontre- t- on des erreurs & des fautes manifeftes. " n Les Allogiens attribuoient à l'hérétique Cerinthus l'Evangile & l'Apocalypfe de St. Jean , c'eft pourquoi ils les rejettoient. Les hérétiques de nos dérniers fiecles rejettent comme Apocryphes plufieurs Livres que les Catholiques Romains regardent comme faints & facrés , tels que les Livres de Tobie , de Judithid'Eftherde Baruc , le Cantique des trois enfans, dans la fournaife , l'hif toire de Suzanne, & celle de l'idole de Bel, la Sapience dei Salomon , PEccléfiaf tique , le premier & le fecond Livre des Machabées auxquels Livres incertains & douteux on pourroit encore en ajou ter plufieurs que Bonaattribuoit aux autres Apôtresvicomme font , par exemple, les actes de Saint Thomas , fes circuits , fon Evangile & fon Apocalypfe ; l'Evangile de Saint Barthélémy p celui de Saint Mathias , celui de Saint Jacques, celui de Saint Pierre , & celui des Apôtres ; comme auffi dès geftes de Saint Pierrefon Livre de la Prédicationi & celui Tome II. ( 234 ) de fon Apocalypfe, celui du Jugement celui de l'Enfance du Sauveur , & plufieurs autres de femblable farine , qui font tous rejettés comme Apocryphes par les Catholiques Romains , même par le Pape Gélafe & par les SS. PP. de la Commu nion Romaine.di Ce qui confirme d'autant plus qu'il n'y a aucun fondement de certitude touchant l'autorité que l'on prétend donner à ces Livres, c'eft que ceux qui en maintiennent la divinité font obligés d'avouer qu'ils n'auroient aucune certitude pour les fixer , fi leur foi, difent- ils , neales en affuroit & ne les obligeoit abfolument de le croire ainfi. Or , comme la foi n'eft qu'un principe d'erreur & d'impofture , comment la foi , c'eſt-à-dire , une créance aveugle , peut- elle rendre certains les Livres qui font eux-mêmes le fondement de cette créance aveugle? Quelle pitié & quelle démence ! Pulq 195 Mais voyons fi ces Livres portent em eux- mêmes quelque caractere particulier de vérité, comme , par exemple , d'érudition, de fageffe , & de faintetés, ou de quelques autres perfections qui ne puiffent convenir qu'à un Dieu, & fi les miracles quí y font cités s'accordent avec ce que l'on devroit penfer de la gran 鲞 ( 235 ) deur , de la bonté , de la juftice & de la fageffe infinie d'un Dieu tout - puiffant. Premiérement , on verra qu'il n'y a au cune érudition , aucune penfée fublime, ni aucune production qui paffe les forces ordinaires de l'efprit humain. Au contraire , on n'y verra d'un côté que des narrations fabuleufes , comme font celles de la formation de la femme tirée d'une côte de l'homme , du prétendu Paradis Terreftre , d'un ferpent qui parloit , qui raifonnoit , & qui étoit même plus rufé que l'homme ; d'une âneffe qui parloit & qui reprenoit fon maître de ce qu'il la maltraitoit mal- à- propos ; d'un Déluge univerfel , & d'une Arche où des Animaux de toute efpece étoient renfermés ; de la confuſion des langues & de la divifion des nations ; fans parler de quantité d'autres vains récits particuliers fur des fujets bas & frivoles , & que des Auteurs graves mépriferoient de rapporter. Tous tes ces narrations n'ont pas moins l'air de fables que celles que l'on a inventées fur l'induſtrie de Prométhée , fur la boëte de Pandore , ou fur la guerre des Géans contre les Dieux , & autres femblables que les Poëtes ont inventées pour amufer les hommes de leur temps.

D'un autre côté , on n'y verra qu'un Q2 ( 236 ) mélange de quantité de loix & d'ordonrances ou de pratiques fuperftitieuſes touchant les Sacrifices , les purifications de l'ancienne Loi , le vain diſcernement des animaux , dont elle fuppofe les uns purs & les autres impurs. Ces Loix ne font pas plus refpectables que celles des nations les plus idolâtres. On n'y verra encore que de fimples hiftoires , vraies ou fauffes , de plufieurs Rois , de plufieurs Princes ou particuliers qui auront bien ou mal vécu , ou qui auront fait quelques belles ou mauvaifes actions , parmi d'autres actions baffes & frivoles qui y font rapportées auffi. Pour faire tout cela , il eft vifible qu'il ne falloit pas avoir un grand génie , ni avoir des révélations divines. Ce n'eft pas faire honneur à un Dieu. Enfin on ne voit dans ces Livres que les difcours , la conduite & les actions de ces renommés Prophêtes , qui fe difoient être tout particuliérement infpirés de Dieu. On verra leur maniere d'agir & de parler , leurs fonges , leurs illufions , leurs rêveries ; & il fera facile de juger qu'ils reffembloient beaucoup plus à des vifionnaires & à des fanatiques qu'à des perfonnes fages & éclairées. Il y a cependant dans quelques-uns de " ( 237 ) ees livres plufieurs bons enfeignemens , & de belles maximes de morale , comme dans les Proverbes attribués à Salomon , dans le Livre de la Sageffe & de l'Eccléfiaftique ; mais ce même Salomon le plus fage de leurs Ecrivains , eft auffi le plus incrédule. Il doute même de l'immortalité de l'ame , & il conclut fes ou vrages par dire qu'il n'y a rien de bon que de jouir en paix de fon labeur , & de vivre avec ce que l'on aime. D'ailleurs combien les Auteurs qu'on nomme profanes , Xénophon , Platon , Cicéron , l'Empereur Antonin , l'Empereur Julien , Virgile &c. font- ils au- deffus de ces Livres , qu'on nous dit infpirés de Dieu ! Je crois pouvoir dire que quand il n'y auroit , par exemple , que les fables d'Efope , elles font certainement beaucoup plus ingénieufes & plus inftructives que ne le font toutes ces groffieres & baffes paraboles , qui font rapportées dans les Evangiles. Mais ce qui fait encore voir que ces fortes de Livres ne peuvent venir d'aucune inſpiration divine , c'eft qu'outre la baffeffe & la groffiéreté du ftyle, & le défaut d'ordre dans la narration des faits particuliers , qui y font très- mal circonftanciés , on ne voit point que les Auteurs ૨૩ ( 238 ) s'accordent , ils fe contredifent en plu fieurs chofes ; ils n'avoient pas même affez de lumieres ni de talens naturels pour bien rédiger une hiſtoire. Voici quelques exemples des contradictions qui fe trouvent entr'eux . L'Evangélifte Matthieu fait defcendre JéfusChrift du Roi David par fon fils Salomon, jufqu'à Jofeph , pere au moins putatif de J. Ch. , & Luc le fait defcendre du même David par fon fils Nathan juf qu'à Jofeph. Matthieu dit , parlant de Jéfus , que le bruit s'étant répandu dans Jérufalem qu'il étoit né un nouveau Roi des Juifs , & que des Mages étant venus le chercher pour l'adorer , le Roi Hérode craignant que ce prétendu Roi nouveau ne lui ôtât quelque jour la couronne , fit égorger tous les enfans nouvellement nés depuis deux ans , dans tous les environs de Bethléem , où on lui avoit dit que ce nouveau Roi devoit naître , & que Jofeph & la mere de Jéfus ayant été a vertis en fonge par un Ange , de ce mauvais deffein , ils s'enfuirent incontinent en Egypte, où ils demeurerent jufqu'à la mort d'Hérode , qui n'arriva que plufieurs années après. • Au contraire Luc marque que Jofeph. ( 239 )

& la mere de Jéfus demeurerent paifi blement durant fix femaines dans l'endroit où leur enfant Jéfus fut né , qu'il y fut circoncis fuivant la Loi des Juifs , huit jours après fa naiffance , & que lors que le tems prefcrit par cette Loi pour la purification de fa mere fut arrivé elle & Jofeph fon mari le porterent a Jérufalem pour le préfenter à Dieu dans fon temple & pour offrir en même tems un facrifice , ce qui étoit ordonné par la Loi de Dieu ; après quoi ils s'en retournerent en Galilée dans leur Ville de Nazareth , où leur enfant Jéfus croisfoit tous les jours en grace & en fageffe , & que fon pere & fa mere al- loient tous les ans à Jérufalem , aux jours folemnels de leur fête de Pâques. Si bien que Luc ne fait aucune mention de leur fuite en Egypte , ni de la cruauté d'Hérode envers les enfans de la Province de Bethléem.

+ A l'égard de la cruauté d'Hérode comme les Hiftoriens de ce tems - là n'en parlent point, non plus que Jofeph l'Hiftorien qui écrit la vie de cet Hérode, & que les autres Evangéliftes n'en font aucune mention , il eft évident que le vo yage de ces Mages conduits par une étoile, ce maffacre des petits enfans , & cet Q4 ( 240 )) 1 te fuite en Egypte , ne font qu'un men fonge abfurde. Car il n'eft pas croyable que Jofephe , qui a blâme les vices de ce Roi , eût paffé fous filence une action fi noire & fi deteftable, fi ce que cet Evangélifte dit eût été vrai. Sur la durée du tems de la vie publique de J. C. , fuivant ce que difent les trois premiers Evangéliftes , il ne pou voit y avoir eu gueres plus de trois mois depuis fon baptême jufqu'à fa mort , en fuppofant qu'il avoit trente ans lor qu'il fut baptifé par Jean , comme dit Luc, & qu'il ait été né le 25 Décem bre. Car depuis ce baptême qui fut l'an 15 de Tibere Céfar , & l'année qu'Anne & Caïphe étoient Grands - Prêtres , jufqu'au premier Pâques fuivant, qui etoit dans le mois de Mars , il n'y avoit qu'environ trois mois ; fuivant ce que difent les trois premiers Evangélifte , il fut crucifié la veille du premier Pâ ques fuivant , après fon baptême , & la premiere fois qu'il vint à Jérufalem avec fes Difciples; car tout ce qu'ils difent de fon baptême, de fes voyages , de fes miracles , de fes prédications , & de fa mort & paffion , fe doit rapporter néceffaire , ment à la même année de fon baptême, puifque ces Evangéliftes ne parlent d'au ( 241 ) cune autre année fuivante , & qu'il paroît même, par la narration qu'ils font de fes actions , qu'il les a toutes faites. immédiatement après fon baptême, confécutivement les unes après les autres , & en fort peu de tems , pendant lequel on ne voit qu'un feul intervalle de fix jours avant fa transfiguration , pendant lefquels fix jours on ne voit pas qu'il ait fait aucune chofe. On voit par là qu'il n'auroit vécu après fon baptême qu'environ trois mois ; defquels fi l'on vient à ôter fix femaines de 40 jours & 40 nuits qu'il paffa dans le défert immédiatement après fon baptême, il s'enfuivra que le tems de fa vie publique , depuis fes premieres prédications jufqu'à fa mort , n'aura duré qu'environ fix femaines ; & fuivant ce que Jean dit , il auroit au moins duré trois ans & trois mois , parce qu'il paroît par l'Evangile de cet Apôtre, qu'il auroit été pendant le cours de fa vie publique , trois ou quatre fois à Jérufalem à la fête. de Pâques , qui n'arrivoit qu'une fois l'an. Or s'il eft vrai qu'il y ait été trois ou quatre fois depuis fon baptême , comme Jean le témoigne , il eft faux qu'il n'ait vécu que trois mois après fon baptême, 1 Q 5 ( 242 ) & qu'il ait été crucifié la premiere fois qu'il alla à Jérufalem . Si l'on dit que ces trois premiers Evangéliftes ne parlent effectivement que d'une feule année , mais qu'ils ne marquent pas diftinctement les autres qui fe font écoulées depuis fon baptême , ou que Jean n'entend parler que d'une feule Pâques , quoiqu'il femble qu'il parle de plufieurs , & que ce n'eft que par anticipa tion qu'il répete plufieurs fois que la fête de Pâques des Juifs étoit proche , & que Jéfus alla à Jérufalem , & par conféquent, qu'il n'y a qu'une contrariété apparente fur ce fujet entre ces Evangéliftes , je le veux bien ; mais il eſt conſtant que cette contrariété apparente ne viendroit que de ce qu'ils ne s'expliquent pas avec toutes les circonftances qui auroient été à remarquer dans le récit qu'ils font. Quoi qu'il en foit , il y a toujours lieu de tirer cette conféquence , qu'ils n'étoient donc pas infpirés de Dieu , lorfqu'ils ont écrit leurs hiftoires. 1 Autre contradiction au fujet de la premiere chofe que Jéfus- Chrift fit incontinent après fon baptême ; car les trois premiers Evangéliftes difent qu'il fut auffi -tôt tranfporté par l'Efprit dans un ( 243 ) défert , où il jeûna quarante jours & quarante nuits & où il fut plufieurs fois tenté par le Diable : & fuivant ce que dit Jean , il partit deux jours après fon baptême pour aller en Galilée , où il fit fon premier miracle , en y changeant l'eau en vin aux nôces de Cana , où il fe trouva , trois jours après fon arrivée en Galilée , à plus de trente lieues de l'endroit où il étoit. A l'égard du lieu de fa premiere retraite après la fortie du défert , Matthieu dit ch. 4. vs. 13. qu'il s'en vint en Galilée, & que laiffant la Ville de Nazareth, il vint demeurer à Capharnaum Ville ma ritime. Et Luc. ch. 4. vs. 16. & 41. dit qu'il vint d'abord à Nazareth , & qu'énfuite il vint à Capharnaum. Iis fe contredifent fur le tems & la maniere dont les Apôtres fe mirent à fa fuite ; car les trois premiers difent que Jéfus paffant fur le bord de la mer de Galilée , il vit Simon & André fon frere , & qu'un peu plus loin il vit Jacques & Jean fon frere avec leur pere Zébédée. Jean au contraire dit , que ce fut André , fre re de Simon Pierre , qui fe joignit premiérement à Jéfus , avec un autre Difciple de Jean - Baptifte , l'ayant vû paſſer devant eux, lorfqu'ils étoient avec leur ( 244 ) Maître fur les bords du Jourdain. Au fujet de la Cène , les trois premiers Evangéliftes marquent que Jéfus. Chrift fit l'inftitution du Sacrement de fon corps & de fon fang , fous les efpeces & apparences du pain & du vin , comme parlent nos Chrifticoles Romains : & Jean ne fait aucune mention de ce myf térieux Sacrement. Jean dit , ch. 13. vs. 5. qu'après cette Cène Jéfus lava les pieds à fes Apôtres , qu'il leur commanda expreffément de fe faire les uns aux autres la même chofe , & rapporte un long difcours qu'il leur fit dans ce même tems. Mais les autres Evangéliftes ne parlent aucunement de ce lavement de pieds , ni d'un long difcours qu'il leur fit pour lors. Au contraire ils témoignent qu'incontinent après cette Cène , il s'en alla avec fes Apôtres , fur la montagne des Oliviers , où il abandonna fon ame à la trifteffe ; & qu'enfin il tomba en agonie, pendant que fes Apôtres dormirent un peu plus loin. Ils fe contredifent eux-mêmes fur le jour qu'ils difent qu'il fit cette Cène ; car d'un côté ils marquent qu'il la fit le foir de la veille de Pâques , c'eſt- à- dire le foir du premier jour des Azymes , ou de l'ufage des pains fans levain , comme il eft ( 245 ) marqué dans l'Exode 12. 18. Lévit. 25. 5. dans les Nomb. 28. 16. & d'un autre; côté ils difent qu'il fut crucifié le lendemain du jour qu'il fit cette Cène , vers l'heure de midi , après que les Juifs lui eurent fait fon procès pendant toute la nuit & le matin. Or fuivant leur dire , le lendemain qu'il fit cette Cène , n'aùroit pas dû être la veille dePâques . Donc s'il eft mort la veille de Pâques vers le midi, ce n'étoit point le foir de la veille de cette fête , qu'il fit cette Cène. Donc il y a erreur manifeſte. " Ils fe contredifent auffi fur ce qu'ils rapportent des femmes qui avoient fuivi Jéfus depuis la Galilée ; car les trois premiers Evangéliftes difent que ces femmes & tous ceux de fa connoiffance , entre lefquelles étoient Marie Madeleine , & Marie mere de Jacques & de Jofes & la mere des enfans de Zébédée , regardoient de loin ce qui fe paffoit , lorfqu'il étoit pendu & attaché à la Croix. Jean dit au contraire 19. 25. que la mere de Jéfus & la fœur de fa mere , & Marie Madeleine , étoient debout auprès de la Croix , avec Jean fon Apôtre. La contrariété eft manifefte ; car fi ces femmes & ce Difciple étoient près de lui , elles n'étoient ( 246 ) donc pas éloignées , comme difent les autres. Ils fe contredifent fur les prétendues . apparitions qu'ils rapportent que JéfusChrift fit après fa prétendue réfurrection ; car Matthieu ch. 28. vs. 16. ne parle que de deux apparitions ; l'une lorfquil s'apparut à Marie Madeleine , & à une autre femme nommée auffi Marie, & lorfqu'il s'apparut à fes onze difciples , qui s'étoient rendus en Galilée fur la montagne qu'il leur avoit marquée pour le voir. Marc parle de trois apparitions , la premiere lorfqu'il apparut à Marie Madeleine , la feconde lorfquil apparut à fest deux Difciplés qui alloient à Emmaüs , & la troifieme lorfqu'il apparut à fes onze Difciples , à qui il fit reproche de leur incrédulité. Luc ne parle que des deux premieres apparitions comme Matthieu , & Jean l'Evangelifté parle de quatre apparitions , & ajoute aux trois de Mare , celle qu'il fit à fept ou huit de fes Difciples , qui pêchoient fur la Mer de Tybériade € Ils fe contredifent encore fur le lieu dé ces apparitions.; car Matthieu dit que ce fut en Galilée fur une montagne ; Marc dit que ce fut lorfqu'ils étoient à 1 ( 247 ) table, Lue dit qu'il les mena hors de Jé rufalem , & qu'il les mena jufques en Béthanie , où il les quitta en s'élevant au Ciel: & Jean dit que ce fut dans la ville de Jérufalem , dans une maifon dont ils avoient fermé les portes ; & une autre. fois fur la Mer de Tybériade Voilà bien de la contrariété dans le récit de ces prétendues apparitions. Ils fe contredifent au fujet de fa prétendue A. fcenfion au Ciel ; car Luc & Marc difent pofitivement qu'il monta au Ciel en préfence de fes onze Apôtres ; mais ni Matr thieuani Jean ne font aucune mention de cette prétendue Afcenfion. Bien plus , Matthieu témoigné affez. clairement , qu'il n'eft point monté au Ciel, puifqu'il dit pofitivement que Jéfus Chrift affura fés Apôtres qu'il feroit & qu'il demeure, roit toujours avec eux jufqu'à la fin dés fiecles: Allez donc , leur dit - il dans cette prétendue apparition , enſeignez toutes les Nations , & foyez affurés que je ferai toujours avec vous jufqu'à la fin des fiecles. T. · } Luc fe contredit lui-même fur ce fujet : car dans fon Evangile cb. 24. vs. 50. il dit que ce fut en Béthanie qu'il monta au Ciel en préſence de fes Apôtres ; & dans fes Actes des Apôtres , fuppofé qu'il ( 248 ) en foit l'Auteur , il dit que ce fut fur la montagne des Oliviers. Il fe contredit encore lui - même dans une autre circonftance de cette Afcenfion ; car il marque dans fon Evangile que ce fut le jour même de fa réfurrection , ou la premiere nuit fuivante , qu'il monta au Ciel ; & dans fes Actes des Apôtres , il dit que ce fut 40. jours après fa réfurrection . Ce qui ne s'accorde certainement pas. 军 Si tous les Apôtres avoient véritable. ment vu leur Maître monter glorieufement au Ciel , comment Matthieu & Jean qui l'auroient vu comme les autres auroient- ils paffé fous filence un figlo. rieux myftere , & fi avantageux à leur Maître vu qu'ils rapportent quantité d'autres circonftances de fa vie & de fes actions , qui font beaucoup moins confidérables que celle - ci ? Comment Mat thieu ne fait- il pas mention expreffe de cette Afcenfion , & n'explique - t - il pas clairement de quelle maniere il demeureroit toujours avec eux , quoiqu'il les quit tât vifiblement pour monter au Ciel? Il n'eft pas facile de comprendre par quel fecret il pouvoit demeurer avec ceux qu'il quittoit. SO SID Je paffe fous filence quantité d'autres contradictions ; ce que je viens de dire fuffit ( 249 ) fuffit pour faire voir que ces Livres ne viennent d'aucune infpiration divine , ni même d'aucune fagcffe humaine , & par conféquent qu'ils ne méritent pas qu'on y ajoute aucune foi. Mais par quel privilege ces quatre Evangiles & quelques autres femblables Livres paffent- ils pour Saints & Di vins , plutôt que plufieurs autres qui ne portent pas moins le titre d'Evangile , & ont autrefois été comme les premiers publiés fous le nom de quelques autres Apôtres ? Si l'on dit que les Evangiles réfutés font fuppofés & fauffement attri bués aux Apôtres , on en peut dire autant des premiers ; fi l'on fuppofe les uns falfifiés & corrompus , on en peut fuppoſer autant pour les autres. Ainfi il n'y a point de preuve affuréé pour difcerner les uns d'avec les autres ; en dépit de l'E glife qui veut en décider , elle n'eft pas plus croyable. Pour ce qui eft des prétendus miracles rapportés dans le Vieux Teftament , ils n'auroient été faits que pour marquer de la part de Dieu une injufte & odieufe acception de peuples & de perfonnes , & pour accabler de maux , de propos délibéré , les uns , & pour favorifer tout par ticuliérement les autres. La vocation & Tome II. R (( 250 ) le choix que Dieu fit des Patriarches A braham , Ifaac & Jacob , pour de leur poftérité fe faire un peuple qu'il fanctifieroit & béniroit par deffus tous les au tres peuples de la Terre , en eft une preuve. 1 Mais , dira - t - on , Dieu eft le maître abfolu, de fes graces & de fes bienfaits, il peut les accorder à qui bon lui fem ble, fans qu'on ait droit de s'en plaindre ni l'accufer d'injuftice. Cette raiſon eft vaine ; car Dieu , l'auteur de la nature , le pere de tous les hommes , doit également les aimer tous , comme fes propres ouvrages ; & par conféquent , il doit éga lement être leur protecteur , & leur bien, faiteur ; car celui qui donne l'être , doit donner les fuites & les conféquences né ceffaires pour le bien - être , fi ce n'eft que nos Chrifticoles veuillent dire que leur Dieu voudroit faire exprès des créa tures pour les rendre miférables , ce qu'il feroit certainement indigne de penfer d'un Etre infiniment bon./ D De plus , fi tous les prétendus miracles , tant du Vieux que du Nouveau Teftaiment étoient véritables , on pourroit dire que Dieu auroit eu plus de foin de pourvoir au moindre bien des hommes qu'à leur plus grand & principal bien ; ( 251 )

" qu'il auroit voulu plus févérement punir dans de certaines perfonnes , des fautes légeres , qu'il n'auroit puni dans d'autres de très-grands crimes ; & enfin qu'il n'auroit pas voulu fe montrer fi bienfaifant dans les plus preffans befoins que dans les moindres. C'eft ce qu'il eft facile de faire voir , tant par les miracles qu'on prétend qu'il a faits , que par ceux qu'il n'a pas faits , & qu'il auroit néanmoins plutôt faits qu'aucun autre, s'il étoit vrai qu'il en eût fait. Par exemple , dire que Dieu auroit eu la complaifance d'envo yer un Ange pour confoler & fecourir une fimple fervante , pendant qu'il auroit laiffé & qu'il laiffe encore tous les jours languir & mourir de mifere une infinité d'innocens: qu'il auroit confervé miracu leufement pendant quarante ans les habillemens & les chauffures d'un miférable peuple , pendant qu'il ne veut pas veiller à la confervation naturelle de tant de biens fi utiles & néceffaires pour la fubfiftance des peuples , & qui fe font néanmoins perdus & fe perdent encore tous les jours par différens accidens. Qupi! il auroit envoyé aux premiers Chefs du genre humain , Adam & Eve , un Démon, un Diable , ou un fimple Serpent , pour les féduire , & pour perdre par ce R 2 ( 252 ) moyen tous les hommes ? cela n'eft pas croyable. Quoi il auroit voulu , par une grace fpéciale de fa providence , empêcher que le Roi de Géraris Payen ne tombât dans une faute légere ` avec une femme étrangere , faute cependant qui n'auroit eu aucune mauvaiſe fuite ; & il n'auroit pas voulu empêcher qu'Adam & Eve ne l'off nfaffent , & ne tombaffent dans le péché de défobéiffance , péché qui , felon nos Chrifticoles , devoit être fatal , & caufer la perte de tout le genre humain ? Cela n'eft pas croyable. Venons aux prétendus miracles du Nou veau Teftament. Ils confiftent , comme on le prétend , en ce que Jéfus - Chrift & fes Apôtres guériffoient divinement toutes fortes de maladies & d'infirmités , en ce qu'ils rendoient , quand ils vou loient , la vue aux aveugles , l'ouïe aux fourds , la parole aux muets , qu'ils fai foient marcher droit les boiteux , qu'ils guériffoient les paralytiques , qu'ils chaf foient les démons des corps des poffédés , & qu'ils reffufcitoient les morts. On voit plufieurs de ces miracles dans les Evangiles , mais on en voit beaucoup plus dans les Livres que nos Chrifticoles ont faits des vies admirables de leurs Saints ; car on y lit , prefque partout , ( 253 ) que ces prétendus bienheureux guériſfoient les maladies & les infirmités , chaffoient les Démons prefqu'en toute rencontre, & ce au feul nom de Jéfus , ou par le feul figne de la Croix : qu'ils commandoient , pour ainfi dire aux Flémens que Dieu les favorifoi: fi fort qu'il leur confervoit même après leur mort fon divin pouvoir , & que ce divin pouvoir fe feroit communiqué juf qu'au moindre de leurs habillemens , & même jufqu'à l'ombre de leurs corps & jufqu'aux inftrumens honteux de leur mort. Il eft dit que la chauffette de Saint Honoré reffufcita un mort au fix de Janvier ; que les bâtons de Saint Pierre de Saint Jacques & de Saint Bernard opéroient des miracles. On dit de même de la corde de Saint François , du bâton de Saint Jean de Dieu & de la ceinture de Sainte Mélanie. Il eft dit de Saint Gracilien qu'il fut divinement inftruit de ce qu'il devoit croire & enfeigner , & qu'il fit , par le mérite de fon oraifon , reculer une montagne , qui l'empêchoit de bâtir une Eglife. Que du fépulcre de Saint André il couloit fans ceffe une liqueur , qui guériffoit toutes fortes de maladies. Que l'ame de St. Benoît fut vue monter au Ciel , revêtue d'un préR 3 ( 254 ) cieux manteau , & environnée de lampes ardentes. St. Dominique difoit que Dieu ne l'avoit jamais éconduit de chofes qu'il lui eût demandées. Que St. François commandoit aux hirondelles aux cygnes & autres oifeaux , qu'ils lui obéiffoient ; & que fouvent les poiffons, les lapins & les lievres venoient ſe mettre entre fes mains & dans fon giron. Que St. Paul & St. Pantaleon ayant eu la tête tranchée , il en fortit du lait au lieu de fang. Que le bienheureux Pierre de Luxembourg dans les deux premieres années d'après fa mort, 1388. & 1389. fit 2400 miracles , entre lefquels il y eut 42 morts reffufcités , non compris plus de trois mille autres miracles qu'il a faits depuis , fans ceux qu'il fait encore tous les jours. Que les cinquante Philofophes que Sainte Catherine convertit , ayant tous été jettés dans un grand feu , leurs corps furent après trou. vés entiers , & pas un feul de leurs cheveux brûlé ; que le corps de Ste. Catherine fut enlevé par les Anges après fa mort, & enterré par eux fur le mont Sina . Que le jour de la Canonifation de St. Antoine de Padoue toutes les cloches de la Ville de Lisbonne fonnerent d'ellesmêmes fans que l'on fçût d'où cela ve- ( 255 ) noit que ce Saint étant un jour für le bord de la mer , & ayant appellé les poif fons pour les prêcher , ils vinrent devant lui en foule , & mettant la tête hors de l'eau ils l'écoutoient attentivement. On ne finiroit point s'il falloit rapporter toutes ces balivernes : il n'y a fujet ſi vain & fi frivole , & même fi ridicule où les Auteurs de ces vies de Saints , ne prennent plaifir d'entaffer miracles fur miracles , tant ils font habiles à forger de' beaux menfonges. Voyez auffi le fentiment de Naudé fur cette matiere dans fon Apologie des grands - hommes , Tom. 2. p. 13. › Ce n'eft pas fans raifon en effet que l'on regarde ces chofés comme de vains menfonges ; car il eft facile de voir que tous ces prétendus miracles n'ont été inventés qu'à l'imitation des fables des Poëtes Payens ; c'eft ce qui paroît affez vifiblement par la conformité qu'il y a des uns aux autres. Si nos Chrifticoles difent que Dieu donnoit véritablement pouvoir à fes Saints de faire tous les miracles rapportés dans leurs vies , de même auffi les Payens difent que les filles d'Anius Grand - Prêtre d'Apollon avoient véritablement reçu du R 4 ( 256 ) Dieu Bacchus la faveur & le pouvoir de changer tout ce qu'elles voudroient en bled , en vin , en huile &c. Que Jupiter donna aux Nymphes qui eurent foin de fon éducation une corne de la chèvre qui l'avoit allaité dans fon enfance , avec cette propriété qu'elle leur fourniffoit abondamment tout ce qui leur venoit à fouhait. Si nos Chrifticoles difent que leurs Saints avoient le pouvoir de reffufciter les morts , & qu'ils avoient des révélations divines , les Payens avoient dit avant eux , qu'Athalide fils de Mercure avoit obtenu de fon pere le don de pou voir vivre , mourir & reffufciter quand il voudroit , & qu'il avoit auffi la connoiffance de tout ce qui fe faifoit au monde , & en l'autre vie ; & qu'Efculape , fils d'Apollon , avoit reffufcité des morts, & entr'autres qu'il reffufcita Hypolite fils de Théfée àla priere de Diane , &qu'Hercule reffufcita auffi Alcefte femme d'Admete Roi de Theffalie pour la rendre à fon mari, Si nos Chrifticoles difent que leur Chriſt eft né miraculeufement d'une Vierge fans connoiffance d'homme , les Payens avoient déja dit avant eux que Rémus & ( 257 ) Romulus fondateurs de Rome , étoient miraculeufement nés d'une Vierge Veſtale nommée Ilia , ou Silvia , ou Rea Silvia; ils avoient déja dit que Mars , Arge, Vulcain & d'autres , avoient été engendrés de la Déeffe Junon , fans connoiffance d'homme , & avoient déja dit auffi que Minerve Déeffe des Sciences avoit été engendrée dans le cerveau de Jupiter , & qu'elle en fortit toute armée , par la force d'un coup de poing, dont ce Dieu fe frappa la tête. Si nos Chrifticoles difent que leurs Saints faifoient fortir des fontaines d'eau des rochers , les Payens difent de même que Minerve fit jaillir une fontaine d'huile, en récompenfe d'un Temple qu'on lui avoit dédié. Si nos Chrifticoles fe vantent d'avoir reçu miraculeufement des images du Ciel , comme par exemple celle de Nôtre-Dame de Lorette & de Lieffe, & plufieurs autres préfens du Ciel , comme la prétendue Sainte Ampoule de Rheims , comme la Chafuble blanche que St Ildefonfe reçut de la Vierge Marie , & autres chofes femblales ; les Payens fe vantoient avant eux d'avoir reçu un bouclier facré , pour marque de la confervation de leur ville de Rome; & les Troyens fe vanR 5 ( 258 ) ou toient avant eux d'avoir reçu miraculeufement du Ciel leur Palladium leur Simulacreide Pallas , qui vint , di foient - ils , prendre fa place dans le Temple qu'on avoit édifié à l'honneur de cette Déeffe. Si nos Chrifticoles difent que leur Jé. fus-Chrift fut va par fes Apôtres monter glorieufement au Ciel , & que plufieurs ames de leurs prétendus Saints furent vues transférées glorieufement au Ciel par les Anges ; les Payens Romains a voient déja dit avant eux que Romulus leur fondateur fut vu tout glorieux après fa mort ; que Ganimede fils de Tros Roi de Troye fut par Jupiter tranſporté au Ciel , pour lui fervir d'Echanfon ; que la chevelure de Bérénice ayant été confacrée au Temple de Vénus , fut après tranfportée au Ciel : ils difent la même chofe de Caffiopée & d'Andromede , & même de l'âne de Silène. Si nos Chrifticoles difent que plufieurs corps de leurs Saints ont été miraculeufe-- ment préfervés de corruption après leur mort, & qu'ils ont été retrouvés par des révélations divines , après avoir été fort long-temps perdus fans fçavoir où ils pouvoient être ; les Payens en difent de même du corps d'Orefte , qu'ils préten- ( 259 ) dent avoir été trouvé par l'avertiffement de l'Oracle &c. Si nos Chrifticoles difent que les fept- fre res -dormans dormirent miraculeufement pendant 177 ans, qu'ils furent enfermés dans une caverne ; les Payens difent qu'Epimenides le Philofophe dormit pendant 57 ans dans une caverne où il s'étoit endormi. Si nos Chrifticoles difent que plufieurs de leurs Saints parloient encore miraculeufement après avoir eu la tête ou la langue coupées ; les Payens difent que la tête de Gabienus chanta un long poëme , après avoir été féparée de fon corps. Si nos Chrifticoles fe glorifient de ce que leurs Temples & Eglifes font ornées plufieurs tableaux & riches préfens , qui montrent les guérifons miraculeufes qui ont été faites par l'interceffion de leurs - Saints ; on voit auffi ou du moins on voyoit autrefois , dans le Temple d'Efculape , en Epidaure , quantité de tableaux des cures & guérifons miraculeufes qu'il avoit faites. 1 , Si nos Chrifticoles difent que plufieurs de leurs Saints ont été miraculeufement confervés dans les flammes ardentes, fans y recevoir aucun dommage dans leurs ( 260 ) 1 ! 1 ! + 1 corps , ni dans leurs habits ; les Payens difoient que les Religieufes du Temple de Diane marchoient fur les charbons ardens , pieds nuds , fans fe brûler & fans fe bleffer les pieds , & que les Prêtres de la Déeffe Féronie & de Hyrpicus , mar. choient de même fur des charbons ardens , dans les feux de joye que l'on faifoit à l'honneur d'Apollon. Si les Anges bâtirent une chapelle à Saint Clément au fond de la mer , la petite maifon de Baucis & de Philémon fut miraculeufement changée en un fuperbe Temple en récompenfe de leur piété. 9 Si plufieurs de leurs Saints comme Saint Jacques , Saint Maurice &c. ont plufieurs fois paru dans leurs armées montés & équipés à l'avantage , combat- tre en leur faveur ; Caftor & Pollux ont paru plufieurs fois en bataille combattre pour les Romains contre leurs ennemis. Si un bélier fe trouva miraculeufement pour être offert en facrifice à la place d'Ifaac , lorfque fon Pere Abraham le vouloit facrifier ; la Déeffe Veſta envoya auffi une geniffe pour lui être facrifiée à la place de Metella fille de Metellus : la Déeffe Diane envoya de même une biche à la place d'Iphigénie , lorfqu'elle étoit ( 261 ) fur le bucher , pour lui être immolée , & par ce moyen Iphigénie fut délivrée. Si Saint Jofeph fuit en Egypte, fur l'avertiffement de l'Ange ; Simonides le Poëte évita plufieurs dangers mortels , fur un avertiſſement miraculeux qui lui en fut fait. Si Moyfe fit fortir une fource d'eau vive d'un rocher en le frapant de fon bâton ; le Cheval Pégafe en fit autant ; en frapant de fon pied un rocher, il en fortit une fontaine. Si Saint Vincent Ferrier reſſuſcita un mort haché en pieces, & dont le corps étoit déja moitié cuit & moitié rôti , Pelops fils de Tantale Roi de Phrygie ayant été mis en pieces par fon pere , pour le faire manger aux Dieux , ils en ramafferent tous les membres, les réunirent & lui rendirent la vie. Si plufieurs Crucifix & autres images ont miraculeufement parlé & rendu des réponſes , les Payens difent que leurs Oracles ont divinement parlé , & rendu des réponſes à ceux qui les confultoient & que la tête d'Orphée & celle de Policrates rendoient des oracles après leur mort. Si Dieu fit connoître par une voix du Ciel que Jéfus-Chrift étoit fon fils com- ( 262 ) me le citent les Evangéliftes , Vulcain fit voir par l'apparition d'une flamme miraculeufe que Coculus étoit véritablement fon fils. > Si Dieu a miraculeufement nourri quelques- uns de fes Saints ; les Poëtes Payens: difent qué Triptoleme fut miraculeufe ment, nourri d'un lait divin par Cérès qui lui donna auffi un char attelé de deux dragons , & que Phénée fils de Mars é tant forti du ventre de fa mere déja morte, fut néanmoins miraculeufement nourri de fon lait. Tim a Si plufieurs Saints ont miraculeuſement adouci la cruauté & la férocité des bêtes les plus cruelles il eft dit qu'Orphée attiroit à lui par la douceur de fon chant & l'harmonie de fes inftrumens , les lions , les ours & les tigres , & adouciffoit la férocité de leur nature,; qu'il attiroit à lui les rochers , les arbres , & même les rivieres arrêtoient leurs cours pour l'en, tendre chanter.……. Enfin pour abréger , car on en pourroit rapporter bien d'autres , finos Chrif ticoles difent que les murailles de la vil le de Jéricho tomberent par le fon des trompettes ; les Payens difent que les murailles de la ville de Thèbes furent bâties par le fon des inftrumens de mufique ( 263 ) d'Amphion, les pierres , difent les Poëtes , s'étant agencées d'elles - mêmes, par la douceur de fon harmonie ; ce qui fe roit encore bien plus miraculeux & plus admirable , que de voir tomber des mu railles par terre. Voilà certainement une grande conformité de miracles de part & d'autre. Commerce feroit une grande fottife d'a jouter foi à ces prétendus miracles du Paganifme , ce n'en eft pas moins une d'en ajouter à ceux du Chriftianifme puif qu'ils ne viennent tous que d'un même principé d'erreur. C'étoit pour cela auffi que les Manichéens & les Ariens , qui étoient vers le commencement du Chrif tianifme , fe moquoient de ces prétendus miracles , faits par l'invocation des Saints , & blâmoient & ceux qui les invoquoient après leur mort , & qui honoroient leurs reliques.val êm sb n'a y 2 Revenons à préfent à la principale fin que Dieu fe feroit propofée en envoyant fon fils au monde , qui fe feroit fait homme; ç'auroit été , comme il eft dit d'ôter les péchés du monde & de détruire entiérement les oeuvres du prétendu Démon &c. C'eſt ce que nos Chrifticoles foutiennent , comme auffi queJéfus- Chrift auroit bien voulu mourir par l'amour ( 284 ) d'eux , fuivant l'intention de Dieu fon Pere , ce qui eft clairement marqué dans tous les prétendus faints Livres. Quoi ! un Dieu tout-puiffant & qui auroit voulu fe faire homme mortel pour l'amour d'eux , & répandre jufqu'à la derniere goutte de fon fang pour les fauyer tous , auroit voulu borner fa puiffance à guérir feulement quelques maladies & quelques infirmités du corps , dans quelques infirmes qu'on lui auroit préfentés , & il n'auroit pas voulu employer fa bonté divine à guérir toutes les infirmités de nos ames , c'eft - à - dire , à guérir tous les hommes de leurs vices & de leurs déréglemens , qui font pires que les maladies du corps? Cela n'eft pas croyable. Quoi ! un Dieu fi bon auroit voulu miraculeufement préferver des corps morts de pourriture & de corruption , & il n'au roit pas voulu de méme préferver de la contagion & de la corruption du vice & du péché , les ames d'une infinité de perfonnes qu'il feroit venu racheter au prix de fon fang, & qu'il devoit fanctifier par fa grace? Quelle pitoyable contradiction ! CHA- ( 265 ) CHAPITRE III. TA IIIe. Preuve de la fauffeté de la Religion , tirée des prétendues Vifions & Révélations Divines. V Enons aux prétendues Vifions & Révélations Divines , fur lefque! - les nos Chrifticoles fondent & établiffent la vérité & la certitude de leur Religion. Pour en donner une juſte idée , je ne crois pas qu'on puiffe mieux faire que de dire en général, qu'elles font telles que fi quelqu'un ofoit maintenant fe vanter d'en avoir de femblables & qu'il voulûit s'en prévaloir , on le regarderoit infailli blement comme un fol , un fanatique. Voici quelles furent ces prétendues vifions & révélations divines. Dieu , difent les prétendus faints Livres , s'étant pour la premiere fois apparu à Abraham, lui dit : Sortez de vo- " tre pays (il étoit alors en Chaldée) 59 99 • n ,, quittez la maifon de votre pere , & allez - vous en au pays que je vous montrerai. " Cet Abraham y étant allé , Dieu , dit l'hiftoire , Gen. 12. I. s'ap. parut une feconde fois à lui , & lui dit : Tome II. S ( 266 ) ,, Je donnerai tout ce pays- ci où vous ê- ,, tes , à votre poftérité." En reconnoiffance de cette gracieufe promeffe Abraham lui dreffa un Autel. Après la mort d'Ifaac , fon fils Jacob allant un jour en Méfopotamie pour chercher une femme qui lui fût convenable , ayant marché tout le jour , fe fentant fatigué du chemin , il voulut fe repofer fur le foir ; couché par terre, fa tête appuyée fur quelques pierres pour s'y repofer , il s'endormit , & pendant fon fommeil il vit en fonge une échelle dreffée de la terre à l'extrémité du Ciel , & il lui femboit voir les Anges monter & defcendre par cette échelle , & qu'il voyoit Dieu lui-même s'appuyer fur le plus haut bout , lui difant ; ,, Je fuis le Sei ,, gneur , le Dieu d'Abraham & le Dieu d'Ifaac votre pere ; je vous donnerai à vous & à votre poftérité tout le pays où vous dormez ; elle fera auffi nombreufe que la pouffiere de la terre ; elle s'étendra depuis l'Orient jufqu'à l'Occident , & depuis le Midi jufqu'au Septentrion ; je ferai votre protecteur ,, partout où vous irez ; je vous ramene. rai fain & fauf de cette terre ne vous abandonnerai point , que je n'aye accompli tout ce que je vous ai وو دو وو 22 "" "" & je ( 207 ) » promis. " Jacob s'étant éveillé dans ce fonge , fut faifi de crainte , & dit : ,, Quoi ! Dieu eft vraiment ici , & je ,, n'en fçavois rien. Ah! que ce lieu-ci eft terrible , puifque ce n'eft autre chofe que la Maifon de Dieu &la por- ,, te du Ciel ! " Puis s'étant levé , il dreffa une pierre , fur laquelle il répandit de l'huile en mémoire de ce qui venoit de lui arriver , & fit en même tems vœu à Dieu que s'il revenoit fain & fauf, il lui offriroit la dixme de tout ce qu'il auroit. Voici encore une autre vifion. Gardant les troupeaux de fon beau- pere Laban , qui lui avoit promis que tous les agneaux de diverfes couleurs que les bre bis produiroient , feroient fa récompenfe , il fongea une nuit qu'il voyoit les mâles fauter fur les femelles , & qu'elles lui produifoient toutes des agneaux de diverfes couleurs. Dans ce beau fonge Dieu lui apparut & lui dit : (*) ,, Regardez & ,, voyez comme les mâles montent fur les femelles , & comme ils font de diverfes couleurs ; car j'ai vu la tromperie & l'injuftice que vous fait Laban ,, votre beau - pere ; levez vous done دو "9 (*) Gen. 31. 12. $ 2 ( 262 ) me le citent les Evangéliftes , Vulcain fit voir par l'apparition d'une flamme miraculeufe que Coculus étoit véritablement fon fils. Si Dieu a miraculeufement nourri quelques- uns de fes Saints ; les Poëtes Payens difent que Triptoleme fut miraculeufe ment, nourri d'un lait divin par Cérès , qui lui donna auffi un char attelé de deux dragons , & que Phénée fils de Mars étant forti du ventre de fa mere déja morte , fut néanmoins miraculeufement nourri de fon lait. Si plufieurs Saints ont miraculeuſement adouci la cruauté & la férocité des bêtes les plus cruelles il eft dit qu'Orphée attiroit à lui par la douceur de fon chant & l'harmonie de fes inftrumens , les lions , les ours & les tigres , & adouciffoit la férocité de leur nature ; qu'il attiroit à lui les rochers , les arbres , & même les rivieres arrêtoient leurs cours pour l'en tendre chanter. Enfin pour abréger , car on en pour roit rapporter bien d'autres , finos Chrif ticoles difent que les murailles de la vil le de Jéricho tomberent par le fon des trompettes ; les Payens difent que les murailles de la ville de Thèbes furent bâties par le fon des inftrumens de mufique ( 263 ) d'Amphion, les pierres , difent les Poëtes , s'étant agencées d'elles - mêmes , par la douceur de fon harmonie ; ce qui feroit encore bien plus miraculeux & plus admirable , que de voir tomber des mu railles par terre. Voilà certainement une grande conformité de miracles de part & d'autre. Commerce feroit une grande fottife d'a jouter foi à ces prétendus miracles du Paganifme , ce n'en eft pas moins une d'en ajouter à ceux du Chriftianifme , puifqu'ils ne viennent tous que d'un même principé d'erreur. C'étoit pour cela auffique les Manichéens & les Ariens , qui étoient vers le commencement du Chriftianifme , fe moquoient de ces prétendus miracles, faits par l'invocation des Saints , & blâmoient ceux qui les invoquoient après leur mort , & qui honoroient leurs reliques.varem them sbob n'a many ang tit Revenons à préfent à la principale fin que Dieu fe feroit propofée en envoyant fon fils au monde , qui fe feroit fait homme; ç'auroit été, comme il eft dit d'ôter les péchés du monde & de détruire entiérement les œuvres du prétendu Démon &c. C'eft ce que nos Chrifticoles foutiennent , comme auffi queJéfus- Chriſt auroit bien voulu mourir par l'amour ( 268 ) 1 99 maintenant , fortez de ce pays - ci , & retournez dans le votre . Comme il s'en retournoit avec toute fa famille , & avec ce qu'il avoit gagné chez fon beaupere , il eut , dit l'hiftoire , en rencontre pendant la nuit un homme inconnu , contre lequel il lui fallut combattre toute la nuit jufqu'au point du jour

& cet homme ne l'ayant pu vaincre , il lui demanda qui il étoit . Jacob lui dit fon nom

Vous ne ferez plus appellé Jacob mais Ifraël , car puifque vous avez été fort en combattant contre Dieu , à ,, plus forte raifon ferez - vous fort en combattant contre les hommes . Gen. " 32. 25. 28. "" 99 دو Voilà quelles furent en partie les premieres de ces prétendues vifions & révélations divines. Il ne faut pas juger autrement des autres que de celles - ci. Or quelle apparence de divinité y a - t - il dans des fonges fi groffiers & dans des illufions fi vaines ? Si quelques perfonnes venoient maintenant nous conter de pareilles fornettes , & les cruffent pour de véritables révélations divines

comme

, par exemple , fi quelques étrangers , quelques Allemands venus dans notre France , & qui auroient vu toutes les plus beli ( 269 ) les Provinces du Royaume, venoient à dire que Dieu leur feroit apparu dans leur pays , qu'il leur auroit dit de venir en France , & qu'il leur donneroit à eux & à tous leurs defcendans toutes les belles Terres , Seigneuries , & Provinces de ce Royaume, qui font depuis les fleuves du Rhin & du Rhône jufqu'à la Mer Océane ; qu'il feroit une éternelle alliance avec eux, qu'il multiplieroit leur race , qu'il rendroit leur poftérité auffi nombreufe que les étoiles du Ciel & que les grains de fable de la mer &c.; qui ' ne riroit de telles fotifes , & qui ne regarde roit ces étrangers comme des fous ? Il n'y a certainement perfonne qui ne les regardât comme tels . & qui ne fe moquât de toutes ces belles vifions & révélations divines. Or il n'y a aucune raifon de juger ni de penfer autrement de tout ce qu'on fait dire à ces grands prétendus Saints Patriarches Abraham , Ifaac &Jacob , fur les prétendues révélations divines qu'ils difoient avoir eues. A l'égard de l'inftitution des facrifices fanglans , les Livres facrés l'attribuent manifeftement à Dieu. Comme il feroit trop ennuyant de faire les détails dégoûttans de ces fortes de facrifices , je renS 3 ( 270 ) voye le Lecteur à l'Exode ch. 25. 1 : 27. 1. & 21 : 28. 3 : 29. 1 : ibid. vs. 2. us. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. Mais les hommes n'étoient- ils pas bien fous & bien aveuglés de croire faire honneur à Dieu , de déchirer , tuer & brûler fes propres créatures fous prétexte de lui en faire des facrifices ? Et maintenant encore comment eft-ce que nos Chriftico. les font fi extravagans que de croire faire un plaifir extrême à leur Dieu le Pere de lui offrir éternellement en facrifice fon Divin Fils en mémoire de ce qu'il auroit été honteufement & miférablement pendu à une croix où il feroit expiré ? Certaine ment cela ne peut venir que d'un opiniâtre aveuglement d'efprit. A l'égard du détail des facrifices d'animaux , il ne confifte qu'en des vêtemens de couleurs , en fang, freffures , foyes , jabots , rognons , ongles , peaux , fiente , fumée , gâteaux , certaines mefures d'hui le & de vin ; le tout offert , & infecté de cérémonies fales & auffi pitoyables que des opérations de magie les plus extrava gantes. Ce qu'il y a de plus horrible , c'eſt que la Loi de ce déteftable peuple Juif ordon noit auffi que l'on facrifiât des hommes. Les barbares (tels qu'ils foient) qui 2- ( 271 ) voient rédigé cette loi affreufe , ordon . noient Levit. ch. 27. que l'on fît mourir fans miféricorde tout homme qui avoit été voué au Dieu des Juifs , qu'ils nommoient Adonaï , & c'eft felon ce précepte exécrable que Jephté immola fa fille , que Saül voulut immoler fon fils. Mais voici encore une preuve de la fauffeté de ces révélations , dont nous avons parlé. C'eft le défaut d'accomplif fement des grandes & magnifiques promelles qui les accompagnoient ; car il eft conftant que ces promeffes n'ont jamais été accomplies. La preuve de cela confifte en trois chofes principales : 10. A rendre leur postérité plus nombreufe que tous les autres peuples de la terre &c. 20. A rendre le peuple qui viendroit de leur race , le plus heureux , le plus faint & le plus triomphant de tous les peuples de la terre &c. 3º. Et auffi à rendre fon alliance éternelle , & qu'ils poffederoient à jamais le pays qu'il leur donneroit. Or il eft conftant que ces promeffes n'ont jamais été accomplies. Premiérement. Il eſt certain que le peuple Juif, ou le peuple d'Ifraël , qui eft le feul qu'on puiffe regarder comme defcendant des Patriarches Abraham , Ifaac $ 4 ( 272 ) & Jacob, & le feul dans lequel ces promeffes auroient dû s'accomplir , n'a jamais été fi nombreux pour qu'il puiffe être comparable en nombre aux autres peuples de la terre , beaucoup moins par conféquent aux grains de fable &c. ; car l'on voit que dans le tems même qu'il a été le plus nombreux & le plus floriffant , il n'a jamais occupé que les petites Provinces ftériles de la Paleſtine & des envi rons , qui ne font prefque rien en comparaifon de la vafte étendue d'une multitude de Royaumes floriffans qui font de tous côtés fur la terre. Secondement. Elles n'ont jamais été accomplies touchant les grandes bénédic tions dont ils auroient dû être favorisés ; car quoiqu'ils ayent remporté quelques petites victoires fur de pauvres peuples qu'ils ont pillés , cela n'a pas empêché qu'ils n'ayent été le plus fouvent vaincus & réduits en fervitude ; leur Royaume a été détruit auffi bien que leur nation par l'armée des Romains : &maintenant encore nous voyons que le refte de cette malheureuſe nation n'eft regardé que comme le peuple le plus vil & le plus mépriſable de toute la terre , n'ayant en aucun endroit ni domination ni fupériorité. Troifiémement. Enfin ces promeffes ( 273 ) n'ont point été non plus accomplies à l'égard de cette alliance éternelle que Dieu auroit dû faire avec eux ; puifque l'on ne voit maintenant & que l'on n'a même jamais vu aucune marque de cette alliance; & qu'au contraire ils font , depuis plufieurs fiecles , exclus de la poffeffion du petit pays qu'ils prétendent leur avoir été promis de la part de Dieu pour en jouïr à tout jamais. Ainfi toutes ces prétendues promeffes n'ayant point eu leur effet , c'eſt une marque affurée de leur fauffeté. Ce qui prouve manifeſtement encore que ces prétendus faints & facrés Livres qui les contiennent , n'ont pas été faits par l'inſpiration de Dieu. Donc c'eſt en vain que nos Chrifticoles prétendent s'en fervir comme d'un témoignage infaillible pour prouver la vérité de leur Religion. S 5 ( 274 ) CHAPITRE IV. Des Prophéties & des Ecritures Saintes. PREMIERE SECTION. N De l'Ancien Teftament. Os Chrifticoles mettent encore au rang des motifs de crédibilité & des preuves certaines de la vérité de leur Religion , les Prophéties , qui font , prétendent - ils , des témoignages affurés de la vérité des révélations ou infpirations de Dieu , n'y ayant que Dieu feul qui puiffe certainement prédire les chofes futures fi longtems avant qu'elles foient ar- rivées , comme font celles qui ont été prédites par les Prophêtes. Voyons donc ce que c'eft que ces prétendus Prophêtes, & fi l'on en doit faire tant d'état que nos Chrifticoles le prétendent. Ces hommes n'étoient que des vifionnaires & des fanatiques , qui agiffoient & parloient fuivant les impulfions ou les tranſports de leurs paffionis dominantes , & qui s'imaginoient cependant que c'é 25 ( 275 ) toit par l'efprit de Dieu qu'ils agiffoient & qu'ils parloient ; ou bien c'étoit des impofteurs qui contrefaifoient les Prophê- tes , & qui , pour tromper plus facile . ment les ignorans & les fimples , fe vantoient d'agir & de parler par l'efprit de Dieu. Je voudrois bien fçavoir comment feroit reçu un Ezéchiel qui dit ch. 3. & 4. que Dieu lui a fait manger à fon déjeûner un livre de parchemin , lui a ordonné de fe faire lier comme un fou , lui a prefcrit de fe coucher 390 jours fur le côté droit & 40 fur le gauche; lui a commandé de manger de la merde fur fon pain, & enfuite par accommodement de la fiente de bœuf? Je demande comment un pareil extravagant feroit reçu chez les plus imbécilles mêmes de tous nos Provinciaux ? Quelle plus grande preuve encore de la fauffeté de ces prétendues prédictions , que les reproches violens que ces Prophêtes fe faifoient les uns aux autres, de ce qu'ils parloient fauffement au nom de Dieu ; reproches mêmes qu'ils fe faifoient, difoient-ils , de la part de Dieu. Voyez Ezech. 13. 2. Sophon. 3. 4. & Jérém. 2. 8. Ils difent tous , gardez - vous des faux: Prophetes, comme les vendeurs de Miri- ( 276 ) + date difent , gardez-vous des Pillules con trefaites. Ces malheureux font parler Dieu d'une maniere dont un crocheteur n'oferoit parler. Dieu dit au 23e. chap . d'Ezéchiel , que la jeune Oolla n'aime que ceux qui ont membre d'âne & fperme de cheval. Comment ces fourbes infenfés auroientils connu l'avenir ? Nulle prédiction en faveur de leur nation Juive n'a été accomplie. Le nombre des Prophéties qui prédi fent la félicité & la grandeur de Jérufalem , eft prefque innombrable ; auffi dirat- on , il est très- naturel qu'un peuple vain. cu & captif fe confole dans fes maux réels par des espérances imaginaires , com me il ne s'eft pas paffé une année depuis la deftitution du Roi Jacques , que les Irlandois de fon parti n'ayent forgé plu fieurs prophéties en fa faveur. il Mais fi ces promeffes faites aux Juifs fe fuffent effectivement trouvées véritables , y auroit déja longtems que la Nation Juíve auroit été & feroit encore le peu-' ple le plus nombreux , le plus puiffant , le plus heureux & le plus triomphant. 1 ( 277 ) DEUXIEME SECTION. It Du Nouveau Teftament. L faut maintenant examiner les prétendues Prophéties contenues dans les Evangiles. دو 99 Premiérement. Un Ange s'étant apparu en fonge à un nommé Jofeph , pere au moins putatif de Jéfus fils de Marie , lui dit : ,, Jofeph fils de David , ne crai- ,, gnez point de prendre chez vous Ma- ,, rie votre époufe ; car ce qui eft dans ,, elle eft l'ouvrage du Saint Eſprit. (*) Elle vous enfantera un fils que vous ,, appellerez Jéfus , parce que ce fera lui ,, qui délivrera fon peuple de fes péchés. Cet Ange dit auffi à Marie : Ne ,, craignez point , parce que vous avez trouvé grace devant Dieu. Je vous déclare que vous concevrez dans votre fein , & que vous enfanterez un fils que vous nommerez Jéfus. Il fera grand , fera appellé le fils du Très- " " " 99 (*) Combien , dit Montagne , y a-t - il d'hiftoires de femblables cocuages procurés par les Dieux, contre les pauvres bumaines &c. El. p. 500 ( 278 ) 23 "" "" "" " 99 " " Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le Thrône de David fon Pere ; il régnera à jamais dans la maifon de Jacob, & fon régne n'aura point de fin. Matth. 1. 20. & Luc. 1. 3. Jéfus commença à prêcher & à dire , Faites pénitence , car le Royaume du Ciel approche. Matth. 4. 17. Ne vous mettez pas en peine , & ne dites pas. ,, que mangerons-nous ? ou que boironsnous ? ou de quoi ferons - nous vétus ? car votre Pere célefte fçait que toutes ces chofes vous font néceffaires. Cherchez donc premiérement le Royaume de Dieu & fa juftice , & toutes ces chofes vous feront données par furcroft. Matth. 6. 30. 31. 32. 99 "" "" "" Or maintenant que tout homme qui n'a pas perdu le fens commun , examine un peu , fi ce Jéfus a été jamais Roi , fi fes difciples ont eu toutes chofes en abon dance. Ce Jéfus promet fouvent qu'il délivrera le monde du péché. Y a- t - il une prophétie plus fauffe ? & notre fiecle n'en eft -il pas une preuve parlante? Il eft dit que ce Jéfus eft venu fauver ton peuple. Quelle façon de le fauver? C'eft la plus grande partie qui donne la dénomination à une chofe : une douzaine ( 279 ) ou deux, par exemple , d'Efpagnols , où de François , ne font pas le peuple François ou le peuple Efpagnol; fi une armée de cent vingt mille hommes étoit faite prifonniere de guerre par une plus forte armée d'ennemis , & fi le chef de cette armée rachetoit feulement quelques hommes , comme dix à douze foldats ou officiers en payant leur rançon , on ne diroit pas pour cela qu'il auroit délivré ou racheté fon armée. Qu'eft-ce donc qu'un Dieu qui vient fe faire crucifier & mourir pour fauver tout le monde & qui laiffe tant de nations damnées ? Quelle pitié & quelle horreur! " Jéfus- Chrift dit qu'il n'y a qu'à demander & qu'on recevra , qu'à chercher & qu'on trouvera. Il affure que tout ce qu'on demandera à Dieu en fon nom, on l'obtiendra, & que fi l'on avoit feulement la groffeur d'un grain de moutarde de foi , l'on feroit par une feule parole tranfporter des montagnes d'un endroit à un autre. Si cette promeffe eût été véritable , rien ne paroîtroit impoffible à nos Chrifticoles qui ont la foi à leur Chriſt. Cependant tout le contraire arrive. Si Mahomet eût fait de femblables promeffes à fes fectateurs que le Chrift en e • ( 280 ) fait aux fiens fans aucun fuccès , que ne diroit- on pas? on crieroit , ha ! le fourbe ! ha ! l'impofteur ! ha ! les fous de croire un tel impofteur ! Les voilà ces Chrifticoles eux mêmes dans le cas ; il y a longtemps qu'ils y font fans revenir de leur aveuglement. Au contraire ils font fi ingénieux à fe tromper , qu'ils prétendent que ces promeffes ont eu leuraccompliffement dès le commencement du Chriftianifme : étant pour lors , difent-ils , néceffaire qu'il. y eût des miracles , afin de convaincre les incrédules de la vérité de la Religion ; mais que cette Religion étant fuffifamment établie , les miracles n'ont plus été néceffaires : où eft donc la certitude de cette propofition ? D'ailleurs celui qui a fait ces promeffes ne les a pas reſtraintes feulement pour un certain temps ni pour certains lieux , ni pour certaines perfonnes en particulier ; mais il les a faites généralement à tout le monde. La foi de ceux qui croi- ,, ront , dit - il , fera fuivie de ces mira99 cles -ci ils chafferont les Démons en ,, mon nom; ils parleront diverfes lan- ,, gues ; ils toucheront les ferpens &c. A l'égard du transport des montagnes , il dit pofitivement que quiconque dira à une montagne , ôte- toi de là , & terjette 1 ( (~281 ) te dans la mer, pourvu qu'il n'hésite pas en fon cœur , mais qu'il croye , tout ce qu'il commandera , fera fait. Ne fontce pas des promeffes qui font tout- à- fait générales, fans reftriétion de temps, de lieux ni de perfonnes? Il eft dit que toutes les fectes d'erreurs & d'impoftures prendront honteusement fin. Mais fi Jéfus - Chrift entend feulement dire qu'il a fondé & établi une fociété de fectateurs , qui ne tomberoient point dans le vice , ni dans l'erreur , ces paroles font abfolument fauffes , puifqu'il n'y a dans le Chriftianifme aucune fecte , ni fociété & Eglife , qui ne foit pleine d'erreurs & de vices, principalement la fecte ou fociété de l'Eglife Romaine , quoiqu'elle fe dife la plus pure & la plus fainte de toutes. Il y a long-temps qu'elle eft tombée dans l'erreur ; elle y eft née ; pour mieux dire , elle y a été gendrée & formée; & maintenant elle eſt même dans des erreurs qui font contre l'intention , les fentimens & la doctrine de fon fondateur , puifqu'elle a contre fon deffein aboli les loix des Juifs qu'il approuvoit, & qu'il étoit venu lui- même, difoit - il , pour les accomplir & non pour les détruine , & qu'elle eft tombée dans les erreurs & l'idolâtrie du Paganifme , comTome II, Ꭲ . ་ ་ en- ( 282 ) me il fe voit par le culte idolâtrique qu'elle rend à fon Dieu de pâte , à fes Saints , à leurs images & à leurs reliques. Je fçai bien que nos Chrifticoles regar dent comme une groffiéreté d'efprit , de vouloir prendre au pied de la lettre les promeffes & prophéties comme elles font exprimées; ils abandonnent le fens litté ral & naturel des paroles , pour leur donner un fens qu'ils appellent myftique & fpirituel , & qu'ils nomment allégorique & tropologique ; difant , par exemple , que par le peuple d'Ifraël & de Juda , à qui ces promeffes ont été faites , il faut entendre , non les Ifraëlites felon la chair , mais les Ifraëlites felon l'efprit , c'eft-à-dire les Chrétiens , qui font l'If raël de Dieu , le vrai peuple choiſi. , Que par la promeffe faite à ce peuple efclave de le délivrer de la captivité , il faut entendre , non une délivrance corporelle d'un feul peuple captif, mais la délivrance fpirituelle de tous les hommes , de la fervitude du Démon , qui fe devoit faire par leur divin Sauveur. Que par l'abondance des richeffes , & toutes les félicités temporelles promifes à ce peuple , il faut entendre l'abondance des graces fpirituelles ; & qu'enfin ( 283 ) par la ville de Jérufalem , il faut entendre , non la Jérufalem terreftre , mais là Jérufalem fpirituelle , qui eft l'Eglife Chrétienne. Mais il eft facile de voir que ces fens fpirituels allégoriques n'étant qu'un fens étranger , imaginaire , * un fubterfuge des interprêtes, il ne peut nullement fervir à faire voir la vérité ni la fauffeté d'une propofition ni d'une promeffe quelconque. Il eft ridicule de forger ainfi des fens allégoriques , puifque ce n'eft que par rapport au fens naturel & véritable que l'on peut juger de la véritě ou de la fauffeté. Une propofition , par exemple , une promeffe qui fe trouve véritable dans le fens propre & naturel des termes dans lefquels elle eft conçue , ne deviendra pas fauffe en elle - même , fous prétexte qu'on voudroit lui donner un fens étranger qu'elle n'auroit pas : de même que celles qui fe trouvent manifeftement fauffes dans leur fens propre & naturel , ne deviendront pas véritables en elles-mêmes , fous prétexte qu'on voudroit leur donner un fens étranger qu'elles n'auroient pas. On peut dire que les prophéties de l'Ancien Teftament ajoutées au Nouveau font des chofes bien abfurdes & T 2 ( 284 ) bien puériles. Par exemple , Abraham avoit deux femmes , dont l'une qui n'étoit que fervante figuroit la Synagogue, & l'autre qui étoit époufe figuroit l'Eglife Chrétienne. Et fous prétexte encore que cet Abraham avoit eu deux fils , dont l'un qui étoit de la fervante figuroit le vieux Teftament , & l'autre qui étoit de fon époufe figuroit le nouveau Teftament. Qui ne riroit d'une fi ridi cule doctrine ? ( *) N'eft -il pas encore plaifant qu'un morceau de drap rouge expofé par une putain , pour fervir de fignal à des efpions , dans l'ancien Teftament , foit la figure du fang de Jéfus - Chrift répandu dans le nouveau ? Si fuivant cette maniere d'interpréter allégoriquement tout ce qui s'eft dit, fait & pratiqué dans cette ancienne Loi des Juifs , on vouloit interpréter de même allégoriquement tous les difcours , tou. tes les actions & toutes les avantures du fameux Don Quichote de la Manche; on y trouveroit certainement autant de myf res & de figures. C'eft néanmoins fur ce ridicule fon- (*) Spectatum admiſſi rifum teneatis amisi. De Arte Poëtica Horat. 5. vèrſ. ( 285 ) dement que toute la Religion Chrétienne fubfifte. C'eft pourquoi il n'eſt prefque rien dans cette ancienne Loi , que les Docteurs Chrifticoles ne tâchent d'expliquer myftiquement. La prophétie la plus fauffe & la plus ridicule qu'on ait jamais faite eft celle de Jéfus , dans Luc. ch. 22. Il est prédit qu'il y aura des fignes dans le foleil, & dans la lune , & que le fils de l'homme viendra dans une nuée juger les hommes ; & il prédit cela pour la génération préfente. Cela eft - il arrivé ? le fils de l'homme eft, il venu dans une nuée ? L CHAPITRE V. V. Preuve tirée des erreurs de la doctrine & de la morale. A Religion Chrétienne , Apoftolique & Romaine , enfeigne & obli , ge de croire , qu'il n'y a qu'un feul Dieu , & en même tems qu'il y a trois perfonnes divines , chacune defquelles eft véritablement Dieu. Ce qui eft manifeftement abfurde ; car s'il y en a trois qui foient véritablement Dieu , ce font T 3 ( 286) véritablement trois Dieux. Il eft faux de dire qu'il n'y ait qu'un feul Dieu ; ou s'il eft vrai de le dire , il eft faux de dire qu'il y en ait véritablement trois qui font Dieu , puifqu'un & trois ne fe peut véritable ment dire d'une feule & même chofe, Il eſt auffi dit que la premiere de ces prétendues perfonnes divines , qu'on appelle le Pere , a engendré la feconde perfonne qu'on appelle le Fils , & que ces deux premieres perfonnes enfemble ont produit la troifieme que l'on appelle le Saint- Efprit, & néanmoins que ces trois prétendues divines perfonnes ne dépendent point l'une de l'autre , & ne font pas même plus anciennes l'une que l'autre. Cela eft encore manifeftement abJurde , puifqu'une chofe ne peut recevoir fon être d'une autre , fans quelque dépendance de cette autre , & qu'il faut néceffairement qu'une chofe foit , pour qu'elle puiffe donner l'être à une autre. Si donc la feconde & la troifieme perfonnes divines ont reçu leur être de la pre miere , il faut néceffairement qu'elles dé pendent dans leur être , de cette pre miere perfonne , qui leur auroit donné l'être , ou qui les auroit engendrées ; & il faut néceffairement auffi que cette premiere qui auroit donne l'être aux ((287 ) deux autres , ait été avant , puifque ce qui n'eft point , ne peut donnner l'être à rien. D'ailleurs il répugne & il eft abfurde de dire , qu'une chofe qui auroit été engendrée ou produite n'auroit point eu de commencement. Or felon nos Chrifticoles , la feconde & la troifieme perfonne ont été engendrées ou produites ; donc elles ont eu un commencement ; & fi elles ont eu un commencement, & que la premiere perfonne n'en ait point eu, comme n'ayant point été engendrée , ni produite d'aucune autre, il s'enfuit de néceffité que l'une ait été avant l'autre.. Nos Chrifticoles qui fentent ces abfur . dités , & qui ne peuvent s'en parer par aucune bonne raifon , n'ont point d'autre reffource que de dire qu'il faut pieufement fermer les yeux de la raifon humaine , & humblement adorer de fi hauts myfteres fans vouloir les comprendre. Mais comme ce qu'ils appellent foi eft ci - devant folidement réfuté , lorfqu'ils nous difent qu'il faut fe foumettre , c'eſt comme s'ils difoient qu'il faut aveuglé ment croire ce qu'on ne croit pas. Nos Déichrifticoles condamnent ouvertement l'aveuglement des anciens Payens qui adoroient plufieurs Dieux. Ils T 4 (( 288 )) fé raillent de la généalogie de leurs Dieux, de leurs naiffances , de leurs mariages & de la génération de leurs enfans ; & ils ne prennent pas garde qu'ils difent des chofes beaucoup plus ridicules & plus abfurdes, Si les Payens ont crû qu'il y avoit des Déeffes auffi bien que des Dieux , que ces Dieux & ces Déeffes fe marioient ," & qu'ils engendroient des enfans ; ils ne penfoient en cela rien que de naturel : car ils ne s'imaginoient pas encore que les Dieux fuffent fans corps ni fentimens ; ils croyoient, qu'ils en avoient auffi - bient que les hommes. Pourquoi n'y en au roit- il point eu de mâle & de femelle? On ne voit point qu'il y ait plus de rai fon de nier ou de reconnoître plutôt l'un que l'autre ; & en fuppofant des Dieux & des Déeffes , pourquoi n'engendreroient-ils pas en la manière ordinaire? Il n'y auroit certainement rien de ridicule ni d'abfurde dans cette doctrine , s'il étoit vrai que leurs Dieux exiftaffent. Mais dans la doctrine de nos Chriftico. les , il y a quelque chofe de bien plus ri dicule & de plus abfurde ; car outre ce qu'ils difent d'un Dieu qui en fait trois , & de trois qui n'en font qu'un , ils di fent que ce Dieu triple & unique , n'a ( 289 ) ni corps , ni forme, ni figure ; que la premiere perfonne de ce Dieu triple & unique , qu'ils appellent le Pere , a engendré toute feule une feconde perfonne qu'ils appellent le Fils , & qui eſt tout femblable à fon Pere , étant comme lui fans corps , fans forme & fans figure. Si cela eft , qu'est- ce qui fait que la premiere s'appelle le Pere plutôt que la mere ?: & que la feconde fe nomme plutôt le fils que la fille ? car fi la premiere eft véritablement plutôt pere que mere , & fi la feconde eft plutôt fils que fille , il faut néceffairement qu'il y ait quelque chofe dans l'une & dans l'autre de ces deux perfonnes , qui faffe que l'un foit pere plu tôt que mere, & l'autre plutôt fils que fille. Or qui pourroit faire cela , fi ce n'eft qu'ils feroient tous deux mâles & non femelles ? Mais comment feront- elles plutôt mâles que femelles , puiſqu'el les n'ont ni corps , ni forme , ni figu re? Cela n'eft pas imaginable & ſe dé truit de foi - même N'importe , ils dis fent toujours que ces deux perfonnes fans corps forme ni figure , & par conféquent fans différence de fexe, font néanmoins pere & fils , & qu'ils ont produit par leur mutuel amour une troiſieme perfonne qu'ils appellent le St. Efprit ; la 1 T 5 ((292 ) nent les Payens de ce qu'ils attribuoient la divinité à des hommes mortels , & de ce qu'ils les adoroient comme des Dieux après leur mort ; ils ont raifon en cela , mais ces Payens ne faifoient que ce que font encore maintenant nos Chrifticoles , qui attribuent la divinité à leur Chrift , enforte qu'ils devroient euxmêmes fe condamner auffi , puifqu'ils font dans la même erreur que ces Pa yens , & qu'ils adorent un homme qui étoit mortel , & fi bien mortel qu'il mourut honteufement fur une croix. } Il ne ferviroit de rien à nos Chrifticoles de dire qu'il y auroit une grande différence entre leur Jéfus - Chrift & les Dieux des Payens , fous prétexte que leur Chrift feroit , comme ils difent , vrai Dieu & vrai homme tout enfemble , attendu que la Divinité fe feroit véritablement incarnée en lui ; au moyen de quoi la nature divine fe trou vant jointe & unie hypoftatiquement comme ils difent avec la nature humaine ces deux natures auroient fait dans Jéfus Chrift un vrai Dieu & un vrai homme. Ce qui ne s'étoit jamais fait , à ce qu'ils - prétendent , dans les Dieux des Payens.

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r " Mais il eft facile de faire voir la foi- ( 293 ) bleffe de cette réponfe ; car d'un côté n'auroit- il pas été auffi facile aux Payens qu'aux Chrétiens de dire que la Divinité fe feroit incarnée dans les hommes qu'ils adoroient comme Dieux ? D'un autre côté fi la Divinité avoit voulu s'incarner & s'unir hypoftatiquement à la nature humaine dans leur Jéfus - Chrift , que fçavent - ils fi cette même Divinité n'auroit pas bien voulu auffi s'incarner & s'unir hypoftatiquement à la nature humaine dans ces grands hommes , & dans ces admirables femmes , qui par leur vertu , par leurs belles qualités , ou par leurs belles actions , ont excellé fur le commun des hommes , & fe font fait ainfi adorer comme Dieux & Déeffes ? Et fi nos Chrifticoles ne veulent pas croire que la Divinité fe foit jamais incarnée dans ces grands perfonnages , pourquoi veulent - ils nous perfuader qu'elle fe foit incarnée dans leur Jéfus ? Où en eft la preuve ? Leur foi & leur créance , qui étoient dans les Payens comme dans eux. Ce qui fait voir qu'ils font également dans l'erreur les uns comme es autres. Mais ce qu'il y a en cela de plus ridicule dans le Chriftianifme que dans le Pa ganifme, c'eft que les Payens n'ont ordi ( 294 ) nairement attribué la divinité qu'à de grands hommes , auteurs des Arts & des Sciences , & qui avoient excellé dans des vertus utiles à leur patrie ; mais nos Déichrifticoles à qui attribuent- ils la divinité? A un homme de néant , vil & méprifable , qui n'avoit ni talent , ni fcience, ni adreffe , né de pauvres parens , & qui depuis qu'il a voulu paroître dans le monde & faire parler de lui , n'a paffé que pour un infenfé & pour un féduc.. teur ; qui a été méprifé , moqué , perfécuté , fouetté , & enfin qui a été pendu comme la plupart de ceux qui ont voulu jouer le même rôle , quand ils ont été fans courage & fans habileté. De fon tems , il y eut encore plufieurs autres femblables Impofteurs qui fe difoient être le vrai Meffie promis par la Loi , entr'autres un certain Juda Galiléen , un Théodore , un Barcon & autres , qui fous un vain prétexte abufoient les peuples & tâchoient de les faire foulever pour les attirer à eux, mais qui font tous péris. Paffons à fes difcours & à quelquesunes de fes actions qui font des plus remarquables & des plus fingulieres dans leurs efpeces. Faites pénitence , di99 foit-il aux peuples , car le Royaume دو ( 295 ) وو du Ciel eft proche; croyez cette bonne nouvelle": & il alloit courir toute la Galilée , prêchant ainfi la prétendue venue prochaine du Royaume du Ciel. Comme perfonne n'a encore vu aucune apparence de la venue de ce Royaume, c'eft une preuve parlante qu'il n'étoit qu'imaginaire. Mais voyons dans fes autres prédications l'éloge & la defcription de ce beau Royaume. "" "" وو "" >> Voici comme il parloit aux peuples : Le Royaume des Cieux eft femblable à un homme qui a femé du bon grain dans fon champ , mais pendant que les hommes dormoient , fon ennemi eft ,, venu qui a femé la zizanie parmi le bon grain. Il eft femblable à un thréfor caché dans un champ : un homme ,, ayant trouvé le thréfor , le cache de nouveau , & il a eu tant de joie de l'avoir trouvé , qu'il a vendu tout fon bien , & il a acheté ce champ. Il eſt femblable à un marchand qui cherche de belles perles , & qui en ayant trouvé une de grand prix , va vendre tout ,, ce qu'il a , & achette cette perle. Il eft femblable à un filet qui a été jetté dans la mer , & qui renferme toutes. fortes de poiffons : étant plein , les " 99 دو رو دو "" 99· ( 296 ) 1 pêcheurs l'ont retiré , & ont mis les ,, bons poiffons enfemble dans des vaiffeaux, & jetté dehors les mauvais. Il eft femblable à un grain de moutarde ,, qu'un homme a femé dans fon champ: il n'y a point de grain fi petit que ,, celui-là , néanmoins quand il eft cru , il eft plus grand que tous les légumes &c." Ne voilà - t - il pas des diſcours dignes d'un Dieu? 69-9

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On fera encore le même jugement de lui , fi l'on examine de près les actions. Car to. courir toute une "Province , prêchant la venue prochaine d'un prétendu Royaume ; 20. avoir été tranfporté par le Diable fur une haute montagne, d'où il auroit cru voir tous les Royaumes du monde ; cela ne peut convenir qu'à un vifionnaire ; car il eft certain qu'il n'y a point de montagne fur la terre d'où l'on puiffe voir feulement un Royaume entier, fi ce n'eſt le petit Royaume d'Yve tot , qui eft en France. Ce ne fut donc que par imagination qu'il vit tout ces Royaumes , & qu'il fut tranfporté fur cette montagne , auffi-bien que fur le pinacle du Temple. 30. Lorfqu'il guérit le fourd & le muet , dont il eft parlé dans Saint Marc, il eft dit qu'il le tira en par ticulier , qu'il lui mit fes doigts dans les oreil- ( 297 ) 'oreilles & qu'ayant crache , il lui tii Ta la langue puis jettant les yeux au Ciel , il pouffa un grand foupir , & lui dit , eppheta Enfin qu'on life tout ce qu'on rapporte de lui , & qu'on juge s'il y a rien au monde de fi ridicule. Ayant mis fous les jeux une partie des pauvretés attribuées à Dieu par les Chrifticoles , continuons à dire quelques mots de leurs myſteres. Ils adorent un Dieu en trois perfonnes , ou trois per fonne en un feul Dieu , & ils attribuent la puiffance de faire des Dieux de pâte & de farine , & même d'en faire tant qu'ils veulent. Car fuivant leurs prir cipes , ils n'ont qu'à dire feulement quatre paroles fur telle quantité de verres de vin , ou de ces petites images de pâte, ils en feront autant de Dieux , y en eût-il des millions. Quelle folie ! Avec toute la prétendue puiffance de leur Chrift , ils ne fçauroient faire la moindre mouche, & ils croyent pouvoir faire des Dieux à milliers. Il faut être frappé d'un étrange aveuglement pour foutenir d 3 chofes fi pitoyables , & cela fur un fi vain fondement que celui des paroles équivoques d'un fanatique. Ne voyent ils pas ces Docteurs a veuglés que c'elt ouvrir une porte fpaTome II. V ( 298 ) cieuſe à toutes fortes d'Idolâtries , que de vouloir faire adorer ainfi des ima ges de pâte , fous prétexte que des Prétres auroient le pouvoir de les confacrer & de les faire changer en Dieux? Tous les Prêtres des Idoles n'auroientils pu & ne pourroient - ils pas main tenant fe vanter d'avoir un pareil ca. ractere? Ne voyent- ils pas auffi que les mêmes raifons qui démontrent la vanité des Dieux ou des Idoles de bois , de pierre &c. que les Payens adoroient , démontrent pareillement la vanité des Dieux & des Idoles de pâte & de farine que nos Déichrifticoles adorent ? Par quel endroit fe moquent - ils de la fauffeté des Dieux des Payens ? n'eft- ce ce point parce que ce ne font que des ouvrages de la main des hommes , des Images muettes & in fenfibles ? Et que font donc nos Dieux que nous tenons enfermés dans des boëtes , de peur des fouris ? Quelles feront donc les vaines reffour ces des Chrifticoles ? Leur morale? elle eft la même au fond que dans toutes les Religions ; mais des dogmes cruels en font nés & ont enfeigné la persécution & le trouble. Leurs miracles? mais quel peuple n'a pas les fiens , & quels fages ( 299 ) ne méprifent pas ces fables ? Leurs prophéties ? n'en a - t - on pas démontré la faufleté ? Leurs moeurs? ne font- elles pas fouvent infâmes ? L'établiffement de leur Religion ? mais le fanatifme n'a t - il pas commencé , l'intrigue n'a- t-elle pas élevé, la force n'a-t- elle pas foutenu vifiblement cet édifice ? La Doctrine ? mais n'eft - elle pas le comble de l'abfurdité ? Je crois , mes chers amis , vous avoir donné un préfervatif fuffifant contre tant de folies. Votre raifon fera plus encore que mes difcours , & plût à Dieu que nous n'euffions à nous plaindre que d'être trompés ! mais le fang humain coule depuis le temps de Conftantin, pour l'étas bliffement de ces horribles impoftures. L'Eglife Romaine , la Grecque , la Proteftante , tant de difputes vaines , & tant d'ambitieux hypocrites, ont ravagé l'Europe , l'Afrique & l'Afie. Joignez , mes amis , aux hommes que ces querelles ont fait égorger , ces multitudes de Moines & de Nonues , devenus ftériles par leur état. Voyez combien de créatures font perdues , & vous verrez que la Religion Chrétienne a fait périr la moitié du genre-humain.. Je finirai par fupplier Dieu fi outragé par cette fecte , de daigner nous rappelV 2 ( 300 ) ler à la Religion Naturelle , dont le Chrif tianifme eft l'ennemi déclaré ; à cette Religion fimple que Dieu a mife dans le cœur de tous les hommes , qui nous ap prend à ne rien faire à autrui que ce que nous voudrions être fait à nous - mêmes. Alors l'Univers feroit compofé de bons citoyens , de peres juftes , d'enfans foumis , d'amis tendres. Dieu nous a donné cette Religion en nous donnant la raifon. Puiffe le fananifme ne la plus pervertir ! Je vais mourir plus rempli de ces defirs que d'efpérances d'eſpérances.. ADI Voilà le précis exact du Teftamentin folio: de Jean Meslier. Qu'on juge de quel poids eft le témoignage d'un Prêtre mourant qui de mande pardon à Dieu. C Ce 15. Mars 1742. On afuivi , dans cette nouvelle Edition du Teftament de Jean Meslier , la Copie qui eft en dépôt dans la Bibliotheque d'un des principaux Monarques de l'Europe. Auffi peut- on affurer que les Chapitres y font beaucoup mieux diftribués que dans l'Edition qui aparu ily a quelques années , & où d'ailleurs en a omis ou retranché prefque la moitié de Avant-propos. Magis 4-16184 840432 TA-

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