Les gaîtés du Chat-Noir  

From The Art and Popular Culture Encyclopedia

Jump to: navigation, search

Related e

Wikipedia
Wiktionary
Shop


Featured:

Les gaîtés du Chat-Noir (1894) by Jules Lemaître

Full text

P R É F A C E D E S E P TI È M E É D I T I O N ‘P A ‘RI S RU E D E RlCH E LI E U , 2 8 b is


Tous droits de r eproduction et d e tr ad uction r és er vés p ou r tous les p ays , y comp r is la S u ède et la N or vège . S ’ adr es ser , pou r t raiter , à M . PAU L OLLE N DORFF, Éditeur , 2 8 bis , r ue Richelieu , à Par is . C h a t N o i r P RÉ FA C E J U L E S L E M A I T R E S E P T I È M E É D I T I O N PAR J S O L L E N D O R F F , E D I T E U R bis, RU E D E RICH ELX EU , 2 8 bis . To u s dr oi t s r és er vés .

LE CH AT N OI R Cet in génieux an im al n ’ est p a s m ort ; m ais on p eut dire , s a ns l ’ offen s er , q u ’ il e s t sor ti de sa p ériode hér 01q u e On pub lie un volum e de s es Ga îtés . Le m om ent sem b le donc venu de dire c e qu ’ il a été et ce q u ’ il a fait . Vous connaissez le p etit théâtre de la r u e Victor - Mass é . Au - dessus de la l u c a rne aux orn b rcs chinoises est peint un chat noir , à la q ueue en tringle , aux contours sim plifiés , un chat de V I LE CHAT N OIR blaso n ou de vitra il , q u i pose u n e p a tte dé da ig n eu s e sur u n e oie efl ’ a r ée . Ce chat rep ré sente l ’Ar t , et cette oie la B ourg eoisie . Ma is , contra irem ent au x tra ditions , cette oie et ce cha t ont eu ensem b le les m eilleurs r ap p orts . L ’ oie , reçue chez le cha t non g ratuite m ent s ’ est crue en pays de b ohèm e ; et c ’ est , en s omm e , le chat qui a ga lamm ent ex p loité l ’ oie , t out en l ’ amu s a n t , et m êm e en lui o uvrant l ’ intelligence . Le Chat — Noi r a joué son rôle dans la littér a ture d ’ hier . Il a vu lg ar is é , mis à la p ortée de l ’ oie u n e p a rtie du travail secret qui s ’ a c c omp lis s a it da ns les dem i -ténèb res des Revues jeunes . Il a été d es p rem iers à discréditer le naturalism e m orose , en le p oussant à la charg e . Il a , je ne dis p oint in venté ( car nous a vions eu Ric hep in , et , ava nt Richep in , Al fred Delvau) , mais rajeun i et p rop a gé le n atu ra lism e m ac ab re et fa rce , p ar les chansons de J ules Jouy et d ’Ar ‘ is tide Brua nt . Il a rév élé aux g en s r iche s et aux b elles m adam es la p oésie des es car p es et de leurs comp agnes , LE CHAT N OIR vu les b oulevar ds extérieurs , les for tifs et Sa int Lazare , et ce q ue c ’ est q u e p a nte q u e map mite q ue surin q u e da ron , da r on n e e t p etit Et , en mêm e temps , le Chat — Noir contrib u ait au r éveil de l ’ idéalis me Il était mystique , av e c le g éni al p a y sag iste et découpeur d ’ omb res Henri Rivière . L ’ or b e lumineux de son guignol fut u n œil - de -b œuf ouvert sur l ’ invisib le . M ais , au surp lus , le concilian t félin nous a appris que le my sticisme se p ou vait allier , très n aturelle m ent , à la p lu s vive g a illardise et à la s en s u a lité la p lus g recque . N ’ est - c c p a s , Maurice Don n ay ‘ ? Au ion d , le digne Cha t resta g a ulois et clas sique . Il eut du b on sens . Qu a nd il choisit Fran ci sque Sa rcey p our s on oncle , ce ne fu t point ironie p ure . Q uel q ues -uns des Sch au p ar ds de cette b ohème temp érée furent ornés des p alm es a c adémiques . Le Cha t eut l ’ hon neur d ’ être loué u n jour sous la coupole de l ’ I n s titu t . Il t enait à 1 ’ 0 p inion du Œemp s et du Jou r n a l des Déba ts . Son VI I I L E CHAT N OIR idéalism e n ’ a jam ais cou p é ni dans la Rose -Croix ni da ns la p o ésie symb oliste . Il raillé celle -ci , oh ! les étonnan ts vers amor p hes de Franck— Nohain ! com m e il avait décrié d ’ ab ord le n aturalism e d ’ e Méda n . Puis , le Chat — Noir a été p atriote , et chauvin , et g rog nard . Co m m e la vogue des g ig olettes et com m e la p iété vague et veule qui nous ém eut sur les Madeleines et sur les Izéy ls , la nap oleo nite q u i nous travaille est un p eu venue de lui . Vous vous rapp elez l ’ E p op e ' e, de Cara n d ’Ac he . Le Chat , sur q uelq ues m enus p oints , fu t un p r é curseur . I l a , avec ce m êm e Caran d ’Ach e , avec Wil lette et Stein len , rajeuni la caricature (j ’ em p loie ce m ot devenu improp re , faute d ’ u n m eil leur ) . Et il a restauré , en lui donnant une form e ne u ve , la vieille gaieté française Ca r il eut p our nourrisson le b ien faisant Al p h on s e Allais . ( Je veux n o mm er aussi , tout au m oins , Georg e Auriol , ne p ouvan t les no m m er tous . ) All ais v audrait , à lui seul , une étude . All a is L E C H AT N OIR IX a certainem ent enrichi l ’ a r t du coq - à-l ane et de l ’ a b s u r dité m éthodique . Toujou rs le b urlesq ue suivi les évolutions de la littératu re dite s érieuse . De b m êm e q u e la fanta isie de Cyra no de B erg e rac rép ercute tout l e p édantism e fleuri du tem p s de L ouis X III , de m êm e qu ’ un grand nom b re des facéties de Du ver t et de Labiche s u pp os en t le ro m antism e ainsi les écritures b iz a rres d ’Al p hon s e Allais , p ar leurs tics , clichés et allusions , p ar le tour in défin is s able de leur rhétoriqu e et de leur m ab ou lis m e impliq uent toute l ’ a narchie littéra ire de ces q uinze dernières (Laissez — m oi ouvrir ici une p arenthèse . Quel ques typ es curieux flor ir en t dans cet illustre c a b aret . Tel , le p ianiste Albert Tin ch a n t . Il n ’ était p a s so b re , m ais il était doux ; il fa isait de p etits vers tendres et lang oureux, p a s très bons . Pen dant c inq ou s ix ans , il vécut sans jam ais avoir un s on dans sa p oche , très heureux. Son in cu r ios ité fu t ' telle , ou sa p auvreté , q u ’ il n e trouv a p a s le m om en t, ou le m oy en , d ’ aller , en X LE CHAT N OIR 1 889 , voir l ’ Exp osition . Le tra it m e semb le r ar e . Tin clran t m ourut à l ’ hôp ital . Il avait été a utre fois , en rhétori q ue , un de mes m eilleurs élèves . Jam ai s il ne m e dema n da rien , q u ’ un e m en tion dans m a chroniq ue dram atique . Celu i — là était u n b ohèm e n é , un b ohèm e a uthentiq ue . J e su is b ien fâché q u ’ il n ’ a it p a s eu de gén ie . ) Vous avez vu tout ce q u e nous de vons me at Noir . Ce chat éclectiq u e , qui s u t r éconcilier la b ourgeoisie et la b ohèm e , forcer les g ens du m onde à p ay er , très cher , tant de b ooks , e t tan tôt les a ttendrir sur des histoires p ieuses , tantôt les sc a nda liser avec m odératio n et leur donne r l ’ illusi on q u ’ ils s ’ en ca n ailla ien t ; ce cha t qui sut fa ire vivre ensemb le le Ca veau et la Lég ende dorée , ce chat socialiste et nap oléonien , my s ti q u e et g rivois , m acab re et enclin à la romance , fu t un cha t très parisien et p resq ue n atio n al . Il exp ri ma à sa faç on l ’ a im ab le désordre de n os esp rits . Il n ous donna des soirées vraim ent drôles . No u s p rion s les futurs historiens de la littér a LE CHAT N O IR X I ture de n e p oint re fuser un s alut amic a l à cet in g énieux descenda nt du Cha t-Botté . Com m e s on aï eul , il co n nut p lus d ’ u n tour et va lut à s on maître u n b e au châte au . mens LEMAITRE .

L E S — GA Î TÉ S DU CHA T N OI R EX CENT RIC ’ S We a r e t old th at th e s ul tan M ahmou d b y his p er p etu el Sm COR DON S ONN E T. Par un phénomène bizarre d ’ association d ’ idées ( assez commun aux jeunes hommes de mon époque), l ’ Exp osition de 1 889 me rappelle c elle de 1 878 . A cette époque , dix printemps de moins fl eu r is s aien t mon front . C ’ est effrayant ce qu ’ on vieillit entre deux Expositions universelles , surtout lo r s qu ’ elles sont séparées par un laps considérable . 1 2 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR Ma bonne amie d ’ alors , une petite brunette à qui l ’ ecclésia s tiq u e le plus roublard aurait donné le bon Dieu sans confession ( or une nuit d ’ or gie, pour elle , n ’ était qu ’ un jeu) , me dit un jo ur à déjeuner Qu ’ est — c c que tu vas faire , pour l ’ E xp osition ? Que ferais — j e bi en pour l ’ Exp osition ? Expose . Expose Quoi ? N ’ import e quoi . Mais , je n ’ ai rien inventé ! (A ce moment , je n ’ avais pas encore inventé mon aquarium en verre dépoli , pour poissons ti mides . S . G . D . G . ) Alors , reprit - elle , achète une baraque et montre u n phénomène . Quel phénomène Toi ? Terrible , elle fronçason sourcil pour me répondre Un phénomène , moi ! Et peut — être qu ’ elle allait me fiche des calottes , qu and J e m ’ écr iai , sur un ton d ’ am our eu s e concilia tion Oui , tu es u n phénom ène , chère âme ! un p hé pomene de gr âce, de charme et de fraîcheur ! Ce en q uoi je n e mentais pas , car elle était bigre ment gentille , ce petit chameau — là.

4 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR d ’ étr e p etits , ils le sont à défier les plus puissants microscopes ; mais quand ils se mêlent d ’ êtr e mé c hants , détail moins connu , ils le sont . j usqu ’ à la témérité . C ’ était le cas du mien . Oh! la petite teigne Il me prit en grippe tout de suite , et sa seule préoccupation fu t de me causer sans r elâch e de vi fs déboires et des a ffliction s de toutes sortes . Au moment de l ’ exhib ition , il se haussait sur la p om te des pieds avec tant d ’ adresse , qu ’ il paraissait aussi grand que vous et moi . Alors , quand mes amis me blaguaient , disant Il n ’ est pas si épatant que ça , ton nain! et que je lui transmettais ces p ropos désobligeants , lu i , cynique , me répondait en anglais Qu ’ est - c c que vous il y a des jours Où on n ’ est pas en train . Un soir , je rentrai chez moi deux heures plus tôt que ne semblait l ’ indiquer mon occupation de ce jour— là . Devinezquije trouvai , partageant lacouchede Clara ( je me rappelle maintenant , elle s ’ appelait Clara) Inutile dé ch er ch er , vous ne devineriez jamais . Mon n ain l Oui , mesdames et messieurs , Clara me tromp ait avec ce british minuscule ! LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR 5 J ’ en tr ai dans u ne de ces colères Heureusement pour le traître , je levai les bras au ciel avant de songer à. le calotter . Il profita du temps que mes mains mirent à descendre jusqu ’ à sa hauteur pour filer . Je ne le revis plus . Quant à Clara , elle se tordait littéralement sous les couvertures. Il n ’ y a pas de quoi rire , fi s — j e sévèrement . Comment , pas de quoi rire ? Eh ben , qu ’ est- ce qu ’ il te faut à Grosse bête , tu ne vas pas êtr e jaloux d ’ un nain anglais ? C ’ était pour voir , voilà tout . Tu n ’ as pas Et elle se reprit à rire d e plu s belle , après quoi elle me donna quelques détails , réellement comiques q ui achevèrent de me désarmer . C ’ est égal , dorénavant , je me méfi ai des nains et , pour utiliser le local que j ’ avais loué , je me procurai un géant japonais . Vous rappelez — vous le géant japonais de 1 878 ? Eh bien c ’ est moi qui le montrais . Mon géant japonais ne ressemblait en rien a mon nain anglais . D ’ une taille plus élevée , il était bon , serviable et chaste . Ou , du moins , il semblait doué de ces qualités . 6 LE S GAÎTÉS D U CHAT N OIR J ’ ai raison de dire il s em b la z ‘ t, car , a la suite de peu de jours , je fis une découverte qui me terra ssa . Un soir , rentrant inopiném ent d ans la chambre de Cam ille ( oui , c ’ est bien Cam ille , je me souviens), je trouvai , jonchan t le sol , l ’ orientale dé froque de mon géant , et dans le lit devinez avec qui ! Inutile de chercher , vous ne trouveriez jamais . Cam ille , avec mon ancien nai n ! C ’ était mon espè ce de petit cochon d e nain an glai s , qui n ’ avait trouvé rien de mieux , pour rester prè s de Camille, que de se déguiser en géant japo n ai s . Cette aventure me dégoûta a tout jam ais du m étier de barnum . C ’ est vers cette époque , q u ’ en tièr em en t ruiné par les prodigalités de ma maîtres se , j ’ en tr a i en qualité de valet de chamb r e , 59 , rue de Douai , chez un nommé Sarcey . , ALPHONSE ALLAIS . LE S GAÎTÉS DU CHA T N OIR 7 LE VEAU CON T E DE N OEL POUR SARA SALIS Il y avait une fois un petit garçon qui avait été bien sage , bien sage . Alors , pour son petit Noël , son papa lui avait donné un veau . Un vrai ? Oui , Sara , u n vrai . En viande et en peau Oui , Sara , en viande et en peau . Qui marchait avec ses pattes ? P uisque je te dis un vrai veau! Alors ? Alors , le p etit garcon était bien content d ’ avoir 8 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR un veau; seulement, comme il faisait des saletés dans le Le petit garçon ? Non , le Comme il faisait des saletés et du bruit , et qu ’ il cassait les joujoux de ses p étites Il avait d es petites Sœurs , le veau ? Mais non , les petites sœurs du petit Alors on lui bâtit une petite cabane dans le jardin , u n e jolie petite cabane en bois Avec des petites fenêtres ? Oui , Sara , des tas de petites fen êtr es et d es carreaux de toutes Le soir , c ’ était le Ré veillon . Le papa et la maman du petit garçon étaient invités à souper chez une dame . Après dîner, on end ort le petit garçon et ses parents s ’ en On l ’ a laissé tout seul à la maison ? Non , il y avait sa Seulement , le petit garçon ne dorm ait pas . Il faisait semblant . Quand la bonne a été couchée , le petit garçon s ’ est levé et i l a été trouver d es petits camarades qui demeuraient à Tout nu ? Oh ! non , il était habillé . Alors tous ces petit s polissons , qui voulaient f aire réveillon comme des L E S GAÎTÉS DU CHAT N OIR 9 grandes personn es , sont entrés dans la maison , mais ils ont été bien attrapés , la salle à manger et la cu i sine étaient fermées . Alors , qu ’ est -c e qu ’ ils ont fait … Qu ’ est -c c qu ’ ils ont fait , dis ? Ils sont descendus dans le jardin et ils ont mangé le Tout cru ? Tout cru , tout cru . Oh ! les vilains ! Comme le veau cru est très difficile à digérer , tous ces petits polissons ont été très malades le lendemain . Heureusement que le médecin est venu ! On leur a fait boire beaucoup de tisane , et ils ont été Seulement , depuis ce moment — là , on n ’ a plus jamais donné de veau au petit garçon . Alors , qu ’ est — cc qu ’ il a dit , le petit garçon ? Le pe tit il s ’ en fiche pas mal . ALPHONSE ALLAIS . 1 0 LE S GAÎTÉ S DU CHA T N OIR UN RECORD C ’ était un de nos plus redoutab les b icyclis tcs , un de ces hom m es pour q u i parcourir des centain es d e kilomètres sur les grandes routes avec u n d u r triangle de cuir entre l es jam bes , san s s eulem en t regarder ce qui se pas se autour de S OI , es t u n e apr e volupté . Il était m arié d epuis p eu d ’ an n é es et c ’ es t au lendem ain de sa lune de m iel q u e c ette étran g e passion l ’ avait saisi tout entier . Il rêvaitde gagner la course de bicycles qu ’ on ne pouvait manquer d ’ or gan is er un jour entre Paris et Pékin , et il s ’ en tr a î nait avec fureur . Sa femme , qui l ’ a im ai t , souff rait un peu de se voir négligée pour le Sport à la m ode , mais aimait mieux , en réalité , qu ’ il courût les g rand es routes que les cocottes .

12 L E S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR moindre accroc . Madame était émerveillée ; ses rail ler ies avaient fait pla ce à une vive curiosité et elle ne quittait pas de l ’œil son époux . Quant à la bonne , elle était allée raconter l ’ b is toire dans le quartier , et les voisins venaient tous les quarts d ’ heure , palpitants , prendre des nouvelles ch ez le concierge . Il déjeuna en bicycle de la façon la plus naturelle , fume. son cigare et lut des romans dans l ’ a p r ès — midi

il reçut aussi des fournisseurs et quelque s visites dans cette posture . La journée passa comme un s onge . Le repas fut très gai . Madame se mit au piano et lui chanta ses airs favoris . A minuit , dernière minute de l ’ épreuve , il lança son bicycle dans la Chambre à coucher . Tu as gagné , mon ami . Tu peux descendre . Il la regarda tendrement Pas encore . Et il la saisit de son bras gauche et l ’ emb r a ss a . Alors , il lui p arla dans l ’ oreille Quoi ? mon chéri , fi t — elle en éclatant de ri r e , tu Oui , murmura— t - il . Je suis sûr que c ’ est pos Sible . Les femmes ont des trésors d ’ in dulgence pour les LE S GAîTES DU CHAT N O IR 13 fantaisies de l ’ homme aimé . Elle satisfi t celle — là avec de véritables merveilles de patience et d ’ in gén iosité . Et il s ’ éc r ia , triomphant , en sautant de son bicycle Je suis le premier qui ait établi ce record — là . ALFRE D GAPUS . 1 4 LE S GA ÎTÉS DU CHATN OIR P ETITE PE INE Les mots les plus tendres j amais Ne diront comb ien je t ’ aim ais , Jeune m aîtresse ! J ’ ai tant parlé pour t ’ ém ou voir Lorsqu ’ en tes yeux je voulais voir La sainte ivresse . Les reproches ne servent point , Surtout quand on les fait de loin , Dès qu ’ on s ’ is ole ; LE S GAÎTÉS DU CHA T N OIR 15 Mais en songeant qu ’ aux jours pas s és Nous nous sommes bien em brass é s , Je me console . On m ’ a dit que j ’ avais été D ’une grand e naïveté Envers toi — m ém e , Et qu ’ avan t de beaucoup aim er , Le cœur devrait m ieux s ’ in form er De ce qu ’ il aime . Encore un baiser , veux-tu b ien Un baiser qui n ’ engage à ri en Sans qu ’ on se touche . Tu le rendras à ton amant En te figurant un moment Qu ’ il a ma bouche . MAURI CE VAUCAIRE . 10 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR L E S ECRET DU VE ST IBULE A Léop old D a uphin . J e s ui s a llé à Lon dr es q u a n d j ’ éta is gr a n d , m a is ma in ten a n t j e v a i s c h ez le ph a r m ac ien m e f a i r e a r r a c h e r l es c h e ve ux . (M I M l L E Comment , monsieur le comte , s ’ écr ia 1 1 nten dant , après cinquante années de lutte , vous aban d onnez la partie Au moment où tou s les atouts s ont entre vos mains , vous jetez les c artes C ’ est de la folie Oui , Hans Hin ckseck , répondit le comte Pa scal Gigault d ’Agn el , en souriant tristement , j ’ en ai assez . C ’ est que , voyez — vous , la situation n ’ est plus la L E S CAÎTÉS DU CHAT N OIR 17 m ême . A la mort de la comtesse , j ’ avais vingt ans , l ’ âge des illusions auj ourd ’ hui , j ’ en ai soixante -dix ! Vous - m éme, lorsque je vous pris à mon service , étiez ’ un jeune homme ; maintenant vous êtes un vieillard . Je passais à Amsterdam ; à la suite de malheurs immérités , vous veniez de perdre vOtr e fortune . Sur ces entrefaites , votre femme la plus joli e femme de la ville , celle que l ’ on appelait par tout la belle Hans Hin cks eck vous trompa avec un L ’ in ten dan t fit un geste . Oui , continua le comte , j ’ évoq u e des souvenirs pénibles , mais cela est nécessaire à la clarté du récit. Votre femme vous trompait donc avec un enseigne . J ’ a ppr is l ’ incident et , sans hésiter , je châtiai le drôle . Vous me jurâtes un éternel dévouement et , d e ce jour, votre affection pour moi n e s ’ est pas démentie un seul instant . Cela , je le sais , et je sais aussi que vous vous jetteriez au feu pour moi et pou r ceux de ma maison . Mais , croyez — moi , tout est bien fini maintenant , je sens mes forces s ’ en aller de j our en jour C ’ est impossible , répliqua brusquement l ’ inten dant . Il serait criminel d ’ abandonner la petite Made leine à. ses bourreaux ! Ces gens - là sont capables de 1 8 LE S GAîTÉS DU CHAT N OIR tout . Hàtez-vous , ou ils ne tarderont pas a reprendre le dessus . Pauvre Madeleine , s i douce , si can dide ! Elle b oit ! dit sèchem ent le com te . D ’ aill eurs , c ’ est le vivant portrait , avec tous ses vices , d e m a défu n te fem m e En prononçant ces derniers mots , le com te s e sign a M a is , laissere z - vous protester les billets insista Hans Hin c ks eck . E t com m e son m aître semb lait fléchi r Allons , un peu de courage , monsieur le com te . S u i vez - m oi , et dan s quelques m i n utes les papiers du cardinal s eront en votre possession Le com te P a scal Gigau lt d ’Agn el sai s it un flam b eau et résolument se dirigea vers l a Du couloir qui contournait l ’ aile droite du châtea u , on montait , par un étroit escali er en colim açon , j us qu ’ aux cham bres des domestiques . Ce couloir conduit au souterrain , dit l ’ i n ten d an t en prenant le flambeau des mains de son m aître . Un souterrain sous les combles ! interrogea le comte ,

20 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR Le souterrain était fermé par une solide porte de fer dont un ressort puissant f aisait jouer le pèn e . L ’ on se trouvait alors en face d ’ une seconde porte , puis d ’ une troisième , d ’ une quatrièm e , etc . Le souterrain avait huit portes . La huitième s ’ ou vr ait sur une neuvième porte , laquelle fermait définitivement l ’ entrée du souter rain . Les deux hommes franchirent les derniers degrés de l ’ escalier ; en arrivant sur le palier, l ’ in ten dan t poussa un cri de L ’ entrée du souterrain n ’ était pas libre ; il y avait quelqu ’ un ! Un génie de bronze aux ailes éployées , gigan tes q u e, barrait l ’ accès de la première porte . Damnation ! nous sommes joués ! hurla Hans Hin cks eck . Puis , plus calme , il ajouta Il ne faut pas que cette misérable statue nous a rrête ; si j ’ avais votre carrure , monsieur le comte , j ’ aurais déjà enlevé d ’ un coup d ’ épaule ce b ronze insolent ! L E S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR 21 Y penses ce génie pèse plusieurs centaines de kilos ? Essayez toujours . D ’ ailleurs , vous avez fait plus fort que cela . Rappelez — v0us ce jour où vous em por tâtes un cheval blessé sur vos épaules ! Ah ! pour quoi n e suis -je qu ’ un chétif avorton J ’ es s aier ai donc , répondit le comte ; mais c ’ est uniquement pour te faire plaisir . Et , raidissant tous ses muscles dans un eff ort dé s espér é , le comte saisit la Sous l ’ apparence du bronze le plus authentique , la statue véritable chef - d ’œu vr e de l ’ industri e moderne était simplement en zinc repoussé . Le fardeau était si léger et l ’ élan qu ’ il avait cru devoir prendre tellement irrésistible , que le vieux gentilhomme chance1a , perdit l ’ équilibre et, se ren versant en arrière , disparut dans les profondeurs d e l ’ escalier . On entendit le corps rouler de marche en marche , puis le bruit lourd d ’ une chute . Alors Hans Hin cks eck se redressa et ricana hai n eu s em en t Un de plus Encore dix — sept J ’ aurai j u s te le temps avant déjeuner Au pied de l ’ escalier de pierre , le comte Pascal 22 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR Gigault d ’Agn el s ’ était relevé , légèrement c on tu Sion n é . Après avoir lancé par trois f ois le cri de la c houette et consulté sa carte d ’ état — major, il ' s ’ en f on ce dans les ténèbres . CHAPITRE II L ’ H O MM E AUX CH E VE UX D E B OIS Le train 1 1 7 venant de Lyon entra en gare a 7 heures 45 du soir, avec huit minutes de retard . Hans Hin cks eck s an ta de wagon , tr aver s a les salles r apidement et répondit aux douaniers qu ’ il n ’ avait r ien à déclarer . Dehors , il héla un fi a cr e et se fit conduire à l ’ H ôtel d es Tr ois — H ém iszah èws , rue des Martyrs . Chemin faisant , l ’ i n ten dan t répara le désordre de sa toilette . Il ajus ta une barb e blonde à son menton naturellement im b erbe , mit des lunettes roses et rabattit les bords de sa casquette fourrée . Ainsi t rans formé , Hans Hin cks eck était Le fi a cr e, après avoir t r aversé u n dédale in extr i cable de ruelles étroites , gravit le raidillon de la rue des Martyrs , dépassa le Cirque Fernando , et s ’ arrêta LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 23 e nfin devant une haute construction d ’ asp ect im posant . Sous le péristyle orné de colonnes de marbre , une a rmée de majordomes en frac guettait l ’ arrivée des voyageurs . A peine le fi a c r e avait - il stoppé , qu ’ un de ces f onctionnaires s ’ élan ç ait vers l ’ in ten dan t , lui ravis s ait sa vali s e , et , en moins de tem ps qu ’ il n ’ en faut pour le sténographier , le guidait , a travers un ves tib ul e bordé de plantes grasses , jusqu ’ aux bureaux d e l ’ administration . Derrière les vitres , une dam e vêtue de noir tr ô nait

c ’ était la gérante . A la vue de l ’ i n ten d a n t , elle poussa un cri de joie Comment ! c ’ est vous , monsieur le duc Qu ell e s urprise Je vous ai dit plusieurs fois déjà de m ’ appel er M . Gustave , madame Vétiver, r ectifi a sévèrement Hans Hin cks eck . Excusez — moi , monsieur le monsieur Gu s tave , c ’ est Voulez — vous la chambre n u m ero 27 ? Celle qui ne donne pas sur le parc Oui , monsieur . Elle est nouvell ement réparée , d écorée fraîchement, et j ’ y ai fait mettre un grand 24 L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR bocal de poissons Vous y serez très bien . Bon . Il n ’ est p as venu de lettres , en mon a h s ence ? Si , monsieur ! Madame Véti ver tendit une lettre a l ’ in ten dan t , que celui — ci mit dans sa poche . Maintenant , dit Hans Hin cks eck , faites — moi conduire à ma cham bre et donnez des ordres pour qu ’ on me prépare promptement un bain de pieds à. la moutarde . Le numéro 27 était une pièce spacieuse , bien aérée , dont l ’ ameublement , en chêne ciré , répondait à toutes les exigences du con fortable modern e . L ’ unique fenêtre , drapée de longs rideaux d e s erge , ne donnait , en eff et , sur aucun parc , mais , en revanche , elle avait vue sur une cour en boyau , limitée de tous côtés par de hauts murs noirs . Hans Hin cks eck s ’ a ccou da un instant et contem pla le paysage . Puis , comme le vent fraîchissait , il ferma la fe hêtre et vint s ’ asseoir devant une table de travail encombrée de papiers . LE S GA ÎTËS DU CHAT N OIR 25 Il ouvrit sa valise , en tira une petite lampe à alcool qu ’ il alluma . Cette lampe était surmontée d ’ une mi muscule casserole qu ’ il emplit d ’ eau . Il tira ensuite de sa poche la lettre que madame Vétiver lui avait remise quelques instants a u p a r a vant et l ’ exp os a a la buée de la casserole . L ’ en ve10pp e commençait à se décoller , quand l ’ in tendant , pris d ’ une idée subite , s ’ é c r i a A quoi bon puisqu ’ elle m ’est adressée! Et , soufflant brusquement le réchaud , il déchira l ’ en ve10pp e . La lettre était conçue en ces termes 27 (Tou r n M a c . B ob 1 3 A ta n K. K. 0. 7 3 5 Va n ou ten La foudre fût tombée en ce moment su r Hans Hin cks eck , qu ’ il n ’ eut pas été plus atterré ! Il n ’ en pouvait croire ses yeux ! Et , haletant , il relut 1 3 A tom K. K. 0 . Va n ou ten 7 3 5 4 Ainsi , voilà à quoi tous ses efforts avaient abouti ! 2 26 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR Et les mystérieux caractères dansaient devant ses ye u x comme s ’ ils euss en t été écrits en léttr es d e A cet instant , soit iro n i e du sort , soit hasard pur , l a porte s ’ en tr ’ ou vr it et l e garçon dem anda Le bai n de mo n sieur es t mon sieurveut -il s e déchausser ?… Allez au diable hurla Hans Hin cks eck . En vé r ité , j ’ ai bien la tête a me laver les pi eds Qu e faut - il faire du bain interrogea timide m ent le dom estique . Distribuez — le à mes gens ! … Maintenan t , l ’ in ten d a n t arpen tait la chambre à grands pas , en proie aux pl u s s inis tres ré fl exio n s . S es traits crispés révélai ent u n e souff rance in exp r i mable ; une sueur froide r uisselait le long de son v isage Soudain il m u 1 ‘mu r a J ’ ai faim ! et il se susp endit au cordon de la So umette . Depuis l ’ assassinat du comte Pascal Gigau lt d ’A gn el , Han s Ilin cks eck n ’ avait pas mangé . Or , rien ne creuse comme un meurtre , m êm e couronné d ’ in succès . Aussi l ’ in ten d a n t , ordinairem ' ent petit man gea r , s e sentait — il ce j our-là un appétit extr a or di n aire .

28 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR qui se tenait dans les caveaux du Moulin-Rouge . Il irait , d ’ abord pour faire acte de présence , ensuite pour régler définitivement , avec B la n c — M a n g er et le Ca r n ava l d e Ven is e, l ’ affaire du J a g u a r d es E p in ettes . Cette question résolue , Hans Hin cks eck brûla le billet qui aurait pu le compromettre , et réfl échit . La situation lui apparaissait bien nette , à présent . Ce qu ’ il s ’ expliq u ait mal , par exemple , c ’ était le mobile auquel ob éis saient les frères de l ’ Ut d e P oi tr in e, en lui envoyant des accessoires d ’ évasion . Personne ne le retenait à l ’H ôtel d es Tr ois — H é m i sgah èr es , d ’ où il pourrait sortir la tête haute et quand bon lui semblerait . Alors , que sign ifi aien t l ’ é chelle de corde et le poignard catalan Pensait -ou qu ’ il avait peur P ar b ravade , il voulut s ’ en tout de suite . Il courut à la porte . Mais il poussa aussitôt un cri de fureur . La porte résistait . Il tira plus vigoureuse ment . Vains efforts ! en avait dû donner un tour de clef al ’ extérieur. Il fallait renoncer à fuir par là . Restait la fenêtre , que l ’ in ten dan t ouvrit . LE S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR 29 E n hi ver , les jours sont courts , ou , pour mieux dire , la nuit arrive plus tôt q u ’ a aucune aut re époque de l ’ année . Dehors , le crépuscule était venu , jetant un voile s u r les ch oses . Par d elà les murs , les échos de la. fête de Montmartre arrivaient affaiblis . Sept heures sonnèrent à la pendule en je n ’ ai pas un instant à perdre , mur mura Hans Hin cks eck . Il déroula l ’ échelle de corde , dont il attacha l ’ ex tr ém ité supérieure a la barre de la croisée . Puis il enj amb e résolument l ’ appui , non sans avoir, en guise d ’ adieu , déchargé son revolver bull d ogg dans la glace de l ’ armoire . A vant de descendre , l ’ in ten dan t risqua un furtif coup d ’œil dans la cour . Elle lui apparaissait comm e un puits noir dont la profondeur l ’ in q u iéta . Au - des s ous , une toiture de verre luisait , couvrant un petit b âtimen t bas , les cabinets d ’ ais an ces probablement, et permettant de voir tout c e qui s ’ y passait . Hans Hin cks eck ne put s ’ empêcher de frissonner . Un faux pas et c ’ en était fait de lui . Il tomberait 2. 30 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR d ’ une hauteur de cinq étages et s é craserait sur le sol , après avoir traversé c ette vitrerie . Bah! j ’ en ai bien vu d ’ autres , pensa — t — il en des c en da n t avec précaution . Il avait à peine franchi le sixième échelon , qu ’ un bruit imperceptible se fit entendre . L ’ in ten da n t , éperdu , interrogeales ténèbresd ’ un regard Et ce qu ’ il vit alors fu t si terrible que ses cheveux en devinrent perpendiculaires . Deu x étages plus bas , a la hauteur de l ’ en tr es ol , sur l ’ échelle aux montants de laquelle Hans Hi n ck s eek se cramponnait à présent , pâle com m e un m or t , un individu se b alançait , b arrant le pass age a l ’ in tendant . Cet individu était de taille m oyenne , vêtu a la der n ièr e mode , d ’ une suprême élégance , et, dan s l ’ om b re qui commençait à envahir la cour, ses yeux luisai en t , pareils a deux b raises ardentes . (L ’ a u teu r on éta i t là d e s on p a lp i ta n t feu illeton q u a n d on vi n t l ’ a ver ti r q u e s a d ou c h e éta i t p r ête . ) NARCISSE LE BEAU . LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR 31 TH E MEAT LAND A ce récit , un sourire d ’ in cr édu lité fleurit sur m es lèvres et de petites lueurs de rigolade avivèren t l ’ éclat de m onregard . Mon interlocuteur he se démonta point , ce qui n e vous surprendra nullement quand vous saurez q u e mon interlocuteur n ’ était autre que le Cap ta in Cap , ancien starter à l ’Ob s er va toir e de Québec ( c ’ est lui qui donnait le d ép a r t aux étoiles fi la n tes ) . Cap se contenta d ’ appeler le garçon du bar et de commander Two m or e ce qui est la façon am é ricaine de dire Rem ettez — n ou s ç a ou plus clai rement E n cor e u n e tou r n ée . Je connais le Cap ta in Cap depuis pas mal de temps j ’ ai souvent l ’ occasion de le r en contrer da ns 82 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR ces nombreux am er i ca n b a r s qui avoisinent notre Opéra- National et l ’ église de la Madeleine ; je suis accoutumé a s es hyperboles et a ses b lufi ‘ a g es , mais cette histoire , vraiment , dépassait les limites per mises de la blague canadienne . (Les Canadiens , charmants enfants , d ’ailleurs , s ont , comme qui dirait , les Gascons tr a n s a tla n tiques . ) Cap me racontait froidement qu ’ on venait de découvrir, à six milles d ’Ar thu r ville (province de Québec), une carrière de charcuterie J ’ avais bien entendu et vous avez bien lu u n e c a r r i èr e d e ch a r cu ter i e ! de m ea t -la n d ( terre de viande), comme ils disent là— h&S . Je résolus d ’ en avoir le cœur net , et le lendemain m atin , / j e me présentais au commissariat général du Canada , 1 0, rue de Rom e . E n l ’ absence de M . Fabre , l ’ aimable commissaire , je f u s reçu f ort gracieusement , j e dois le recon naître par son fils Paul et l ’ honorable Maurice O ’Reilly, un jeune diplomate de beaucoup d ’ avenir . Le m ea t - la n d ! se récrièrent ces gentlemen . Mais rien n ’ est plus sérieux ! Comment ! vous n e croyez pas au m ea t — la n d ? Je dus con fesser mon s cepticisme . LE S GAÏTÉS DU CHAT N OIR 33 Ces messieurs voulurent bien me mettre au cou rant de la question , et j ’ appr is de bien étran ges choses . Aux environs d ’Ar thu r ville, existait , en pleine forêt vierge ( elle était vierge alors) , un énorme ravin en formé de cirque , formé par des r ues abrupts et tapissés ( à l ’ instar de nos Alpes) de mille sortes de plantes aromatiques , thym , lavande , serpolet , lau rier — sauce , etc . Cette forêt était peuplée de cerfs , d ’ an tilop es , de b iches , de lapins , de lièvres , etc . Or , un jour d e grande chaleur et d ’ extrême s éc h e resse , le feu se mit dans ces grands bois et se pro pagea rapidement par toute la région . Affolées , les malheureus es bêtes s ’ en fu i r en t et c herchèrent un abri contre le fléau . Le ravin se trouvait là , avec ses rocs abrupts m ais incombustibles . Les animaux se crurent sauvés Ils avaient compté sans l ’ excessive température dégagée par ce monumental incendie . Cerfs , antilopes , biches , lapins , lièvres , etc . , se précipitaient par milliers dans ce qu ’ ils croyaient le sal ut et n ’ y trouvaient que la mort par étouffem ent . Non seulement ce gibier mourut , mais il fu t cuit. Tant que la température ne fu t pas revenue à s a 34 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR norme , toute cette viande mi j ota dans son jus ( ainsi que l ’ on procède dans les façons de cuisine dites à Les mati è res lourdes OS , cornes , peau , glissèrent doucement au fond de cette géan te marmite . La graisse plus légère monta , se fi gea à la surface , com posant , de la sorte , une couche prot ectrice . D ’ autre part , les petites herbes arom atiques ( à l m star de celles de nos Alpes) parf um èrent ce pâté et en firent un mets succul ent . Ajoutons qu ’ un dépôt de m ea t — la n d doit pr och a i nem ent s ’ installer a Paris , dans le vaste im m euble qui fait le coin de la rue d es Martyrs et du boulevard Saint — Michel . Une Société est en voie de formatio n pour l ’ exploi tation de cette substance uniqu e . Nous reviendrons sur cette affai r e . ALPHONSE ALLAI S .

36 LE S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR lui — même et de tâcher d ’ obtenir de Lu i une déclara tion catégorique . Ce n ’ était pas , a vrai dire , une tâche bien aisée . Il importait d ’ abord de découvr 1r le domicile de Di eu et les avis lia- dessus étaient bien partagés . Il fallait ensuite décider le S eigneur a se départir du constant mu tis1 ' n e que , soit par timidité naturelle , soit par goût du mystère , il semblait s ’ être juré d ’ observer . Nous sommes arri vés a surmonter cette double diff] c ulté , et nous avons le plaisir d ’ offrir aujourd ’ hui à nos lecteurs la première conversation détaillée qu ’ u n simple mortel ait pu avoir avec une individualité , dont l ’ importance du rôle , dans l ’ histoire du monde n ’ échappera certainement à personne . Nous disons la première conversation , car nous n ’ a tta ch on s qu ’ une foi médiocre a l ’ en tr evu e, dite du Buisson ardent , q ui s ’ est produite en un temps Où la press e n ’ existait pas , et Où les moyens d ’ information étaient des plus rudimentaires . C ’ est gr â c e a la complaisance d ’ un ange au th en tique , rencontré fortuitement , et dont le nom , d ’ ail leurs , n ’ a pp r en dr ait rien à personne , que nous avo n s p u , sous la promesse d ’ une certaine discrétion , con n aître la demeure du bon Dieu . Ap rès avoir gravi le perron d ’ entrée , nous avons LE S GAÎTÉ S D U CHAT N OIR 37 pénétré dans une antichambre Où nous avons remis notre carte a l ’ ange de service . Je vais la faire parvenir au Tout -Puissant , nous a -t — il dit aussitôt , en éteignant poliment son glaive de feu . Nous pouvons l ’ avouer , nous nous sentions pas s ab lem en t émus a la pensée que , dans un instant , nous allions contempler les traits du Maître du Monde . Mais à peine étions - nous introduits dans son c abinet , très clair et très simplem ent meublé , que notre émotion disparut tout a fait , pour faire place à l ’ intérêt très vif que suscitait en nous une telle visite . Dès l ’ ab or d , nous constatâmes avec plaisir que l ’Eter n el , respectueux des traditions , portait sa légen daire b arbe blanche et que son sourire avenant , ses yeux pleins de bienveillance ne démentaient pas s on universelle réputation de bonté . Il nous indiqua avec une entière b onne gr â c e un siège placé en face d e son bureau . Le Créateur , il nous permettra de lui donner ce nom , se tient de p référence dans la pièce où nous nous trouvions . C ’ est une vaste chambre , é clairée par deux larges fenêtres . De chaque côté de la che minée , se dressent deux lampadaires qui s ’ allument , q uand vient le soir, sur un simple souhait du Sei 3 38 L E S GAÎTÉ S D U CHAT N OIR gu eur . Les deux fenêtres donnent sur un am ple jar din, habité par d ’ innombrables oiseaux , auxquels , chaque matin et de ses propres ma1ns , le T o ut -Pui s s ant tient a donner la pâture . Aux murs du cab in et , s oigneusement encadrés , s ’ étalen t des dessin s de planètes , des projets de système sidéral , et aussi deux petits paysages n on signés , d ’ une audace d e couleurs vra iment singulière et qui feraient certai n e ment sensation dans une exposition pub liqu e, c a r ils dévoileraient la façon curieuse dont leur auteur voit et rend la nature . Cher et très honoré Maître , avons - nou s dit au début de l ’ entretien , le but de notre visite , vous le connaissez sans n ul doute , puisque vous connaissez tout . Le bon Di eu s ’ in clin a pour seule réponse . (Nous avions d ’ ailleurs pris la précaution d ’ ins crire quelques lignes explicatives sur la carte que nous Lu i avions fait pas ser . ) Nous continuâmes On s ’ est justem ent ému dans la partie religieuse du monde littéraire des prétentions q u ’ a ffi ch e sans r elâ ch e le sieur Péla da n . Nous avons donc pensé qu ’ il y avait lieu de procéder d ’ une façon sérieuse a n n e vérification de ses pou voir s , en appelant en cause les autorités compé t entes , et e e , dans le pr e pr e : in tér êt de ces dernières , L E S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR 39 dont le sieur Péla dan pouvait com prom ettre , aux yeux des gens trop crédules , l ’ autorité et le prestige . Les âm es inquiètes de vront nous savoir gré de dé mas quer et de con fondre l ’ im p os teu r , si im posture il y a , et , dans le cas contraire , si la représ entation officielle du Tout - Puissant sur la terre est réellem ent dévolue au dénomm é J os éphin , de l ’ a ccr éditer auprès d ’ elles afi n qu ’ elles puissent , tranquillisées enfin , lui confier leu rs intérêts moraux Il y eut un instant de silence . Puis le bon Dieu prit la parole . Aucune expression ne pourr ait rendre ce qu ’ il y avait de douceur et d ’ autorité dans s a voix . Ah! quel dommage , pe n sâmes — nous , que le Tout Puissant ne fasse pas sa propagande lui -même ! Comme la popularité viendrait à lui , rien q u e pour le charm e de cette voix ! Le Seigneur s ’ exp r im ait avec bon sens , simplicité , et aussi avec concision , en Di eu plein de tact , qui bien qu ’ ayant lui — m ême l ’ étern ité a sa disposit ion , sait le prix du temps de ses interlocuteurs . Au sujet de M . Péla d an , nous dit — il , m a réponse sera net te . Je ne le connais p a s plus particulièrement que chacun des quinze cents millions d e terriens , ses congénères . Il n ’ a donc aucune qualité pour parler en mon n om . Ce n ’ es t 40 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR pas dans mes habitudes de donner des dém entis , et j ’ aurais d ’ ailleurs fort a faire de désavouer tous ceux qui jou rnellement se prétendent inspirés de moi . Que les affirmations des f aux prophètes fassent tort à. mon prestige , c ’ est ce dont vous me permet trez de ne pas me soucier . Je ne me préoccupe pas de l ’ admiration ou de la haine des hommes ; si le bon Dieu n ’ était pas désabusé sur les vanités , qui donc le pourrait être ? Je n ’ irai donc pas par mes récrim inations grossir , comme on dit , la foule des inventeurs méconnus . D ’ ailleurs , ajouta l ’ Eter n el avec un sourire , il sied au bon Dieu d ’ avoir confiance en sa propre justice . Non , continua le Tout - Puissant, personne n ’ a mis sion de me représenter sur la terre . Au fond , l ’ em ploi des prophètes ne m ’ a jamais réussi et je suis décidé à y renonc er tout a fait . Je devrais m êm e m ’ a b s ten ir de toute intervention dans la marche du monde et laisser l ’ univers , créé par moi , se déve 1opper suivant des lois naturelles . Mais , quoi qu ’ on puisse dire sur ma sérénité , je ne puis me résoudre à rester u n spectateur inactif , et je donne quelque fois u n petit coup de pouce , en dictant une résolu tion a ' q u elqu e élu . C ’ est ce que d ’ aucuns , parmi vos philos ophes , ont déjà dit . Je me plais à reconnaître LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR 41 qu ’ en cela du moins ils ne se sont pas trompé s . Mais qu ’ y a - t — il là d ’ étonnant ? Dans le nombre illimité d e propos en l ’ air , qui courent sur mon com pte , il s ’ en trouve parfois qui se trouvent exacts , par les seules lois du hasard . Pourquoi , p o ursuivit le bon Dieu , sur une question que nous lui tim es , ai -je renoncé à l ’ emploi des pro p hètes ? C ’ est que je commence à connaître un peu mes créatures . Je leur ai envoyé un Messie , porteur d ’ une parole admirable . Il leur a enseigné la charité . Croyez - vous que les hommes d ’ aujourd ’ hui soient meilleurs que leurs aïeux d ’ il y a deux mille ans Le Messie ne leur a laissé que sa robe de lin et sa cou ronne d ’ épin es , et leur hypocrisie en a fait un t ravestissement nouveau . Ils ont aboli direz -vous l ’ esclavage . Il est certain que sur la terre il ne reste plus guère d ’ es claves de nom . Mais voilà qui nous entraînerait trop loin et je n ’ aurai d ’ ailleurs pas besoin de faire con naître mon avis lim— dessus . Voyez -vous , continua fam ih er emen t notre illustre interlocuteur , il n ’ y a qu ’ un moyen d ’ a gir sur les hommes , c ’ est de leur faire peur . Mes prescriptions hygiéniques , que dictèrent mes premiers prophètes , auraient leur raison d ’ être . La p er Sp ective d ’ un petit 42 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR danger physique , bien proche , presque certain , agit plus sur vos faibles esprits que tous les enfers de l ’ autre m onde et leurs grils problématiques . Lés ser mons des prédicateursne réfrè n ent pas les débauc hés e t la crainte de la m aladie est le plus sûr commence ment de la vertu . D ’ aill eurs , toutes les théories que je vous expose , j ’ ai eu le loisir de les vérifier sur les différe nts mondes que j ’ ai m is en obser vation . Un jour ou l ’ autre , il faudra que je suggère à l ’ un de vos savants le moyen d ’ arriver à la planèt e Mars . Et vous verrez com ment se co n duisent ses habitants . C ’ est que depuis qu ’ ils existent , ils ont de moi une crain te salutaire , que j ’ en tr etien s avec soin , par une s érie de cataclysmes habilement espacés . Comm e ils sont aussi . civilisés que vous l ’ êtes sur la Terre , ils on t organisé des com pagni es d ’ assurances contre. la c olère d e Dieu , qui les indemnisent de leurs mal heurs domestiques , mais à cette condition expresse que ces malheurs n ’ aient pas été mérités par leurs f autes ou l ’ im pié té de leur conduite . Aussi consacren t - ils presque tous leur existence à la vertu , qui seule peu t l eur éparg n er des accidents fâc heux , ou “ les dédomm ager de ceux qui pourra i ent injustem en t . l e ur surven ir .

44 L E S GAÎTÉS DU CHAT N O IR P o u r q u oy l a fi ll e d u Ch ev a l q u i b oët e n e v o u l u t p oi n et s oy c o n f e s s e r à. f r è r e J eh an l e Tau p i n . Ah ! ah ! surma fy, bonnes gens , marchan ds d ’ an dou illes , a dvoc atz, homm es d ’ armes ou au ltr es,m e dicin s , scripteurs b asochi en s ou tourneurs de ron dels , compteurs d e vesses , b r ou deu r s de j a r r etief s , gu ar dien s de p u cellaiges , doreurs d ’ aigu illettes , hé listres du palais Bourbon , questeurs , coq n ema r di er s , raccommodeurs de l anternes , depu c elleu r s de b ou r d eaux , fa r ib olier s , philosophes , s ou ffi eu r s de billes vezé es p etd en on n ier s , c ocq u a s sier s , cannibales , bou clea rs de lemmes et yvr on g n es sur m a fy, et s ur la teste trois foys sacrée de l ’ archi - m ou s ta r dier du Pap e je gage que vous feri ez le tour de nostre L E S CA ÎTES DU CHAT N OIR 45 belle ville de Ch a st ell er au d , sans oublier Ingra ndes , Ta rgé , Clairvaux , voire même le bourg d e Nai n tr e avant de tr eu ver le quart , ou seul em ent le s eptier d ’ une fille comme celle dont je parle . Et de quelle parlez — vous donc , m essire Ah ! bonnes dames , s aiges femmes , béguines et sacri s tines , sorcières , baronne s e t d u c he s ses , som nambules , putes , demi - putes e t doubles putes , bigotes , tr es seu s es de hottes , marchandes de ca rottes , graisseuses debottes , ‘ et ra vaudeuses d ’ echa lottes , hault - de - ch au ssièr es , ch emisières et b r a gu et tieres j e veu lx sur l ’ instant san s qu ’ on m e laisse le temps de vu y d er ce piot , estre a b aila r dé et b a r b ou illé dé fi en te d ’ h ipp Opotam e, s ’ il en est une seule entre vous qui vaille seulement la p an t0phle de ceste — c y ' Q u elle donc parlez -vous , seigneur ? Je parle , bonnes dames, h au ltes damois elles , et puiss ants barons , je parl e de la fille de maistre Tho mas Vuydetes te, p r évos t des c ou s telier s de C hatel ler au t en Poi ctou . Je parle d ’ une qui s ’ a pp eloit Jacqueline , et non d ’ au ltr e, et si je en parle ce est que mon plaisir est d ’ en parler , et s ’ il me p laist d ’ en parl er , c ’ est qu ’ elle valoit bien que j ’ en parlasse et si elle 3. 46 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR Bonnes dames , puisque la chandelle est étein cte , point n ela rallumez Poin c t ne la rallumez , bonnes dames , si »I. ‘ us voulez s çavoir ce q u i advint a c es te d essu sdicte fille . Bene ! Optim e ! J e tiens à dextre un t es to n ét un gen oil a s é n estre . Ces d eux - cy m e serviront de com p a ign on s durant que je cont erai m on a f aire et si je prends le teston pour le gen oil , et que je c uyde tenir le teston en caressant le gen oil , ou que je quitte c es ’my — cy pour aller ch er c h er advent ur e a l ’ entour , c om p tez ' q u e j e vous en a dver tir ay , bonnes dam e s . Mais p our l ’ amour de Dieu et d es b en oists anges , la i r r ez coite » ces te p a ou vr e chandelle ! H um ! h u m , kr u m ph Ceci est pour voir si je ne ay p oin ct un d estri er em my le gou si er . Hum ' hum ! ah ! ah ! le gen oil est plaisant , s ou ëf le tes ton n et et je cuyde qu ’ en vecy un a u ltr e lani che en est pleine et un a n ltr e g en oil a u ssy si n ’ ay la berlue aux d oigtz ! et c ecy qu ’ est - ce donc Humph ! hum ph Ges te déj a nommée Jacqueline Vn ydeteste, ou Tes tevu yd e s i m ieu lx vous a ymez, est01t don cq u es emmy sa chambre a l ’ heure que i e vous ay diet , car ell e ys soi t du li et . Et comme a u ssy vous ay diet que ce jour la estoit LE S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR 47 dimanche et que le dim anche il fau t lair r er la vieille chemise et se v estir d ’ une a u ltr e , je cu yde p on voiRad von er tou t hault sans mes dr oic ts tres passer , ou ltr ep a ss er ni surpasser que nostre Jac q u é]in e avoit la sienne os té e et estoit n n ë com m e ver mic el , non celui qui n ou s vient de Naples ( an ltr e chouse au s sy nou s vient de là) , non celui q ui vient de Naples pour être en s on pp e b on té , et s u b s éq n em m en t brouté mais n u é comme ver m icel d es cham ps p a r m y les choux on naveaux . Hum ph! humph! parfait Poin c t ne ayez p a ou r , le dyable est emmy la prison , et la chorde qui le tient est solide Date ob oln m Belisario Ah ! ah! ce gen oil me con vient , par la barbe du Pape Pline l ’An cien a ffi r m oyt que le moral de la jambe placé en amont du gen oil avoit nom cn ys s e, ce est - il vr ay ? Et s ç avez — von s comme il s on loit Mais laissons hum ! hum ! Geste Jacqueline es toit une bonne dame , elle . ‘ estoit n n ë ! Et Vénus , la Belle Hélène , CléOp atr e, si ell es l ’ av01 ent vue , au r oien t esté par le serpentde j alousie mordues tost tant elle es toit b elle a in sy . Vere on c ust diet statue de Florence ! Ses durs testons plus blancs que laict ( cestuy-cy est — il blanc ou doré ses testons durs Se dr ess oient 48 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR a in sy que fi èr es tours dess onb s son long col de p a lombe son ventre s atin izé estoit doulx etp oly comme y voire , ses h au ltes cn ys s es s emb loi en t c nys s es de nym phe , et ses noirs c h eveu lx tom b oien t Si bas q u e nul n ’ en s t pu entrevoir ses f esses ! ( Fesses Lon s diet Pline le vieil , sont après c n yss es ! ceci est — il fesse ? Nenni ? Si ce est un ge noil,il est bien gros ! mais ne l air r on s p oin ct courir nos moutons ! ) Elle estoit n u e, mais tost en s t - elle mis sa n efve chemisette , et adieu le tant joly spectacle , regal de l ’œil et plaisir d u cœu r adie u jusqu ’ au p r ou ch ain dimanche ! Res toit alors le vis aige , lequel elle avoit plus royal qu ’ on ne le s ç au r oit dire ; ses yeux n oirs estoi en t plus doulx que velours , et dessus es toit la tant jolie a r b aleste de ses s on r cilz Et sa b ou ch e es toit r ou ge et flambante comm e c c rise nouvelle , et elle avoit un nez de déesse dr oict et long ( cecy ne est pas mon nez , petiote , ce est m on con stel ) . Hum ! hum ! Adon cq n es se estan t affea é de sa chemise l a dicte Jacqueline , print son gippon et pu is s a ' c otte , et pn iS1hn ssa ses testons joliets des s on b s le b r oca r t bron de de son cor sel et

p

uis fist a la bonne Vierge LE S GAÎTË S DU CH AT N OIR 49 et au seign eur Dieu sa prière, demandant le pardon de ses fautes et priant sa patronne de tenir bien en p 01n c t ses parents . Cecy faict et p a r a ch epvé , elle print le b en ois tier qui estoit d es s ou hs les r idels de son li et p en du , et par trois foys y mit sa langue . Et comme elle l ’ y b on toit pour la tier s e foi s soub d ain em en t s ’ ou vr it la porte , et qui entra , joli es p n cellettes , sinon damoiselle Marthe , la fille du taver nier voysin à l ’ enseigne du Ch eva l q u i b oe ‘ te Ceste -cy qui s ’ en r even oi t de voir son gn alla n t et avoit sa coëff e ton te fr ippée encore de ce qu ’ il lui avoit conté emmy le grenier , se print à rire comm e u n e petite perdrix en gésine , si tes t qu ’ elle cust vu à quelle saulce sa com p aign e a cc om m odoit sa paro lièr e machine . Da ! fi st — elle , vecy , sur ma quenouille voisine , u n e mode que p oin ct encor ne c ogn ois s ois . Est -c e que vou s la baptisez , ma mignotte ? Nenni , dist Jacqueline , c ecy est ma penitence ; le bon père Jehan le Taupi n , qui m ’ a hier con fessée , m ’ a recommandé ch a c qn e foys que je péch er o ‘m, de tremper en eau b en oiste la partie de mon corps qui s er oit c on lp ab le, et comme jeay hier l ’ après vespr ée menti a ma mère — j e fais fairepénitence ama langue . 50 L E S GAîTÉ S DU CHAT N OIR L ’ a n ltr e se prit à r igoller de plus belle Vere , dist — elle , vecy un capucin qui ne me con f essera mie , car si même pénitence il me b ailloit , je s em is contrainte de me baigner d epuis les pieds jusqu ’ au dessus des testons , et onc ne p ou r r oi s tre n ver en la ville assez d ’ eau b en oi s te pour le f aire . RODOLPHE SALIS .

52 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR vieux coch on se levait sur son fumier e t arrivait trot tin an t de ses vieilles pattes . Il plongeait sa tête dans sa pitance et s ’ en fon r r ait jusque dans les oreill es . Et la j eu n e fille d ’ une grande beauté se sentait pénétrée de bonheur à le voir si content . Et p u is , qu and il était bien repu , il s ’ en retournait Su r son fumier, sansj eter à sa bienfaitrice le moindre regard de ses petits yeux miteux . Sale cochon , va ! La j eu n e fille , ton te triste, rentrait dans le cottage de son papa avec son si au vide et des larmes plein ses yeux ( qu ’ elle avait fort jolis) . Et le lendemain , toujours la même chose . Or, un jour arriva que c ’ était la fête du cochon . Toute la semaine , la jeune fille d ’ une grande beauté s ’ était creusé la tête ( qu elle avait fort jolie), s e demandant quel beau c adeau , et bien agréable , elle pourrait offri r, ce jour -là , a son vieux cochon . Elle n ’ avait rien trouvé . Alors , elle se dit simplement : Je l ui donnerai des fl eurs . Et elle descendit dans lejardin , qu ’ elle dégarnit de s es plus belles plantes . Elle en mit des brassé es dans son tablier , un j oli LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N O IR 53 tablier de soie prune , avec des petites poches si gen tilles , et elle les apporta au vieux cochon . Et voilà- t -il pas que ce vieux cochon - là fu t furieux et grogna comme un sourd . Qu ’ est — c e que ça lui fi ch ait , a lui , les roses , les lys et les géran iums ! Les roses , ça le piquait . Les lys , ça lui mettait du j au n e plein le groin . Et les géraniums, ça lui fi ch ait mal a la tête . Il y avait aussi des clématites . Les clématites , il les mangea toutes , comme un goin fre . Pour p eu que vou s ayez un p eu étudié l es applica tions d e la botanique à l ’ alimentation , vou s d evez bie n savoir que si la clématite est insalubre à l ’ homme , elle est né faste au cochon . Et la clématite qu ’ elle avait offerte à son cochon appartenait précisém ent à l ’ espèce terrible clem a t is cochon icida . Le vieux cochon en mourut , après u n e agonie ter ribl e . On l ’ en ter r a dans un champ de colza . Et la jeune fille Se poignarda sur sa tombe . ALPHONSE ALLAIS . LE S GAîTÉS DU CHAT N OIR L ’AM I D E LA NATURE J ’ cr ach ’ pas sur Paris , c ’ est rien c h ou ett ’ M ais comm ’ j ’ ai une âm ’ de poet ’ , Tou s les dim a n ch ’ s j ’ s or s de ma b oît ’ E t j ’m eh vais avec ma compagne A la campagn e Nous prenons un train de b a n lic n ’ Qu i n ou s brouette a q u èq n e lieu , Dans le vrai pays du p ’ tit b leu , Car on n ’ b oit pas toujours d ”cham pagne A la campagne . Ell ’ met s a rob ’ de la Rein ’ Blanch ’

M oi , j ’ emp or t ’ m a pip ’ la plus blanch ’ LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 55 J a1 pas d ’ c h em is ’ , mais j ’m ets des manch ’ , Ca r il fau t bien q u ’ l ’ éléga n c ’ règne A la cam pègœ . N ou s arrivons , vrai , c ’ est très batt ’ ! Des é caill ’ s d ’ hn îtr ’ s comme ’ chez Baratt ’ Et des c ocott ’ s qui vont à patt ’ , Car on est tou t comme chez soi A la camp quoi Mais j ’ vois qu ’ma machin ’ vous terre, Fait ’ s— moi signe et j ’ vous ob tem pèœ , D ’ autan t q n ’ j ’ d em an d ’ pas mieux q u ’ de Fau t p as se gêner plus qu ’ au bagne , A la campagne . PAUL VE RLAINE . 56 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR L ’H ORLOGE R A Liverpool réside la famille d ’ h or loger la plus extraordinaire peut — être du monde entier . Qui n ’ a entendu parler des Leopardi ? Ces aimables gens , malgré leur nom itali en , sont Anglais depuis plu sieurs g énérations . Gabriel Leopardi , le chef de la maison , quoique sourd , borgne , goutteux, manchot , cul- de -jatte et a ffligé en outre d ’ ataxie locomotric e brochant sur le tou t, vou s fabrique une montre a re montoir, en vingt — quatre heures , avec le seul se cours de sa paupière droite inférieure . Cela ne tient — il pas du prodige , vraiment ? En dépit de s es i n fi rmités , Gabriel Leopardi a fai t souche actuelleme n t , son fils aîné Archibald est , de fait , le principal moteur de cette puissante raiso n sociale (Watch ’ s Centra l Manufactory C ° C ’ est à ‘ lui q u e je fu s prés enté p a r mon ami Mac Ocott, car LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR 57 le père Leopardi était parti courir le renard a Eaton Hall , larésidence somptueuse duducde Westminster Vou s ne pouvez faire un pas dans Liverpool sans entendre vanter l ’ habileté prestigieuse , l ’ honnêteté presque ridicul e de cette intéressante famille . Et avec ça , d ’ une simplicité exquise , malgré u n e for tune qui leur permettrait les fantaisies les plus in sensées . Ils restent la, derrière leur comptoir, sur veillant avec soin les moind r es pièces qui entrent dans leurs magasins ou qui en sortent . Les habi ta nts de Liverpool sont aussi fiers de ces chevaliers du ress ort que du grand quai flottant , une des mer veilles de leur belle cité . Je n ’ aime pas les exagérations , et j ’ é tais , je l ’ a voue , agacé de ce dithyrambe d ’ éloges . Mac Ocott m ’ avait dit Si vous avez besoin d ’ un e bonne montre , adressez — vous sans crainte à cette maison . Ainsi , tenez , en voici u n e, et il me tirait un énorme oignon de sa poche , je l ’ ai achetée c hez les Leopardi , il y a quelque vingt ans ; elle marche a ussi bien aujourd ’ hui que le jour de mon achat . Chaque quinzaine , il est vrai , elle avance de quel ques heures et se met a battre la campagne ; mais je n ’ ai qu ’ à la leur porter , ils me la nettoient et ça ne me coûte que 5 shillings . 58 LE S GA îTÉS DU CHAT N OIR Diab le m ’ é cr i ai - j e, vou s avez alors pou r 1 3 livres sterling de réparation annuelle ; depuis vingt ans q n e ’ vou s possédez cette merveill e, elle vou s revient à. 260 livres ; c ’ e s t u n chiffre , savez — vous Je ne dis pas non , répliqua mon ami

mai s

pendant quatorze jours , j ’ ai l ’ heure exacte , et cette considération mérite bi en un petit sacrifice . Devant cette philosophie , je ne trouvai rien de sé r ieux à objecter, et je dem en r ai même ' quelques instants dans l ’ attitude d ’ u n gentlem an idiot . Toutefois , la confidence de Mac Ocott m ’ avait re froidi à l ’ égard de la loyauté de cette fameuse m a i s on d ’ horlogerie . J ’ en ai tant connu de ces indus tr iels qui , a propos de b ottes , vou s gardent u n e montre , s ou s prétexte qu ’ elle a besoin d ’ une lessive , pour vous la rendre plus salement détraquée qu ’ au paravant Voulant en avoir le cœur net , je me rendis u n j our chez Archibald Leopardi , et, lui présentan t u n superbe chronomètre qui n ’ a jamais bougé d ’ une minute depuis cinq ans que je le possède , je lui dis Elle ne va pas Il répondit tranquillement Ce n ’ est rien , un simple nettoyage suffira . Quelques jours après , visitant n n e

  • de ces immenses

60 L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR UN S CANDALE Miss Thompson , une des meilleures ouvrières pi q u en s es de la maiso n Flipp and C° , à. New — York , pas sait son dimanche a sa façon habituelle . Levée a sep t heures pour le premier déjeuner , elle était remontée à sa chambre dont elle boucla la porte à double tour . Puis , après avoir retiré de la commode au linge une forte bouteille de Rue Wi sk ey , miss Thom pson se mit à la vider lentement . mais sûrement , affalée dans un r ocki n g - ch a i r . Le petit verre passait avec u n e régularité autom a tique du ton insipide de cristal s a n s r i en d ed a n s L E S GA ÎTES DU CHAT N OIR 61 au ton réjouissant d ’ or roux emprunté à 1 ’ ean - de - vie a n glaise , qui est de la force de plusieurs chevaux , c omme on sait . Quant au visage j eu n e et pas mal en point de mi ss Thompson , il gardait n n e ‘ s ér é n i té in a ltér é e ; seul un carmin délicat qui ressemblait comme deux gouttes d ’ ea u a u carmin de la pudeur s e levait , telle u n e aurore s ou s l ’ influence r é ch an ifan te (j e te crois) de la liqu eu r en eh a n ter ess e . Sur le mur, miss Thompson voyait , avecune exa l tation croissante , des chromos encadrés r epr és en t ant des scènes de la Bible : A g a r a u d és er t, M a d elei n e a u a3 p i eds du Chr is t , avec des cheveux si longs qu ’ on eût dit u n e réclame pour quel que pom made capillaire . A côté , l ’ É ta t — m aj or d e Wa shin g ton ; le grand homme américain caracolant près de Lafayette , comme dans un cirque . Les montures étonnamment ressemblantes a des chevaux en bois pilaient de leurs sabots pacifiques le sucre sale qui figurait la neige , où les sapins de premier plan étaient si pe tits , par respect pour les illustres ca 4 60 L E S GAÎTÉ S DU CHAT N otR UN S CANDAL E Miss Thompson , u n e des meilleures ouvrières pi q n en s es de la maison Flipp and C° , à New-York , pas s ait son dimanche à s a façon habituelle . Levée a sep t heures pour le premier déjeuner , elle était remontée à sa chambre dont elle boucla la porte a double tour . Puis , après avoir retiré de la commode au li n ge u n e forte bouteille de Rue Wisk ey , miss Thom pson se mit à la vider lentement . mais sûrement , affalée dans un r ocki n g - Ch a i r . Le petit verre passait avec u n e régularité automa tique du ton insipide de cristal s a n s r i en d eda n s L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 61 au ton réjouissant d ’ or roux emprunté à l ’ eau - de — vie a n glaise , qui est de la force de plusieurs chevaux , comme on sait . Quant au visage j eun e et pas mal en point de m I s s Thompson , il gardait u n e sérénité inaltérée ; seul un carmin délicat qui ressemblait comme deux gouttes d ’ ea u a u carmin de la pudeur s e levait , telle u n e aurore s ou s l ’ influence r éch anfi an te (j e te crois) de la liqu eu r en ch a n ter ess e . Sur le mur, miss Thompson voyait , avec u n e exal tation croissante , des chromos encadrés r epr és en t ant des scènes de la Bible : A g a r a u d és er t, M a d elei n e a uwp i eds d u Chr is t , avec des cheveux si longs qu ’ on eût dit u n e réclame pour quel que pom made capillaire . A côté , l ’ É ta t — m aj or d e Wa shin g ton ; le grand homme américain caracolant près de Lafayette , comme dans un cirque . Les montures étonnamment r e ‘ s s emhlan tes a des chevaux en bois pilaient de leurs sabots pacifiques le sucre sale qui figurait la neige , où les sapins de premier plan étaient si petits , par respect pour les illustres ca 4 62 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR valiers , qu ’ on aurait plutôt dit u n e ga rniture de salade ayant la folie des grande ur s . Mais l ’œil de miss Thompson, de p lu s en plus noyé d ’ exta s e , revenait aux chromos bibliques et sa poi trine se soulevait , émue d ’ un troub le sacré , tandis que sa main , d even u e tremb lante , f euilletait le cahier de cantiques sur la tab le . Elle soupirs encore , les yeux attachés sur la b arbe bien peignée du Sauveur : A h ! — D ea r ! D ea r ! puis se l eva , sans trop d e pein e , et alla s ’ asseoir de vant l ’ h arm on in m q u i bientôt se répandit s ou s ses mains en suaves mélodi es religieus es . A l ’ étage an — dessous , mister Lowen dal et mistress Brown , qui commençaient à s ’ a s son p ir aux bras l ’ un de l ’ autre , — celane vau t rien de ’ se recoucher ton t d e su ite après déjeuner, se réveillèrent délicieuse me nt . I s n ’ t i t n i ce! is n ’ t i t n i ce (N ’ est -ce pasbeau N ’ est — ce pas beau murmurait dans le c on de son amant la f emme du police man Brown , lequ el était , ce dimanche , de s ervic e au quartier lointain d u Brooklyn . LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 63 Les cantiques , lentementpleurés p ar l ’ h a r m on ium , fai s aient rêver le couple amoureux d ’ u n e ascension au Para dis ; u n e ascension con fortable , sans se presser d ’ arriver , soutenus par de petits anges nè gres , de préférence , car cette race ne craint pas les lourdes besognes et mistress Brown com mençait à peser ses quatre -vi n gts . Ce qui ne l ’ em pê ch ait pas d ’ être u n e exquise et tr ès gaillarde maîtresse pour mister Lowen d al

seul , son mari la trouvait d ’ une vertu un p eu gl acia lem en t austère . Cette musique p énétrante adoucit même si bien les mœurs du couple enlacé , que de nouveaux bai sers , muets mais b ien in form és , les firent défaillir dans u n e étreinte décisive . L ’ h arm on inm , là— hant , s ’ était tn . S ans dou te miss Thompson s ’ ab a n don n ait a u ne silencieuse et édifi a n te exta se , peut — ê tre s ’ éta i t - elle s implement endormie de ce sommeil d u juste qui ressemble d ’ une façon frappante au sommeil de l ’ i vr ogn e Les paupières des deux amants battai ent à n on 64 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR veau de lassitude tendre lorsque de la chambre d ’ en face les sons d ’ un piano leur parvinrent . Cette fois , ils furent redressés d ’ un mouvement brusque et assis raides l ’ un près de l ’ autre, les y eux agrandis d ’ éton n em en t effrayé . I s i t p oss i b le ! (Est — cc possible déclamèrent ils en duo , les mains jointes , comm e pour conjurer par u n e prière la colèredivine et détou rner la foudre prête à tomber sur la maison où se perpétrait un tel sacrilège . C ’ était dans l ’ appartement du ménage français arrivé de la veille qu ’ on entendait ces sons cr iminels . Une valse d ’Her vé Une valse De la musique profane un dimanche Ah ! on n ’ a pa s tort de dire que le contin ent est perdu d ’ impiété et de vice , prédica mistress Brown . La fin du vieux monde est pr oche , ajouta avec conviction mister Lowen dal . Sur ce ‘ , ils s ’ en dormi r en t, car ils étaient très fati gués .

66 L E S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR Une taciturne mais intense réprobation envelop pait le COU ple français , un peintre avec sa fem me , à cau s e de cette aut r e musique qui étaitune em a nation de l ’ enfer . Un gentleman démesurément lon g , sec et b lèm e, q u i , debout , avait l ’ air d ’ un p en du , contait l ’ arrestation d ’ un res taurateur qui servait de la b ière et du vin le dim anche . Le gentleman français , qui écoutait les conversa tions avec ce recueillement dont on fai t p r euve lors qu ’ o n ne co m prend pas u n e traîtress e syllabe d ’ une l angue , dut sans doute saisir un mot au passage qui lui donna u n e idée ; car, après avoir demandé la c lef de leur chambre a sa f emme , il dispar ut p u is revint avec u n e bouteille de vie ux cognac ( im ported) . Le but ne pouvait être douteux . C ’ était évidemment pour en boire après son café et en offrir peut- être à s a femme Et devant tou t le monde ! Un dimanch e ! Ceci rendit a p eu prè s stupides d ’ in dign ation les pensionnaires qui désertaient maintenant le din in g r 007n en soupirant , accablés N ’ est -ce pas u n e ab omin atien ! Oh ! Shocking ! LE S CAîTES DU CHAT N OIR 67 Et miss Thompson , en remontant prestement a sa chamb re pour s ’ y r e— enfermer , jeta a mistress Brown qui rentrait aussi C ’ est pourtant si facile d ’ être correct . M ARIE KRYZINSKA . LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR RACCOMMODAG E Après ses sottes aventures Et de serments et de ruptures Notre amour n ’ est — il p a s ainsi Qu ’ un plat de Bernard Palissy Remis à neuf par vingt sutures Amie , il faut le ménager , L ’ a écr och er vite ou le ranger Avec la plus grave pru dence , Soit au mur ou sur la crédence , Pour qu ’ il ne con re aucun dan ger. Au temps où s ’ a ccor daien t nos âm es . Plus d ’ une fois Don s y mangeâmes LE S GAÏTÉ S DU CHAT N OIR 69 La soupe et le bœuf du bourgeois Et du merle blanc quelquefois , Quand nos bouches buvaient nos âmes . Pas un profil , pas u n e fleur N ’ a laissé pâlir sa couleur, L ’ ém ail en est in vn ln ér ab le Pourquoi notre main misérable Causa- t- elle donc ce malheur ? Qu ’ il vive de longues années Et que ses cases fl eu r on n ées Dorment dans u n e heureuse paix , Nous lui mettrons u n voile épais Qui l ’ is ole des araignées . Il n ’ ormera plus nos repas , Car tou t ch oc serait un trépas Si lugubre et si prosaïque , Le plus artiste en mosaique Ne le raccommoderait pas . LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR Comprends - tu bien par ce poème Que n ou s trépasserons de même Si n ou s continuons ce j eu , Et p ourtant tu m ’ aimes un p eu , Et tu crois pourtant que je t ’ aime ! MAURI CE VAUCAIRE . LE S GAiTÉ S DU C H AT N OIR 71 CHANSON STYRIENN E Elle trottin a i t, légère comme un e Elle éta it b lon d e et Elle av ait des y eux tap ageurs S on ta lon fais ait com m e ç a Tr a la la la l a Et j e la s uivais m oi , com me un — 4— 4 Dans le passage des Princes , elle dit Faut qu ’ tu m ’ rinces ! Dans le passage Jouffr oy , je pris un air froid . 7 2 LE S CA ÎTE ’ S DU CHAT N OIR Dans le passage Verdean , j ’ lui fis u n cad eau . Dans le passage Vivien n e, elle me dit suis de Vienne Et elle ajouta J ’ h ab ite ch ez m on on cle, C ’ est le fr èr e à p a p a ; Je lui s oign e u n C ’ est un sort p lein d ’ app as . J ’ devais r ’ tr ouver la donzelle , passage Bonne — Non velle . Mais en vain j e l ’ a tten dis passage Brady . Les voilà bien , les amours de passage ! NARCISSE LE BEAU.

74 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR Qu e le trépas prit s ouvent au collet , Réjou i s — toi d ’ une éternelle vie! Tu s u s m êl er dans ton cœur sans envi e L ’ âpr e do u l eu r au rire vermillo n . Ta renomm ée en est tou te fl eü r ie Un c ou p de vin pour le pauvre Villon ! Tn n ’ am a s s es ducats d ’ or ni préb en des , F r è r e d e ceu x dont le co r p s tri s te es t laid , D échiqu eté p a r d e s i n i s tres b a n des , Pour les corb eaux aux potence s trem b lait ! So n t en en f er , com m e m ou c h es en lait . Ton co r ps a toi , dont l ’ âm e endolo r ie Par tant de m ains cru elles fu t pé trie , Christ l ’ a convert de son blanc pavillon Afin de plaire a la Vier 0 ‘ e Mari e Un coup de vin pour le pauvre Villon ! ENVO I Pr ince du ciel , entends celui qui crie Mi s éricorde a sa mutinerie ! Que dans l ’ azur roule un clair tour billon D ’ an ges benoîts , prêts à la beuverie Un coup de vin pour le pauvre Villon! VICTO R MARGUE RITE . — 1 G T LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR BAL LADE Te voilà , Printemps , vieux j eu n e homm e, Avec tes vertes frondaisons Et le drap vert de tes gazons ! Ah ! tu n ’ es pas très neuf, en somme ! E t p ou r tant , dès q ue tu parais , Les bru n s garçons , les fill es blon des Au to u r de toi dansent des ron des , Comme les mouches dans l es rais Du soleil . 0hé les poètes ! Amours , beaux jours , chansons , pinsons, Aveux , doux vœux, frissons , Joli mois de mai , tn m ’ emb êtes ! 7 6 LE S GA ÎTÉ S D U CHAT N OIR Au b e claire de rose thé , Crépuscule d ’ héliotr 0p e, Tou t cela me rend misanthrope , Car je n ’ ai plus , envérité , L ’ âge des emballements roses Quand je rêvais que le Destin Me servirait , chaque matin , Une princesse avec des ro s es Autour , dans un rare décor Où des esclaves accoudées Rêvent parmi les orchidé es L ’ âge où je n ’ avais pas encor Brûlé m a dern ière cartouch e, Quand ma maîtresse , jolim en t , Me grondait d ’ être trop gourm an d Et toujours porté sur sa b ou ch e Et malgré ton éclat , Printemps , Et les serments des amoureuses , Je sens les angoisses peureuses Du deuil automnal et du temps LE S GA Î ' I ‘É S DU CHAT N OIR 7 7 Où tou s nos bonheurs , par j onchées , Avec les rameaux arrachés Sont lamentablement couchés Sur les pelouses desséchées . Des h om m es , beaux comme des dieux, Em mènent a leur bras des femmes Qui sont belles comme les femmes ; Tou tes et tou s ont dans leurs yeux Des regards longs comme des lances . Ils passent devant ma maison , Ils me dis ent Viens — tu Mais on Ne me la fait plus aux tr ou b lan c es Vou s pouvez me tendre la main , Non , j e ne serai pas le vôtre Dans ma sagesse je nie van tr e, Passez , passez votre chemin Et , le cerveaub len té de rêves , All ez adorner de lilas Le corsage des Dalilas Dont les amours , comme eux , brèves ! L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR Malgré mon am our des lointains , En vain madam e Chrysanthèm e Viendrait m e m urm urer Je t ’ aime Car , sans baiser s es ongles teints , Je la renverrais , éplorée E tsi la reine de Sab a , Pour quelque b ib lique sab bat , Me montrai t la forêt sacrée , Je la dédaignerais aussi . Non , j e ne crois plus que l ’ on m ’ aim e . Donc , a quoi bon souffrir E t même La blonde au corsage am inci Qui vit sans que je la connai s se , Celle dont j ’ ai rêvé longtemps La ven u e, un soir de printemps , Peut venir , claire en sa jeuness e Pour montrer quel homme je s u is , Quel homme je veux toujours être , Qu ’ elle passe s ou s ma Je prends mon cha p eau , je la suis . MAURI CE DONNAY . LE S GAîTES DU CH AT ” N OI R 7 0 L E S POISSONS ROUGE S . 1 P a u l Fa b r e . Lors de mon dernier voyage à. Birm i n gham , on m e présenta à une brave et digne f emme , Mrs . Clark s on, qui tient un boarding-hon se pour policemen et dont la vie a été marquée par un événement extra ordinaire . Les deux choses ne sont pas incompatibles . J oe Clarks on , son dé f unt m a ri , avait d ’ abord été p as teur de la Chr is ti a n a n d B ap ti s t m el a n ch oli c Ch u r Ch ( lim i ted) . Em porté , cer tain ° dimanche , par l ’ excitation d ’ un véhément sermon contre le Pape , il perdit l ’ é q u i lib re et tomba du haut de sa chaire sur des 80 L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR fidèles d ’ un naturel malheureusement pointu il en eu t les j amb es transp ercées com me une écum oire . On fut obligé de les lui amputer . Ce que voyant , il se mit marchand de poissons r ou ges . Vou s m ’ obj ecter ez que c ’ est b ien éto n nant , et que les pasteurs victimes de leur d evoir ont droit , en Angleterre , à de grasses rém unérations . C ’ est pos sib le . Mais le Révérend Clarkson avait f ondé u n e s e cte dont prenaient om b r agé les trois mill e et quelques églises voisines qui composent l ’ un ité reli gieu s e anglaise . Les dignes confrères de Mr . Clarkson fure n t enchantés de l ’ incident et ne s ’ en cachèrent pas . Il n ’ eut , du reste , pas trop a se plaindre de son malheur . Bientôt il devint le premier marchan d de poissons r ou ges de Birmingham . La Reine elle - m êm e ne dédaignait pas de venir, u n e ép u isette à la mai n , p ê ch er quelques poissons dans ses immenses aqua r in m s . Mais le Destin avait j eté s u r lui sonplus mauvais œil . Un s oir, Mr . Clarkson ayant eu l ’ im p r n d en c e d e faire , sans chandelle , l m sp ection de ses viviers , piqua u n e tête dans un énorme bocal où se pr élas s aien t trois cent vingt — huit cyprins dorés .

8 2 H L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR pr 1 er es de l ’ E glis e et les inhumer dan s un cimetière chréti en ! Les héritiers , surpris , firent un nez démesuré , c a r ils se fi ch aien t des restes d e Clarkson com m e d ’u n e guigne , et il y avait jus tem ent ce jour - là u n e h aùs s e scandaleuse sur les poi s sons r ou ges . D ’ autant plus q u e c es derniers , à la s u ite de c ette bombance imprévu e, étaient devenus gras , dodus , et d ’ u n r ou g e a p 0p lec tiqüe inconnu jusqu ’ alors chez leurs congénères , ce q u 1 devait tenter les am ateurs . Pour transiger , les héritiers offr ir on t à la veuve de lui la iss er lesguib olles artifici elles de l ’ ex- Révérend, mais Mrs . Clarkson ne voulut rien entendre . Comm e ce point de droit n ’ était pas , en somme , des plus clairs , toute la bande d es solicitors , barri s ters , atte r neys , etc . , fut appelée , et un procès s ’ engagea . En attendant l ’ issue d e cette c a u s e, en mit les scellés sur le b ocal , et on en confia la garde a u n homme de loi quelconque . Unprocès de la sim ple espèce dure , en Angl eterre , u n e quinzaine d ’ années , pour p eu que les juges y mettent quelque activité! Celui - ci menait son petit bonhomme de chemin et devait apparemment trai h ailler encore un quart de siècle ou deux. LE S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR 83 Pendant ce temps , l es poi s so n s r ou ges claquaient comm e des m ou ch es , et le gardien des s cellés , qui n ’ était pas au courant de la nature du litige, j etai t irrévérenci eusement les trép a ssés a ses ch a ts . Il avait biff é de son budget l ’ article m ou ce dont lui et sa f emme s ’ a p pla n di55a iœ t fort . Le 1 3 s eptembre 1 884, il ne restait plus dans l e bo cal qu ’ un seul cyprin doré . Pris de scrupules , l e gardien des scellés crut d e sa conscienc e d ’ en a ve v tir la Cou r t h ou s e qui , elle - même , en prévint , par les voies juridiqu es ordinaires , Mrs . Cl a rks on et les héri tiers . Ceux — ci , voyant qu ’ ils s etaient embarqués dan s u n e aff aire dé s ormais mauvaise , firent arrêt er l es frais . Le dern ier des trois cent vingt — huit cyprins f ut r emis entre les mains attendries de Mr s . Clarkson . N ’ ayant pu , malgré tou tes s es dém arches , obt enir l ’ admission des restes de son époux en terre chr é tienne , elle fit faire un mign on cercueil en verre , où le poisson r ou ge fu t pieus em ent déposé . Une pla q u ette en métal , vi s s ée d es sus , portait cette s impl e i n scription 84 L E S GA Î ' I ‘ ÉS D U CHAT N OIR [et r ep os e le cor p s D U B E V E R E N D C L A R KS O mar ch an d de p oisson s r ou ges D i eu a i t s on âm e MTS . Clarkson garda toujours religieusement cette r elique sur la cheminée de son salon; c ’ est la que je l ’ a i vue , le mois dernier . Et quan d , à l ’ aspect de ce p etit paquet d ’ a r ê tes , qu elque ign orant dit a la veuve Il avait une fi chu e con formation , votre m ar i ? Elle répond avec le plus g r an d fl egm e C ’ est que , voyez -vou s , il était cul - de — jatte ! MAURI CE O ’REILLY .

8 6 L E S GAÎT ‘ES DU C H AT N OIR Et les vi eux , incli n an t l eu r s che vel u r e s p âles , Dirent : C ’ est bien ! Pendan t c e tem ps , comme des r Et des plaintes de mort, montai ent d u f o n d d es cours Des roulements inexti n guibles d e tam b o u r . L ’ armée était ran gée au loin son s les b annières On avait réuni d es n ations entières , E t tous les cultes s au f le culte musulm an Avaient pris rendez — vou s a u lieu du ralliem en t . Une sainte fumée , un n u a ge d ’ ivres s e , D ’ alcool et de t abac , tourn ait avec paress e An - dessus d es guerri ers ivres , son s l es penno n s , Près des fûts - obusiers et des tonneau x- cano n s . Or , Sou logr a fi eski , le rude gentilhom me , Ayant tari d ’ un coup d e lan gue u n vid er c om e Qui lui venait du vieux Noé Vigneron- Roi , Descendit vers la plaine au dos d ’ un palefroi , Célèbre , entre tou s les palefrois de Sl avie , Pour son ardeur étrange a boire l ’ eau — de -vie . Quand le duc arriva , les mirlitons et cors Sonnèrent , éveillant les guerriers ivres - morts . Mais lui, se redres sant s ur ses étriers doubles . L E S ‘ GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 87 Cria Sal u t à vou s , lansquene ts aux yeux troubles , Tem pliers et sonneurs , soudards mal dégrisés , Hér 01 ' q u es pochards aux ventres arrosés Par tou t ce que la terre a prod u it de liquides , Salut J ’ ai réuni vos bataillons avides , E tin c ela n ts de tous les rubis de vos n ez . Pour guider votre rage aux com b ats f orce n és Là , les gu erriers , f r a pp an t len r s cn ir a s s es vermeill es , Firent un cliquetis f éroce d e bouteilles Et , tou s , ainsi qu ’ un b ois que l ’ o u ragan émeu t , S ’ in clin èr en t , crian t : Dieu le v en t ! Dieu le ven t ! Ils marchèrent pendant trente - quatre semaine s , Par les vallons , par les coteaux , et par les plain e s , Balant des chants d ’ ivresse , et traversant les bourgs E n tapant sur la peau d ’ âne de leurs tambours ! Les renforts arrivaient tou t le long de la r ou te. Et l ’ on n e s ’ ar r êta it que pour boire la goutte Quand les gourdes étaient pl eines , on les vidait ; Et l ’ on coupait la tête à quiconque rendait . Champagne , p uis Bourgogne et Gascogne s ’ unir en t 88 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR Aux Normands , ces buveursde cidre , et se soum irent . Rien ne résistait plus que Paris , où les purs a eu r s d ’ eau les voyaient venir du h au t des m urs . Les pâles buveurs d ’ eau , les reins ceints d ’ une corde , Etaient debout sur la place de la Concorde , Ayant , po u r les guider aux suprêmes com bats , Ca r ém n s , empereur des mauvais estomacs , Le prince de la Dhuys , et le duc de la Vann e , Oxy de d ’Hydr ogèn e avec sa dam e -Jean ne , Don B en ito de Lonr dc , et plus loin ô s tu p eur Le m a r échal Pompier et sa pompe à vapeu r . Or la terreur muette , aquatique , et servile , Te n ait sous ses genoux de cristal la Gr an d ’Ville ! Et l ' on n ’ y vivai t plus , car on n ’ y buvait plus Les mutins les p lus fiers et les plus résolu s Etaient domptés ! et l ’ E au , cette artiste en naufrages , Av a it rincé les cœurs et noyé les c on r a ges . L ’An glais s ’ étant rendu , Br éb a n t capitula , Et d ’ un crêpe vert — d ’ eau le Riche se voila , Les m on gicks d ’ om n ib n s , et les m on gicks de fi a er es , Gosiers habitués aux liqu eurs les plus acr es ,

9 0 LE S GAîTES DU CHAT N OIR Oh! l ’ arm ée hom érique , oh! les pri n ce s ! les rois ! Les nom s des Crus , les noms de la Di s tillerie ! Le duc d ’Ay - Mousseux tenant l ’Ar tiller ie ! Parm 1 les fantassins Sauterne , c e lien ; Graves , avec Chablis et Saint - Em ilion , Châteaux — Margaux ! Pomard , le r a tion icide . Yquem près de Vougeot , et l ’Ar gen t en il , tim ide , Mêlant sa veste bleue aux r ou ges jus te - a u - corps Des massi fs Ron s sillon s et d es puissants Cahors ; Johannisberg le reître , et Tokay le b urgrave , Et Lacrym a— Christi b ouillant com m e u n e lave ; Puis , fièrem ent coiff é d ’ un large sombrero , Madère — y - Muscatel - y — X érès - y - Porto Rien que pour l ’ aile droit e , ô Gloire ! Pon r l ’ an tr e aiLe duc Bock , avec Ston t , Faro , Porter, Pale - Ale! L ’ am ir a l Half - and - Half , neveu de ce d erni er , Sir Scotch — Ale , Houb lon , porté dan s u n pan ier Par Orge et Buis ; ailleurs Prechtel , la vi eille croûte , Et le feld - maréchal Von Der San cisS- Ch ou c r oûte, Avec Pipe — Knm m er près d e Rova l — Tab ac . Ver s ° le centre , et s u ivan t ton pan ache , ô Cognac ! Un flot de com batta n ts aux coul eu r s a la rmantes Mêlé - Cassis , Trois — Six , Armagnac , les d eux Men thes ; Raspail , ce convaincu ! Kakao , ce Sh okin g ; Ku mm el le n ihili s te , et Curaçao - Pocking; LE S GAÎTES DU CHAT N OIR 9 1 Et vos trois bataillons , Chartreuses -Am azones ; Les vertes au milieu des blanches et d es j au n es . Parmi ce flot de durs et roides combattants , J ’ en passe des plus fiers et des plus ém ctan ts , Qu ’ importe ? On fit sommer la Ville de se rendre . Car émn s répondit simplement Viens la prendre EMILE GOUDE AU . 92 L E S GA ÎTES cD U CHAT N OI R PINGOUIN III Comme je comprends l ’ ob stin a tion qu ’ a mis e mademoiselle d ’Alen çon a faire courir, en dépit d es règlements qu ’ on lui opposait ! L ’ état d e proprie taire sportif est bie n celui qui convenait a u n e p er sonne aussi passionnée . Je n ’ en sais pas où l ’ on ressente des joies plus troublantes , d es émotions plus aigu ës ; et j e m ’ éton n e du nom b re relativem ent restreint de gens qui l ’ exer cen t . Croyez , d ’ ailleurs , que je parle de ces choses avec u n e c ertaine compétence , puisque j ’ ai moi — m êm e été propriétaire , pendant que j e faisais m a philo sophie au lycée Rivarol .

9 4 LE S GA Î TÉ S DU CHAT N OIR Alors Rupert, d ’ une voix hâtive , sans s ’ arrêter, s ans me regarder , murmura Voilà Nou s allons acheter un cheval de cours es : Pingouin 111 , par Cacatoès et La - Pie - a n Nid . Nous somm es neuf . Il manqu e trois ce n ts francs . Si tu veux les fournir , être le dixième , viens , à la sortie , rue du Havre , au coin de la rue de l ’ Isly ! Tu es fon ! répliquai — j e, i n terposant entre n ou s u n e barricade hargn euse de livres et de cahiers superposés . Pourtant , cette preposition m ’ avait un p eu bou l ever s é . Je disposais , par hasard , de la som me re quise q u e je destinais aux dépens es de villégia ture ; et, progressivement , je sentis grandir en m on e sprit la tentation de la livrer à ce démon d e Rupert , d ’ acquérir , m oi aussi , comme les neuf, ma part de gloriole future , ma par t d e Pi n gouin III Si bien qu ’ à la sorti e, je me dirig eai vers l ’ endroit d u rendez — vous par cur iosité, pensais - j e, pour as sist er en amateur au conciliab ule d ’ achat . Les neuf s ’ y trouvaien t déjà Rupert , Collas (Paul ) et Collas (Pi erre), l es fils du grand banquier , le brave Villepreux , qui devait mourir p lu s tard au Tonkin , Bastard , le p eintre actuellem ent en vogue , e t d ’ autres don t j ’ ignore la fortune prés ente . LE S GA ITES DU CHAT N OIR 9 5 En quelques mots , Rup er t exposa la situati on . Le Pingouin I I I en que s tion était u n e affaire superbe , un crack m écon n u , q u ’ on ferait courir s u r ob stacles , les S ocié tés d e steeple s e montra n t pl us acces sibl es aux nouveaux propriétaires que les Sociétés de plat . Les cotisatio n s recueilli es p erm et traient de subvenir aux divers frais d ’ engagem ent et d ’ entraînement pendant deux mois . Au b ou t d e ce tem ps , on serait amplem ent rentré dans les dé b ou r s és , et l ’ on aurait même effectué de fructueux bénéfices . Rupert , en p eu de calculs , n ou s le dé montra . Il avait tou t prévu , jusqu ’ à for g er le p s eudo nyme collecti f des commanditaires M aj or H en dr y , et jusqu ’ à découvrir un clerc de notaire maje ur e t b esog n eux qui signerait , a notre place , le contrat de vente . Ce Rupert n ’ était décidément pas un cer v eau débile . Il conclut en se tournant vers moi Cela va - t — il ? J ’ a cq n iesç a i d ’ un hochem ent de tête, et nous convînmes que , le dimanche s uivant , n ou s irions a Mai s ons — La ffitte, en forê t, a fi n d ’ y être présen tés à. s on entraîneur, J — \V . Wh a ts on . 96 LE S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR Il faisait , ce jour — là , un tem ps tiède de fin d ’ hive r et , parmi l ’ en tr ela c em en t b ru m eux et violâtre des b ran ches dénudées , Rupert n ou s signalait , avec d es éloges , certains arbres précoces qui s ’ en tonr a ien t comme d ’ une charm ante nuée vert - tendre . Bientôt , nous parvînmes à l ’ une des pattes- d ’ oie de l ’ allée principale d ’ entraînement . Wh a ts on , u n gros petit hom me a lapeau lisse et rougeaude , serré en un court overcoat moutarde , n ou s attendait . Quand Rupert nous en t nommés , l ’ entraî n eu r appela un des lads j n chés sur les chevaux qui m a r ch aieu t au pas , en cercle et Pingouin I II , un grand alezan doré , ’ se détachant de la reprise , vint s e camper devant ses nouveaux maîtres . Hey! Dj olly b eît ! Hey ! dit Wh a ts on , en dési gn an t de l ’œil le b eau . Pingouin III , b eau d e l a beauté simple , fière et tranquille des pur — sang . Puis il ordonna qu ’ ondénouât les bandelettes qui lu i en tou r aien t les jamb es , et glissant sa main serré e du h au t de la cuisse jusqu ’ au boulet , il ajouta Et pas de j aade , pas d ’ épââvin s , pas de vessi gô n es ! Successivement , les dix majors Hendry s ’as s u r e rent , par des messages individuels et timides , de la vérité de ces assertions .

9 8 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR Mais notre con s ternation s ’ a ccr ut e n core , quand n ou s vim es notre crack finir parmi les dern iers . Cela n ’ a aucune importance ! affirm ait Rupert , son tour de g a gn er vi endra! Pendant tou t le m oi s , il n e vint pas . Pingouin III S ’ Op in iâl r &it a triom ph er , le m ati n , dan s l ’ allé e d ’ en traî n em en t , et a s e fa i r e b a ttre le s oir , s u r l espi s tes du t u r f . La pres s e s péci al e n e parlait de l ui qu a v ec aig r e u r ou déd a i n . On n e le m en tio n n ait , d a n s les p r o n os tics , que pour lu i nier to n te chance de succès o u pour lui rappeler cruellement s es échecs précédents . Le dia b oliq n e Rupert perdait de son assurance , Wh ats on insistait moins sur l ’ absence des vessigôn es et l es majors s ’ imp atien ta ien t . Enfin , vers l e m ili eu de mai , une lettre de l ’ en tr a în en r annonça q u e , quoi qu ’ il advint , dans la dernière épreuve des cours es de Maisons - La ffitte, Pingouin III était sûr du succès . Ru pert nous tran smit le billet , et bien que la réunion se tin t un mardi , jour de classe , il fut décidé q u e tou s les majors , coûte que coûte , s ’ y rendraient, LE S GAÏTÉ S DU CHAT N OIR 9 9 et soutiendraient l ’ honneur du crack du p eu d ’ arg ent qui leur restait . Je n ’ oublierai jamais avec que! espoir nous par times , n i dans quelle fièvre se passa po ur n ou s ce lent après - midi . L ’ heure est ven u e . La cloche sonne pour la der n ièr e épreuve . Les chevaux sortent . Le départ es t donné . A ma dr oite, j ’ a i Rupert

a ma gauche , J .

- W. Wh atson . Les h a ies , la rivière , la douve . Tou t va bien . Des rumeurs favorables . Pingouin III ga10p e par-dessus le lot . Je distingue nettement , avec ma lorgn ette , l ’ a ffr en s e cas aqu e denotre jockey . Des cris imm en s es : Gou in Gou i n Dans u n canapé ! Dans un fauteu il ! En valsant ! Délici en s es images ! Plu s qu ’ une hai e S o u dain , au b ou t de ma lorgnette , u n renvers em en t , un effondrement . Pin gouin III avait fai t Et , parm i la foule qui déb orde sur la piste , n ou s n ou s frayons un passage , Wh a ts on en tête , les dix j eu n es majors derrière , au pas de course , vers la hai e m alen con tr en s e, vers la haie meurtrière . Pi n gouin III gît auprès , inerte , geignant , ahanan t, ainsi qu ’ un m alade qu ’ on Opér e , les reins bri s és , fa on tn déclare Wh ats on . Il ro u le , de not r e cô té , s es grands y eux d ’ on yx, douloureux , attend r is , 100 L E S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR comme s ’ il regrettait ses dix petits p r 0p r iétair es . Mais pendant que le j ock ey , expliq n e â Wh ats on la mécanique de l ’ accident , le vétér in air e survient . Un bre f colloque à voix b as se ; et le long Rupert , très pâle , s ’ avance vers n ou s . Il va falloir termin er les douleurs de Pingouin III . Que choisissons- nous ? Le m aillot on le revolver ? Le revolver , plus nob le , plus héroïque . Alors , des mainsdu vétérinaire , Wh ats on prend l ’ arme , l ’ approche du front de la dj olly h eît presse la détente , et Pingouin III , foudroyé , laisse retom b er sa tête , sa belle tête rectangulaire et rousse . Le lendemain , on composait en philosophie . Le p r o fess eùr dicta le sujet Qu e p en s ez — vou s d e la théor i e d e M a leb r a n c h e q u i a ssu r e q u e les a n im a uæ n ’ on t p oi n t d ’ âm e ? Ce que nous en pensions ! Nou s quivibrions encore au souvenir de la grandiose agonie de Pingouin 111 , n ou s dont l ’ imagination était encore hantée par ses a dmi1a hles regards d ’ adieu , par tou t ce qu ’ y avait vu d ’ am our , de souffrance , d ’ h um anité , notre tendresse p r éven n e ! Qu e pe n sions - nous de cette

102 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR NOIR ANIM AL Tandis q u e, sous un parapl uie , en un fauteuil dont quatre verres étayaient les pi eds , verre et soie isolent , la douairière écoutait l ’ orage . Le vicomte , son gendre , lisait . Navré de la b évue d ’ un somm elier q u i , se trompant de fût, avait décan té dans un baril à vi n r ou ge le b lanc 1 860, orgueil de la cave , il dem an dait à la chi mie n u décoloran t . Et ses yeux s ’ étaient arrêtés à cette phrase L e m eilleu r a g en t d e d écolor a ti on es t le n oi r a n im a l , ch a r b on p r odu i t p a r la c a lc i n a ti on d es m a ti èr es or g a n iqu es . Le vicomte lut , relut , regarda sa belle - mère avec intérêt,alla q n ér ir un fi l de fer , adaptal ’ un des bouts a la tige du parapl u ie , l ’ autre au paratonn erre du château , et attendit les événem ents. LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR Atten te brève . Le to n nerre grondait sans interruption . Un coup retentit , plus crépitant , qui ébranl a les m urs . Le vicomt e accourut . Ca y était : intacte , mais carbo n is é e . Il l ’ éten dit sur u n e nappe . Comm e le corps s ’ eff r i tait , ce f u t un jeu de Casser les parties dures , écras er les molles , pil er l ’ ensemble et glisser dans le baril la p ou dr e ainsi obtenue . Q u and , après u n e heure d 1n cn b a ti0n , le vicom t e approcha d u robi n et l ’ un des verres , verre et soie avaient été préservés , u n e angoisse l ’ étr eign it Le vin coulerait - il blanc ? Il con la blanc . Sans altération de goût ? Sans altération . Alors , au souvenir de celle a qui le résultat é ta it du E lle a va i t d u b on , dit - il , attend r i , i l f a lla i t s eu lem en t conn a i tr e la m a n i èr e d e s ’ en s er vir . a JE AN PI C. ' 104 LE S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR LE S CURE D ENT S SE SOU VI E NN E N T E T CH AN TE N T A n otr e M æter linck. S ur les tables des restaurants à prix modiqu es , Nô u s sommes les tristes cure — dents m élancoliqu es . T oujo u rs le voisinage b anal De la carafe (peut — être bie n pas en Cri s t al ) , Et d u pot , du petit pot disgracieux , où s ’ attarde Bor n ib u s ( sa moutarde ?) Rêves enchanteurs Des destins m eilleurs . Oh ! d evenir, comme n os ' sœn r s , Les pl umes fécondes d ’ un grand auteur !… Mais ce songe n ’ est que mensonge Le dîneur affamé nous ronge ,

106 LE S C A i ' I ‘ L S D U C H A T N OIR. LA BOUTE IL L E D E VERNIS A u commen c em ent, Dieu fi t le c iel et l a te r r e . L e p r em i er j ou r , il fi t l a Le s ep tiè me j ou r il s e r é p o s a , e t tou te s a s em a in e s u iv a n t e f ut c on s a c r é e à l a c r é a tion d u s « hie d a m . Le bon gros vieux Hults Kamp , que j ’ ai beauco u p connu personnellement , et qui était , je peux le dire, l ’ un des plus joyeux homm es de la Hollande , poss e d ait n n e fâcheuse in fir mi té : il ne pouvait faire ving t pas sans être formidablement al téré . Si bien qu ’ il lni arr ivait fréquem ment , lors qu ’ il parcourait un petit m ille dans sa journée , de boire jusqu ’ à trente on quar ante verres de schiedam san s compter les an isettes , car il prétendait que l ’ a n is ette fait passer le goût du schiedam ; et il n ’ aurait p a s lâché son idée pour la grosse horloge du Parleme n t. LE S CA îTES DU CHAT N OIR 107 Cependant il trouva son maître . Un jour d ’ été , à. Amsterdam , par 7 5 degrés Fa r en h eit au — dessus de zéro , ce bon gr os vi eux Hults Kamp rencontra , sans s ’ y atte n dre le moins d u mo n de (Die u s a i t si c ’ est a celaq u ’ ilpens ait leterrible m éca n ici en qui tua u n e fois , près de Leyde , trois hommes d ’ u n seul coup d e barre de f er

je ve ux parler de ce s a tané b ougre de Jam es Or , comme ils ne s ’ é ta ie n t pas vus depuis trente a n s environ , ils b n r en t au moi n s c ent schi edams , avan t d ’ avoir la force de se serrer la m a in . Eh bi en ! fit alors Hults Kam p , il fait fièrem ent c h au d , Certainem en t , répondit l ’ an tre , voilà bie n u n e he ure qu e j ’ essaye de me désaltérer , et je ne p eux p a s y parvenir . C ’ est précisément comme moi , I °ep r i t le vieux Hults Kamp , c ep en dan t j e dois avou er q u ’ une bonne bouteille d e schiedam a son charme… A cette déclaration , l ’ homme eut u n e m o n e q u i voulait dire qu ’ en aucun pays du monde , u n e b on teille ne pouvait avoir autant de charm e que deux, tTOI S ou quatre bouteilles de la même liqueur . Cepen d ant , an b ou t d ’ un Instant, il continua Dites -moi , mon vieux , fit — il, en frappant Hn lts 1 08 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR Kamp à l ’ épaule , avez — vous jamais en véritablement s oif u n e f ois dans votre vie Si j ’ ai en soi f ! répondit le bon gros vieux ; je ne connais que moi pour avoir en au s sI S OI f Un j our, il y a vi n gt ans , après u n e course a cheval , j ’ a i bu dix- hui t bouteilles de bière sans je m ’ en souviendrai longtem ps . . Eh bien ! moi , r ep r it Jam es Starck , le jour où j ’ ai en le plus soif , c ’ était en Amérique , lors de la construction du Ca n a di a n p a cifi c . En plein mois d ’ août , je m e suis trouvé , avec ma voiture et m es ou tils,â dix m illes environ de Vancouver , sans u n e bouteille d ’ ale , san s u n e fi ole de vin , pas m ême u n e mi ette de Eh bien ! j ’ avais tellem ent s oif que j ’ ai b u , d ’ un seul coup , un plein litre de vernis . Vou s n ’ aviez donc pas d ’ eau ? Plaît - il ? De l ’ eau vou s n ’ en aviez donc pas ? Ah ! de l eau !… oh! si , il devait y en avoir ; mais , vou s savez , mon cher ami , lorsqu ’ on a une soif comme celle que j ’ avais ce jour - là, on ne pense guère à se laver . GE ORGE S AURIO L.

LE S GA ÎTÉ S DU CH AT N OIR pas vu Mrs . O ’Neil depuis quarante- sept ans

l ’ occa sion était bonne . Muni d ’ une boussole et d ’ une ex c ellen te carte de visite , je quittai mon rocher et me dirigeai vers la dem eure de ma vieille parente . Jugez de ma douleur quand , en arrivant au s eu il du cottage , j ’ a p er çn s des cierges allumés , en m êm e temps q ue j ’ en ten d ais des hurlements qui ressem b laien t à des cantiques et a des chansons . J ’ ouvr is la porte en tremblant , et un spectacle ou rieux frappa ma vue . Un e cinquantaine de paysans , pleins comm e d es b ourriques , veillaient le cadavre de ma parente . La v ieille m audite était morte la veille et n ’ avai t pas en seulem ent la délicatesse de m ’ a tten dr e . Quand on sut que j ’ étais parent de l a défu nte , on me fit asseoir , on m ’ offr it des liqueurs variées , et le s plus joyeux propos cir cnlèr ent en même temps q u e l es verres . Je n ’ ai , de ma vie, passé u n e aussi bonne nuit . Entre u n e gigue et un psaume , par sim ple c onve n ance , j e crus bon de demander a ces braves gens a l ’ aide de quelle maladie Mr s . O ’Neil avait cassé s a p ipe irlandaise . Un vieux s ’ avan ç a , et , au milieu des hoquets La respectable lady , gémit — il , est morte d ’ une LE S C AITES DU CHAT N OIR 1 1 1 ‘ maladie des yeux et , by God ! j ’ a i to u t fait pourtan t pour la sauver . C ’ était donc incurable , docteur ByJove ! non , de simples lotions de brandy a n rai ent tiré votre parente d ’ affaire ; mais , voici le malheur ! mistress O ’Neil n ’ a jamais pu se donner d e ces lotions . Comm ent ça ? Ne m ’ en parlez pas ; cette excellente vieille n ’ a jamais en le courage de faire parvenir le verre de brandyjusqu ’ àses yeux aussitôt qu ’ ilpassait devant sa b ou ch e , crac ! il était lam pé d ’ un trait . Et le docteur alla s ’ a ff a ler lourdemen t au pied du . Le lendemain , je co n duisis ma parente a sa der n ièr e d em eure ; les fêtes durèrent trois jours et, quand la cave de M r s . O ’Neil fu t vidée jusqu à la dernière goutte , on s e s ép ar e et chacun alla vaqu er à ses af aires . MA URICE O ’ RE ILLY . 1 12 L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR LE S CHANT E URS D E M A COUR Comme je ne suis pas riche , j ’ ai dû me contenter d ’ une u n ique chambre , dont la fenêtre donne sur la cour . Un cour noire et puante de la rue Tiq n eton n e où , chaque jour, se succèdent un tas de m endian ts , chan teurs et plus ou moins i n fi r m es . Il y a d ’ ab ord un cul - de - jatte un tronçon d ’ hom me ressemblant à un lapi n de b azar qui chante généralement ceci C ’ est l a c on tu r 1er e Qui d ’ m enr ’ s u ’ dev an t ; Moi j ’ suis sn ’ d er r ièr e C ’ es t b ien diff ér en t . Il y a un sourd - muet dont voici le refrain favori Mign on n e, q u an d le ven t s onffl er a s ur la t er re, Nou s ir on s écouter l a ch an son des b lés d ’ or .

1 14 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR un pauvre père de fam ille qui hurle , en m ontrant sa rib ambelle de mômes Ces en voyés d u p ar adis Son t d es m a scottes , m es amis Heureux celui q u e le ciel dote D ’ un e m asc otte. un ouvrier sans travail C ’ est p our la p aix q ue mon m ar tea u un paralytique Et j e la suivis en ch an tan t Tr a lalalal a, tr alalala la Lui dis an t , le cœur p alpitan t Tr ala lala ; La b elle, n e conr ez pas t an t ! Tr a lalalalala un ancien soldat m n tilé par un éclat d ’ ob n s q u i , tournant sa face sans nez vers l ’ atelier des c on t ur ièr es du troisième , leur chante , sans vergogne Ma d ’m oisell é coutez-m oi d on c ! L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 1 15 Le défilé se term ine toujours par u n e horrible vieille victime de l ’ explosion d ’ une poudrière . Ses yeux ? deux plaies suintantes . Son nez un tr ou béant . Sa b ou ch e ? u n e excavation . Il en sort géné r alem en t cette chanson de la M a s cotte Un b ais er c ' est b ien d e nce chose Vou s pensez ce que je ris , dans mon unique c hambre , dont la f enêtre d onne sur la cour . Une c our noire et puante de la rue Tiq n eton n e . JULE S Jour 1 16 L E S GA ÎTES DU CHAT N OIR CONTE S E C L ’Ég lise , comme chacun sai t , n ’ a dm et pas pl u s le divorce légal que l ’ a c con p lem en t a la m a1 r1 e . Or , la jolie divorcée ayant à m énager u n e ta n te dévote , fatiguait ses petits pieds en dém arches inter minab les auprès des princes de l ’Églis e a fi n d ’ ob ten ir la consécration officielle de son pseudo — veuvage . Mais c ’ est chose difficile que de décider le Sai n t Père a des choses aussi grave s . Cependant , à f orc e d ’ aum ô n es , de bonnes œuvres , affirmait le prélat consulté , il ne serait pas c ’ était u n e simple qu estion et la bagatelle de ce n t mille francs . Cent m ille f rancs ! s ’ é cr ia la douce divorcée stupéfiant l ’ abbé de la candeur de ses yeux b leus ; mais c ’ est beaucoup plus cher qu ’ un a ssassinat ! CH . DE S I VRY.

1 18 L E S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR v et pour m o u r i r d e fa im , il en arriva forcément, et hon nêtem ent , aux m étiers qui , b ien que réputés se c on d a ir es , n ’ en sont pas moi n s honorables . 11 f n t successivement grâce a sa han te taille jam b e d e derrière d ’ un éléphan t blanc du roi de Siam pièce d ’ artillerie m onstre du Gran d -a c, d ans le dét r oit d es Dard a n ell es . Il viva it , on vivotait a insi . M ais u n jo u r , sa vocation s e révéla . Son e s tom a c se m it a éprouver des cramp es in su p portabl es , c s c hyIi en n es Les Dem én idées étaient l ogées dans ses intestins . On le s oigna . C ’ était le ténia , ce ver qui est dou é d ’ u n si mauvais caractère , ou de tant de remords , qu ’ il lui es t im po s sib le de se trouver seul ! Sér a p him Pélican n ou s avons dit que c ’ était s on nom l ’ exp u ls a , ainsi que c ’ était son devoir, par des moyens qui , s ’ ils n ’ étaient point d ’ une déli c atesse vigoureuse au point de vu e de l ’ hospitalité , r estaient purs au s ens de la science et de l ’ hygiène polie . Bien plus , il pensa que la pénurie de ses moyens pécuniaires l ’ ayant forcé à nourrir ce parasite in s en sé , il ’ pourrait bien en u tiliser d ’ autres à s es b es oins p ers onnels . LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR 1 19 Or , pendant non pas l ’ in cn b ation , mais la d écn b a tion de cet être , u n e idée vint à Sér a phim Pélican Si j ’ a b n s ais de lui , ainsi qu ’ il a abusé de moi Et , usant d ’ une volonté suprême , pendant l ’ op era tion , il lui conserva la tête Depuis ce temps , lui , a son tour , vit aux dépens du ténia ! Il l ’ exploite Chaque jour il en vend quarante mètres soixante dix origine garanti e aux pharmaciens de Paris H E CTOR DE GALLIAS. 120 L E S GA ÎTÉ S D U CHAT N OIR MANAGE R ’ S SO CIETY , L IM ITED Lorsque j ’ avais l ’ honneur d ’ habiter Singapour j e m e f aisais chausser par u n vieux cordonnier m ala bare , hom me prudent et avisé qui , dans les occu r r en ces de la vie , avait accoutumé de ne lal s s er sortir de ses lèvres que les parol es suivantes H a s m u s es b en p a ta lou , b etch ou li n ap hg a , h a r in a la n ech ti co . Telle est la formule d ’ un proverbe indigène do n t la saveur extrêm e - orientale est presque intraduisi b le dans le fran çais policé q u ’ em ploien t les écrivains du Ch a t N oi r . Je vais essayer pourtant de donner u n e idée de cette sentence en employant des périphras es . Daignent mes lectrices m ’ excuser si les libertés de ma plume tra hissent la pudique réserve d e mapensée . Voici le sens du texte malab ar e

122 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR théâtre sont des gens très malins et qui savent par fa item en t ce qu ’ ils f ont . J ’ en pourrais citer parm i e ux si je voulais , et sans avoir besoin de cherch er , j ’ en — pourrais citer , dis — j e , qui sont des hom m es d ’ u n e grande valeur et d ’ une viv e intelligence . On compren dra le sentiment de délicatesse qui m ’ inter dit de prononcer des noms à cette occasion . J ’ a ccor de que les directeurs de théâtre sont mo destes sur leurs mérites et pleins de réserve dans l eurs actes , et qu ’ en général ils ne cherchent pas a f aire éclater aux yeux du public la brillant e variété de le u rs r essources intell ectuelles ; mais ce serait s ’ ab n s er étran gement que conclure de là que c es messieurs ne sont pas de rusés négocian ts doublés d’artistes vibrants et sincères . Et les décisions qu ’ ils viennent de prendre le p r oüœ n t surabondamment . Cette idée de fermer les portes de sa boutique pour y fai re entrer le monde est u n e idée très mo d erne , très judicieuse sur laquelle naturellement s ’ est esbaudie la critique ignare et incapable de dis c erner le pourquoi des choses . Et pu is , je suis b ien bon de discuter a vec vous lit — dessus . Comme on l ’ a fait r em arquer avec beaucoup d ’ â LE S GAÏTÉS DU CHAT N OIR 123 propos , Charbonnier est maître chez lui , n ’ est - c c pas Ne me faites p as dire a cette occasion des choses q u e je ne veux pas dire . Je n ’ établis pas ici un paral lèle entre la profession de Charbonnier et celle de directeur de théâtre , et je sais tou t aussi bien que vou s qu ’ il fau t autant de tact , d ’ in gén iosité , et de capacités variées pour exercer la profession de char bonnier que celle d ’ impr es ar io et q u ’ évidemm en t c ’ est plus difficile de vendre des cotr ets bien secs et d e monter de l ’ eau à un cinquième étage que de s ’ en aller dans les prisons commander des levers de Ti d ean , on de laisser sans en gagements des artistes comme mademoiselle Ron s s eil . Non . je ne veux pas proclamer ici la supériorité des directeurs de théâtre sur les charbonniers , je ne veu x pas me faire f outre de moi a si bon compte . Ça n ’ empêche pas que lors qu ’ une profession est honorablement et in telligem ment exercée , elle en vau t u n e au tr e et qu ’ il n ’ est certainement pas plus ridicule de diriger un théâtre qu ’ une triperie , u n e divi sion au Ministère du com merce ou 1- Î édu ca tion d ’ un enfant hydr 00éph al e . Et pu is,voulez— vous que je vou s dise , il y a u n e questio n qui prime tou tes les au tr es et devant la quelle ton t Français doit s ’ incliner . Attaquer les di 1 24 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR recteurs de théâtre , auj ourd ’ hui c ’ est faire manqu e de patriotism e . Pourquoi ? je n ’ en sais rien en core ; mais u n e personne en qui j ’ ai tou te confian ce m ’ a promis de me l ’ expliquer. De source certaine , il a p pert que la campagne m enée con tre les directe u rs parisiens a été ourdie de l ’ autre côté de l a f rontière . Quelle frontière , e n l ’ ign or e jusqu ’ ici , le mystère n ’ es t pas éclairé , m ais qu ’ importe Après u n e telle révélation , je suppose que la dis cussi e n est close et que tou s les citoyens vraim ent dignes d e ce n om ti endront à cœur d ’ observer le Sl l en ce qui doit planer su r tou tes ces questions , qu an d elles intéressent a si haut p oi n t l ’ honneur d ’ une in du s tr ie nationale . LEON GANDILLOT.

1 26 LE S GAîTES DU CHAT N OIR Misérable ! Vou s m é r en dr ez raison ! Mais il poursuivit , très f roid : Le premier de vos amants fu t blessé , le second tué . Voici q ue la liste s ’ allonge : je suis las , et vou s n e val ez pl us le s ang d ’ un homme . Il restait à vou s traiter en fille que vou s êtes : c ’ est fait . Pour monsieur qui , me trompant, en exige r ais on , je le trouve rare . Maintenant , sortez . Ensemble on n ’ en , a votr e g uise . Seul avec la danseuse Madame , dit — il, la partie carrée s ’ en va , mais u n tête — â - tête est meilleu r et le dîner demeure . Et ils dînèrent . JEAN PIC . L E S . GAiTES DU CHAT N OIR 127 PROBABILITÉS Dans la savan e un enfant Court avec un éléphan t

Qui arrivera en avant ? Probablement L ’ éléph an t A moins toutefois qu ’ il ne crève en r ou te, Auquel cas ce s erait l ’ enfant , sans dou te . Voyez -vous , sur le pavé , Filer c et homme et ce tramway 128 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR Qui sera le premier arrivé ? A dire vrai , Le tramway A moins cependant qu ’ il déraille en chemin , Auquel cas ce serait l ’ hom me , p eut - être bien . D ’ une bicyclette ou d ’ une locom otive , Vou s recherchez , l ’ âme pensive , Quelle est la première qui arrive , Faut — il qu ’ on l ’ écr ive La locomo tive Et même si le b i eyclis te se fl an q n e par terre, Ce sera encore , croyez — le bien , le chem in de f er . FRANC— NCHAIN .

130 LE S GAîTE ' S DU CHAT N OIR Voici la plage du Prado . Des guerriers nus selon l ’ antiq ue , Vont y baigner le coursier do m estiq u e . Le flot recule épouvanté , Comme en un r écit lég en da ir e, Car ces cavaliers ont l ’ air té m ér air e Autour d ’ eux un nageur hardi Fait la volte , et sa jamb e u n e Tantôt s ’ allonge , tantôt di min u e. A la fi n il reste allongé ; Et ventre au clair , poitrine creuse , Il flotte en p aix sur l ’ onde gé n ér en s e Un gala ntin , fin ement pris , Sor t de l ’ eau de façon savante, L E S GA ÎTÉ S D U CHAT N OIR 1 31 Laissan t la Mer encore fris Avec un geste bien senti , Offrant ses charmes qu ’ il étale , Il trouble plus d ’ une senti mentale . Les femmes ont de petits cris En se mettant au Douillettes , Elles craignent d ’ en sortir ris s olettes . En costume bouffant et court , Elles sont tou tes ( paysannes , Gran des dames , vierges et cour ti s an es) Egalement Puis , La femme se baigne , humbl e on fière, Po ur fair e u n p eu l ’ école b uÈE «» s onnièr e . 1 32 L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR Comm e elles vont tim idement , Avançant u n e m ai n légère Prenez garde la Mer est m en s on gèr e En sortant du bain elles ont Des frayeurs vraiment attrayan tes Bras fermés sur les go r ges on doya n tes , Elles passent au b ea u m ilieu Des amateurs , et , r uisselantes , Rougis sent com me d es s on s — lien te n an tc s Je chanterais leurs nom s . m ais Où sont les Vénus im m or lelles Mi eux vaut leur dédier ces b a gatelles . AUGUSTE MARIN.

1 34 LE S GA iTES DU CHAT N OIR LE M AUVAIS ACCUE I L FABLE Que nul n ’ entre chez moi ! dit l ’ auteur du Tr ou vèr e, Et , pour faire observer sa consigne sévère , Il avertit s a bonne , un monstre aux traits hideux . M or a le Labonne â Verdi en vaut deux . WILLY . LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 1 35 LA MIN E FAB LE Une mine est béan te un champ qui la domine Glisse et, soudain , s ’ en gon ffr e avec un long fracas . M or a le Garde-toi , tant que tu vivras De j ucher les champs sur la mi n e . WILLY . 1 30 LE S GA îTES DU CHAT N OIR LE BON P ETIT CŒ UR Bar b es an ge a ple uré et sa femme est triste . Elle reste b lottie au fond du fi acr e qui l ’ emmène chez le b eau Maxime de Talence ; parfois elle regarde l ’ heure aux pneum atiqu es , car elle est fort en retard , m ai s elle se sent un poids sur le son mari a pleuré . Oh ! de petites larmes , qui sont venues avec de pé tits reproches très humbles , parce qu ’ elle sortait bien souvent seule , le laissant dans son lit , tordu par u n e crise de rhumatisme atroce . Elle songe que c ’ est m al ce qu ’ elle fait lâ . En som me , son m a r i es t un brave homme il l ’ a faite riche il n ’ est pas p lus b ête que — l ’ a utre et lui est dévoué com me un can iche . Il l ’ aim e pro fon dément et s ’ il apprenait qu ’ elle le

1 38 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR quille p uisque son mari est tran quille . Elle arrive ton te souriante chez Maxime qui n ’ est pas Sorti de son ahurissement de tout a l ’ heure , mais qu ’ elle ras sure vite , vite , en se faisant la plus ensorcelante et la plus gaie des amoureuses . PIERRE VALDAGNE . LE S C AîTES DU CHAT N OIR 1 39 CU RI OSITÉS SCI E NTI FI QUE S L ’ É L É PH ANT L ’ éléph ant es t un a nimal qui ma ng e a v ec s a q ueu e . M ARC TWAIN . Il n ’ est p as douteux q u e l ’ éléphant ne soit le plus volumineu x de tou s les animaux domestiques ; — é t c ’ est de là que lui est ven u son nom . On sait ( en eff et que cet a n im al s e déve10pp e sur les bords deSfl enves chauds , et que des nègres dégén é rés lui rendent les honn eurs divins . L ’ élép h an t a 1 40 L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR u n e vive sympathie pour les soldats , les bonnes d ’ en fan ts et a u tr es objets comestibles . C ’ est pour cela que l ’ on place auprès de son habi tatio n quelq u es palmiers ou au tr es arbres qui lui rappellent son pays natal : On a vu plusieurs d ’ entre eux , tr a n 5p or tés au loi n , m ou rir subitem en t d ’ une paralysie des cheve u x am e née par la nostalgie . Le m eilleur traitem e n t , dans c e cas , consiste à prendre la p eau de l ’ animal pour en faire de menus objets , porte - m onnaie , porte — carte en p ea u de crocodile . On rencontre p en d ’ élép h an ts dan s les ru es d e Paris . Egalement en v01t - on très p eu , à. la s u ite d ’ u n violent désespoir , se précipiter dans la Seine , d u hau t du pont des Arts , par u n e brumeuse nuit de novem bre , pon r fournir un fait divers aux journaux d ’ i n formation . Il est en outre fort rare de voirun de ces r espèc tables animaux , au momentde mourir, r ecommander à son meilleur am i de répondre aux quelques tail leurs porteurs de notes posthumes , qu ’ il est mort depuis onze jours , sans laisser de parents responsa bles . L ’ élép h an t est u n animal capable degran ds dévoue ments . Personne n ’ a oublié la tentative, infructueuse

142 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR CHOS E S D E JUSTICE Aux assises . Sur le banc des accusés , un j eu n e homme , qui , surpris en dialogue adultérin , avait ré volvérisé le m ari . L ’ a ccu s aten r , magistratretors , sachant la c au s e perdue et ne pardonn ant pas à la victime sa s u r vi vance aux blessures se contenta de s ign a ler l ’ illo g ism e des amants qui , ayant le mari pour ra ison d ’ être , se s n 1cida ien t â le supprim er . Il ajouta que Dieu avait di t en hébreu Tu n e tu er a s p oin t et Napoléon article 29 5 du Code pénal L ’ h omi ci d e es t q u a lifié m eu r tr e p u is s ’ a s sit , résig né . La plaid oirie n ’ était plus que formalité . LE S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR 143 D ’un verbe cinglant , l ’ avocat ridiculisa le mari , sa toilette de nuit , ses tactique et arithmétique c onju gales . On exultait , et ce fu t du délire quand , après u n e description aphrodisiaque desbaisers de l ’ autre , il flétr it éloquemment la sotte intervention de l ’ é p i c i er s a n s ép i ces Tou t le monde sentitbien que , dans l ’ a tm OSp hèr e bleue où planaient les amants , et que le j au n e d u mari était venu troubler, il ne fallait voir en ce coup de revolver que l ’ in éln ctab le résultante des contras tes . L ’ a cq u ittemen t fu t acclamé . Al ors , de la tab l e des pièces à convic tio n prenan t le revolver encore chargé de deux balles , le mari tira s ur l ’ amant , qu ’ il manqua . Trois mois plus tard . Même salle . Avec le mari comme accusé . Pas de découragement , cette le magis 1 44 L E S C A ÎTÉ S DU CHAT N OIR trat retors , mais n n e i r on i e de l ’œil et u n frétillem ent de langue à fleur de lèvres . A peine parla - ti f du procès . Le crim e ac tu el , messieu rs , est surtout de lèse - jury . Tiré lors du verdict , c ’ est aujury que le coup s ’ adressait m o r alem en t , p a r mépris de son sacerdoce phys iq u e »ment , car sait -on où vont les balles ? Et i ci , messieurs , une an goisse m ’ é tr ein t a l ’ idée q u e c et homme , assez maladroit pour avoir m anqué sa cible , eût pu faire de ch a que juré un martyr ? Un long frisson parcourut les douze prêtres qui , d ’ enthousiasme , re fusèrent les circonstances atte n n a n tes . Et comme le général Mac — Adam s , successeur de Carnot , n ’ a dm éttait pas le droit de grâce , les bois du mari s ’ a ccon p lèr en t a ceux de justice. JE AN PI C.

146 L E S GA ÎTES DU CHAT N OIR L E CE RF VO LANT Quel volume extraordinaire on pourrait fair e s ou s c e ti tre L es j ou r n auæ b iz ar r es ! Ap r ès avoir savouré le très cur ieux article du F i g a r o s u r le journal q n ’ E dis on publi ait à l ’ âge de douze ans dans un railway , nos lecteurs nous s an ront gré de reproduire ici le quatrième numéro du CERF -VOLAN T j on r n al publié en 1 873 à l ’ a sile d e Ville — E vr ar d par Marc-Alexandre Delafosse , ancien comptable à la Banque franc e — ottomane . Le Cer — Vola n t, qui a vécu pendant près d ’ u n a n , paraissait tou s les lu n dis et qu a tr e h eu r es d u s oir , s a uf a vis c on tr a i r e . L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 1 47 Il était a u t000p i s té a tren te exemplaires , dont un exemplaire d e luxe pour S . M . le roi d e Siam . M . Pierre Delcourt , l ’ in tr ép id o c olloctiomœn r , qui possède un numéro de ce journal i n trouva b le , pourra certifier l ’ authen ticité de cette reproduction . LE CERF — VOLAN T AVI S AU PUB LIC . Nous rec evons d ’ un sieur J o s oph Brun , demeurant à Ville - E vr a r d , trois paquets d e tabac de 50 centimes , en échange desquels il de mande un abonnement de trois mois au Cer f — Vo tan t. Nou s profitons de cela pour rappeler au public que les abonn ements ne peuvent être payés qu ’ en argent ou en timbres -poste , s au f avis contraire . Les trois paquets de tabacdudit Joseph Brun sont a sa disposition jusqu ’ à ce soir . Passé ce délai , ils s eront acquis à la Rédaction . O B J ET TROUVE . Une montre en argent ( styl e 148 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR Lou is X VI ) a été déposée vendredi dernier dans nos bureaux par M . Léon Sim ou n et . Cet ob jet n ’ ayant pas été réclam é dans les vingt — quatre heures , a été classé parmi les pièces curieuses de notre musée . 1] nous serait donc matériellement impossible de le rendre maintenant . Cependant , si le propr — iétair e de cette m ontre veut bien se faire connaître , nous se rons h eureux de faire figurer son nom dans nos vi trines . DE PLUS F ORT E N PLUS F ORT . Un dompteur am éricain , M . Joe Thomson , qui jusqu ’ alors n ’ a vait trav aillé qu ’ avec des fau ves de l ’ a c ab i t le plu s dan ger eux, s ’ est , p a raît - il , exclusivement consacré , d e puis deux ans et dem i , à l ’ éd ucation d ’ un ch eval arabe . Les résultats obtenus par M . Joe Thomson s ont prodigi eux . Le cheval de M . Thomson , que n ous avons vu de nos yeux , est un cheval véritablement incomparable . Nous passerons sous silence les ci n quante- quatre exercices extraordinaires qu ’ il exécute dans u n e s eule soirée , aux applaudiss em ents fr éné tiques d ’ un public d ’ élite .

1 50 L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR manche dernier a l ’ Hipp odr om e pour la cours e d e pianos . Les pianos les plus féroces avaient été réunis pour la course , a laquelle devait assister S . M . le rdi d es Belges , actuellement de passage a Paris . Un piano mexicain a tué net d ’ un coup de boutoir un employé subalterne qui s ’ était imprudemme n t approché de lui . A part cela , aucun accident à enre g is tr er . Tout le succès de la journée a été pour le célèbre pi a n is ta d0r Juan Soutomayor , lequel , en moins d ’ une heure , s ’ est rendu m aître de quatorze pianos des plus redoutables du Yorkshire . En somme , représentation tr ès réussie . Il est regrettable cependant que le pré fet de p o lice ait refusé l ’ autori s ation d e tuer le piano , ai n si que cela se pratique dans l ’Am ér iq u e d u Sud et en Espagne . AM É RIQUE DU NORD . Un im mense convoi d e haricot de mouton a été capturé par les Indiens dan s le nord de l ’Am ér iq u e . L e mécanicien , le chau ffeu r et l ’ es cor te ont été tués . On estime à dollars LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR 1 51 les p ertes es suyées par Ca r r icks on and la pl u s forte maison de haricot de m outon de San - Fran cisco . POÈ M E F UGACE J ’ a i m is le Surplu s d e m on Tr 0p D an s l e Néanm oin s d e ton Pire ; Av ec d es a ir s d e m a ës tr o , J ’ a i m is le S ur plus d e m on Trop . Un ch ev a l p ass ait a u gr a n d tr ot , Nou s étion s en cor 8011 8 J ’ a i m is le Su r p lu s d e m on Tr op Dan s le Né a n m oin s d e ton Pir e . G . A . AVI S PARTICULIE R Un personnage q u e nou s nous contenterons de désigner par les i n itiales N . L. fera bien de no us rendre dans le plus bref délai la som m e qui lui a été prêtée il y a un mois ; sans quoi nous pourrions peut - être en dire plus long qu ’ il n e pense sur s on compte . 152 L E S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR A L OU ER un superbe accordéon italien et sa mé thode , à la semaine , au m ois ou à l ’ année . Pour tous renseignem ents , s ’ adresser aux b ureaux d u Journal . PETITE CORRESPON DAN CE . H . J . Envoyez d ’ abord les trois timbres de 45 centimes , nous verrons eu suite . P . D . Si vous voulez traiter pour la pip e en écume , venez nous voir entre 4 et 5 . A . D . Non , merci , nous n ’ in s ér on s pas de rébus , nous som mes un journal sérieux . H . V . Volontiers , si ladam e es t veuve ; envoyez sa photographie . M . S . Nous at tendons toujours les 75 centimes , la pati ence a d es l im ites . A . T . Nous ne pouvons entrer dans c es détails , elle était bouchée . A . A . Alors d e quo i VO U S plaign ez — vous ? Il ne fallait pas acheter à 75 centim es . Nous vous l ’ avions bien dit ce m on si eu r est un voleur . A . D . Elle vous attend de main; n ’ oubliez pas le ‘ s on n et . N . L. Nous n ’ avons

1 54 I E S GAÎTÉS DU CHAT N OIR LE CAI LL OU M ORT D ’AMOUR H I STOI RE TOM BÉE DE LA L UN E Le 24 tchoum — tchoum ( comput de Wega , 7 ° série), un épouvantab le tremblement de lune désola la Mer — de- la— Tranquillité . Des fissures horrible s ou charmantes se produisirent sur ce sol vierge m ai s fécond . Un silex ( rien d ’ abord de l ’ époque de la pierre éclatée , et à. p lu s forte raison de la pi erre polie) s e hasarda à r ou ler d ’ un pic perdu et , fier de sa r on deur, alla se loger à. quelques p hthwfg de la fi s N ou s n e pouvons p as ten i r compte d es i nfâ mes catem n ies q ui on t cir c ulé su r ce s ol . Le phthwfg éq uiva u t à ‘ u ne longu eur d e 37 mille mètres d ’ i r idium à 7 ° au-dessou s de zér o. L E S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR 155 sure A . B . 33, nom mée vulgairement M ou le- à S in g e . L ’ aspect rose de ce paysage, tout nouveau pour lui , silex à peine débarqué de son pic , la mous s e noire du manganèse qui surplombait le frais abîm e , añola le caillou téméraire , qui s ’ arrêta dur , droit , bête . La fissu re éclata du rire délicieux , mais silencieux partic ulier aux E tr es de la Pl a nète sans a tm 05phèr e . Sa physionomie , en ce rire , loin de perdre de s a grâce , y gagna un j e-me- sais -quoi d ’ exq u is e moder mité . Agrandie , mais plus coquette , elle semblai t dire au caillou Viens - y donc si tu l ’ oses Celui - ci ( de son vrai nom SKKJRO jugea b on de faire précéder son amoureux assaut par une au bade chantée dans le vide embaumé d ’ oxyde magné tique . Il employa les co efficients imaginaires d ’ une éq u i tation du quatrième degré On sait que dans l ’ es pace éthéré on obtient sur ce mode des fugues sa n s pareilles . (Platon , liv . X V , La fissure ( son n om sélénieux veut dire Augus Ce pr é nom, b a nal d a n s la P lanète, se t r ad u it exac te men t Alfr ed Le texte lu n air e or igi n al p or te du p a lier du q ua tr zêmc éta ge E r r eur évidente du copiste 156 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR tine ») parut d ’ abord sensible à c et hommage . Elle faiblissait même , accueillante . Le caillou , enhardi , allait abuser de la situation , r ouler encore , pénétrer peut Ici le drame commence , drame bref , brutal , vrai . Un second tremblement de lune , jaloux de cette idylle , Secoua le s ol sec . La fissure (Augus tine) efi a r é e se referma pour j a mai s , et le caillou (Al fred) éclata de rage . C ’ est de la que date l ’ âge de la P z ‘ er r e écla tée. CHARLE S CROS .

158 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OI R Mais , comme je suis l ’ amant infidèle , Avec une ardeur de fem me qu ’ on lâche , J ’ ai beau l ’ a vilir pour qu ’ elle se fâch e, Elle veut de moi qui ne veux plus d ’ elle . Tu lesais pourtant , ô trom peuse am ère , Que je n ’ ai pas eu ce rayon de lune Qui fait qu ’ un obscur soldat de fortune En fourche , hardi , l a belle Chim ère . Cher che aprè s c eu x — là , les f orts, les illu stres Qu ’ u n e volonté tenace cuirasse , Et qui te feront des enfant s de race Pour l ’ or des salons et l ’ éclat des lustres Mais ne descends pas ainsi dans la r ue A courir après quelque pauvre hère , Après les honteux qu ’ un rien désespère N ’ est - ce pas vraiment un métie r de grue ! Laiss e- moi tranquille avec mes sou ffran ces , Avec mes remords d ’ étre peu de chose , Et n ’ avive plus , de ton souffle rose , Le feu mal éteint de mes espérances . RAOUL GINE STE . LE S GAi TÉ S DU CHAT N OIR 1 59 TOM S LOOPE R A mon peti t ami Ton ton . C ’ étai t la nuit du réveillon . Pour la quatorzième fois environ , mon ami Tom Sl e eper, le fameux clown des Folies — Bergère , ven ait de remplir ma coupe d ’ un champagn e in comp aa rable . Il n ’ était pas loin de quatre heures et demie du matin , et mon ami Tom Sl e eper était gris , je pour rais même dire gris foncé quant a moi , autant que je puis me le rappeler, ilme semble que j ’ étais enor m ém en t saoul . Remarquez que je me co n tente de dire : j ’ étais saoul d ’ une façon considérable , et non pas saoul comme un e bourrique ; n ’ ayant jamais vu de bour 160 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR rique saoule , je ne vois pas pourquoi je jetterais le discrédit sur cette race intéressante . Je pourrais encore employer l ’ expression : saoul comme un gendarme , mais je n ’ ai jamais rencontré de gen darme ivre , sans blague ! alors , j e me contente de dire J ’ étais beaucoup saoul . Eh bi en m e dit tout d ’ un coup Sleeper , com ment trouvez — vous le bouillon ? (C ’ était sa plaisanterie favorite de demander cela , mêm e lorsqu ’ il n ’ y avait aucune espèce de b ouillon en scène . ) Je lui répondis do n c que je le trouvais délicieux mais que pourtant je l ’ eu s se préféré un peu plus salé . Plus salé ! fit Sl eeper avec étonnement

tiens , c ’ est je le trouve parfai t, m oi

m ais ,

puisque vous ne le trouvez pas assez salé , buvez ce verre d e champagne , cela vousdonnerades A votre santé , mon cher ! — A la vôtre , Tom ! Dites - m oi donc , reprit Tom , en me tendant la main , comment allez- vous , ce soir ? votre santé est bonne , vou s étes content , oui ? (C ’ était u n e de sesautres plai s anteries de demander cela à brûle - pourpoint , au milieu d ’ un e c onver

162 L E S GAÎTÉS D U CHAT N OIR lent même , eh bien ! qu ’ est -ce que vous diri ez ? Pou r le coup , je dirais : Celle - là est drôle . Alors , mon vieux , vous pouvez le d ire tout de suite , carje vais vous en conter une fameuse . Ah ! Oui . D ’ abord , est — c c que vous vous rap pel ez 1 890? 1 890 foi Voyons ? 90! ç a ne vous dit rien ? Un t erribl e hiver pourtant en 90, mon vieux Ah ! oui , en effet, un terrible hiver ! Parbleu , l ’ hiver de 90 ! — E n 90, mon cher , savez - vous Où j ’ étais ? J ’ étais à Londres , à l ’A1h am b r a : 350 livres sterling par m ois pour jouer l e rôle d u singe dans la fameu s e pantomime des Wa ttfer footts Combien ? 350 livres . Ah! j ' avais entendu 40 fran cs . A c ette époque , mon vieux , Tom Sl eeper qui est ici devant vous , Tom Sl e eper hab itait So uth Molton Street , dans la plus terrible maison qu ’ o n puisse rê ver . Je ne rêve pas ; mais qu ’ est — c c que vous appelez une terrible m aison ? L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 168 Comment , ce que j ’ appelle u n e terrible maison Avez — vous vu un tigre enragé ? Je ne me rapp elle pas . Eh bi en ! supposez un tigre enragé qui serait gros comme une m aison , un tigre fu r i eux , et Tom Sl ee per au quatrième étage de ce tigre . Voilà ce q u e j ’ appelle une terrible maison . Ah D ’ ailleurs , pourquoi m interrompez — vous ? Je ne l ’ ai pas fait exprès . Tant mieux ! Alors , buvez ceci . Ça vous remon tera le moral . A la vôtre ! A la nôtre , Tom South Molton Street , 140 (Ox ford Street , mon che r , IVe étage , porte à. droi te . Le n om s u r la porte , en lettr es rouges , mon cher : Tom 8 100p er , clown . Hein qu ’ est — c c que vous dites de cela ? Très j oli ! très joli ! — Très joli , n ’ est — c c pas Eh bien ! mon vi eux , quand même vous feriez quarante fois le to u r d u monde et quan d même vous vivri ez cent ans , et quand même VOUS seriez plus malin q u e le fameux Ch . ( Ihin ch olle lui - même , vous ne pourriez pas vou s f aire une idée de cette t errible maison— là . Vous croyez 164 L E S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR Figurez — vous q u ’ il y avait a u — dessu s d e moi une fam ille , Oh ! m ais une terrible fam ille , un père , une mère , quatre bonnes , un Oncle et douzeenfan ts , mon Voilà ce qui s ’ appelle une fam ille , hein ou je ne suis qu ’ un im bécile . E n effet , vous n ’ êtes pas un imbécile , mais moi , j ’ en suis un fameux si jam ais fam ille a mérité plus justement ce titre . A la bonne heure ! Savez - vous a quelle heureje me lève ? Non . A midi Vo u s l ’ av ez dit . Eh bien fi gu r ez — vous q u e cette stupide famille dont je vous parle avait contracté l ’ habitude infernale de se lever à six heures d u m atin . Comme c ’ était un terrible hiver que c elui de 90, toute la famille mettait des galoches , si bi en que de six h eures à midi , alors qu ’ il m ’ eût été si doux de som meiller doucem en t , j ’ en t en d ais tambou ri n er dix— neuf paires de galoches au-des sus de ma tête . Vous voyez ç a d ’ ici , hein ? Notez que le plan ch er était mi n ce com me une boîte à cigares . Vous co m prenez qu ’ il faudrait être un rude bougre pour dorm ir avec un vacarmepareil . Je suis d e votre Ah malédiction J ’ ai failli en devenir fou ,

1 66 L E S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR galoches qui étaient dan s les cheminées , ainsi q u e tou s les cadeaux d e Noël . J ’ ai mis l e tout dans mon sac

ensuit e, je me suis rendu à la cuisine où j ’ ai bu U n b on verre de brandy ( je crois que je ne l ’ avais p asvolé ) . Pui s j ’ ai regagné la gouttière par la lucarne des W . et je suis rentré chez m oi . Le lend emain , jour de Noël , je me suis levé de bonne he ure et j ’ ai été distribuer les galoches et les cadeaux de Noël à d es mendiants de White - Chapel . Ils é taien t rudement contents , les bougres ! Je te crois . Et puis , qu ’ es t — cc que vous croyez que j ’ ai Vous êtes allé à la messe . Jus tement

et après Après Eh b ien après , je s uis allé déjeuner à l ’ hôtel . J ’ a i mangé comm e quatre et j ’ ai bu comm e six ; et si vous voul ez trinquer avec un gentlem an q u i s ’ es t jolim en t tordu les côtes en lisant dans le Tim es la mystéri euse affaire d e S ou th M oti on S tr eet, vous n ’ avez qu ’ à tendre votre verre . Ca r c e gentleman , c ’ est moi , et vous savez que j ’ avais un bon moti f pour rire de la sorte . A votre santé ! A la vôtre , Tom ! LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 1 O7 Eh b ien ! comment trouv ez — vous le bouillon ajouta Tom . Ah ! fameux fi s - j e enthousiasmé et , vraim ent il eût fallu que je fusse de bi en m auvaise foi pour tro uver ce coup - là qu ’ il manquait de sel . GEORGES AU RIOL . 168 L E S GAÎTÉS DU CHAT N OIR M A CONFÉ RENCE A AUVERNIER A Lolotte . E n ce temps — là , réserviste étonn ant , j ’ accomplis s ais au 40° d ’ artillerie un stage dont les péripéties diverses écoles à feu innombrables entrecoupées de soupers folâtres me réjouissaient infiniment . Et , un dimanche , j ’ avais eu l ’ idée , pour rendre a quatre de mes camarades les politesses dont ils n e cessaient de me combler, de les inviter à dîner , sur les bords du lac de Neuchâtel , à Auvernier , petit village insignifiant , quoique f édéral , mais peu éloi gu é de Pontarlier , Où nous tenions garnison , et célèbre par ses fritures de fér a ts , bondelles et autres poissons aux noms s augrenus , a la chair exquise .

1 7 0 L E S GAÎ TËS D ZJ CHAT N OIR J ’ aura1 s pu , comme Br u n eteau — lo- Blond , charmer les Au ver n iér ois en leur distillant les mélodies du Roi d ’ Y s ou de P ot - d e— F l eu r s avec cette voix de ténorino qui fera crev er Talazac de jal ousie . Ou , si la scien ce d u b rillant vétérinaire des Yn n es

m

’ eût été départie , l ’ emp loyer à soigner les enfants m orveux qui p u llulaient dans le p ays . Ou me précipiter dans le l a c de Neu châtel , pour y reno uveler les exploits tr iton n es q ues de l ’ h er cu lé en Cor b in eau - Ba n d a lea u de Saint - Point . Ou exécuter une de ce s dan ses épileptiform es , effr oi du s er got b is on tin , gr â ce auxquelles Andréa Z igotto est si célèbre auprès des noctambules attar dés à Gr a n velle . Mais , hélas ! le chant , l ’ hipp ia tr iq u e, la natation , l a chorégraphie sont pour m oi lettre close . J e commençais à dése s pérer , quand une idée sou daine m ’ illu min a . J ’ ai trouvé ! m ’ é cr i ai - j e, mentale ment . (N 0ta . Je n ’ em p loie jamais l e parfait d ’ en . r z ‘ sh ô ‘ , ne voulant pas fai r e étalage de m es fortes é tud es grecques , comme ce poseur d ’Ar chim êde . ) Plus rapide que le zèbre , j e m e précipitai sur la Grand ’ Place , criant aux habitants qu ’ ils eussent à venir écouter une con férence que j ’ allais avoir l ’ h on .neur de leur débiter sur l ’ état de l ’ agriculture , en LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 1 7 1 France . On fit cercle au tour de moi , et voici à p eu près ce que je débondai En France , Mesdam es et Messieurs , nous cultivons principal ement la carotte , légume très productif , mais q u ’ il n ’ est pas donné a tout le monde de savoi r tirer . D a n s la m arine , en prend surtout des riz . Le chou est i n digeste , sans doute à cause des en fau ts que certaines sages - femmes dign es de i t . ! assurent y avoir rencontrés le plus élégant est le chou — fleur , i e plus échauffant est le chou Ber sky . Une particularité curieuse d e la noix , c ’ est que ce frui t se rencontre sur certains arbres ( les noyers le plus souvent ) et dans le veau . Les corneilles e n abattent des quantités considérables . De même que le plésiosaure , le talent de ma dame Théo et le carlin , le raisin a complètem en t disparu . Son nom , qui a su b siste, ne sert plus e u j ou r d ’ h u i qu ’ à désigner en papeterie , un f orm at particulier ; en c him ie , le bois de campêche , la fuchsine , l ’ a r s en ic et quelq u es poisons qui par donnent rarem ent . Au contraire , la pomme se rencontre fr éq u em 1 7 2 L E S GAÎ TÉ S DU CHAT N OIR ment , surtout dans les localités où Marie Colombier organise des tournées dramatiques . Je n ’ ign ore pas q u e jadis . Suis ses q u i m ’ é cou tez, vous aviez a c c ou tum e de cu eillir ce fruit à coups d ’ a r b alète sur la tête des en fants , mais c ette habitude ayant occa s ion n é de multiples accidents , vos ancêtres j u rèrent d ’ y renoncer dans une _ réun ion solennelle ; et si quelque fum iste venai t me dire que ce S er m en t du 76% d e p om m e ayant été violé , le sport dû au re g r etté Guillaum e Tell étai t encore en honn eur chez vous , je n ’ hés iter a is pas a l ui répon dre qu ’ il veut me faire prendre l ’Helvétie pour des lanternes . Prise im modérém en t , la pom me de terre alou r di t aussi l ’ appelle - t - on un féculent Au con traire , pour acquérir de l ’ a g ilité , b ourrer -vo u s d e m elon . Il fait courir . La pêche s ’ ouvre à des époques détermi n ées , por tees a la connaissance du public par voie d ’ affiches . PoUr avoir négligé d ’ en tou r er la poire de la m êm e publicité , la police a dû maintes fois dispers er par la forc e d es bandes de gourm ets qui troub laient la tranquillité des rues en réclaman t des b ou r r és gris C ’ est la p oire, p oir e , p oir e, C ’ est la p oir e q u ’ il n ous fau t Oh ! Oh ! Oh ! oh

1 7 4 L E S CAÏTÉ S DU CHAT N OIR L ’AM OUR DE S D OM INOS Un e parti e de dominos , commandant ! Avec plaisir, chère madame , répondit le fils de Bellone . Déjà , M . Lemir oton avait installé la table dejeu e t renvers é sur le tapis vert la boîte de dominos . Vous savez, commandant , qu ’ il manque l e quatre - deux . Le visage du commandant s ’ em p r eign it de cons ter n ation . Mais si le quatre — deux manque , nous ne pou vou s pas jouer . Ça ne fait ri en ; puisque c ’ est la même chos e pour tout le monde , fit observer madame de Lem! roto n . LE S GAÏTÉS DU CH AT . N OIR 1 7 5 C ’ est juste , répondit le c ommandant , après u n instant de réflexion . La partie commença . Assise sur son train de derrière , sur une ch ais e , près de la table , Bobine , la chienne caniche des Le miroton , Un e jolie bête toute noire , pleine de six s e maines environ , suivait le j eu avec intérêt . En se penchant pour remonter le verre de la lampe , M . Lemir oton fit tomber un de ces domi nos Apporte , Bobine ! La chienne sauta à. terre , se mit à f ouiller con s cien cieu s em en t sous la table et sous les chaises , et finit par relever son museau dépité . Elle n ’ avait pas trouvé le domino . Oh ! Oh ! fit M . Lem ir oton , en se mettant a qu atre pattes pour chercher a son tour. Le commandant se mit également à quatre pattes , tandis que madame Lem ir oton tenait la lampe au dessus des têtes de ces messieurs . Le domino restait introuvable . On le ramassera demain en balayant dit ma dame Lemir oton impatientée . Les d eux hommes se relevèrent , la partie conti nua . 1 7 6 LE S GAiTES DU CHAT N OÏ R Le surlendem ai n d u jour Où ces événements s ’ é t a ien t accom plis , M. et madame Lemir oton et le com m andant se trouvaient de nouveau réunis au t o u r de la m êm e table de j eu . Avant de com m en cer la partie , M . Lemir oton eut l ’ idée de comp ter les do mi n os . Il en manquait quatre . Les deux époux et le vieux guerrier se regardé rent avec stupeur . Bobi n e , f atig uée par sagrosses se , dormait sur u n canapé . Il n ’ y a pas moyen de jouer avec quatre dom i nos man quants , s ’ é cr ia le commandant . Mais puisque c ’ est la même chOs e pour tout le mo n de , fit m adame Lemir oton . C ’ est juste . La partie s ’ effec tu a sans plus d ’ incidents . Trois fois par s emaine , le commandant venai t di n er chez ses amis Lem ir oton , et , après le diner, ré gu lièr em en t , on f aisait une partie . Chose singulière , à chaque nouveau compte du nombre des dominos , un ou deux des p a r a llélipi p edes d ’ ivoire m anquaient au com pte précédent . Une disparition aussi systém atique avait de quoi émouvoir d ’ h on n êtes bourgeois comme les Lemiro t on . Ils ne pouvaient suspecter la loyauté d ’ un brave

1 7 8 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR de la table pour jeter encore un coup d ’œil sur la partie . Un soir, pendant qu I IS achevaient leur dîner, les Lemir oton entendirent des gémiss ements et un r âle étouffé dans la pièce à côté . Ils se précipitent au s e lon , d ’ ou le bruit venait , et a p er ç oiven t leu r chi enn e étendue , pr esque sans connaissance . A c ôté d ’ ell e la boîte de dominos renversée . Bobine , ma p etite bête chérie , qu ’ e s — tu s ’ é cr ia madame Lemir oton en se penchant sur l ’ animal , qu ’ elle prit dan s ses bras et , q u ’ aidée de son mari , elle transporta sur le canapé . Les yeux de la chienne roulaient dans leurs or bites . Elle fit un eff ort dés eSpér é pour se soulever . Un spasme la secoua tout entière . Puis ses pattes se détendirent , son museau se pencha vers la t erre et , de sa gueul e entr ’ ouverte un d e m in e . Bob ine s ’ était étranglée avec le double — six . Ce f ut un trait de lumière pou r les Lem ir oton . En un instant , ils venaient de découvrir la raison de la disparition s i my stérie use de leur jeu d e dom i n o s . C ’ était — Bobine , qui , dans sa sollicitude m atern e lle , dérobait et aval a i t les dom inos de la m ai s on , pou r que les petits caniches qu ’ elle portait dans s on s ein L E S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR 1 7 9 pussent se distraire à l ’ aide de ce jeu , dont sont si fr ien ds les animaux de leur race . Vivement im pressionnés , les Lemir oton essuyèrent u n e larme d ’ a t ten dr is s em en t, puis ils prodiguèrent leurs soins à l ’ in telligen te bête , qui ne tarda pas à revenir a la vie . Le lendemain , Bobine mettait au monde cinq amours de petits chiens noirs et frisés comme leur m aman . Et , le soir même , a la grande joie du com mandant , on put organiserune partie m onstre avec le jeu enfin reconstitué et comptant ses vingt - hui t dominos in tact5 . LÉON GANDI LLOT. 180 LE S GAÎ ' I ‘ÉS DU CHAT N OIR S ONNERI E LOU IS X V Ding! C ’ est le timb re du petit cartel en porcelaine d e Saxe que je viens d ’ hér iter de ma gr a n d ’ tan te et que j ’ ai pour la première fois installé à m on ch evet un amour de p etit cart el Louis X V to ut enlum iné de fl eu r ettes rose tendre comme les falbalas de nos aïeules et presque aussi fragile que le u r vert u . Quelle heure est — il ? Minuit et dem i . Sou fflon s notre bougie , et puisque nous S ommes seule ' Ding ! Ding! Deux heures ?… C ’ est impossib le ! Vite ! Tiens , c ’ est bizarre une heure seule ment au p etit cadran fleuri !

1 82 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR J ’ étais absolument bouleversé e . Voulant en avoir le cœur net , je portai m on hér i tage chez l ’ h or loger . Un artiste , fort heureus ement , cet horloger . Il prit l ’ objet avec la plus grande délicatesse , l ’ exa mina puis me le rendit en souriant Madam e , me dit — il , vous posséd ez là un b ie n curieux souvenir d ’ un temps plus joyeux que le n ô tr e ! Et je vous assure — que je me ferais un crim e d e régulariser cette sonnerie , Mais , murmurai - j e , un peu i n ter loquée . Je ne puis vous en dire davantage , madam e ; mais , s ’ il vous reste dan s vos papiers de fam ille quelq u es renseignements sur le caractère de la grande dame à qui app artint jadis cet objet , vous y trouverez peut — être l ’ explication de la singularité qui vous p r é occu pé tant . A ces mots , je rougis . Ren ve10pp an t alors précipitamment le souvenir d ’ un temps plus joyeux que le nôtre je sortis de l a boutique tout émue, car j e

ven ais de me rappeler ces deux lignes à double entente que j ’ avais jadis lues avec étonnement dans les mémoires joyeux de mon arrière — gm n d ’ ta n te L E S GAÎTÉS DU CHAT N OIR 1 8 3 Je n e me lè ve plus guère depuis tantôt dix ans qu ’ après le sixième coup de Vo u s aviez trente — cinq ans , marquise , quand vous écriviez mais j ’ y pense , était — cc bien tou jours la m êm e ‘ clef qui remontait votre p end ule ? Moi qui n ’ ai pas trente - cinq ans , ma b elle arrière gr an d ’ tan te aux cheveux poudrés , et qui ne me s ers que d ' u n e clef , vu la b égueulerie de ce temp s — ci , j e suis toujours en retard sur votre joli cartel ! RITA . 184 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR A TA GORGE La chemise qui te voilait , Lasse en fin du rôle im pudique Que ta pudeur lui cons eillait , A l ’ heure sainte et f atidique S ’ est couchée à tes pieds d ’ en fant . Alors ta gorge de Fa u n es s e M ’ est apparue , et triomphant J ’ ai vu les splendeurs de jeunesse Que ta chemise recélait . J ’ ai vu sur ta poitrine nue , Deux jumeaux , d eux f rères de Enfa nts d ’ une belle venue ,

1 86 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR Et lorsque sur ta gorge en feu Ma soi f d ’ aimer se désaltère , Je songe , en remerciant Dieu , Qu ’ ils n ’ en ont pas en Angleterre ! MAURI CE DONNAY LE S C A ! TÉ S DU CHAT N OIR 187 L e s c on vention s tien n ent lieu d e l oi a ux p a r ti e s . (Ar t. U S4 , Code cwil . ) A Montauban , dans la cour du bureau où , près de repartir , nous guettions l ’ omn ib u s de la gare , j ’ é prouvai quelque inquiétude lorsque , désignant du geste l ’ inscription 1 00 I l es t d éf en du d e f a i r e d es or du r es au b or d d u tr ou ; s an s qu oi , la clef s er a r eti r ée. Pierre me dit avec simplicité Attends — moi au bureau . J ’ aurai bientôt fini . 188 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR Ceux - là qui n e trouveraient à l ’ acte de Pierre rie n d ’ i n q u iétan t , ne connais s ent pas Pierre . Deux heures plus tôt , à une pâtissière qui , le voyant boire , offrait de changer l ’ eau de la car a fe , Pierre avait répondu Qui vous rend si hardie de troub ler mon breuvage ? Et durant notre visite à la vieille cathédrale , au co u rs d ’ un prêche , ne s ’ éta it — il pas écrié , sur l ’ air de Siéb el : Si je trempais m es doigts dans l ’ e a ubénit e ? » Le tout avec une extrême sim plicité . Quand Pierre revêtait l ’ extrême sim plicité , la m ys tific a tion immin ait . Et c ’ est avec une extrême simplicité qu ’ il avait dit Attends -moi au bureau . J ’ aurai bientôt fini . Voilà pourquoi j ’ ép r ou vais quelque inquiétude . Pierre était un homme de p arole , il eut bientô t fi n i .

1 90 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR CHANSON A GREVY E lle ' c s t sauvée , notre sainte République , Allons , Français , n ’ ayons tous qu ’ un seul cri Po ur acclamer Grevy , le Jurassique , Crions Fra nçais Vive Jules Gr évy Vive Grevy Nous avons eu sur le tr ôn e de Franc e Des Maréchaux , des Bois , des Empereurs . Tous ces gens — là b ar b ottaien t nos finances , Il n ’ en faut plus , Français ! y a pas d ’ erreur Grevy fai t r ’ n aîtr ’ nos cœurs à l ’ espérance ; il est intègre et joue bien au billard . L E S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR 1 9 1 C ’ est tout c ’ q u ’ il f aut pour gouverner la France A ce jeu -là l ’ on n ’ p er d pas cin q m illiards Refr a i n Elle est sauvée , notre sainte République , Allons , Français , etc . , etc . Plus de Mexiq u ’ , plus de f olles conquêtes , Plus de galas , plus de ruineuse cour Tou t p ou r le peuple , a lui toutes les f êtes , Plein ’ de lampions , de drapeaux , de discours . Not ’ président sait fair ’ de beaux messages , Son diadème est un chapeau gibus Et , dédaign ant les somptueux équipages , Pour ses six sous , il mont ’ dans l ‘ omn ib us . Elle est sauvée , notre sainte République , etc . , etc. Quand on nous prit l ’Als ace et la Lorraine, Des généraux comman dai ent nos soldats , 1 92 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR A b as les sab ’ . La Nation souveraine , Pour chefs d ’ armées , n ’ veu t rien q u ’ des avocats , Dans les con grès , r ’ tr ou ss an t sa large manche , Gr évy jouera not ’ sort aux dominos . Le double - six nou s d on n ’ r a la reva n che , Nous pouvons bien nous pass er de héros Elle est s auvée , notre sainte République , etc . , etc

1 94 L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OI R OLD E NGLAND Grande , raide , sèche , jau n e , édentée , p ar ch emi n ée et coiffée d ’ un chapeau extraordinaire , l ’ An glaise entre dans un bureau de po s te les pieds en avant . Elle tourne à demi la tête et dit avec u n e voix de brouett e mal graissée Com e on , Clara Clara est petite , mince , plate , rousse ; elle a des dents très longues et suit sa maîtresse les pieds en avant ! L ’Ang lais e demande soixante timbres — poste pour affranchir soixante lettres adres sées à soixante per s onnes différentes . Elle allonge cinq doigts os s eux, s aisit les timbres et répète Come on , Clara ! LE S GA Î TÉ S DU CHAT N OIR 1 95 Clara fait demi — tour avec la grâce d ‘ une locomo tive . Droite , les talons joi n ts et les bras pendants , elle lève les yeux au ci el , entr ’ ouvre la bouche et tire la langue ! Alors l ’An glais e, grande , raide , sèche et j aune passe successivement les soixante timbres - poste sur la langue de Clara , petite , m ince , plate et rousse , et les applique un parun d ’ u n coup sec sur les soixante lettres adressées à soixante personnes diff érentes . Puis elle se dirige vers la porte en disan t encore u n e fois Come on , Clara ! Toutes deux disparaissent comme des ombres , les pieds en avant . Der m er em en t , j ’ ai rencont r é la pauvre Clara tou jours petite , mince , plate e t rousse , m ais elle avait les lèvres collées et ne pouvait plus ouvrir la MAC NAB . 196 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR AMOUR CONJUGAL Oh ! me répondit le gardien en riant , il vient dans les cimetières un tas d ’ or igin a ux qui am use raient bien les morts , si les morts en ava ient con naissance . Ainsi , tenez ce bonhomme que vous voyez là— bas , en train d ’ ar r os er une tombe , a to u t e une histoire . ‘ Il y a deux ans , quand sa femme es t morte et qu ’ on l ’ a amenée ici , nous avons bien c r u qu ’ elle n ’ y resterait pas s eule . Au premier coup d e cloche , quand le corbillard a passé la porte , le veuf s ’ est trouvé mal , et il a fallu faire arrêter le convoi . Quand on a descendu la bière dans la fosse , il s ’ est évanoui encore , et on a été deux heures à le faire revenir . Et des larmes , si vous saviez des cris des s anglots ! Nous l ’ avons cru fou un moment . Enfin !

198 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR Eh bien lui cria le gardien , comme il pas s ait ça va b ien , monsieur Antoine , votre p etit jardi n et ? Peuh ! oui , merci s I l n ’ y avait pas les che n ill es qui mangent tout C ’ est le printem ps qui fait ça , monsieur An t oin e Bê , oui ! c ’ est le printemps , comme vous d ites Mais j ’ ai bien bêché tout autour des racines . Au revoir , à. demain , monsi eur le garde ! Il nous salua poliment , et s ’ en alla . LOUI S M ARSOLLE AU. LE S GA iTES DU CHAT N OIR 1 99 L E M AS TRO QUE T Vive le brave mastroquet Qui t ’ a dmir e et qui me révère , Et qui nous o ffrit plus d ’ un verre S OU S les vignes de son bosquet . Vive le brave mastroquet A qui je ne peux chercher noise AU de s sert , en réglant l ’ ardoise , P uisqu ’ il te présente un bouq u et . Méprise — t — il bien sa pratique De b a loch a r ds , lui , l ’ a r is to Il m ’ aime pour mon paletot De coupe caractéristique . 200 LE S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR Las des rôdeuses en cheveux , Son œil indiscret se repose Sur ‘ ton chapeau , chef — d ’œu vr e r o! e Qui doit résum er tous ses vœux ; Et cependan t il nous jalouse , Malgré ses protestations , Dès qu ’ il nous voit sur la pelou s e De ses fortifications . Parce que sa femme est vilaine Et qu ’ il le sent m ieu x d evan t toi , Et qu ’ avec s on gilet de laine Il a l ’ air moins anglais que moi , Voilà pourquoi ! MAURI CE VAUCA IRE .

202 LE S GAÏTÉ S DU CHAT N OIR à elle toute seule il aurait fallu payer un supple ment . Alors nous avons mangé les saucissons en gare , avant de partir, avec la femme et comme u n homme qui s e respecte ne voyage pas sans sa malle , j ’ ai amené la mienne vide . Le douan ier so n dait s o n Marseillais d ’ un air scrutateur cette mall e vide n e lui disai t rien de bon , il soupçonnait quelque mani gance . Le Mar seillais avait l ’ air tranquille . — Donnez moi la cl ef fit le douan ier . La clef gri n ça , le cadenas tomba , m ais le douanier n ’ eUt pas b esoin de grand effort pour soulever le couvercle . Le couvercle , f ai t d ’ u n cuir de porc héris sé que bombaient deux m in ces planchettes , se redressa viol em m ent

un ven t

subit remplit la salle , mugissant et se cognant aux angles ainsi qu ’ un taureau évadé , puis se précipita avec fracas par la grande porte vitrée , emportant fraternellement , à de vertigineuses hauteurs , le képi bleu et le m anille . Mon képi ! criait le douanier . Et , debout sur le perron , calme et digne , tout en suivant d u regard , par — dessus les toits de Mazas , les battements d ’ aile de son couvre — chef , le bon Mar s eillais soupirait Capucin de sort, la belle sozo que la science ! depuis les semin s de fer , il , y a de tout à Paris , même dû mistral . C ’ était le mistral , en effet, qui faisait son entrée LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR 203 dans la capitale . Et voilà p ou r qu oi l ’ au tœ jour souffle dans les rues , cinq heures durant , un vent inconnu qui n ’ était ni vent d ’ antan , ni vent de bise , un petit vent brun , taquin et sec qui glaçait les Parisiens , s ous leurs minces paletots d ’ été . 11 s ’ en est fourré pendant cinq heures , ce mis PAUL ARENE . 204 L E S GAÎTÉS DU CHAT N OIR PI — IARMAOIE NS Bons Parisiens , ne croyez pas Que ces f eux mouvants et farouch es Qui , dans l ’ ombre, croisent là— bas , Sont des fanaux de b ateaux -m ‘ ouches . Ces deux falots , re flets d ’ en fer , Suivant le fil de la rivière , Dont l ’ un est rouge et l ’ autre vert , Sont des âmes d ’ a p othic air e . Pharmaciens , sous le pont noir , Dardant leurs prunelles lascives , Vers quelspays , vers qu elles ri ves , Vos bocaux s ’ en vont — ils ce soir

206 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR Vers quels pays , v ers quelles rives , VOS bocaux s ’ en vont — ils ce s oi1 Où vous allez , je le sais bien , 0 Ruggieri sans vergogne Vous all ez où l ’ on ne c r ai n t rien Des Marguerite d e Bourgogne . Où vous allez , hom mes barb us , Comptant l ’ or qui paya vos crim es ? A la Croix - Rouge en omn ib us Coucher avec vos légitimes Pharmaciens sous le pont noir, Dar dant l eurs prunelles lascives , Vers quels pays , vers quelles rives Vos bocaux s ’ en vont - ils ce soir RENE D ’ ERV ILLE . LE S GA îTÉ S DU CHAT N O IR 207 L ’ E NFANT CAMÉ LÉON Cet en fant est maigre etné pour la peine . Son père, ouvrier lâche et violent , Le bat consta mm en t , le nourrit à peine . Le p etit Gustave est pâle , tout blanc . Le petit garçon , toujours assez sage Vi ent de renverser par m égarde u n S on père lu i fait un mau vais visage : Le p etit Gustave es t rouge po n c e au . Ce pè r e cru el , d ’ un e main t r Op sûre , Se fa i) de le battre un barbare j eu . Le corps d e l ’ e n fa n t n ’ est q u e m eu r tr i s s ure Le peti t G us tave es t devenu b le u . 208 LE S GAÎTÉ S DU CHA T N OI R Pauvre créature Enfin elle es t m orte Ai n si qu ’ une fleur au souffle de l ’ air , Dans la tombe froide u n jour on l ’ emporte Le petit Gustave est devenu v er t . CAPTAIN CAP .

210 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR C ’ est alors que règne et travaille le ver . S m s tallant en maître dans quelque repli cérébral , dont il a f ait sa demeure d ’ élec tion , l ’ être immonde dit à l ’ être vivant Allons , d eb out ! lève tatête paresseuse : enten ds tu les voisins plus courageux qui desc end ent l ’ esca lier ? Hâte - toi , l ’ at elier est loin , écoute Voici la demie de cinq h eures qui tinte a la mairie voisine . Oh ! comme les o n des vibrantes des cloches s o n nent doulou reusem ent avec leurs oscillations aériennes Hâte - toi , hâte — toi : T e rappell es — tu le jour où , t ’ a tta r dan t au lit , tu trouvas close la porte ? E t la tête indifférente et bête du patron qui te con gédia it " E t chez toi , la malade assoupie , plus blanche que les oreillers . TU n ’ os as rien dire , rien avouer , tu racontas quelquehistoire , quelque inven tion dont la pauvre a ppâlie ne fu t pas dupe . Mais elle ne sut rien dire , peut - être à cause de tes colères au xquelles elle était accoutumée . Le ver se repos e . L ’ homme sortit . AU dehors , la rue était comme toute bleue . Les boutiques s ’ é veillan t claquaient des volets , les voi tures des laitiers , ferraillant aux pavés , mêlaient leur tumulte aux sifflets aigus duvent froid d ’ automne : et l ’ homme allait , hâtif , la tête bas s e , L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 21 1 e nviant les joyeux déb au chés qui ren t r aien t i vr es a v ec des figures bleues comm e l a r u e ma ti n al e e t des vêtements souillés par les longu es orgies . C ’ es t q u ’ il faut se dépêcher : déjà voici le chantier du coin du boulevard qui s ’ anime . Déjà les longues planches de sapin , fraichem ent scié , s ’ en ta ss en t sur la charrette : il doit bien être le qu art m oins d e six heures . Ce sapin frais , ça a une odeur sin gul rer e . Le ver redressa la tête . Hâte- toi , hâte — toi . T e souvient - il de ce soir lourd d ’ été funèbre , ou lorsque tu rentras chez toi , quelque vi eille voisine obligeante te dit : Monsieur Etienne , la mère n ’ est pas bien ce soir , pas bien du enfin pas bien dutout… Et si vous avez besoin de moi , vous savez , je suis là , les hommes sont tou jours empruntés pour bien des choses , et si vous voulez . Hein ! cette nuit C ’ e st bien loin déj a , c e mais toujours vivace et terrible , le sou venir de ces choses toutes simples . Oh ! cette odeur effroyable du sapin fraichement s cié ! Hé , vieux Hé , vieux ! va donc pas si vite , n ous avons le temps ! 212 L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR Tiens , Michel ! Ah ça ! t ’ as donc perdu ta paie au Z an z i b a r que tu fais cette tête ? Allons , viens donc chez le père M a chin , le voici qui ouvre sa boîte . Vi ens donc , nous avons encore un bon quart d ’ h eure . Q u elle lueur soudaine et rose ! voici le soleil d ’ au t e mne qui se lève , le pâle soleil , perçant la brume du matin , et paraissant com me un grand rond orangé ; on dirait le bon sourire d ’ une aïeule . Les rayons s ’ accrochent aux vitres hautes , dorent de larges plaques de pou rpre les grands murs b êtes qui rougissent de leur nudité , pénètrent les ruell es , diamantent les ruisseaux; on dirait des cymbales de lumière, c ’ est le jour, le grand jour qui vient . Alors le ver on t peur . Les dés cla q u otai en t dans la petite machine d e verre q u i tou rnait . Les compagnons burent une première tournée . A la tienne , Etienne ! dit Mar cel , classique . Et pendant que le p èr e M a chin , enlevant un à un l es vol ets de sa boutique , la issait librement en trer la lumière joyeuse , qui se jetait comme un enfant curieux surles verres , les bouteilles , les cuivres de la cuisine , l ’etein des comptoirs , por tant la joie du

2 14 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR L E BOUCL I ER Le ventre de la f em m e est comme un b ouclier Taillé dans un métal lum in eu x et sans tache . Dont la blancheur se b om be et descen d se plier Vers sa pointe Où frise un pan ach e . Depuis l ’ angle d ’ orbrun jusqu ’ au pied des seins Il s ’ étale , voûtant sa courb e grasse et plei n e . Et l ’ arc majestueux de ses rebords charnus Glisse dans les sillons de Paine . Tandis que , ciselé sur l ’ é cu s s on m ouvant Où s ’ ab r iten t la source et les germes du mon de , Le nombril r eSp len dit com me un soleil vivant , Un vivant soleil de chair blonde ! LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 215 Magique Boucli er dont j ’ ai couvert mes reins Egide d e Vénus , o Gorgone d ’ ivoire Dont la Splend eu r joyeuse éblouit mes chagrins Et ray on n e dan s ma nuit noire ! Méduse qui fait fuir d e mon cœur attristé Le dragon de l ’ E nnu i dont rien ne me délivre ; Armure troi s fois sainte avec qui j ’ ai lutté Contre tous les dégoûts de vivre . J e t ’ aime d ’ un amour fanatique et n avran t Car mes seuls vrais oublis sont nés dans tes luxu re5 . Et j ’ a i dorm i sur toi comme un soldat mourant Qui ne compte plus ses blessures . C ’ est pourquoi ma douleur t ’ a dressé des autels Dans les temples déserts de mon âme embru n ie Et j ’ y viens adorer les charmes immortels De ta consolan te harmonie . E OH OND HARAUCO URT LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR CHANSON DÉCOURAGÉ E Le dictionnaire est froid , Le mot n ’ est pas transparent , L ’ aile du songe en s ’ ouvrant Fait craquer le Verbe étroit , Le dictionnaire est froid L ’ E spr it m onte en vain la Lettre , Un mauvais cheval q u 1 butte L ’Ame avec laphrase l utte , L ’Ab solu refuse d ’ être L ’ E 5pr it monte en vain la Lettre ! O pauvres , pauvres chansons Au vol tremblant et faib lot,

218 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR UN P E U D E CHIM I E AI R CON N U L ’ oxygèn e pour densité , On en a fait l ’ étude , calculé Avec exactitude. Il entretient la combustion , La fa r idon da in e, la fa r idon don , C ’ est lui qui entretient la vie Birihi A la façon de Barbari , Mon ami . On le prépare en calcinant Le p otassiq u ’ chlorate , LE S GAÏTÉS DU CHAT N OIR 219 Mais il faut chauff er doucement De peur que ça n ’ é cla te . Les poumons quand nous respirons , La far idon d ain e, la f a r id on don , S ’ dilaten t l ’ un et l ’ autre à. l ’ en vi , Bir ib i A la façon de Barbari Mon am i . Z éro , zéro , six , neuf, deux , six, Telle est de l ’ hydrogène , D ’ après Thén ar d et Regnault fils La densité certai n e , Il sert à gonfler les ballons , La fa r idon dain e, la fa r idon don , Il éteint aussi les bougies Bir ib i A la façon de Barbari Mon ami . L ’ a zote est un gaz bien malsain Dans l ’ q u el on n ’ p eu t pas vivre , Il se trouve dans l ’ air le plus sain , C ’ est pas lui qui enivre , Il n ’ a pas la moindre action , 220 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR La fa r idon dain e, la fa r idon don , Il empêche même la vie Birihi A la façon de Barbari Mon ami . On extrait l ’ azot ’ fa cil ’men t D ’ l ’ azotite d ’ am m on i a q u e, Et 1 on peut chauffer brusqu ement , Y a pas d ’ cr a in te que ça claque , Et ce moyen — là est très bon , La fa r idon dain e, la far idon d on , Pour pouvoir fabriquer c ’ cor ps -ci Birihi A la façon de Barbari Mon ami . Sous u n ’ cloch e on p eu t le retirer De l ’ air atmosphérique , On prend du phosphor ’ pour former De l ’ a cid ’ phosphorique Qui entre en dissolution , La fa r idon d ain e, la fa r idon don , Et l ’ azote nous reste ainsi Birihi

222 LE S GAÎTÉS CHAT N OIR M E S HAINE S L E M A N D OL I N I S TE Y a-t — y rien qui vous canule Comme un joueur dejambonneau , Quand y a déjà la pendule . L ’ a ccor déon et l ’ pian o Ça gagh ’ mill ’ f rancs par trimestre ; Ça vous r ’ ga r de avec mépris Parlez - moi d ’ un homme- orchestre , En v ’ la- z — u n qui vaut son prix ! L ’m a n dolin iss ’ , ça m ’ agaco I ’ doit s ’ tr ou ver dans l ’ E n fer

Si j ’ en pinceun su ’ la place, Qu ’ i ’ jou ’ Meyerbeer , Auber , LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR Palestrina , Monteverde , Wagner , Hér old ou Gounod , J ’ te lui fais manger J ’ t ’ en dujambonneau JULE S JOUY . 224 LE S GAiTÉS DU CHAT N OIR L E C A C H E N E Z DIALOGU E “OM NI BU S Le théâtre représente l ’ impér iale de l ’ omnib u s d e Bastille - Madeleine , un matin d ’ hiver . Un voyageur solitaire , hâve , insuffisamment vêtu , attend impa tiemm en t, assis près du siège , l ’ heure du départ . Le cocher, un gros et rouge gaillard , abondamment couvert , un bonnet fourré sur les oreilles , les pieds chaussés d ’ énormes galoches , monte sur son siège , empoigne les rênes et crie un hue ! joyeux . La voiture roule . LE COCHE R, a u voy a g eu r . Ça pince dur , ce matin . LE VOYAGE UR, g r elotta n t .

226 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR LE VOYAGEUR. Quoi C ’ est comme vous LE COCHER. Je n ’ en mets jamais . LE VOYAGEUR. De quoi LE COCHER. De cache -n ez . LE VOYA GE UR. Ah P la ce d e la M a d elein e. LE COCHE _ R. Je trouve qu ’ un p etit verre tient parfaitement lieu . LE VOYAGE UR. De q u ’ Oi LE COC HER. De cache — nez . LE V OYAGE UR. Ah Le voyageur descend et paye un peti t c ocher . JULES JOUY . L E S GA Î ' I ‘ ÉS D U CHAT N O IR 227 CHANSON DE S P E INTRE S Laques aux teintes de groseilles Avec vous on fait des merveilles On fait des lèvres sans pareilles . Ocres j aunes , rouges et bruns , Vous avez comme les parfums Et les tou s des pays défunts . Toi , blanc de céruse moderne , Sur la toile tu luis , lanterne . Chassant la nuit et l ’ ennui terne Outremers , cobalts , vermillons , Cadmium qui vaut des millions De vous nous nous émerveillons 22 8 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR Et l ’ on met tout ça sur ses toiles Cep ian t des femmes sans voiles Et le soleil et les étoiles . Et l ’ on gagne très peu d ’ argent , L ’ acheteur , en ce temps changeant, N ’ étant pas très intelligent . Qu ’ importe On vit de la rosée En te surprenant , irisée , Belle Nature bien posée . CHARLE S CROS.

230 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR L ’ORAGE A W. — G. — C. Byvanck. Vers minuit , par la croisée S ans vol ets et pa r toutes ses fentes , la maison au toit de paille s ’ em p lit et se vide d ’ é cla ir s . La vieille se lève , allume la lampe à pétrole , dé croche le Christ et le donne aux deux petits , afin que , couché entre eux , il les préserve . Le vieux continue apparemment de dormir, mais sa main froisse l ’ édr edon . La vieille allume aussi une lanterne , pour être prête , s ’ il fallait courir à l ’ écurie des vaches . Ensuite elle s ’ a s sied , le chapelet aux doigts , et multiplie les signes de croix , comme si elle s ’ é tait des toiles d ’ araignées du visage . L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 231 Des histoires de foudre lui reviennent , m ettent sa mémoire en feu . A chaque éclat de tonnerre , ell e pense Cette fois , c ’ est sur le château 011 ! cette fois -là , par exemple , c ’ est sur le noyer d ’ en face Quand elle ose regarder dans les ténèbres , du côté du pré , un vague troupeau de b œu fs immobilisé s b lan ch oie irrégu lièrement aux flammes aveuglantes . Soudain un calme . Plus d ’ éclair s . Le reste de l ’ orage , inutile , se tait , car lâ - haut , juste eu — dessus de la cheminée , c ’ est sûr , le grand coup se prépare . Et la vieille qui renifle déjà , le d es courbé , l ’ odeur du soufre , le vieux raidi dans ses draps , les petits collés , serrant à pleins poings le Christ , tous a t tendent que ça tombe J ULE S RENARD . 232 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR CHANSON A B OIRE Je hais Neptune et les n amdes , Les villes d ’ eau , les ports de mer, L ’ onde pure et le flot amer, Et les bains chauds et les noyades . Je hais tous les mots en hy dr o Je hais la vapeur et la glace . J ’ ai dit aux f ontaines Wallace Je ne boirai plus de votre eau . Plutôt que d ’ abaisser mes lèvres A votre insipide cristal , Je boirai le poison fatal , Dispensateur des chaudes fièvr es ! Je boirai ton dernier sirop ,

2 34 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR Absinthe , sœur des printem ps vert s , Auprès de ta liqueur magique , L ’ élixir de Cagliostro N ’ est qu ’ une impudente fallac e J ’ ai dit aux fontaines Wallace Je ne boirai plus de votre eau . 0 rhum doré par les tropiques Kummel gelé p ar les frim as Vaillant cognac qui rallumas Le feu des courages épiques , Quand le Germain , sombre bourreau , B ’ ohus em p iffr a sa culasse . J ’ ai dit aux fo n taines Wallace Je ne boirai plus de votre eau . Lorsque étanchant ma soif français e Avec un luxe oriental , J ’ aurai jeté mon capital Par les fenêtres du grand— seize , J ’ irai marchander au m astro La cuite de la pop u lace . J ’ ai dit aux fontaines Wallace Je ne b oirai plus de votre eau . L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 235 Du s s é - j e, errant sur le bitume Dans l ’ appareil de feu Noé , Scandaliser Ar sin oé Des lacunes de mon costume , D u ss é - j e attirer l e haro Du sobre agent q u i se prélasse . J ’ ai dit aux fontaines Wallace Je ne boirai plus de votre eau . Seigneu r , je lègue à de plu s dignes Les bonheurs qui nous sont prédits Dan s votre frugal paradis Mais si quelque jour , dans vos vignes Il reste u ne place de trop , Seigneur , gardez — moi cette place J ’ ai dit aux fontaines Wallace Je ne boirai plus de votre eau . GASTON SENECHAL . 236 L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR A RODO L PH E SAL IS LUI DEM ANDANT D ’ ETRE ABONNÉ AU CHAT NOIR Pour lire toutes les s epmain es Tes moult joyeux et francs a dvis , Pour savourer les fins déb vis , Qu ’ en ton Ch a t N oi r tu nous romaines , Pour admirer chacune fois La page fa lotte et coquette Où le grand maistre ès - arts , Willette , Fait si belle œuvre de ses doigts ; Adone, ogn alla n t aubergiste , Voici deux escu s au soleil Pour que ton journal nonpareil Me vienne emp esch er d ’ estre triste . GUSTAVE RI VE T, d ép u té .

238 LE S GAÎTES DU CHAT N OIR Notre grand poète Hayma Beyzar , chef de l ’ École électro — suggestive , est sur le poi n t de livrer à la pu b licité une série de poèmes destinés à un gér au dé les q u e retentissement : l e Ch a t N oi r , au prix des plus grands sacrifices , a obtenu com m u nication des bonnes f euilles “ de cette œuvre unique en son genre . C ’ est , en la poétique et gé niale i n strum entation , la réalisation stu péfi a n te du rêve poursuivi jusqu ’ ici par la jeune Ecole l ’ immensité d e l ’ idée , en l ’ i n dé finie concentration de la forme . Co n spuant la vieillotte conception des antiques gâcheurs de rimes , am plification aff adie d ’ u n thèm e en en tr ées et déclamatoires redondances indigent , le génie him alayes q u e du jeune Maitre ne deman de q u ’ au choc d ’ un mot un seul d ’ une syllab e même, la fulgurante étinc elle qui éveillera chez le LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR 239 lecteur le courant sym pathi que et isotherme à celui du poète , et l ’ en tr a în er a a sa suite dans l ’ infini in s ondab le des vides hyp er s idér aux. Voici le joyau , en sa gigantesqu e simplicité LE S EX TASES P oèm e m on osy lla b e par HAYMA BE YZAB OH ! F in Nous ne ferons p a s a n os lecteurs l ’ in ju r e de para phraser la pensée de l ’ auteur , li mpide pour les ini ties su ffisamment . Cependant , pour les quelques aveugles de l ’ autre c ôté du pont des Arts qui achèteraient ce numéro comme premier fascicule des OE u vr es complètes de de M . Oh n et ( le plus grand succès du siècle) , nous nous faisons un devoir de souligner l ’ idée d ’ une glose tim id e et sommaire . Dans le vocable générateur , ou mieux communi c at eu r oh ! on remarque qu ’ il convient de dis tin gu or : 1 0 La s on or i té, ainsi que le grav e brui ssement des 240 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR eaux des lacs , ou la mystérieuse harmonie des mon d os , vague et voilée . 20 La cou leu r , violâtre et effacée , faisait songer aux horizons crépusculaires d ’ une mélancolique fin d ’ automne , ou , sous les primes attiédies d ’ avril , les parfums des grands bois . 3 ° L ’ od eu r , affinée et délicate , comme de vanille subtilisée , suaves senteurs de la vierge aux com men çan tes palpitations de son intimité charnelle émue . 4 ° L ’ a r ti cu la ti on , douce , tendre , terminée par une q u a simu ette expiration , signifiant palpitation ou presque ressaisi aveu , ravie adoration ; e n f orte , rude , avec finale râlante , exprimant la souff rance et réveillant la perturbation a n héla n te du pneumo gastrique . 5 ° Les a ccep ti on s imm édi a tes Prière , Adm i ration , Rêve , Ivre ‘ sse , Elan , I n différ én c e, Dou tê , Horripilation , Souffrance , Mépris , Colère , Reproche , Horreur , avec toutes leurs nuances . 6 ° Les a c cep ti on s h om on ym i qu es Eaux , Haut , Os ; d ’ où envolem en t vers les cimes , l es mers , les fortunes , retour a l ’ origine squelettique des organismes .

242 L E S GAÎTÉS DU CHAT N OIR sous l ’ eff ort d ’ assim ilation que com portait le sys teme brutal de l ’ a ff ab u lation terminologique ; si l ’ on se rend compte qu ’ un mot suffit pour vous faire e rrer â tr aver s les splendeurs d ’ un visible univers , rêver aUx ch au d es t blancheurs des ventres Spasm o diques des adorées entrevues , aux matités des ors s er p en tan ts des chevelures , nous plonger dans l ’ exta s e des vins précieux , nous transporter au seuil d es impén étr és arcanes de la nature , e n est con tr a in t de proclamer qu ’ on se trouve ici en présence d e la plus haute expression de la Poésie que l ’œu vr e d ’Haym a Bey zar est l ’ hyp er esthésie du possible , et l ’ ép er d ue intuition de l ’ impossible , qu ’ elle réalise enfin la condensation géniale et radieuse de l ’ UNI V E RSE L . Pour paraître prochainement , Léon Vanier édi teu r ° Ah! !L es Raviss em en ts) , 1 vol . in -32 avec planches . Eh (L es I n dig n a ti on s ), d ° d ° Hi ! (L es Ga i tés ), d ° d ° Hue (Les Ch evau chées) , d ° d ° PIE RRE MILLE . LE S GAîTES D U CHAT N OIR 243 14 JUIL LET Vois -tu la longu e ribambelle Des gens bras dessus , bras dessous ? Certes , la fête sera belle Tous les faubourgs sont déjà saouls . Vois - tu ce monsieur qui frétille Là — haut ? C ’ est ce bon Gogib u s

Ne pouvant prendre la Bastille , 11 en prend du moins l ’ om n ib u s . Vois — tu cette foule accourue Autour des géants d ’ autre fois Dressés au coin de chaque rue ? C ’ est Pétr olskof, c ’ est Pipe — en - Bois , 244 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR Ou quelque autre grande figure Choisie avec un tel bon sens Que deux bonzes qu ’ on inau gure Ne peuvent se regarder sans Rire . Le peuple roi s ’ amuse En de tricolores fracas Ce bruit m ar ian n es q u e, o Muse , Froisserait tes sens délicats . Pour t ’ envoler à quelques lieues , N ’ eu tre- t — il pas dans ton concept De prendre devers les banlieues Un train de neuf heures dix— sept Vers les grands parcs peuplés de marbres Dressant leur blanche nudité , Et vers les f orêts où les arbres Ne sont pas de la liberté Loin du tumultueux a sph alæ Où Paris hurlant se hâtait , Loin , très loin , nous avons fait Et sous les bois calmes c ’ était

LE S GA ÎTÉS DU CH AT N OIR Rouges , des marguerites blanches Entremêlés de bleuets bleus Et moi je baisais tes mains blanches , Ta lèvre rou ge et tes yeux bleus . Tu me chantais de ta voix grave Ton répertoire de chansons Des merles s iffla ien t â l ’ octave Dans le mystère des b ui ssons . Puis le soir vint : des ombres douces S ’ en dor mir en t s u r les gazo n s . Déja l ’ ém er au de des mousses , Le vert tendre des frondaisons , T oute la forêt séculaire Rassemblait , éparse dans l ’ air, Sa chemise crépusculaire , Tandis que la lune au ciel clair Montait . Tout lâ- bas , des fusé es J aillis saien t vers le firmam e n t , PU IS s ’ ép ar p illai en t irisées Alors , tu me dis simplement LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR 247 Voici l ’ heure du sacrifice . Et je vis s ’ a llumer des feux Dépouillés de tout artifice , Dans l ’ azur pro fond de tes yeux MAURI CE DONNAY . 248 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR L A PRUNE A M a r cel S chwob . Au bout de la branche pend une prune qui n e veut pas tomber . Pourtant , gonflée comme une joue d ’ enfan t boudeur, mûre , pleine d ’ un jus lourd , elle est continûment attirée vers la terre . D ’ une pointe de feu le soleil lu 1 pique la peau , lui r onge ses couleurs , lui brûle la queue tout le jour . Elle ne se détache pas . Le vent l ’ attaque a son tour , l ’ enveloppe d ’ abord , la caresse sournoisement d e son haleine , puis , s ’ acha r n an t , souffle dessus d ’ un brusque eff ort . La prune remue au gré du vent , docile , dorlotée , dormante .

2 5 0 LE S G A îTES DU CHAT N OIR L ’AVENIR E ST AUX L OUCH E S Un j eune journal , ennem i , n ’ a trouvé d ’ autre cri tique à faire d ’ un article paru dans le Ch a t N oi r , que d ’ attaquer ma pauvre c hétitro personne en déclarant triomphalement q u e je louchais , et que l ’ auteur des dessins , Willette , louchait aussi . Polém ique d ’ ocu lis te l Pends — toi , Galezowski , o Desmares , pends — toi ! Vous jugez les yeu x divergents , les conjonctivites , les strabismes , les Ophth alm ies baroques , la cataracte , l ’ ir itiS chronique , avec une compétence qui jusqu ’ à ce jour semblait parfaite . Ce n ’ est plus ça un j eu n o tou r lou r ou prend vos analys es et s ’ empresse d ’ en faire la synthèse . Il conclut comme dans le La n g a g e d es F leu r s iritis chr o LE S GAîTES DU CHAT N OIR 251 nique , a va r i c e conjonctivite , d éb a u ch e stra bism e , articles ridicules sans idée . Ce n ’ est pas ça du tout , petit homme ! Elevons ce mesquin débat , c om m e dit le parl o m on tair o. Vers les commencements du m on de , il y avait d es cyclopes : P01yp hèm e . Ces gens d e h au te stature , a mis de Vulcain , sachant manier le fer et la pierre , précurseurs des ingénieurs les plus étonnants , élevé rent des constructions énormes , colossales , pyra m idales , en un mot cy clop éen n es . Ce sont les ancêtres d es louches . Les ancêtres d e pierre marbre . Ils n ’ avaient malheureusement qu ’ un œil , et pro fi ta n t de c ela un malin commis — voyageur, nommé Ulysse , le leur creva ; m ais ils possédaient une telle vitalité , q u e devenus aveugles ils devinrent Homère . Hom ère , le mendiant sublime , qui eut la naïveté d e c roire qu ’ on pouvait séduire , mêm e par u n e plati tudo, les commis — voyageurs , et reniant son père , Polyphêm é , poussa le cynisme jusqu ’ à c han ter l e cru el bourreau Ulysse ; ce fut tant pis pour lui , il m ourut pauvre . Un o transformation fut reconnue nécessaire, et Tyr téo s e mit à loucher des pieds il fut boiteux, l o 252 LE S GAÎ ' I ‘ÉS DU CHAT N OIR premier \ boiteux ; mais c et individu a laissé p eu d e t r a ces un plagiaire , un Belge . Décidément on tâtonnait . Le louche ne pouvait pas être plus vite découvert loi du Destin . N ’ a— t- il pas fallu des siècles pour dénicher la va p eu r et l ’ électricité ? Il f aut du temps , beaucoup de temps , pour arriver à la perfection ; Darwin l ’ a proclamé , et l ’ on s ’ es t incliné . Mais la ter r e travaillait, elle cherchait le louche . Vint Horatius CoOlê s p ar lui , le borgne fit son entrée dans le monde . Etaussitôt il se mit à défendre un pont , constructio n d e pierre quasi — cyclopéenne . Puis Philippe d e Macédoine devint borgne a la suite d ’ un accident , ce qui lui procura la gloire d ’ en gen dr er Alexandre , Alexandre moins grand pour avoir été élève d ’Ar istote que pour avoir été le pre m ier Anglais en d ate ayant conquis l ’ In d e . Puis des multitudes de borgnes . Il y a bien ou dans l ’ antiquité des tentatives de loucherie pure Alcibiade , Louis X I , redou tables déjà , mais écrasés par l ’ aveugle ou le borgne . Enfin tout récemm ent Gambetta fu t l ’ a p othéos e de c ette forme cyclopéenno — oculaire . MaiS auj ou rd ’ hu i ,

254 L E S GAÎTÉS DU CHAT N OIR r emen t, certains banquiers , n otaires , médecins et autres commis-voyageurs avaient tellement les yeux plongés dans le puits de vérité qu ’ ils ignoraien t les étoiles . Le louche verra les étoiles d ’ un œil et le puits d e l ’ autre . Deux chevaliers chevauchant en s en s invers e s u r u n e route rencontrèren t une statue de la Justice por teu s e de bouclier . Le b ouclier était doré d ’ un côté , argenté d e l ’ autre . Le prem ier chevalier dit au deuxième Le bouclier est on or . Non , répondit le s econd , il es t en argent . Et ils se battirent ; puis ayant changé de pla c e, ils virent qu ’ ils avaient tort et se r écon cilièr on t . Ils ne feront plus qu ’ u n s eu l h om m e grâce au s trabismo, ce merveilleux système de vision qui trio mphe aujourd ’ hui . Pla ce a ux lou c hos ! Placo ! N ’ est - ce p as , Willette ? E . GOUDE AU . LE S GAîTÉ S DU CHAT N OIR 255 LA CHAUSS ETT E Le boulevard sentait l ’ orage . Les premières gouttes , très larges , crépitaient lourdement sur le pavé , et chassaient les pas sants , qui allaient se b lottir un peu partout , au hasard des portes cochères . Un magasin d e b lanc laissait dégorger tout un éta lage d ’ objets empesés , collerettes , cam isoles , j e p e u s brodés et d e panta lons d e f emme en faisceaux , légers , d omi -transparents , si drôles avec leur lon gue , longue fonte qui n ’ en finit plus . Des chem ises b al loUn aion t sous la rafale , se gonflant en ondulatio n s irrégu lières , com me des drapeaux sans ham pe . Et le tout prenait l ’ eau avidement , puis s ’ affais s ait avec des mines piteus es . Un gommeux surpris , ni p ardes sus , ni par apluie , 256 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR arrivait en courant . Il s ’ en gou ffr a au milieu de toutes c es choses blanches . La il secoua Ses vêtements , battit des pieds , lais sant sur le plancher des tr a c es mouillées ; sans gêne , c om m e chez son concierge . Une f emme surgit derrière un monceau de calicot , q u ar a n te ans , mal p oign ée, la figure grasse , sillonnée de plis mous . Lu i se dégantait sans se pr es s er , fouillant d es yeu x tout ce lin ge que d es lampes invisibles illumi n aion t . Il aperçut une corbeille où des bas d e tou te taille et de toute nuance étaient emmêlés, comme si des mains avaient fouillé la tou te u n e j ou r n éê . Des chaussettes , fit - il . Par ici , monsieur . Il se laissa conduire . AU mili eu , un passage formant allée serpentait parmi les étalages , pendus du plafond au plancher A droite et à gauche s ’ é ch elon n aien t des massifs d e blanc , laissant entre eux d e p etits coins lib r es , à la m anière d es berceaux de verdu re dans un jardin . Elle s ’ arrêta dans le premier, et lui tondit une paire de chaus s ettes . Le client n ’ y prit pas ga r d e . Il était distrait par une dame très b r u n e et très b elle, qui lisait un r o

258 LE S GA ITE S DU CHAT N OIR q u i lisait . Com m e l e hasard favorise la variété Colle -là était rousse ! E lle leva sur le client des y eux verts d ’ une douceur infinie , puis , nonchalam m ent reprit sa lecture . E lle n e souriait pas , elle n ’ avait pas l ’ air triste non plus . Soit qu ’ elle appartînt à c ette catégorie heureuse des mortels qui pren n ent sans plaisir ni peine la vie telle qu ’ elle est , soit q u ’ elle fût influencée par son rom an . Les chaussettes plurent . Dehors , la pluie avait cessé . Un vont très violent même devait avoir soufflé , car l ’ ondoe des trottoirs était complètement b u o, le macadam était s oc . Devant la porte , la vieille riai t a son clien t , a vec un air de dir e Si VO U S étes content , envoyez — moi du monde . Et , comme il partait Alors ces chaussettes vous veu t Il répondit , en rel evant l e col d e son habit Oh ! comm e un gant ! F . HAU LNOI . L E S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR 259 S E RINGU E -POM PADOU R Svelte et luisante , elle r ep os e Sur un coussinet de velours , Dans un coffret en bois de r os e Portant l ’ é cu s s on aux Trois T ours C ’ était l ’ oxécu tr i co in tim e Des ordonnances de Quesnoy E lle présidait au régim e De la con fi d en te du Roy ; Et sa priso n capiton n é e D ’ étoffe bl eue aux tons étei n ts Con s or vo u n e odeur s urannée Où revivent les jours lointains . 260 L E S GAÎTÉS DU CHAT N OIR Co miracle d ’ or févr or ie Est en vieil argent ciselé Où la galante mièvrerie De ce siècle du p otolé Mit u n e ronde f antaisiste D ’ an gos aux derrières j ou fflu s , Qu i semblent courir à la pist e Dos appas qu ’ ils ont entrevus . Oh s ’ ils pouvaient parler , ces a n ges Si par leurs voix m ’ étaion t contés Les souvenirs d es lieux étranges Qu ’ ils ont autrefois visités Si la gloire était révélée De tous les charmes inconnus Où la seringue fuselée Déposa ses baisers Su r , leu r beauté mystérieuse Nous aurions d es détails précis

262 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OI . . L A TOUR E IFF E L VU E D E H AUT D epuis q u e les Titans , punis de leu r outrage , S o tordent aux E nfers , l ' hom m e , quoique malin , S ’ élève vainem ent il r es te a son déclin , Vaincu par l ’ a n émi e et veuf du fier cou f a go. Or , moi , Mon s1 eu r Homa is , je c r i e au gaspillage Et blâme hautement no tre impuissant Vulcain D ’ e voir , pour nous forger ce chef — d ’œu vr e mes quin , Mis le fer stim ulant et tonique au pillage Puis , cet avis donné , sagement , sans détour, Le grand pharmacien , les lèvres dédaigneuses , Triture au mortier ses drogues ferrugineuses L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 263 Et , s on s le lourd p ilou croyant revoir la Tour , Suppute , l ’œil rêveur , les bien fai sants pécules Qu ’ on aurait à rouler tout ce fer en pilules . PI HPINE LLI . 264 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR E MM ÉNAG EM ENT Je m ’ en vais dire quelque ch os e qui va paraître extraordinaire . Il y a a Colombes , près Paris , une fauvette qui r eçoit le Ch a t N oi r ! Parfaitem ent , vous avez b ien lu , c ette fauvette reçoit le Ch a t N oi r . Elle le reçoit sur la tête , c ’ es t vrai , mais , pour en finir , elle le reçoit , et j ’ en suis pour ce que j ’ ai dit . La chose mérite u n e explication , et l ’ explication l a voici . Vous allez voir, c ’ est très touchan t . Figurez — vous que cette pauvre bête on t le malheur, ces temps der n ier s , de fair e une mauvaise connais san ce . Tr an q uillom en t , sans s on ger à mal , elle rove naît de p rendre sa leçon de chant , quand elle ren

266 L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR m ais le souven ir de Jenny l ’ ouvr 1 er e l ’ en cou r a goa â s u pporter ce léger inconvénient . Le principal , c ’ était l ’ extrêm e sécheresse du local et la certitude pour sa p oti to fam illo de n ’ être pas trom pée quand il tom be rait de l ’ eau . En consé quence , elle procéda a sa m od es te instal lation , et c eci fait , elle fit ses couches , qui furent , d ’ ailleurs , heureuses a souhait Le lendemain , couchée , les ailes étendu es , sur une demi- douzaine d ’ œu fs qu ’ elle couvait avec a m our , elle songeait , et non sans angoisses , â l ’ ave n ir d e ses nouveau-nés , quand tout à coup elle jeta

un grand cri u n e lourde masse venait d e pénétrer

par la lucarne et de s ’ ab attr o sur son d es , en m êm e t em ps qu ’ une obscurité pro fonde envahissait son d om icile . C ’ était le facteur rural d e Colombes , près Paris , q u i venait d e jeter le Ch a t N oi r dans la boîte d e Gustave de Witte . La première frayeur passée , la fauvette so n gea à se débarrasser du journal le plus artistique de P a ris , lequel l ’ om pêch ait d ’ y voir clair et lui tenait horrible m ent chaud . Elle se mit donc , à grands coups de b ec , à attaquer la chronique de M . Alphonse Allais , d ont la spiritu elle fantaisie s ’ en alla morc eau par LE S GAi TES DU CHAT N OIR 267 m orceau ; puis elle déchiqueta sans pitié la prose pittoresque d e M . Rodolphe Salis , s oigneur d e Chat moirville- on -Vexin après quoi ce fu t M . Georges Auriol qui prit la semai n e , imm édia tem ent suivi de M . Albert Ti n ch a n t , avec le dessin de Stein len c om me couronnem ent d e l ’ édifice . Ceci fait , ell e put respirer , e t déjà elle rep r enait un p eu d e calme , quand brus quement ell o jeta un second cri , b attant des ailes , a ff oléo, aveuglée d ’ un flot d e lum ière V if . C ’ était mon excellent confrère Gu stave d e Witte q u i ouvrait sa boîte à jo urnaux p ou r y prendre l e Ch a t N oi r . Alors la petite fauvette com m ença à trouver q u e, s i son nouveau logem en t étai t ir r épr och a b le aupoint d e vue d e la sécheresse , il la is s a i t for t à désirer au point de vu e d e la tr a n q u illité . E llo é ta i t c as a n ièr e en d iab le et exéc r ait qu ’ on la déran geât . La p er sp ective d e recevoir alternativement les visites d e Gu s tave d e Witte et celles du facteur rural d e Colombes , lui c ausa donc les plus cru elles appréhensions , d ’ autant qu ’ elle ne partageait pas les Opinions politiques du Ch a t N oi r , et q u e , d ’ a utre part , relevant d e couches , elle se trouvait dans une situatio n embarrassante vis — à — vis de Gustave de Witte . Et pourtant q u e pouvait - ell e fair e ? 268 L E S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR Déménager était impraticable , sous peine d ’ aban donner toute sa progéniture , et elle ne s ’ arrêta m êm e pas a c ette pensée , préférant encore , auxlâchetés de l ’ abandon , les inconvéni ents d ’ u n e maison bruyante . Et c ’ est ainsi que , depuis quelques se maines , la p etite fauvette de Colom b es reçoit chaque semaine le Ch a t N oi r et q u e M . Gu s tave de Witte on est réduit a lire en tr o los trous les petites insani tés q u e se permet de t emps à autre son vi eil am i . GEORGE S COURTE LINE .

270 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR nir dans votr e esprit u n d ou te désastreux , ils ont soin de ne jamais rien garantir . Mun ide ces précieuses indications , lorsque , par hasard , vous m ettez la main sur l ’ homme que vous c herchez , sa routine , sa m auvaise volonté et son entêtement sont tels qu ’ il es t presque toujours im possible d ’ ob tenir de lui le travail désiré . Mais la n ’ est pas la question , co m me disent les Anglais . L ’ h oStilité d es spécialistes s er a , si Di eu le permet , l ’ objet d ’ un prochain article . Pour l ’ instant , il n e s ’ agit q u e de la di fficulté d e d écouvrir un spécialiste dans Paris . Il y a quelques mois , pour un travail don t j e crois inutile d ’ indiq u er la nature ( attendu que les détail s n ’ in tér es s er aion t qu ’ un f ort petit nom b re de p er s onnes ) , j ’ eus besoin d ’ u n e b r oss e con i q u e en p oil d e h a n g u r oo . Mai s en vain j e rendis vi s ite aux plus f ame u x b ro s siers d e Paris , Br em ior , Cheville et fils , On fr oy , Em ile Robert , Schweitzer et personne n e possédait l ’ article dem an dé , et , s elon to u tes pr ob ab i lités , il était im po s sib le d e se le procurer, mêm e a u prix des plus grands sacri fices . J ’ é cr ivis alors â Ken t et Sons de Londres . Trois jours après , Ken t et SOUS de Londres , q ui LE S GA iTES DU CHAT N OIR 27 1 s ont l ’ exactitude même , m ’ envoyèr ent la lettre sui vante Monsieur, Actuellem ent , nous ne pouvons pas faire pour vous la b r os s e de k a n gu r oo , et le Z oological Gar den , il ne peut pas vendre un k an gu r oo p our nous . Mais notre agent â Melbourne , il pourra p rocurer à votre service un ka n gur oo pour 2001ivr os sterli n g , a utrement 250 livres avec le port payé au steam b oa t Après quoi , nous f abriquerons volontiers la brosse q u e vous plaisez deman der nou s . En attendant la réponse , nous restons , etc . K E NT ET S ONS . » La b r os s e queje désirais ne devant guère dépasser 60 gr am m es , j ’ aurais , à la rigueur, con s en ti â la payer a u poids d e l ’ or

mais j

’ avoue que les fr . d e la maison Ken t et Sons de Londres m o parurent u n pri x exagéré . Je répondis donc ‘ à c es i n dustriels que j ’ a vis er ais , e t j ' allais r en on cor à m on idée , lorsqu ’ un m a rchand de blaireaux pour la barbe , rencontré par hasard c hez Coquelin Cadet , m ’ a pp r i t qu ’ il exi s tait à Paris 27 2 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR une certaine veuve Lapointe , capable de fabriqu er les brosses les plus in vr a is omb lab los avec le poil de n ’ importe quel animal , et que c ette dame devait demeurer impasse Beille , quartier d e la Glacière . J ’ étais invité à. déjeuner chez Coquelin ce matin lâ . Mais mon impatience était telle q u ’ au risque de paraître un peu mal élevé , je descendis ' l ’ escalier quatre à quatre sans seulement prendre congé d e mon hôte . Je sautai dans u n e voiture , et , trois heures plus tard , je débarquais impasse Beille après quelles angoisses , bon Dieu J ’ oxplor ai u n e à une les tristes maisons d e c ette pittoresque impasse mais , hélas personne ne con naissait la veuve Lapointe , fabricante de brosses ! Je commençais à bouillir violem ment et a voir rouge , lorsqu ’ un bon vieillard , qui fumait sa pipe devant u n e p or te, me dit d ’ une voix douce et trem b lotan te La mère Lapointe ? attendez donc , la mère La mais je la connais , moi , cette vieille T enez , ce doit être ici , en Et de son doigt ridé il me montra la s eule m aison q u e je n ’ eu sso pas encore fOu illée . J ’ entr ai .

274 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR Aucune fenêtre n e s ’ ouvr it , aucune tête n e s e montra . Peut — être n ’ a— t- ell o pas entendu hasardai — j e . L ’ homme parut comprendre , et , très obligeamment, il recommença Ohé ! mamo Lapointe ! Personne n e répondit . C ’ es t extraordinaire , fi s - j e. Voudriez— vous cri er encore u n e fois Ça m ’ est égal , fit l ’ hom me , et cette fois il g ueula s i fort q u e j ’ en eus les deux oreilles abruties . Mame Lapointe ! mamo Lapointe ! Mais ce fu t en vain . Rien ne bougea du rez — de chaussée au sixième . Très gêné , je r em is cinquante cen tim es au bravo ouvrier , et , histoire de dir e quelque c h os e on le quittant Peut -être n e demeure -t — ello pas ici ? fis - j o avec un sourire bête . Ça s e pourrait bien , dit l ’ homme , et reprenant sa s cie, il aj outa Il n ’ y a q u e moi de locataire d ans la GE ORGE S AURIOL . LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 275 LE CH E VAL E M PO RT É Un jour , dans u n e voiture , une Urbaine , Un monsieur , u n e dam e étaient assis , Je n e sais à quel endroit précis Mais , u n e ch os e b i en certaine , C ’ est que le cheval , tout a coup , s ’ om p or ta . Le monsieur , aux pieds d e la dame se j eta Et lui dit : Jo vous a ime Soyez à moi Vous en aller en ce moment Serait d ’ une imprudence extrême . Car vous savez probablement Qu e leschevaux prenantaux den ts leursmorsvont vite . Et lorsqu ’ on descend en pareille occasion , Il es t b ien rare q u e l ’ on évite Quelque terrible contusion . 276 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR Donc , n ’ es s ayoz pas de vous défendre Et soyez à moi sur— lo- champ . La dame répondit : Parfaitement ! M or a li té Fit — elle pas mi eux que de descendre . MAURI CE DONNAY .

27 8 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR Un long trois — mâts qui va , par fila n tos glissées Houleuses , dans la nuit , ver s d ’ éclata n ts lointains , Comme un grand cygne noir aux ailes rebrouss ées . JEROME NAU. LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR 27 9 I A CHANS ON DU PORC- EPIC C ’ était un petit porc — épic Qu e je trouvai , unsoir sur mon paillasson , r u e Lepic . Il avait u n e sonnette p en du e a son cou , Et il ne paraissait pas sauvage du tout . Cepe n dant , c om m e il venait sans m ’ avoir écrit , Je ne laissais pas , vous compren ez , d ’ être un p eu su rpr iJe lui insinuai , avec infiniment de douceur , Que , peut — être bien , il faisait erreur . 280 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR Comme il ne répondait toujours pas , Je lui demandai, enfin , ce qu ’ il faisait là . C ’ est alors q u e je m ’ ap er çu s qu I l était crevé E tj e n ’ a i p a s cr u u tile, vous comprenez , d ’ in Si s ter . FRANC NOHAIN .

282 LE S G “ TES DU CHAT N OIR PO LY T E Il y a des gen s q u i naissent _ rigolos et qu ’ aucun d es petits ennuis de la vie ne peut assombrir . Polyte était de c eux- là . C ’ est l ’ année du grand hiver que je fis sa connais s ance . Vo u s savez bien , c ette année où les papillons ne purent éclore et où les lila s u ’ ou r en t pas de fleurs . J ’ étais quinze c en ts balles à Versailles , une ville qui devait bien nuire au tempérament de Polyte , qui était premier soldat a la 1 24 ° section sans musique , u n e rude section tout de même . L ’ air de roublardise enjouée de mon camarade d e lit m o plut dès l ’ a b or d . Il n ’ y en avait pas d eux comme lui pour couper au truc , et ce fut lui q ui LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 283 m ’ on s eigna le m oyen d é chapper à la corvée de l ’ ê p lu ch ago d es pommes d e ter r e . Avec c ola , quoique gr a de, Polyte n ’ était pas fier du tout , e t j e ne l ’ ai jam ais vu refus er un m êlé - cass ou un ch am p or oau o ff ert par un camarad e . Il payait son écot en m o ts d ’ esprit . C ’ est encore a l ui queje dus le plaisir d e f aire la connaissance de d eu x outroisbonnes filles , pas b i en lettrées , mais qui connaissaient a fond l ’ histoire du régiment avec s es hauts faits d ’ armes . Les caporau x et les sergents et même les lieutenants avaient été leu r s am is , et quand on avait besoin d ’ un renseigne m en t ou n ’ avait pas besoin de consulter l ’A n n u a i r e d e l ’A r m ée . AU SSI , quand Polyte passa caporal , l es condition nels â qui il avait rendu tant d e services lui off riron t un porto- cigarettes en ambre et écume qui était u n e petite merveille . Le sujet surtout qui ornait ce sou venir me semblaune véritable trouvaille u n e nai adO très nue ave c ses ch eveu x comme peignoir c h a tou il lait d e s on gros orteil un poisson à l ’œil intellige n t . Cette soirée — là Polyte fut d ’ une gaieté iu ta r i s sabl o . Il aurait empêché de b âillor une coquille Saint — Jacques Mais tout p a ss e, les roses , les femmes et l ’ année 284 L E S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR d e volontariat aussi . Nous fîm es nos adieux au j oyeux caporal qui , les larmesaux yeu x, u ou Sa c c om pagu a jusqu ’ à la gare . Tu viendras m e voir , me dit — il ense j etant dans mesbras . Je te le promets ; mais où A Paris . C ’ est grand , Paris.

précise un peu . TU verras b ien . Je d u s me contenter de cette vague adresse , et j ’ a r r iva i a Paris où je tombai aussitôt d a n s l es bras d ’ une petite b ou lette qui m ’ offr it son cœur et une chambre auquatrième . J ’ avais complètement oublié mon ami , quand , le 1 4 juillet dernier , fuvan t les illuminations o fficielles et les pétarades dos j eu n os citoyens , je m ’ étais ré fugie a Grenelle , le seul on dr oit p eu t — ê tre où éclatait s in cèr em ou t l a j oie populaire . Je passais dans u n e petite r u elle, et quel ne fu t pas m on étonnement d e rencontrer Polyte gros et gras , bien habillé , avec de grosses breloques p en da n t s u r son gilet . Il était sur le devant d ’ une maison d ’ u n e modeste apparence , les fenêtres ferm ées , mais pavoisées , et une lanterne rouge très en vue jetait de clair es lueurs sur le pavé anguleux .

286 L E S GAÎTÉS DU CHAT N OIR LE S RAI SINS Un homme cheminait pénibl em ent . La route était montueu s e , au travers de l a n d es et d ’ espaces incultos . Le soleil appesantissait s es rayo n s de plomb sur les épaules du voyageur . Et il y avait longtem ps que c elui-ci cheminait ainsi sur la route inexorablem ent montueuse, . a u travers des landes et des espaces incultos . Et u n e soif cruelle le torturait . L E S CAiTES DU CHAT N OIR 287 Enfin , il arriva à un lieu ombragé . Un o treille se drossa devant lui . D ’ én or m es grappes d e raisins pendaient des pam pros sur c hargés . C ’ étai en t d es raisins magnifiques , recélant sous l ’ or de la peau mûre , tendue à crever , le suc d ’ oxq u is o fraîcheur . 0 les superbes fruits 0 la merveilleuse vendange pour des lèvres altérées ! Car les énormes grappes pendaient des pampres surchargés on masses épaisses , à la portée des mains et de la bouche , com me d es e n tr es gonflées , prêtes a laisser jaillir à flots la liqueur limpide . Et le voyageur , que la soif cruelle torturait . eu t s oudain la r a ge de se ruer vers cette treille . Mais à. peine ou t — il ar raché un d e c es raisins ma gn ifiq u es , recélant sous l ’ or de la peau , tendue â cr ever , le suc d ’ exq u is e fraîcheur, qu ’ il le rejeta avec un am or dépit . Ah ! s ’ é cr ia — t-il , ils ne s ont pas assez verts . Et il s ’én fuii . LEON GANDILLOT. 288 LE S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR DECEM BRE Premier mois de l ’ hiver et le dernier de l ’ an , Dans ton l ar ge manteau , blanc Décemb r o, tu traînes La Noël , les boudins , les bonbons , les é tr en n os , D ’Un pas trop vif aux vieux , mais auxj ou n os tr 0p lent ! Par toi le con fis ou r presse en se désolant Un front pâli , suant , d ’ où , parm i les migraines , Jaillit , c om m e unpoème , un fo n dant pour les r eines , Le peuple , les en fants , juteux et succulent ! Déjà dans leurs cartons mille p olichin ellos S ’ étir en t en montrant l e bleu d e leu r s pru nelles Le neveu p en s e a l ’ oncle et veut le …c ar otter !

290 LE S CAÎTES DU CHAT N OIR BAL L AD E DU COU PE UR D E CHATS Il existe un être hideux, In fâm o, cruel , ridicule , T oign eux, pouilleux , galeux , miteux, Qu ’ a u cu n e honte n e maculo. Ce gueux exerce sans scrupule L ’ art d e fabriquer des castrats Et gueule avec sa mandib u le Tond les c hien s et coupe les chats ! Son inven teur libidineux Monsieur Prud ’ homme qui copulo , Évitant d ’ être populeu x , Trouve le chat trop noctam bule Pour q u e sa ra ce ne pullule, LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 201 Et m ettre un fr ein à. ses ébats , Il le livre à ce b ar b a cu lo T ond les chiens et coup e les chats ! L ’ homme au schako jaune merdeux , Cloaque où fleurit la pustule , Ivrogn e s u iu teux et bulb eux , S ’ om p a r e de l ’ a n im alcu l e Et , sans lui dorer l a pilule , Ce plus lâ ch e des scélérats Le prend , le t r ousse et l ’ ém a s cu le Tond les chiens et coupe les chats ! E NVO I Matou , la moindre particule Vau t m i eu x que to u s les célibats ; Détale au cri d e la crapul e Tond les c hien s et coupe les ch a ts ! RAOUL GINESTE 292 LE S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR LE PORT IER‘ E T L E RENTIE R Un jour, un monsieur, un rou tier, Réprimandait son portier , Qui répondit d ’ un air altier . Sans en entendre davantage , Le rou tier prit le portier, Et , du haut du cinquième étage , Le jeta sur le palier Du s econ d et lui brisa l ’œs 0phago. M or a le Le concierge est dan s l ’ escalier . MAURI CE DONNAY .

“ 294 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR colon el avait carte b lanche ; tous les m oyens seraient bon s . Un régiment où les soldats s e trouvaie n t nourris â peu près , pas tr Op f ourbus , assez juste ment traités ? Mais ça n e pouvait pas durer , ça chan gerait , tonnerre d e b leu ! la moitié d e l ’ eff ectif en dût — olle a ller voir a Bir ib i de qu el bois se chauff a i t le ministre . Et ça ch a ngea , effectivement . En u n rie n d e t em ps , le 234 e d e l ’ arme des chi en s de Parigots , pou r la plupart vous fu t terrori s é , réduit , maté c omm e un s im ple toutou . On ne b ou goa plus , j e vou s on réponds ; 011 ne cr â u a gu è r e , je vous on fiche mon b illet ! Ça pivotait , et ra ide ! Pour un ‘ Soupir de travers , c ’ étaient d es qu inze jours d e grosse b oite ; et puis des marches forcées , d es c on tre- app els , des revues p erpétuelles autant qu mo p in é os et , quant aux p ermiss ions , m a c a ch e / Les offici ers eux — m êm es n e savai ent plus a quel s aint se vou er et trem blaient dans l eurs b ottes q u and au rapport , le colo n el di s ait d ’ u n e toute p e ti te voix flu tée , pat erne Je suis le père du régim ent , vou s entendez ? s a ch a n t b i en qu ’ après c ette phras e , ’ n off en s ivo en apparence , on n ’ y coupait jamais d e sa q u inzaine d ’ arrêts . Un e d iscipline russe , je n e connais q u e cela ! L E S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR 29 5 répétait s a n s c es s e Savat - Bardez , car il avait rap porté d o Ru ssi o un débord a nt enthousiasm e pour l es mœurs d e nos frères du Nord et en particulier pour leu r s co u tumes militaires . Un o entre autres l ’ avai t ravi . Q u a n d un colonel r u s s e arrive devant le front de son régim ent , il ne m anque jamais de s ’ é cr i er d ’ une voix fo r te Bon jour , m es en fants . A quoi tous les s oldats r ép on d en t c om m e un s eu l h om m e : Bo njour , m on c o lon el . Aussi , à p eine en fo n ctions , rédigea — t — il un ordre du jour rappelant en ter m es émus que le régi m ent n ’ est r ien autre qu ’ une grande fam ille d on t la France est l ’ aïou lo . Or, quoi de plus propre à rest serrer les liens qui uniss ent le colonel a s on régi m en t q u e d ’ emprunter aux Ru s s es leur to u chante coutume du Bonjour , m es enfants Sans com pter qu ’ une semb lable parité de mœurs n ’ était que pour rendre plus étroi te encore l ’ allia n ce franco — rus s e . E n conséquenc e, l e colonel Savat - Bardez o r donnait que tous les jours on fi t des s or tes de réceptions , a fi n q u e les enfa n ts répo n dis s ent avec un imposant et m ilitaire ens emble au sal u t d e leu r père . Quelque chose com m e un fr ém is s om eu t patrio tique agita le 234 ° â la lecture de cet ordre . Les rangs rompus , on vit d es co n ciliab ul es se for mer , 296 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OI R des hommes pressés parcourent les chambres, ver sant au vol dans les oreilles de mystérieuses et rapides paroles , et , de ce jour , un changeme n t extraordinaire s e manifesta dans les allures de ces braves soldats . Au lieu d ’ entreprendre de clandestins tirages au flanc , a u lieu de renâcler au ser vice et de passer toute la j ournée à réclamer indécemment la classe voilà qu ’ ils se mirent à faire du zèle . Croyez — moi . n e m e croy ez p a s . ils s ’ en ten dir en t en tr a e ux pour employer a des exerci ces su pplémen t a1 æ leurs heures de liberté . Adieu le ch a mp or eau , L blanche et les salades ; le cantinier se vit un instan s u r le point de faire faillite . A la caserne , ils s e retiraient dans les recoins ; en ville , ils gagnaient les fossés des fortifications , et , par petits groupes , travaillaient . Savat -Bardez n ’ y compr enait plus rien . Très inquiet , craignant quel que rosserie, quelque sédition en germe , il voulut savoir, fit es pion ner les hommes par des adjudants dévoués , s ’ emb u sq u a lui - même et , en fin de compte , ne surprit rien . De loin , on les voyait gesticule r , faire l ’ exercice , étudiant de préférence , il semblait , les mouvements d ’ a s sou plis s emen t qu ’ en général , p ourtant, ils a vaient en horreur, on percevait de

298 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR et b i entôt après vit , m o n té s u r u n joli petit arabe , s on t err ible pèr e s ’ a va n c er , b i en car rém ent , vers le front d e la troupe , s ’ arr êt er à. e n viron soixan t e pas , et , d ’ une voix auss i sonore que le lui perm ettait son organ e vi n a igr e, lan c er un Bonjour , mes en fan ts ! tout a la fois sole n nel et cordial , attendant a ve c confiance le ré sultat d e c ette innovation . Or , le voici , ce résultat pl u tôt im prévu . D ’ un m êm e m o u v em ent autom atiq u e , douze cents g enoux gauches s ’ élevèr en t , p u is douze cents m ai n s gauches s ’ a b a t tir en t sur les douz e cents cuisses , y fais an t retentir une claque imm en s e , et douze cents pou ces dressés vers le ciel vibrèrent lo n guemen t , tandis que , d ’ une clameur rythmée et très nette , le 234 " de ligne espoir de la patrie répondaitau bonjour de s on chef en ces t ermes dont , par respect pour m es lecteurs , j ’ a ttén u e la m artiale crudité « Z UT! E H , V I E UX DA IM ! On n ’ a pas mémoire même en Afrique , parm i les vieux rengagés , les arbis , les durs-à — cuire , d ’ u n e aussi formidable b a s a n e. D ’ un écart soudain et violent , le petit arabe , effrayé , déposa , sans tr0p de ménagements , son b on maître sur un tas de pi erres qui , par hasard , la s e trouvait

et il rendit l ’ esprit , le terrible colon el , LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 299 renonçant ain si , d e lu i — m êm e , a un avancement pour to uj ours comprom is par le ridicule désormais attaché au n om de Savat — Bardez . Morales ? ? RAPHAEL SH OOMARD . LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR PLUME E T POI L Si tu te piques de peinture , Fais un chef -d ’œuvr e, tout est là , La - i - tou , la -i-tou , la , la; É pargne- moi toute autre ordure . Mais garde - toi de la nature , Surtout ! Vois- tu , c ’ est bon , cela , Pour les disciples de Zola Et leur sombre littérature . Je crois démontrer , Dieu merci ! Dans les deux panneaux que voici , Combien j ’ ai raison mille et

8 0" LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR S ONN ET Rêver, presque dormir . Dorm ir des paysages , Peindre avec du sommeil de tr ès sourds horizo n s Où n ’ ont surgi jamais ni souliers , n i maisons , Mais seulement parfois d ’ imp alpa b les visages . Peindre rien , presqu e rien , en tou s subtils et doux . Ne se frôler les yeux qu ’ avec des robes d ’ âm es , Ne pas troubler de bruit ces visions de f em mes Qu i rôdent longuement dans l ’ intime de nous . Chan t er , chanter très bas la chanson irréelle . S ou ffler le des sin net et la touche cruelle, Copier le non -être avec soin et très bien . LE S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR 803 Au b as d ’ un b rouillard flo u m ettre sa p a ta r affe . Par im puis sance , n ’ être rien , presque ri en , N ’ ê tr e rie n ! . . . mais s urtout n ’ être pas photographe GEORGES LORIN . 304 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR POUR L IS E Deux vieuxgrammairiens rivalisaient pour Lis e, Mais unjuge , plus preste , ou plus tendre , l ’ a prise Et la loge en garni près la gare de l ’ Es t . M ORALE Gr amm a tz ‘ cz ‘ cer ta n t, su b j u di ce L is e es t. WILLY .

3 06 LE S GAÏTÉ S DU CHAT N OIR Nous y sommes allés bien des diman ch es , Nous y sommes allés bien des lu n dis , Mardis , mercredis , jeudis , vendredis , Ça n ’ a pas été u n e autre paire de manches Il est probab le que , nous y s er ion s allés les sam edis , Ça aurait été la même chose aussi . Sous les quinconces Nous ne retrouvons pas nos oncles. Alors , vous comprenez ça nous dégoûte S ’ ils ont couché avec des filles à dix s en s Et qu ’ ils s ’ on t fa it e n f o n cer le ventre par leurs marlous Qu ’ e s t — c e q u e vou s voul ez q u e , nous , on y foute ‘ 7 Il s erait plus sage , vrais emb labl em ent , D e s ’ a dr ess er à q u elq u e a g en c e d e r en s eig n em en t. Sous les quinconces Nous ne retrouvons pas nos oncles . FRANC NOII AIN . L E S GA ÎTÉ S DU CHA T N OIR 307 LE M EGOT S ’ L e m a r c h é a u x m ég ots es t tr a n s fér é q u a i d e M on teb ello . Avis a ux a ma t eu r s , Bon , v ’ là encor qu 1 pleut à verse Qué chien d ’ temps J ’ vas m ’ n eyer , Va falloir b oucler mon com merce , L ’ m ’ étier est dur, oui , qu ’ il es t dur . Depuis pus d ’ deux mois qu 1 l an s q u in e, Tout l ’ tr éfoin que j ’ ai ram assé N ’ f ’ rait pas éternuer m a co u sine , C ’ p en d a n t j ’ peux dir ’ que j ’ ai mas s é . V ’ là deux nuits que j ’ fais ma tourn ée Pour ramasser quoi ? rien du to u t . Qu and j ’ pens ’ jadis dan s un ’ journée J ’ m ’ a i fait q u éq u ’ fois jusqu ’ a cent 308 LE S GA ÎTÉS DU CHAT N OIR Tiens , ben , si j ’ emb oîtais c ’ potache ? l ’ tire un fum ’ r on gros comm ’ lui Hé tu vas brûler ta moustache . Lâch ’ donc Bon le v ’ là J ’ en ai assez d ’ pn is 1 ’ temps qu ’ j ’ en pince Du tr u c de r am ass eux d ’ mégots Si j ’ m ’ in s titu ais banquier ou prince J ’ aurais dû y penser plus tôt . L ’ m ’ étier s ’ en va , j ’ vous - l ’ dis sans phrases , Sans compter qu ’ on n ’ sait plus fumer . Dans les p u r os , les sib igeois es , Sait - on quoi ma in t ’ n a n t qu ’ on y m et ? J ’ me r a pp ell ’ que dans m a jeunesse Y avait des cigar ’ épatants , Gentiment roulés , tout d ’ un ’ pièce , Pis on n ’ les fumait pas tout 1 ’ temps On en prenait la fleur , l ’ ar ôm e Aujourd ’ hui c ’ est p a s ça du tout Jusqu ’ à qu ’ i ’ soit pus qu ’ un fantôme , On chique un cigar ’ jusqu ’ au bout .

310 LE S GAlTE S DU CHAT N OIR P E TITE S FI L L E S A Rapha ël Shooma r d . NONNES . Par l ’ entre — b a fllem en t d ’ une porte , j aperçois d es fillettes en prières elles tiennent de gros chapel ets qu ’ elles baisent avec f erv eur . De longues serviettes encadrent leurs fronts et retombent sur leurs épa ules menues . Les yeux mi — clos semblent ne regarder que l ’ autre monde . Elles se lèvent et chantent c ’ est u n Can tiq u e . Les gamins j ouent aux bonnes sœurs dans un grand cabinet de toilette encombré de fi oles comm e le laboratoire d ’ un toxicologue et miroitant d ’ a cier s c omme la trousse d ’ un dentiste. LE S U A ÎTÉ S D U C H A T N OI R Les p etites so n t toujo u r s en extas e miaulan te e t proc ession n en t à qu a tr e a la fi l e i n di e n n e , s a n s rien voir . Mai s , la peste soit d es p sychés énormes qui vol en t, qui recèlent toute la l um ière d ’ u n e pièc e Le c harm e es t rom pu ; c ’ es t de l ’ hyp n o tism e ! Toutes les no n n ettes s e c am p on t d evant la h a u te glace , inqu iè tes d u r e fl et , mais es pé r a n tes Je suis bi en p âle ! dit Jean ne en co u ra n t au pot de fard . Rien qu ’ u n e om bre d e crayon bl eu s ous les murmure Lu ci e , au torisée p a r l ’ exem pl e. Mad eleine pos e u n e mo u c h e oh ! m e ur triè r e ! prè s d e la foss ette n acré e d e s on m enton . Mai s J es s ie , l ’Am ér ic a i n e, déjà u n e p eti te f em m e à d ou ze a n s , corrige la n atu re e t trans form e les d e ux exquises ro s es m a tos d e s a bouch e e n u n e ceri s e aflr iola n te, mûre , pres qu e m ûre po u r le b a i Qu e tu es b elle ! s ’ é c r ie Jeanne ; e t les mignonn es béguines d ’ appla u dir . Tu s eras la Supéri e ure ! 312 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR NÉGRE SSE S . Deux négrillonnes bavardent au pied d ’ un bois canon » en cro quant des mandarines , des oranges macaques . Moi , dit Zaza , je voudrais être un e blanche , ou au moins une mulatresse ambré e , pour que les beaux o fficiers béqués , b leu S _ et or , — m e poursui vent et s ’ a f folen t de moi . Ils se battent pour Clar is thén ie ! Moi , répond Noun ou n e, je voudrais être sor c ièr e pour donner des philtres , du wanga tous les poisons , a l ’ u n de ces blancs qui ne nous aiment jamais , le torturer jusqu ’a ce qu ’ il m ’ aime , lui , et a lors le tuer à petit f eu , en riant tout le temps . Je préférerais lui empoisonner l ’ amour dans le c œur et le faire vivre toujours . Oh alors , je voudrais encore être sorcière pour le guérir, rien qu ’ en lui baisant b ien doucement l es Elles s e regardent et rient , menaçantes et b onnes . JEROME NAU .

8 14 L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR de leur bonne volonté et conclut qu ’ elles n ’ auraien t pas affaire à une i n grate . Si cela vous convient , m es enfants , demain nous n ous o ffrirons un petit congé et n ou s i r on s nous promener toutes ensem ble . Cette pre position fu t accu eillie avec la joie na1 ve et bruyan te qui caractérise ces aimables perso n n es . Mai n t enant , continua Madame , où irons — nous ? La question est là . Que chacune donne son avis a son tour . Quand elles eurent parlé toutes à la fois pendant cinq minutes , Madame rétablit l ’ ordre et interrogea Judith , une b rune , forte et sérieuse , que l ’ on recher chait b eaucoup dans la m aison pour la gravité n atu r elle de son c a ractère . Judith propo s a une visite au musée du Louvre , et s e fi t con spuer . Nous connai s sons toutes le musée du Louvre ! déclara Fern ande . Allons plutôt à la c am p a gn e , dan s la vallée de Chevreu s e par ex em pl e, qui est deli c ieu s e à la fin de l ’ hiver . Fernande avait l ’ esprit le plus poétique de lapetite société et ne so n geait q u ’ à se retirer “plus tard , en Norm andie ou dans le Perche , où ell e gardait des relations . LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 8 15 Peuh c ’ est bien usé d ’ aller à la dirent trois ou quatre dames . Proposez mieux , reprit aigrement Fernande . Rolande n om m a l es catacom bes et se fit f orte d ’ a voir des entrées par un con s eiller m unicipal . On r epoussa ce projet , comme peu récréatif . La tour Eiffel f ut égal ement rejetée a caus e des récents eve nem ents . E n fin , décide z- vo u s ! dit Madame . Com me l ’ incertitude continuait à régner, Mascotte demanda tim id em ent Moi , si on voulait , mon rêve serait d ’ assis ter au cours de littérature de M . La r r oum et , a la Sor bonne . Et c ette pre po s ition , qui s o u leva un déb ord em en t de j oie , r a llia l ’ unanim ité des suf rag es , d ’ autan t pl u s q u e Mascotte passait pour une perso n ne f rivol e, à peu près indifférente aux grandes qu estions d ’ art et de littérature . A LFRE D CAPUS. 316 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR L ’AN E B L E U F A C É T I E M O R N E C ’ est l ’ histoire d ’ un âne bleu Qui était très malheureux . Il avait mal aux oreilles , Ca lui bourdonnait dedan s , Avec des douleurs pareilles A quand on a mal aux dents . Il s ’ en fi t arracher une , Il s ’ en fi t arracher des Et quand il n ’ en eut plus Comme il était embêté !

318 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR D EMI MONDAIN E Une fois , j a i voulu me marier ; mais si l ’ on m ’ y reprend ! J ’ étais jeune , alors , Oh ! très jeune . J ’ avais l age Où le cœur déb orde en sonnets incandescents . Cela explique tout . A moins que c ela n ’ explique rien . Toutes les Opinions peuvent se soutenir. Passons . En ce temps — là, je restais des journ ées entières a plat ventre sur les pelouses du j ardin patrim onial , un jardin immense q u ’ en tou r ait un mur emm ito uf1é de lierres et de glycines . J ’ y rêvais d ’ aimer . Mais , comme l ’ occasion ne s ’ en présentait pas , je LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 319 faisais , en atten dan t , a u x fleurs , aux oiseau x , aux étoil es , des vers tout à fa i t c a n dides . C ’ était c ertai n , dès qu ’ une f emme daig n erait m e sourire , je m ’ em b a ller a is . Mêm e j ’ éleva is parfois , tragiquement , les mai n s vers la voûte cél este et , comme S ’ il avait dû en pleu voir , j e dis ais 0 la plus belle entre les plus belles toi que je dois aimer, quand donc viendras - tu ? Et cela était très touchant . Un jour , tandis queje me livrais à ce coquet exer c ic e d ’ in voc a tion , le ciel ( c ’ est une justice a lui rendre , il n ’ y man que jam ais , quand il a le temps) exauça m a prière . Printanière , rose et blonde , une tête d e jeu ne fill e a pparut , au - dessus du mur , parmi le f euillage . Je tom bai à genoux . Merci , mon Dieu! Déj à la tête de jeune fi lle avait disparu comme u n s onge . Le lend emain , à la m êm e heure ( deux h eures de rel evée) , à la même place ( au- dessus du mur , parmi 320 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR le feuillage ), la même tête de jeune fi lle (printanière , rose et blo n de) réapparut . Je m ’ appr och ai . Elle sourit , hésite , puis Vous êtes bien inflammable , monsieur , me dit - elle d ’ u n air mo queur . A peine m ’ avez— vous eu t r evu e , hier, que vous êtes tombé à genoux . On n e temporise guère , dans votre famille . Oh ! m ademoiselle , répondis - j e, que vous êtes j olie ! que vous me semblez belle! Ce n ’ était pas précisément répondre à la question , m ais cela partait du cœur . De fait , je ressemblais fort , d ’ où je la regardais , au Renard de la fable . Mais la postérité me par donne cette image quelle douce colombe avait remplacé le Corbeau Il s ’ agissait de la contraindre à laisser tomber sur moi non pas un fromage , fi donc un peu d ’ a mour . A l ’œuvre , p ensai — j e, enthousiaste . Et , d ’ un mouvement réflexe , je retroussai mes manches . Un peu plus , j ’ allais cra cher dans mes mains . Mais le sang— froid me revint etje m ’ a r r êtai etemps .

322 L E S GA ÎTÉ S DU CH AT N OIR Il ne tient qu a toi , am a n te adorée ! m ’ é cr iai — j e, poussant la passion jusqu ’ au tutoiem ent . Hélas m e répondit — elle , je ne s ors q u ’ a c com p a g n é e . Il faut trouver m ieux . N ’ allez — vous jamais dans le monde , au bal ? poursuivis - j e sans me d écourager . Je pourrais vous y rencontrer . Jamais ! Le croiriez -vous mes pare n ts trouvent que je suis encor e trop pe t ite . Tr0p petite ! me dis — j e . Trop petite ! m e répétai - j e . Trop petite ! n on , ce n ’ est pas possible . Elle m e cache quelque chose . Pour en avoir le cœu r net , j etais résolu à tout, même a ê tre convenable . Le lendemai n , dès que , dans son cadre de f ron d a is on s , je l ’ a p er ç u s m ’ en voya n t les bais ers quoti dien s , je lui dem an dai Eh bi en ? Ce que cette b rè ve interrogation n ’ exp r imait pas , mon regard le disait pour elle . La preuve , ,c ’ est qu ’ on me répondi t LE S CAîTES DU CHAT N OIR 323 OU Î O Ces « trois lettres les amoureux ont un la n gage à eux , comme les fleurs et les bêtes , s ign i fi aien t clairement Oui , j ’ ai trouvé le moyen de nous voir et de nous voir longtemps . Aussi je repris : Ce moy en Dites vite . Non , devinez . Je ch erchai , mais en vain . Vous n e devi n ez pas ? Mon Dieu , n on . Approch ez , alors : je veux vous dire cela tout bas , dans l ’ oreille . Je grimpai sur mon échelle et tendis l ’ oreille . Et ce soupir l ’ effl eu r a : E p ou s ez -moi . Pa r ole d ’ honneur , jamais je n ’ aurais trouvé cela tou t seul . Po u r tant , c ’ était bien simple et facil e à exéca ter , mêm e en voyag e . Je ' m e dis Pourquoi pas après tout ? Et , s éanc e tenant e, on ne t emporis e pas , dans m a fam ille , ell e l ’ avait r emarqué , j ’ allai faire ma de man d e . Je fus reçu comm e un sauveur . 324 L E S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR On me promit une dot colossale . Cela marchait sur des roulettes . On fit venir la jeune fi lle , pour les présentations . D ’ abord j e ne la vis pas . Mais quand je la vis , pourtant, je ne suis p a s timide , les mots se figèr en t sur mes lèvres et j e tomb ai de mon haut (un mètre soixante et onze , en ce temps - là) . Elle n ’ aurait pas pu en faire autant . Ca r , elle aussi, marchait sur des roulettes . Elle était cul -de - jatte . GASTON MÉRY .

326 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR sur le pavé d ’ une rue atte n a n te et écrasa trois petits en fa n ts qui mangeaie n t des groseill es noires dites cassi s . Pe n dan t c e temps - là mon petit frère avait amassé les man ch ettes , les carrés de guipure , les losan ges de dentelle , les ro saces au p etit point , tous les orne m ents d es bras et dossiers d es fauteuils , chais es , c a nap es du salon empire , en avait f ait un tas tel de dépouilles Opim es puis ayant relevé prop rem en t sa cou r te jupe à carreaux bl eus et bla n cs il avai t déposé sa petite crotte au beau m ilieu en disant A la guerre co m me a la g u erre Ma tante qui n e l ’ en t en d a it pas de c ette oreill e — là ( et l ’ autre ne lui rendan t plus aucun servic e) prit mon polisso n par un bras et l ’ alla en ferm er dans le cabinet noir Cinq minutes plus tard un obus entra n t par la fenêtre , qu ’ on avait négligé de fermer , éclata dans le salon . C ’ est donc grâce à un inno cent s tratagèm e que le bon Dieu sauva mon petit frère , ce qui pro uve aussi qu ’ un bienfait n ’ est jamais perdu . LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 327 LA RE DDI TION Et l ’ on hissa le drapeau blanc ! Quand on annonça l ’ entrée des Prussiens il y eut un émoi indescriptib le . Q uelque chose comme une fourmilière qu ’ on a bouleversée à coups de canne . Les Prussiens n ’ eurent pas besoin d ’ en foncer les portes ouvertes . Les Bavarois aux longues barbes blondes bercèrent les bébés sur leurs genoux . Les Pru s siens furent employés aux travaux des ménages ils se levèrent tôt pour cirer les chaussure s . Quand ils se s aoûlaien t et insultaient les femm es , e n leur prenait leurs fusils et alors ils pleurai ent beaucoup p ou r ' ob ten ir qu ’ on les l eur r en dit . Cep endant , com me ils ma n quaient de confiance dans l ’ innocuité des breuvage s qui leur étaient o ffe r ts , ils e n fonçaient d ’ abord le goulotdes bouteilles dan s la gorge des bourgeois avant d ’en goûter eux mêmes . 328 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR C ’ est ainsi que plusieurs patriotes moururent empoisonn és . A coups de hache les vainqueurs faisaie n t sauter les serrures des armoires et des secrétaires , pour voir ce qu ’ il y avait dedans . Ils prirent aussi les robes blan ches des fi an c é es et des comm uniantes . Sans oublier l ’ a r gen ter ie . Ca r on aime à em porter des souvenirs du pays q u e l ’ on traverse . Enpassant devant le corps -de - ga rde et les casernes et partout où il y avait des soldats allem ands , les petits enfants faisaient des pieds — de - nez . Tous les chiens s ’ a pp elèr en t Bismarck . Et quand on voyait u n casque sur un cerisier , on allait chercher une fourche ; si on en voyait un s e promenant seul au bord d ’ un étang , on le p ous s ait dedans ; e n employa encore d ’ autres moyen s tr ès faciles pour en faire disparaître quelques — u n s . Des années après , dans les murs écroulés et dans le s a b ledes jardins , les petits garçons trouvaient des biscaïens et ils étaient bien co n te nts .

330 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N O IR tenait par l es basques d e m a redingote . Vous n e voyez rie n ? Non . Ah b ien! c ’ est probablement parc e que le mur a été recrépi ! La guerre est une chose terrible . JE AN PRAIRIAL . LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 331 UN DRO L E D E PE INTRE C ’ es t un trè s dr ôle d e p eintre que m on ami Edmo n d P a rnass e . Il aurait pu tout auss i bi en être sous - chef de bureau , hom m e d ’ équipe , agent d ’ assura nce ou s er gen t - m ajor . Mais n on ; Edm ond Parn ass e était p eintre . C ’ é tait comm e c ela , vous n ’ y f erez rien . Il é tait d ’ ailleurs si m od es te qu ’ il avait toujours r efu sé de nous montrer quoi que c e soit . Il se conte n tait de nous mettre au courant de ses œuvres . Il nous dis ait Aujo u rd ’ h u i j ’ a i term iné L a F em m e à la Cm cch e et m is la d ern ière main a m on étude E n f a n t oc cup é à f a i r e d es p elz ‘ ts p â tés s u r la 332 LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR p la g e d e Viller vîlle toile , s ’ il f au t l ’ en croire , d ’ une puissante luminosité . Passionném ent épris des peintres fleur is de la grande cour , il racontait qu ’ un jour il s ’ était plu pieuse attention filiale à représenter sa mère , u n e bonne bourgeoise qui tenait un comm erce de mercerie , rue Saint - André — des -Arts , couronnée de roses et de lilas , donnant la chasse a des papillons bleus , dans un parc à balustrade . C ’ es t tou t l e portrait de ma mère , nous disai t -il , on dirait du V . attean . Je crois avoir dit q u ’ E dm on d Parnasse était un drôle de peintre ; ce n ’ est peut — être pas tout a fait cela que j ’ aurais dû dire , car , en somme , il n ’ était pas plus peintre que vous et moi . Je veux dire que jam ais la moindre parcelle de chrome ou de veronese n ’ avait souillé la Vi rginité de sa palette , une palet te énorme . Mais , persuadés que le profond artiste avait un but en agissant ainsi , nous ne nous en étonnâm es jam ais . Cepen dant , comme je lui faisais un jour c ette remarque qu e c ’ était très bi en de nous parle r de s es projets , de son œuvre , m ais qu ’ il était m ieux san s doute de passer des paroles aux actes , Edmond alluma sa pipe lentement , mit un coude sur la Ché

334 L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR REPONS E Le jeune Lab ob in e et m oi nous ne faisions qu ’ un . Nous f aisions en mêm e temps notre rhétoriq ue . Ou nous faisions sem blant de la f aire , c e qui revient absolument au même . C ’ est — ù— dire que nous assistions irrégulièrem ent a des cours q ui nous emb êtaient crân em ent , quoique nous concentrassions tous nos e fforts à n ’ en pas entendre un seul mot . Le plus souvent nous attrapions des m ouches auxquelles nous rendions la liberté après leur avoi r agrém enté l ’ orifice caudal d ’ un bout de papi er arraché à un vague dictionnaire latin absolum en t destiné à cet usage . Le vieux professeur avait coutume de dire en par LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 335 la u t de nous C ’ es t des bo n s e nfants , m ais ils s ont b igrement pares seux . Et , de fait , on pouvait pl u tôt l ’ être moins que plus . Nous goûtions médiocrem e n t Cicéron , et Sén èq u e nous tap a it sur le système ( s i c) . Nous n ’ avion s qu ’ un regret , c ’ est qu ’ ils fus s ent morts , c e qui é t a i t le plais ir de les tuer . Or u n jour , il faisai t une chaleur tropicale encore aggravée par la lecture d ’ un m agnifique discours de Cicéron . (Ce n ’ e s t p a s moi qui le dis . ) Dans l ’ air bl eu , l es fenêtres étant ouvertes , tour billonnai ent des nué es de m ouches . Le jeune Lab ob in e s ’ in gén i ait à l es attirer dans notre voisinage par le fallacieu x appât d e morce a ux de sucre placés bien osten s ib lement sur le coin d ’ u n e table surchargée d ’ inscr iptions an ti — u niversitai r es . Décrivant donc dan s l ’ air , avec s a main prête à se referm er , la courbe u s uelle que tous ceux dont le passe — temps consiste à attraper des mo u che s et plus particulièrement les pêche urs à l a ligne connaiss en t bi en , il eut l ’ h or r ib le désappointement de rater s a quarante -deu xième victim e . Le pro fes s eur , qui surveillait ce manège depuis as sez longtemps , se leva de sa chaire , rouge de colère , et cria 336 LE S GAÎTÉ S DU CHAT N OIR Est — c e que vous aurez bientôt fini d ’ attraper les mouches , monsieur ? Lab ob in e ne parut pas être frappé outre mesure d e cette admonestation ridicule ( c ’ est sa propre expression) et , tranquillement , répondit Je ne l ’ ai pas attrapée , monsieur. JULE S DÉPAQUIT.

338 L E S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR mon chien; il n ’ en avait pas en naiss ant , n ’ est — cc pas ? non ; eh bien , alors Je m e contente de l ’ ap peler Mon vi eu xs a lau d , ou J ea nj a c q u er ou s s ea u , s u i vant les circonstan c es , m ais sans insister dava n tage. Et puisque j e vous en parle , je puis bien vo us dire que ce n ’ es t pas le prem ie r chi en coi ff é venu . Il a le poil rude et roux . Quand il se promè ne dan s les b lés verts , il les dépasse de sa queu e fauve , qui ém er ge ’ eom m e u n épi précoce , unique , phénoménal et m ouvan t . Si je rencontre qu elqu ’ un a ce mom ent là , je dem ande ce que cela peut bien être , et je lais s e le m on sieur intrigué pour le reste de ses jours . Alors Mon vieuxs alau d vient à moi , la. tête p enchée , un coin de la lèvre f ortement relevé et rigolant com m e une h alein e sans corset . Au moral c ’ en est un qui ne veut rie n savoir . Il ne m ’ a cc or de tout que parc e que je ne lu i dem an de rie n ; c ’ e s t ai n si qu ’ il ne porte pas a u c on le dîn er de son maître , qu ’ il ne va pas ach eter le P eti t J ou r n a l , qu ’ il n e sait ni lire ni jouer aux dominos , ni o u vrir une boîte de sardines , ni f aire Portez arm e ! >Ë ” ni laver les escaliers ni éteindre le gaz , ni rien de rien . Vous avouerez que ce n ’ est pas un cabot a la manque . Quand nous nous promenons ensemble , 5 I l n ’ est LE S GA ÎTÉ S DU CHAT N OIR 339 pas à 500 mètres en avant , c ’ est qu ’ il est un kilo mètre derrière , soit dit s ans vous o ff en s er . Et philosophe , avec il faut le voir as s is s u r son derrière en chi en qui f um e la pipe allo n gé en s phinx ou couché s u r le flanc , à l ’Oda lis qu e ce n ’ est c ertain em ent pas lui qui se dér a n gera pour venir vous lécher les mains . Ah ! m ais non! Des femmes , en voilà un qui s ’ en fi c h e !… Mais tais ez — vous donc , me dit mon vieux ca marade le vicomte Ponto n du Sérail , d epuis q u e je ne fréquente plu s les duchesses , m on grand bo n h eu r es t de vivre av ec m es chien s , de men er une vie d e chi en . Les chiens , je les adore ; un m auvais chie n vaut cent fois mieux que dix honnêtes g ens s eul e me n t , c ’ e s t comm e les f emmes , fau t savoir les dresser . Vous n ’ avez pas ou b lié Ca rtouche , mon grand espagnol ( s i e) ; vous savez s i j ’ y ten ais ; ça n ’ em pêche qu ’ un jou r , je ne me sou vie n s m êm e plus pourq u oi , je lui si flanqué un tel coup de h otte q u elque part , qu ’ il ne me resta plus q u ’ à l ’ a ch ever avec ma can ne plombée , n on san s , toutefois , lui avoir fait promettre d e ne plus recommencer . Et Pisse — partout , vous le connaissez bien , Pi s s e 340 LE S GAÎTÉS DU CHAT N OIR partout

une excellent e bête,mais entêtée g

omme u n e b ourrique . Je ne pouvais obtenir d ’ elle qu ’ elle m a r ché t du côté de la main qui porte ' le fouet . Dim anche, exaspéré , je lève sur elle u n ‘ bras mena ç a n t , m ais quand je voulus exécuter la menace , elle était déjà loin . Viens ici , allons , viens , fi s — j e, plié en deux et ta pant familièrement ma cuisseduplatde mon gantgris perle . Pisse - partout ne bouge pas , il se contente de passer sa queue entre ses jam bes . Veux- tu venir i ci ? lui criai - j e en désignant du bout de mon f ouet de chasse la pointe de mes bottes vernies . Ah! ou i ch e ! c ’ est com me si , j ’ avais interpellé un d olmen . Alors , désireux de lui f aire comprendre que les d ernières conquêtes de la science de Louis Figuier ont supprimé les distances , je ramasse un caillou qui , lancé avec une adresse d ’Ap a ch e , va lui casser net une patte de devant . Veux — tu venir maintenant ? Sur ses trois pattes , Pisse — partout augm ente d ’ une vingtaine de m ètres la distance qui nous sépare . Voyant qu ’ il ne m ’ avait pas encore compris , d ’ un deuxième mais non moins habile caillou je lui brise une patte de derrière , pour changer .


TABLE DE S MATIÈ RE S LE CH AT N 01R. (Jules Lema i tr e) . E xcen tr ic ’ s (Alphon s e Alla is ) Le v ea u (Alphon s e Alla is ) U n r ecor d (Alf r ed Ca p u s) P etite p ei ne (M a u r i ce Va u ca ir e) Le secr et d u ves tib u le (Na r ci ss e Lebea u) Th e m ea t — lan d ( Alp h on s e Alla is) Le s a r Pela de n désa v o u é pa r l ’ E ter n el ( Tr i s ta n B er n a r d) . QC P ou r q uoi la fi lle d u Ch eva l q u i b oëte n e voul ut pei nc t s oy c onfesser à f r èr e J eha n l e Taupi n (Rodolphe S a li s) L a j e u n e fi lle et le vi eux cochon (Alphon s e Alla i s) . ! L ’ ami d e la n a tu r e ( Pa u l Ver la i n e) . L ’ h or log er (M a u r i ce O ’Reilly) U n s ca n d a le ( Ma r i e Kr yz i n ska ) . Raccom m od a ge (M a u r i ce Va u ca i r e) Ch a nson s tyr i en ne (N a r ciss e Leb ea u ) B a llad e à V illon ( Vi ctor M a r gu er i te) KB a lla d e (M a ur i ce Don n ay) Les p oiss on s r ouges (M a u r i ce O ’Rez ‘ lly) 344 TAB LE DES M ATIERES Les Polonai s (E mile Gou dea u) P i ngoui n I ll (F er n a n d Va n de ‘ r em) N oi r a nima l (Jea n P i c) Les c u r e-dents (Fr a n c -N oha i n ) L a b outeille de v er n is (Geor ges Au r iol ) . C u r e m an q u ée (M a u r i ce O ’Reilly) L es ch a n teu r s d e m a cour (Ju les Jouy) Con te s ec (Ch . de S ivr y) S er a ph im P élica n (H ector de Ga lli a s) M a n a ger ’ s soci ety , limited (Léon Ga n dillot) . P a r tie c ar r ée (Jea n P i c) . P r ob ab ili tés (Fr a n c-N oha i n ) . Odelet te d ’ été (Au gus te M a r i n ) . L a m or su r e ( Wi lly) Le — m au v a is a cc ueil ( Willy) L a mi n e ( Willy) Le b on peti t cœu r (P i er r e Va ld a gn e) . L ’ éléph a n t (G a b r i el d e La u tr ec) Ch oses d e j u s tice (Jea n P i c) A pr ès les gr andes manœu v r es (Ca pta i n Ca p) . Le cer f — v olan t (Cap ta i n Ca p) Le ca illou m or t d ’ amour (Cha r les Cr os) . Au fon d des ch a pes (Ra ou l Gin es te) . Tom Sle eper (G eor ges Au r i ol ) M a confé r en ce à Au v er n ier ( Willy) L ’ am our des d om in os (Léon Ga n dillot) S on n er ie Loui s X V (Ri ta ) A ta gor ge (M a u r i ce D on n a y) L ex (Jea n P i c) Ch a ns on à Gr evy Celles q ue n ou s aimons (M a ur ice D on n a y) Old E n gla nd l (M a c N ob) Am ou r conj u ga l (Lou is M a r s ollea u) Le m astr oqu et (M a ur ice Va u ca i r e) M is tr al pat i sien (Pa ul Ar èn e) Les ph arm aciens (Ren é d ’ E r ville)

346 TAB L E DES M ATIERES Le m égot s ’ en va (Ra ou l P on chon ) P eti tes fi lles (Jér ome N a u) M oder nité (Alf r ed Ca p u s) L ’ à ne b leu (Fr a n c— N oha im Dem / i -mond a i ne (G a s ton M ér y) . Les h ”or r eur s d e l a g u er r e (Jea n P r a zr za l) . U n d rôle d e p ei ntr e (Geor ge D ela w) U ne r épons e ( J u les D ep a q ui t) . P 0n ton d u Sér ail (Jea n P r a i r i a l ) . EM ILE COL I N I M PRI M E RI E D E LAGN Y

d l u p 11 1 6 U 4 5 b U ü ü U . BE RGE RAT (E mile ) . Le F a u b las ma l gr é lu i . L e Vi ol . — L o Pe tit M o r e a u . Le Chè q u e . B ONN IE R_ E S ( Rob er t d e) . M émoi r es d ’Auj ou r d ’ h u i ( I " , 2 ° e t 3 ° s ér ie s ) . L es M o n a c h . Jea n n e Avr il . L e B a is er d e M aï na . L e p e tit M a r gemon t . C on te s à la Re in e C AHU(Thé odo r e) Ch e z l es Allema n ds . Pe tits Potin s m ilita ir e s . P a r d on n é e ? S e c on d M a r ia g e . U n Cœu r d e Pè r e . G eor g es e t M a r g uer i te . CA PU S (Alf r e d) . Qui p er d ga g n e . F a u x Dép a r t . M on s ie u r ve u t r ir e. C AR E TTE (M !” S ou ven i r s intimes d e la C ou r d es Tu ile r ie s e t 3° s en ) . CAROL ( J e a n) . L ‘ Hon n eur e s t s a uf . (Ouor . cou r . p a r l ‘ Aca démie f r a nç a ise Le Por tr a it Rép a r a tion . CASE (Jule s) . La Pe tite Z ette . U n e B ou r ge o is e . La F ille a B lan ch a r d . B on n e t Rou g e . A m e e n Pe in e . L 'Amou r a r tific iel. U n j eu ne M é na ge . Pr omes s e s . CATU LLE M E N DES . Le s B o u do i r s d e Ve r r e . Pou r les B elles P e r s on n es . L ‘ E nvers de s F eu ille s . L a Pr ince ss e n ue . Pour d ir e d e va n t le monde . N ou vea u x C on tes d e J a dis . DE LPIT (Alb er t) . L e F ils de Co r a lie . Le M a r ia ge d ’Ode tte . La M a r q u is e . Le Pèr e d e M a r tia l . L es Amou rs c r u e lle s . S ola n g e d e C r oix — S a in t Luc . M…d e Br es s ie r . Thé r é s in e . Dispa r u . Pas s ion n é me n t . Comme d a ns la V ie . Tou te s les d eu x . B e lle-M a d am e . DROZ (G u s ta ve) . Au tou r d ‘ un e S ou r c e . B a b ola i u . L e C a hie r ble u d e M a d emo is e lle Cib ot . L ‘ E n fa n t E n tr e n ous . Les E ta ng s . M ons ie u r , M a d ame e t B é bé . Tr i s tes ses e t S e u r ir es . U n e f emme gê n a n te . U n Pa qu et d e lettr es . ROZ (Pa ul) . Lett r es d ‘ un Dr a g on . ( Onur . cou r on né p a r t ’Aca d . B OUCHE R (Pa u l ) . Le Dr oi t de l 'Ama n t — M on s i eu r B ien a imé . « Fin AULO ' I ‘ (P a u l ) . M…d e Fon c ia . Le M a r ia g e d e J u les L a ve r n a t . L ‘ I llu str e C a s a u b on . U n C omp lot s o u s la Te r r eu r . ( Ouvr . cou r . a r l ’Aca d . f r a nça ise. ) La Vér ité s u r l expéd1tio n d u M exiq u e , 3 vo l. (Ouvr . c ou r . p a r t ’Aca d . fr a n ç a is e. ) U n Ami de la Re in e . L e s Chemis es Rou ge s . e a m p a g n e G i t a ne . Dr a me r oy a l . Le Pr in ce ImperLe s Gir ou e t tes Politiq ues . 2 vol .LOCKROY A hme d le B oU n e M i s s ion en Ve n dé e , 1 7 92M AE L (Pier r e ) . M er S a uva g e . r ité . Le Tor illeu r 29 . U A! L a Dou ble ue . Ga i té s d e S o litu d e . Pille ur d ’ E pa v H on n e u r , P a tr ie . Ce q u ’ e lle v MAIZ E ROY ( René ) . B é bé M ill iL a B elle . Cas p a s s ion n e ls . L M AU PA S S AN T (Guy d e ) . L e s Ro n doli . M on s ieu r Pa ren t . H or la . Pie r r e e t J e a n . ClL u n e . L a M a in g a u c he . c omme la mo r t . La V i e e r r e N o tr e Cœu r . La M a is on T e lli M“° F iFi . U n e Vi e . La P M e n a g e . M I RB E AU (O c ta v e) . Le C a lva L ‘ Ab b é J ule s . M ON TJOYEUX Le s Femmes de La V ie (1…p a r le . OH N E T Se r g e Pa n in e . c ou r . p a r t ’Acad . f r a n ça is e) . Le d e F o r g e s La c omtes s e S a r a h F le u r on . La G r a n d e Ma r n iè r e . Dame s de C r oix-M or t . N oir e t Vo lon té . L e D oc teu r RameD er n ie r Amo u r . L ’Ame d e P i e De tte d e H a in e . Nemr od e t Le L e n dema in d e s Amou r s . OSWALD(Fr a n ç o is ) . J e u M or te l T r é s or d es B a c qûa n c o ur t . M a Quin q u in a . PE RRE T (Pa ul) . Sœu r S a in te L e s F illes Ma u vois in . L ' e t la G u e r r e RAM EAU (J ea n) . F a nta sma gor ie sS a tyr e . Pos sédé e d ’ amou r . S L ’Amou r d ‘ An n e tte . La M a s o M a d emois e lle Az ur . La R G r ena d e . RENARD (G e or g e s ) . U n Exilé . RZ EWUSKI (C‘ ° Alfr é din e . D ou te . L e J u ti s c ier . Dé bor aSARCE Y . Le M ot e t la Ch os e , ve n it s d e J eunes s e. S ou ven i r s mûr . SI L VE STRE (Arman d). Le s F a r m on a mi J a c q u es . Les M a lhe C omma n d a n t La r ipète . L es V de S a mt - P a n ta leon . TH E URIE ' I ‘ (An dr é) . La M a is D eu x B a r b e a uxl Le s M a uv a isn a g es . S a u va g e onn e . M ic hen eu il . E u îèb e L ombard . At

La sainte ivresse



Unless indicated otherwise, the text in this article is either based on Wikipedia article "Les gaîtés du Chat-Noir" or another language Wikipedia page thereof used under the terms of the GNU Free Documentation License; or on research by Jahsonic and friends. See Art and Popular Culture's copyright notice.

Personal tools